EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 25 octobre 2023, sous la présidence de M. Jean-Baptiste Blanc, vice-président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de MM. Laurent Somon et Thomas Dossus, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Investir pour la France de 2030 ».
M. Thomas Dossus, rapporteur spécial de la mission « Investir pour la France de 2030 ». - Les crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 » représenteront 7,7 milliards d'euros en 2024, soit un peu plus de 2 % des crédits budgétaires inscrits dans le projet de loi de finances (PLF). Ils permettent d'abonder deux véhicules d'investissement de long terme : d'une part, le troisième volet du programme d'investissement d'avenir (PIA 3) ; d'autre part, le plan France 2030, qui intègre depuis 2021 les actions du PIA 4.
Rappelons, en préambule, que ces crédits font l'objet d'une gestion particulière dérogatoire au cadre de droit commun du budget général, qui réduit la marge de manoeuvre dont nous disposons. Après avoir rappelé le cadre général dans lequel s'inscrivent les crédits de cette mission et présenté les crédits ouverts au titre du PIA 3, je laisserai mon corapporteur présenter les crédits ouverts au titre du plan France 2030 et les principales observations que nous formulons afin de perfectionner la mise en oeuvre du plan.
L'idée de créer un véhicule d'investissement stratégique en dehors du cadre budgétaire classique remonte au rapport dit « Juppé-Rocard » de novembre 2009, commandé à un moment où la crise économique et financière faisait craindre de voir les contraintes budgétaires de court terme entraver notre capacité à engager des investissements de long terme.
Conçu comme un palliatif à la « tyrannie du court terme », le premier PIA a été lancé en 2010 pour un montant total de 35 milliards d'euros d'investissements. Il visait à sanctuariser une partie des crédits budgétaires, afin de s'assurer qu'ils soient dirigés vers des investissements pluriannuels de long terme ayant pour double objectif de redresser la croissance de l'économie française et d'accélérer sa transition vers des modes de production plus durables.
Ce premier PIA a été suivi en 2014 puis en 2017 par deux nouveaux volets d'investissements ; financés respectivement à hauteur de 12 milliards d'euros et de 10 milliards d'euros. Ces nouvelles générations d'investissements se sont appuyées sur les mêmes principes que le PIA 1 - en les ajustant - et ont poursuivi ses objectifs de décarbonation et de modernisation du tissu économique français.
Le plan France 2030 s'inscrit dans la droite ligne de cette dynamique et réutilise la plupart des mécanismes créés pour les différents volets du PIA. Dès l'origine, le Gouvernement puis le législateur ont voulu « sanctuariser » les dépenses des investissements d'avenir. À cet effet, ils ont imaginé un dispositif destiné à ce que les urgences du moment ne viennent pas éroder le montant des dépenses publiques dédiées aux investissements pour le futur.
Pour s'extraire du cadre budgétaire commun et de son principe d'annualité qui passe par le vote des crédits du budget général par le Parlement, les concepteurs du PIA ont ainsi proposé de mettre en place un régime de délégation des crédits à des opérateurs publics, dont les quatre principaux sont l'Agence nationale de la recherche (ANR), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et enfin la Banque publique d'investissement (BPI).
Par conséquent, les dépenses inscrites au budget de l'État dans le cadre de cette mission ne sont pas des crédits ayant vocation à être directement versés aux porteurs de projets soutenus par les programmes d'investissement. Elles ont vocation à alimenter le compte des opérateurs publics, interlocuteurs directs des porteurs de projets et gestionnaires du décaissement progressif des aides financées par les programmes d'investissements.
Les conséquences de ce circuit budgétaire spécifique sont multiples. En particulier, il a pour effet de limiter la marge de manoeuvre sur ces crédits, y compris du Parlement, étant donné qu'ils sont versés aux opérateurs et correspondent au financement de projets sur lesquels l'État s'est déjà engagé depuis longtemps, parfois depuis plusieurs années.
Ce cadre budgétaire particulier est justifié par la volonté de préserver les investissements publics face au risque bien documenté de la « préférence pour le court terme ». Il suppose en contrepartie une vigilance particulière de notre part sur le fait que les dépenses financées par le plan correspondent bien à des dépenses de long terme qui justifient le recours à cet instrument extrabudgétaire.
Pour ce qui est du projet de budget pour 2024, je ferai un point sur le déploiement du PIA 3, lancé en 2017 pour un budget total de 10 milliards d'euros. Ledit PIA 3 est financé par trois programmes de la mission qui se différencient selon le niveau de maturité des innovations concernées. Les crédits demandés sur ces trois programmes s'élèvent à 357 millions d'euros, soit un montant stable par rapport à 2023.
Sur les 10 milliards d'euros annoncés en 2017, les crédits de paiement ouverts sur le budget de l'État auront couvert 8,2 milliards d'euros à la fin de l'année 2023. Les paiements rattachés au plan devraient s'échelonner pendant environ dix ans après son lancement, soit jusqu'en 2027, afin de tenir compte des échéanciers de décaissement négociés avec les lauréats.
M. Laurent Somon, rapporteur spécial de la mission « Investir pour la France de 2030 ». - Après ce rappel du cadre extrabudgétaire des crédits de cette mission, je me concentrerai, dans un premier temps, sur le plan France 2030 et les crédits de la mission qui lui sont associés. Dans un second temps, je présenterai les pistes identifiées pour améliorer la souplesse et l'efficacité de notre dispositif d'investissements stratégiques.
En premier lieu, le périmètre du plan a été constitué par deux vagues d'investissements successives qui se sont suivies à un rythme très élevé.
La première correspond au lancement par la loi de finances initiale pour 2021, en parallèle du plan de relance, d'une quatrième génération du programme d'investissements d'avenir, le PIA 4. Cette vague d'investissements s'est traduite par le financement de 20 milliards d'euros d'investissements stratégiques, dont 16,5 milliards d'euros ouverts et consommés dès 2021.
À peine un an après la création du PIA 4, et dans un contexte marqué par la période électorale, la loi de finances initiale pour 2022 a de nouveau abondé la mission à hauteur de 34 milliards d'euros. Ce ré-abondement, qui porte le montant total des investissements à 54 milliards d'euros, est intervenu dans le contexte de l'intégration du PIA 4 à un nouveau projet désormais exclusivement mis en avant par la communication du Gouvernement, à savoir le plan France 2030.
Ce plan, dévoilé en octobre 2021 par le Président de la République, s'inscrit dans le prolongement de la démarche des générations successives du PIA. Il conserve notamment l'objectif de transformer l'appareil productif par l'innovation, ainsi que la volonté d'accélérer la transition écologique, en adoptant comme contraintes explicites le fléchage de 50 % des investissements vers des projets de décarbonation et l'absence de financements de préjudices importants à l'environnement.
Au niveau sectoriel, le plan s'articule autour de dix objectifs concrets, dont la production en France d'ici à 2030 de 2 millions de véhicules électriques et hybrides, du premier avion bas-carbone ou encore celle de 20 bio-médicaments.
Sur le plan structurel, France 2030 est construit autour de sept leviers permettant d'atteindre les objectifs fixés, parmi lesquels figurent notamment la sécurisation de l'accès aux matières premières, la souveraineté numérique ou encore les formations aux métiers de demain. Afin d'atteindre ces objectifs très ambitieux, le plan France 2030, qui intègre les financements du PIA 4, continue à s'appuyer sur les quatre opérateurs historiques des PIA précités.
Sur le plan budgétaire, le plan France 2030 s'appuie en revanche sur une maquette budgétaire renouvelée, appuyée sur deux programmes seulement. Le programme 424, d'une part, représente 80 % des investissements et correspond au volet dirigé du plan, c'est-à-dire à toutes les actions sectorielles financées par celui-ci. Le programme 425, d'autre part, équivaut à 20 % des investissements du plan et correspond au volet structurel, c'est-à-dire à toutes les actions transversales financées par le plan.
L'année 2024 permettra une montée en charge du plan France 2030, notamment du point de vue des demandes de décaissement adressées aux opérateurs ayant contractualisé avec les porteurs de projet depuis le lancement du plan.
Par conséquent, les crédits demandés sont en hausse de 28 % sur un an et atteignent 7,3 milliards d'euros. D'après les informations communiquées par le secrétariat général pour l'investissement (SGPI), ce niveau élevé de crédits de paiement devrait être maintenu dans les deux prochaines années.
Sur une enveloppe budgétaire de 51 milliards d'euros, les crédits restant à ouvrir sont estimés à 38 milliards d'euros à la fin de l'année 2023. Les ouvertures de crédits de paiement pour 2024, qui représentent 15 % de l'enveloppe budgétaire globale, devraient ramener le montant restant à ouvrir à 22 milliards d'euros pour les années à venir.
L'importance des montants en jeu et les règles de gestion extrabudgétaire doivent nous amener à être particulièrement attentifs aux critères de sélection des projets utilisés par l'exécutif et aux modalités de gestion des enveloppes d'investissements.
En premier lieu, nous soulignons le risque inhérent à ce type d'exercice, à savoir celui de ne pas suffisamment cibler les bénéficiaires des aides. En effet, le plan couvre dix-sept secteurs différents, ce qui recouvre une large partie du spectre de l'économie nationale.
Ce risque de dispersion thématique s'accompagne d'un risque de dispersion opérationnelle lorsque le nombre de projets aidés est trop élevé et ne permet pas aux bénéficiaires d'effectuer leur transformation grâce à l'aide obtenue. À ce titre, le fait que les aides d'un montant inférieur à 1 million d'euros représentent plus de la moitié des lauréats pour seulement 8 % des aides en valeur illustre ce risque de « saupoudrage » de l'aide publique.
En second lieu, si le lancement du plan France 2030 a permis de renforcer les instruments d'évaluation du SGPI, il nous est apparu que ces derniers ne sont pas suffisamment mis à profit en raison d'une articulation insuffisante entre l'évaluation et la prise de décision. Sur ce point, l'adoption d'une démarche annuelle de revue de portefeuille afin de décider des réallocations en fonction du résultat des évaluations permettrait d'adopter une démarche vertueuse visant à renforcer l'utilité de l'évaluation.
En conclusion, et au bénéfice de ces observations, nous vous proposons d'adopter, sans modification, les crédits de la mission.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Merci pour la qualité de ce rapport. À l'issue de l'examen de plusieurs missions, nous constatons une réelle difficulté à disposer d'un suivi de qualité et d'une évaluation précise des dépenses de l'État, ce qui contraste avec les discours des membres du Gouvernement. Je n'ose expliquer cette dégradation de la qualité du suivi et de l'évaluation par la profusion de crédits, mais ces défaillances ne manqueront pas d'être rappelées à l'occasion du débat en séance.
Il est pourtant question d'une mission d'importance, destinée à transformer notre appareil productif relativement rapidement. Si l'on prend au mot le Gouvernement sur la bonne et juste dépense, efficace et « à l'euro près », force est de constater que l'objectif demeure loin d'être atteint. Quoi qu'il en soit, je partage les conclusions des rapporteurs quant à leur proposition d'adopter les crédits de cette mission.
M. Thierry Cozic. - Au vu des sommes importantes qui sont en jeu, il est difficile pour notre groupe de ne pas exprimer un sentiment amer puisque l'exécutif poursuit sa politique consistant à dessaisir le Parlement des affaires qu'il est en droit de connaître et d'apprécier.
Sans remettre en cause l'intérêt stratégique de la mission, et malgré une amélioration de la gestion des crédits, l'information apportée au Parlement reste bien lacunaire. Additionnés, les crédits du PIA 4 et de France 2030 s'élèvent à 54 milliards d'euros, incluant pas moins de 34 milliards d'euros votés à la hussarde, à la faveur d'un simple amendement gouvernemental dans le cadre de la loi de finances pour 2022.
Au-delà de cet amendement, la Cour des comptes a relevé, dans son rapport d'avril 2023, qu'aucun des documents proposés au Parlement ne présente une analyse consolidée et transversale des investissements effectivement réalisés et en cours, ni leurs conséquences pour l'économie.
Compte tenu des retards pris sur les PIA successifs, le Gouvernement avait certes choisi, en ce qui concerne les programmes 424 et 425, de ne pas identifier précisément les secteurs appuyés en matière d'investissements et de transition. Pour autant, l'efficacité des décaissements et des investissements ne doit pas aboutir à une dilution de l'autorisation parlementaire et à une sous-information chronique du Parlement quant au choix des investissements et à l'affectation des crédits.
Comme chaque année, notre groupe votera ces crédits, mais continuera à plaider en faveur d'une plus grande transparence des investissements programmés et réalisés.
Mme Christine Lavarde. - Dans le cadre de ce programme extrabudgétaire, est-il possible, malgré tout, d'estimer les coûts de gestion de l'ensemble des dispositifs visés ? Dans la pratique, des opérateurs sont conduits à distribuer des crédits qui se chiffrent en milliards d'euros, un rôle assez éloigné de leur vocation initiale si l'on pense à l'ANR ou à l'Ademe.
Mme Nathalie Goulet. - Je tiens à exprimer une inquiétude similaire à celle de M. Cozic quant au dessaisissement du Parlement, l'ensemble de ces crédits échappant complètement au contrôle et à l'évaluation.
M. Laurent Somon, rapporteur spécial. - Nous avons dressé un constat similaire quant à la difficulté d'analyser les crédits affectés en regard des différents objectifs assignés aux bénéficiaires. Le processus de remontée d'information entre le Gouvernement, les opérateurs et les bénéficiaires finaux se révèle en effet extrêmement complexe et rend l'information au Parlement malaisée.
Le SGPI semble enclin à nous fournir davantage de précisions dans les documents futurs, afin de pouvoir assurer un suivi et une évaluation de l'efficience des crédits affectés, par bénéficiaire et par objectif.
M. Thomas Dossus, rapporteur spécial. - Les frais de gestion s'élèvent à environ 1 milliard d'euros pour les quatre opérateurs, soit moins de 2 %. Le SGPI a mené un travail de réévaluation de chacune des conventions passées avec ceux-ci, afin d'optimiser ces frais de gestion lors de chacune des étapes, qu'il s'agisse de la création du cahier des charges ou du suivi. Nous avons appris que les frais de gestion les plus élevés étaient ceux de la Caisse des dépôts et consignations.
La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 ».
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Réunie à nouveau le jeudi 23 novembre 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 ». Elle a également proposé l'adoption de l'article 54 bis tel que modifié par ses deux amendements.