N° 734

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 juin 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche,

Par Mme Catherine PROCACCIA,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche, présidente ; Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, MM. Alain Milon, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, MM. Olivier Henno, Martin Lévrier, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge, vice-présidents ; Mmes Florence Lassarade, Frédérique Puissat, M. Jean Sol, Mmes Corinne Féret, Jocelyne Guidez, secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Laurent Burgoa, Jean-Noël Cardoux, Mmes Catherine Conconne, Annie Delmont-Koropoulis, Brigitte Devésa, MM. Alain Duffourg, Jean-Luc Fichet, Mmes Frédérique Gerbaud, Pascale Gruny, MM. Abdallah Hassani, Xavier Iacovelli, Mmes Corinne Imbert, Annick Jacquemet, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Victoire Jasmin, Annie Le Houerou, Viviane Malet, Colette Mélot, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Annick Petrus, Émilienne Poumirol, Catherine Procaccia, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, M. René-Paul Savary, Mme Nadia Sollogoub, M. Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) :

798, 1005 et T.A. 98

Sénat :

469, 728 et 735 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

La commission a adopté la proposition de loi qui vise à ce que le personnel embarqué sur les navires assurant le transport de passagers sur certaines liaisons internationales soit rémunéré au niveau du salaire minimum de branche français et bénéficie d'un temps de repos à terre équivalent à la durée d'embarquement. Elle a sécurisé le dispositif en veillant à la stricte proportionnalité des sanctions prévues en cas de manquement à ces obligations.

I. UNE MESURE DE SAUVEGARDE DES CONDITIONS SOCIALES APPLICABLES AUX MARINS DU TRANSMANCHE

A. UNE PRATIQUE DE « DUMPING SOCIAL » PERMISE PAR LE DROIT INTERNATIONAL ET EUROPÉEN

Le droit international et européen applicable au transport maritime de passagers entre deux États offre une grande liberté aux employeurs dans la détermination des conditions de travail applicables aux employés embarqués sur les navires.

Les armateurs sont libres de choisir le pavillon de leurs navires, sous réserve de respecter les conditions fixées par l'État du pavillon. La Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982, dite de Montego Bay, stipule à son article 91 que « chaque État fixe les conditions auxquelles il soumet l'attribution de sa nationalité aux navires, les conditions d'immatriculation des navires sur son territoire et les conditions requises pour qu'ils aient le droit de battre son pavillon. » Au sein de l'Union européenne, le principe de la libre prestation des services est applicable au transport maritime international entre États membres et entre ces États et des pays tiers. Les navires assurant des liaisons entre ces États peuvent donc choisir librement leur pavillon.

Concernant le droit social applicable aux employés embarqués sur ces navires, le droit de l'Union européenne prévoit en outre, sur le fondement du règlement dit Rome I, que « le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties. »1(*)

Les employeurs ne sont donc contraints que par les règles imposées par l'État du pavillon. Si ces règles le permettent, la loi applicable au contrat de travail peut donc être celle d'un autre État que l'État du pavillon du navire. En matière de salaire, aucune obligation n'est prévue par le droit international, l'Organisation internationale du travail (OIT) n'ayant émis qu'une recommandation pour que le salaire minimum mensuel des marins soit fixé à au moins 658 dollars américains2(*). Les navires battant pavillon français sont tenus de respecter le droit du travail français, sous réserve des adaptations prévues par le code des transports pour les gens de mer3(*).

Dans ce cadre, certaines compagnies assurant des liaisons entre la France et le Royaume-Uni ont opté pour des pavillons n'offrant que de faibles garanties en matière de droits sociaux, leur permettant ainsi d'optimiser leurs coûts et de baisser leurs tarifs.

Nationalités du pavillon et du personnel des navires
par compagnie opérant des liaisons transmanche

Compagnie

Pavillon des navires

Nationalité des gens de mer

Brittany Ferries

France

France ou UE

DFDS

France
et Royaume-Uni

France ou UE (1)

P&O Ferries

Chypre

Officiers majoritairement britanniques ; marins et personnel d'exécution majoritairement philippins

Irish Ferries

Chypre

Majoritairement d'États membres
de l'est de l'UE

Condor Ferries

Bahamas

Non communiqué

Source : Réponses des services du Gouvernement aux questions du rapporteur

(1) Pour les 5 navires de DFDS battant pavillon français, sur 8 navires opérant sur le transmanche.

Ainsi, le 17 mars 2022, dans le contexte de la baisse d'activité liée au Brexit, la compagnie P&O Ferries a licencié, avec effet immédiat, 786 marins. Ils ont été remplacés par des employés rémunérés à des niveaux bien inférieurs au salaire minimum britannique, avec des conditions de travail dégradées.

Selon Armateurs de France, les compagnies P&O Ferries et Irish Ferries utilisent un modèle social « moins disant » et font appel à des sociétés de placement de gens de mer pour leurs navires, qui emploient du personnel très faiblement rémunéré. Armateurs de France estime ainsi que les salaires de base de ces personnes sont inférieurs de 60 % aux salaires français.

En outre, ces compagnies imposent au personnel navigant des durées d'embarquement bien supérieures aux durées de repos à terre, alors que Brittany Ferries et DFDS respectent une équivalence entre durée d'embarquement et repos à terre4(*).

Si ces pratiques sont légales, elles perturbent significativement le marché du transport maritime transmanche, elles dégradent considérablement les droits sociaux du personnel employé à bord des navires et elles fragilisent la sécurité de la navigation sur l'un des détroits les plus fréquentés au monde.

 

Écart du coût du transport de passagers transmanche entre les navires sous pavillon français et les navires sous pavillon chypriote5(*)


* 1 Art. 8 du règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I).

* 2 Au 1er janvier 2023. D'après les réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur.

* 3 Art. L. 5541-1 du code des transports.

* 4 Cette organisation du travail repose sur des accords d'entreprise sans obligation légale ou conventionnelle.

* 5 Selon les informations communiquées par Armateurs de France au rapporteur.

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