IV. LA POLITIQUE DE L'ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES : DES CRÉDITS EN AUGMENTATION DEPUIS 2020, MAIS DE NOMBREUSES CAUSES D'INSATISFACTION QUI DEMEURENT

Les politiques de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les violences faites aux femmes sont retracées, pour ce qui relève de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », sur le programme 137. Ce programme intervient principalement par des subventions versées à des associations assurant des missions de service public ou d'intérêt collectif, qui interviennent tant en matière de lutte contre les violences sexistes que pour promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes.

Dans un rapport publié en juillet 2020 et intitulé : « Le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes : une priorité politique qui doit passer de la parole aux actes »25(*), les rapporteurs spéciaux avaient dressé deux principaux constats :

- d'abord celui d'une politique publique budgétairement contrainte, souffrant d'un morcellement des crédits, qui nuit à la lisibilité et à l'efficacité de mesures mises en oeuvre ;

- ensuite, celui d'une politique insuffisamment portée et inégalement appliquée sur le territoire, l'administration et les associations, véritables pivots de cette politique, n'étant pas assez outillées ni dotées pour mener à bien une politique dont les demandes et les enjeux sont grandissants et qui requiert une capacité d'action interministérielle.

A. L'AUGMENTATION DES CRÉDITS DEPUIS 2020 NE PEUT CACHER LA DISTANCE QUI NOUS SÉPARE ENCORE DE L'OBJECTIF

1. Les crédits destinés à la politique des droits des femmes ont fortement augmenté depuis 2020, bien qu'ils restent d'un montant modeste

Les rapporteurs spéciaux relèvent la poursuite de l'augmentation des crédits en 2024 à périmètre courant. Les crédits demandés s'élèvent en effet à 76,0 millions d'euros en AE et en CP, soit une augmentation de 22,8 % en AE et 16,26 % en CP par rapport à la LFI pour 2023.

Évolution des crédits du programme 137 entre 2017 et 2024

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Si la budgétisation pour 2024 comporte la nouvelle « aide universelle d'urgence » (voir infra), les crédits du programme 137 sont toujours majoritairement composés de subventions à divers organismes ou associations pour le développement de l'accès aux droit ou la lutte contre les volences, et, marginalement, de dépenses de communication ou favorisant la culture de l'égalité.

Au sein du programme 137, les financements spécifiquement alloués aux politiques de lutte contre les violences faites aux femmes s'élève en PLF 2024 à 38 millions d'euros en AE en CP. Les crédits auraient ainsi connu une progression de presque 180 % entre 2019 et 2024.

Évolution des crédits destinés spécifiquement à la lutte
contre les violences faites aux femmes

(en millions d'euros)

 

2019

2020

2021

2022

2023

2024

 

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Crédits ouverts en LFI

13,7

13,5

13,5

13,8

29,5

22,3

24,9

28

35,2

38,4

38

38

Crédits consommés

13,9

13,3

19,9

20,1

32,1

25,5

30

33,2

       

Source :commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires et les réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Cette hausse des crédits, particulièrement sensible entre 2020 et 2021 (+ 115,3 % en AE et + 65,2 % en CP) s'explique notamment par le financement de deux mesures du Grenelle de lutte contre les violences conjugales du 25 novembre 2019 :

l'ouverture de 30 centres de prise en charge psychologique et sociale des auteurs de violences conjugales (CPCA), financés à hauteur de 5,9 millions d'euros par le programme 137 en PLF 2024. En termes d'affichage, les associations entendues par les rapporteurs dans le cadre du PLF 2024 ont regretté que son financement soit assuré par le programme 137 - qui devrait être dédié uniquement aux victimes - et non par la mission « Justice », dans la mesure où le placement dans ces structures relève dans la majorité des cas de décisions judiciaires (92 %) ;

- le financement du passage, depuis 2021, à un fonctionnement 24h/24 et 7j/7 de la plateforme d'écoute « 39.19 - Violences femmes infos » gérée par la Fédération nationale solidarité femmes FNSF), à laquelle serait attribuée une dotation dédiée de 2,9 millions d'euros en 2024, au même niveau qu'en 2023. Cette extension a notamment permis de renforcer son accessibilité pour les femmes victimes outre-mer.

2. Les constats dressés par les rapporteurs spéciaux en 2020 sont, malheureusement, toujours d'actualité
a) Les moyens alloués, s'ils sont en augmentation, sont toujours aussi morcellés

Comme les rapporteurs spéciaux l'ont déjà souligné supra, l'augmentation des crédits du programme 137 qui peut être constatée à périmètre courant entre 2023 et 2024 est presque entièrement absorbée par l'aide exceptionnelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales (voir infra).

Entendue par les rapporteurs spéciaux, la direction générale de la cohésion sociale a indiqué « maintenir » le niveau de financement pour les autres actions du programme 137 - donc, par prétérition, ne pas augmenter ces financements - à l'exception des crédits de communication, qui connaissent même une diminution d'un peu plus de 600 000 euros.

Surtout, le financement de la politique de l'égalité entre les femmes et les hommes est toujours aussi morcellé. Sur ce point, les associations de défense des droits des femmes entendues par les rapporteurs spéciaux ont notamment évoqué l'évolution du document de politique transverse (DPT) « Politique de l'égalité entre les femmes et les hommes », dont les rapporteurs spéciaux avaient, lors d'un précédent rapport, souligné le caractère « artisanal » et peu fiable, prompt à opérer des « choix de valorisation sujets à caution ».

Il convient également de noter au titre de l'exercice 2024, la fin programmée des versements, par fonds de concours, de la contribution de l'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), qui permettait jusqu'à présent de soutenir les mesures de prévention de la prostitution et de la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle, ainsi que l'accompagnement social et professionnel des personnes prostituées, victimes de proxénétisme et de traite. Déjà réduite par le passé - elle représentait 3,4 millions d'euros en 2022 et 3,8 millions d'euros en 2023 -, cette contribution serait nulle en 2024.

b) Les associations sont toujours aussi peu outillées et dotées pour jouer leur rôle de « bras armé » de cette politique publique

Comme l'avaient également écrit les rapporteurs spéciaux à l'occasion de leur dernier contrôle budgétaire sur le conventionnement des associations sur le périmètre de la mission « Solidarité, insertione et égalité des chances »26(*), les conventions permettant le versement des subventions aux associations constituent à bien des égards un dispositif « peu sécurisant pour l'action associative ».

C'est en particulier le cas pour les associations de défense des droits des femmes, qui indiquent régulièrement éprouver des difficultés importantes pour se voir verser les subventions obtenues, du fait de la complexité des procédures et des nombreux retards pris pour la signature des conventions.

Il en résulte une véritable « précarisation de l'action associative » : du fait des retards de versement, toute l'action de l'association se trouve affectée, les mesures de recrutement devant en particulier être repoussées ou réalisées par le biais de contrats à durée déterminée (CDD) courts, source de précarité pour les salariées et de manque d'attractivité pour les emplois correspondants.


* 25 Rapport d'information de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet, fait au nom de la commission des finances, n° 602 (2019-2020) - 8 juillet 2020.

* 26 « Conventions entre l'État et les associations : des relations à rééquilibrer », rapport d'information fait par MM. Arnaud Bazin et Eric Bocquet au nom de la commission des finances, n° 757 (session 2022-2023) - 21 juin 2023.

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