B. LES TRAVAILLEURS EN ESAT : UN RAPPROCHEMENT AMBIVALENT AVEC LES TRAVAILLEURS EN MILIEU ORDINAIRE
1. L'ESAT, un « milieu protégé » d'accompagnement du handicap par le travail
Le programme 157 porte, outre les crédits dédiés à l'allocation adulte handicapé (AAH), les crédits alloués à l'aide aux postes des établissements et services d'aide par le travail (ESAT) au titre de la garantie de rémunération des travailleurs handicapés (GRTH). Cette enveloppe, budgétée sur la même action que l'AAH, s'élèverait à 1 614 millions d'euros pour 2024, soit une hausse de 7 % par rapport à 2023.
Cette aide au poste, versée à l'ESAT, permet à ces établissements de couvrir les charges, cotisations sociales, contributions au compte personnel de formation et de la prévoyance des travailleurs en ESAT. L'autre part de la GRTH est financée par l'ESAT. Plus de 14 000 ESAT accompagnent ainsi quelque 120 000 personnes.
L'ESAT est en effet un milieu de travail particulier et protecteur : les travailleurs n'y sont pas des salariés, mais des usagers d'une structure médico-sociale ; de même, ils sont titulaires d'un contrat qui n'a pas la nature d'un contrat de travail : les travailleurs en ESAT ne sont pas sous la subordination juridique de l'ESAT et ils sont protégés contre le licenciement.
2. Une transformation des ESAT déjà engagée
Depuis 2021, le Gouvernement a mis en oeuvre un plan de transformation des ESAT, visant à réduire la spécificité du modèle de l'ESAT au regard du « milieu ordinaire ».
Sur le volet des droits fondamentaux, le plan de transformation des ESAT a permis d'ouvrir aux travailleurs en ESAT des droits individuels et collectifs : l'extension du droit à congé ou encore l'élection d'un délégué des travailleurs. Ces droits, entrés en vigueur au 15 décembre 2022, sont progressivement mis en oeuvre depuis début 2023.
Quant au rapprochement entre le milieu protégé - l'ESAT - et le milieu ordinaire, la mesure phase du « plan ESAT » consiste en la mise en oeuvre d'un parcours renforcé en emploi, visant à favoriser les « sorties » d'ESAT tout en sécurisant de potentiels « retours ». Afin de favoriser ces allers-retours entre le milieu protégé et le milieu ordinaire de travail, une mesure d'annulation du calcul de l'aide au poste est entrée en vigueur au 1er janvier 2022. Elle permet à l'ESAT de lisser les fluctuation ponctuelles de ses effectifs, en lui garantissant le paiement des aides au poste auxquelles il a droit.
Enfin, depuis le 1er janvier 2023, les travailleurs en ESAT peuvent également travailler à mi-temps en milieu ordinaire, et ce sans perdre le bénéfice de l'AAH. Le mode de calcul de l'allocation a d'ailleurs été aménager de telle sorte qu'il incite les bénéficiaires à s'orienter vers le milieu ordinaire ou une activité mixte.
3. Une assimilation trop étroite des travailleurs en ESAT avec des salariés fait courir le risque d'une profonde transformation du modèle des ESAT
Lors de la Conférence nationale du handicap du 26 avril dernier, le Président de la République a annoncé de nouvelles mesures pour renforcer les droits sociaux des travailleurs en ESAT et les faire converger vers ceux reconnus aux salariés par le code du travail. Ces mesures, adoptées dans le projet de loi pour le plein emploi, devraient entrer en vigueur en 2024. Aux yeux des rapporteurs spéciaux, ce rapprochement doit faire l'objet d'une vigilance particulière, dans la mesure où il pourrait se traduire par l'amenuisement du caractère protecteur de l'ESAT, qui n'est pas une entreprise mais un établissement médico-social.
Les nouveaux droits couvrent un large champ, des droits collectifs fondamentaux (droit de grève, droit d'alerte, droit de retrait) aux droits individuels (prise en charge des frais de transport, ticket restaurants, et chèques vacances, accès à la complémentaires santé, etc.). Dans le même temps, il est prévu de permettre l'accompagnement des personnes en situation de handicap par le service public de l'emploi : ainsi, les commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) se prononceront en matière d'orientation vers le milieu protégé (ESAT) et vers les établissements et services de réadaptation professionnelle sur la base de propositions établies par l'opérateur France Travail et les cap emploi. Cette immixtion du service public de l'emploi dans l'orientation des personnes handicapées paraît quelque peu baroque aux rapporteurs spéciaux, qui s'inquiètent de voir s'amenuiser le caractère protecteur de l'accompagnement en ESAT.
C'est donc avec une certaine vigilance que les rapporteurs spéciaux attendront les travaux de la mission des inspections générales des finances et des affaires sociales évaluant l'impact de ces nouveaux droits. Les résultats de ces travaux devraient être publiées au début de l'année 2024.