EXAMEN EN COMMISSION

M. François-Noël Buffet , président . - Nous passons à l'examen du rapport de notre collègue Arnaud de Belenet sur le texte de la commission des affaires européennes portant sur la proposition de résolution européenne (PPRE) sur l'avenir de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, que j'ai l'honneur de présenter avec notre collègue Jean-François Rapin.

M. Arnaud de Belenet , rapporteur . - Jean-François Rapin et François-Noël Buffet ont présenté leur initiative à la commission des affaires européennes et à la commission des lois le 14 décembre dernier. À l'issue de cette réunion, la commission des affaires européennes a adopté la PPRE qui nous réunit ce matin. Celle-ci aurait pu être adoptée de manière tacite, mais elle a fait l'objet d'une demande d'examen en séance publique par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et par le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires. Compte tenu de son objet, cette proposition de résolution nous a donc été renvoyée afin que nous adoptions un texte dans la perspective de la séance.

Je rappelle que nous sommes à un moment charnière pour Frontex, puisque cette institution traverse aujourd'hui une crise sans précédent, qui est à la fois une crise de croissance et une crise de confiance.

La crise de croissance de Frontex est liée à l'augmentation de ses moyens, elle-même consécutive à l'élargissement de son mandat. Depuis sa création en 2004, celle-ci est progressivement devenue l'agence la plus puissante de l'Union européenne. Cela est directement lié aux évènements de 2015, où l'on a pu constater un certain échec de la gestion de la crise migratoire. En réaction, le législateur européen a alors décidé de réviser le mandat de Frontex, d'étendre encore son champ d'intervention et de la doter d'une capacité opérationnelle propre. Deux règlements adoptés en 2016 et 2019 permettent ainsi à Frontex de se déployer sur le terrain non plus uniquement en réaction à un évènement donné, mais également sur le long terme. L'agence peut également intervenir aujourd'hui sur le sol de pays tiers ayant passé un accord avec l'Union européenne. En conséquence, Frontex a vu son budget augmenter considérablement : il atteint environ 850 millions d'euros en 2023.

Surtout, le législateur européen a décidé de doter Frontex d'un contingent permanent de garde-frontières, dont le nombre devrait atteindre 10 000 personnels en 2027. C'est là une grande première, puisque jamais une agence européenne n'a disposé de telles prérogatives de puissance publique, et encore moins d'agents vêtus d'uniforme à ses couleurs.

Mais ce changement de dimension ne s'est pas fait sans difficulté ; de même que l'adaptation de son organisation et la montée en puissance de ses moyens matériels et humains qu'il implique.

Ces problèmes pratiques n'ont fait que renforcer la crise de confiance née de la suspicion de refoulement des migrants dans la mer Égée. Vous vous en rappelez, cette crise a atteint son apogée avec la démission du directeur exécutif de l'agence Fabrice Leggeri en avril 2022. Frontex a par la suite fait l'objet de plusieurs contrôles, qui ont conclu qu'il n'était pas possible d'affirmer qu'elle avait a participé directement à des opérations de refoulements. On peut en revanche considérer que sa direction a échoué dans sa gestion managériale et que ses dispositifs de traitement des incidents n'étaient pas adaptés en l'espèce.

De plus, il existe aujourd'hui un débat au sein des institutions européennes sur les priorités de Frontex. Deux visions s'affrontent : l'une centrée sur la protection des droits fondamentaux, l'autre sur l'obtention de résultats plus probants en matière de lutte contre l'immigration irrégulière.

J'en viens au corps de la proposition de résolution européenne présentée par nos deux présidents. Elle vise trois objectifs.

Le premier est politique : adopter une position sur le sens à donner au mandat de Frontex et formuler des pistes de sortie de crise. D'après les auteurs de la PPRE, le débat sur les priorités de l'agence est en grande partie artificiel ; je partage leur avis. Le contrôle des frontières et le respect absolu des droits fondamentaux vont évidemment de pair.

Le deuxième objectif était diplomatique : il s'agissait de peser sur la future nomination du directeur exécutif. Ce dernier ayant été nommé depuis, il convient de conserver l'esprit de la proposition sur ses objectifs prioritaires, mais d'en amender le texte pour tenir compte de cette nomination.

Le troisième objectif est juridique : il s'agit de se positionner sur l'opportunité de réviser le mandat de Frontex. Nos deux présidents ont formellement exclu cette révision afin que l'agence ait le temps d'absorber l'élargissement de son mandat. Là encore, je ne peux qu'être parfaitement aligné avec leur position.

Avant de conclure, je souhaite mettre en exergue trois points saillants.

Premièrement, la proposition marque un soutien fort à l'agence Frontex et au développement de ses prérogatives. Cela est nécessaire du fait de la pression migratoire aux frontières extérieures de l'Union, qui a rarement été aussi forte. En 2022, 330 000 franchissements irréguliers ont été constatés, soit une hausse de 64 % - cette augmentation a même atteint 150 % sur la route des Balkans. Par ailleurs, la France s'appuie sur Frontex pour la mise en oeuvre de sa politique migratoire et bénéficie aujourd'hui de ses interventions dans cinq aéroports et à la frontière avec le Royaume-Uni.

Il est également important de rappeler que la mission de Frontex n'est jamais de surveiller un État partenaire : l'intervention de l'agence se fait toujours sous l'autorité de cet État et à sa demande.

Le deuxième point qu'il me semble important de mettre en avant est le renforcement du pilotage politique de Frontex. Il convient de rehausser assez rapidement le rôle de son conseil d'administration et le rang hiérarchique de ses membres. La France est au rendez-vous de cette exigence qualitative - ce n'est pas forcément le cas de tous nos partenaires. Organiser des réunions du Conseil de l'Union européenne spécifiquement dédiées au pilotage de Frontex irait également dans le bon sens.

Le troisième et dernier point a trait au dispositif de protection des droits fondamentaux. Frontex a besoin d'un officier aux droits fondamentaux indépendant. Frontex y a même intérêt ! Mais il convient évidemment d'organiser les choses de façon à ce qu'il n'y ait pas de risque de doublon, à ce que l'on ne crée pas deux chaînes hiérarchiques concurrentes. Aujourd'hui, il semble que les personnes en poste soient attentives à ce que ce risque ne se matérialise pas.

Je vous proposerai enfin d'adopter un amendement de précision s'agissant de l'officier aux droits fondamentaux, pour que son profil corresponde davantage à son rôle de direction, avec une moindre exigence en matière d'expérience opérationnelle de garde-frontière que pour les contrôleurs eux-mêmes.

M. Jean-Yves Leconte . - Si nous souscrivons à l'idée que le mandat actuel de Frontex doit pouvoir être développé dans sa totalité avant d'envisager une éventuelle évolution et à la nécessité de renforcer le contrôle des Parlements nationaux, nous avons demandé que la PPRE soit examinée dans des conditions normales parce que nous la trouvons anachronique et décalée.

En effet, les nominations ont eu lieu, et la crise de Frontex est d'abord liée à l'incapacité actuelle de sa structure à témoigner des manquements aux droits fondamentaux dont elle pourrait être directement témoin.

La crise de Frontex est directement liée à l'existence d'une crise de confiance, née du soupçon sur le fait qu'elle ait participé à un certain nombre de refoulements, en particulier de la part de la Grèce, ou, à tout le moins, qu'elle en ait été témoin - nous pouvons en avoir la certitude. Par conséquent, si l'on veut que Frontex fonctionne, il convient de renforcer sa crédibilité et de prévenir une nouvelle situation de crise qui serait liée à des manquements en termes de respect des droits fondamentaux.

À cet égard, une proposition de résolution qui met l'officier aux droits fondamentaux sous contrôle direct du conseil d'administration de Frontex et qui empêche une expression aussi indépendante que possible ne nous semble pas aller dans la bonne direction.

Frontex a une mission difficile. En réalité, ce n'est pas une agence de garde-frontières : chaque fois que l'agence intervient dans un État, elle le fait sous la responsabilité de celui-ci. Les mandats de Frontex ont été révisés en particulier par rapport à la situation et aux besoins d'accompagnement de la Grèce. Si un jour l'agence dénonce la manière dont les autorités grecques effectuent des refoulements, pourra-t-elle continuer à agir en Grèce ? Frontex n'a pas pu agir à la frontière biélorusse, même si les méthodes utilisées par les autorités polonaises n'étaient pas conformes aux droits fondamentaux, parce que l'on n'a pas fait appel à elle.

Aujourd'hui, Frontex se trouve donc dans une situation où elle n'a pas la responsabilité directe de surveiller les frontières extérieures de l'Union européenne : elle accompagne les États membres, qui sont chacun responsables d'une partie de leurs frontières et les défendent de manière souveraine. L'agence doit pouvoir dénoncer un certain nombre de choses dont elle ne saurait être complice. Or la PPRE ne lui donne pas la possibilité de mieux les dénoncer qu'auparavant.

Par ailleurs, pour réussir à convaincre, dans la durée, les pays susceptibles de faire appel à Frontex de le faire, il est essentiel qu'elle soit inattaquable sur la question des droits fondamentaux : le contrôle par l'agence du respect des droits fondamentaux doit être libre. Nous avons donc un certain nombre de réserves sur la volonté que traduit la résolution de mettre sous tutelle ceux qui sont responsables des droits fondamentaux. Je pense, au contraire, que la protection des droits fondamentaux par Frontex et la manière dont elle peut dénoncer d'éventuels manquements dont elle serait témoin sont au coeur de sa crédibilité ainsi que de son efficacité sur le long terme.

C'est la raison pour laquelle nous déposerons en vue de la séance des amendements sur la partie de la résolution relative à l'officier aux droits fondamentaux, même si je remarque que le rapporteur, après un certain nombre d'auditions, en particulier celle du directeur de l'immigration, l'a fait un peu évoluer.

Mme Nathalie Goulet . - En 2022, il y a eu 275 000 entrées illégales, c'est-à-dire 73 % de plus qu'en 2021.

Frontex a perdu la confiance d'à peu près l'ensemble des pays européens. En outre, elle n'accomplit pas forcément la mission à laquelle elle est censée être destinée. Il y a donc un problème d'adéquation, probablement un problème de définition de ses missions, mais aussi un problème de contrôle.

Compte tenu de la hausse du nombre de migrants et des crises multiples que l'on connaît en Europe, il est extrêmement urgent de régler les difficultés de l'agence, qui doit avoir un rôle pivot en matière de contrôle de l'immigration.

Comment se répartit le budget de Frontex ? Surtout, je souhaite obtenir des précisions sur le contenu du rapport de l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) et sur les sanctions qui auraient été prises à l'encontre de dirigeants indélicats.

M. François Bonhomme . - Je rappelle que la mission initiale de l'agence est très clairement de gérer les frontières et de contrôler les migrations.

Je trouve normal que l'on cadre beaucoup mieux les fonctions de l'officier aux droits fondamentaux, ainsi que son profil de recrutement. Il ne faudrait pas que son existence même vienne compliquer encore plus la mission première de Frontex. Cela pose la question du sens que l'on veut donner à la politique migratoire européenne : s'il s'agit de faire de l'officier aux droits fondamentaux l'équivalent du Défenseur des droits à la française, qui fait parfois de sa mission une lecture très militante et doctrinale, j'entrevois les dérives et les complications qui ne manqueront pas d'en découler... Il y a là un chemin qui me semble très dangereux.

M. Arnaud de Belenet , rapporteur . - Je suis très heureux que nous puissions débattre de Frontex en séance publique.

La PPRE n'est pas anachronique ni décalée. Elle répond à un besoin, à un moment opportun. Il importe que nous soutenions Frontex à ce point essentiel de son développement et dans la mise en oeuvre de nouvelles procédures internes exigeantes en matière de respect des droits fondamentaux.

Je veux signaler que 45 contrôleurs des droits fondamentaux ont été recrutés et que, à la suite des polémiques nées des accusations de refoulement dans la mer Égée, des procédures de traitement des incidents ont été mises en place ou renforcées, notamment le mécanisme de traitement des plaintes. Cette exigence de respect des droits fondamentaux et de contrôle est absolument essentielle. L'institution s'en est saisie et s'est organisée pour en tenir compte, puisqu'il y va de sa crédibilité.

Quand elle intervient aux frontières, participe à des reconduites, contribue à des contrôles, noue des partenariats avec des pays tiers, accompagne les États membres sur des territoires douloureux, il faut que cette institution soit absolument incontestable. C'est la garantie qu'offre la présence de l'officier aux droits fondamentaux, qui n'est pas une contrainte juridique de plus : c'est une garantie de crédibilité et de rigueur pour le bon exercice de la mission essentielle confiée à Frontex.

L'action de trois cadres au moins a été mise en cause par le rapport de l'OLAF. Or, Frontex compte aujourd'hui, pour le contingent permanent, près de 1 000 agents statutaires, ainsi que 500 agents de catégorie 2 et plus de 3 500 agents intervenant de manière plus ou moins ponctuelle en soutien des États pour le compte de l'agence. Le rapport ne vise donc que trois agents sur plusieurs milliers de personnes qui contribuent à l'action de Frontex - son directeur, qui a démissionné depuis, et deux autres cadres au moins, qui, je crois, ont également quitté l'institution.

Le budget a considérablement augmenté ces dernières années. Il semble stabilisé, pour ces prochaines années, à près de 1 milliard d'euros : il s'élève à 845 millions en 2023, contre 93 millions d'euros en 2014. Il a donc quasiment été multiplié par dix en moins de dix ans.

M. François-Noël Buffet , président . - La PPRE a tout particulièrement pour objet d'établir une forme d'état des lieux du fonctionnement de Frontex, afin de tenir compte de son évolution très forte depuis la crise migratoire de 2015 et de la progression considérable de son budget. Cette crise a donné un rôle encore plus fondamental à Frontex.

Il y a incontestablement eu des difficultés voilà quelques mois. Le directeur exécutif a démissionné ; un nouveau a été désigné. Sur le principe, nous n'avons rien à dire, mais nous souhaitons, Jean-François Rapin et moi-même, que les Parlements nationaux soient associés à cet état des lieux, Frontex travaillant pour le compte des États et étant leur partenaire dans la protection des frontières européennes.

Y aura-t-il, demain, un changement de philosophie dans le fonctionnement de Frontex ? C'est une question de fond qui se pose et qu'il faut examiner de près. C'est l'enjeu de notre questionnement.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

M. Arnaud de Belenet , rapporteur . - L'amendement COM-1 procède à une actualisation de la PPRE pour tenir compte de la nomination du nouveau directeur exécutif de Frontex.

L'amendement COM-1 est adopté.

M. Arnaud de Belenet , rapporteur . - L'amendement COM-2 actualise des données statistiques figurant dans la proposition de résolution.

L'amendement COM-2 est adopté.

M. Arnaud de Belenet , rapporteur . - L'amendement COM-3 précise le profil de l'officier aux droits fondamentaux.

M. François-Noël Buffet , président . - L'enjeu est de bien distinguer les profils de chacun. Au fond, il s'agit de s'assurer que chacun à son poste contribue à ce que Frontex exerce bien le rôle qui est prévu par son mandat...

L'amendement COM-3 est adopté.

M. Arnaud de Belenet , rapporteur . - L'amendement COM-4 précise les conditions de représentation du Parlement européen au conseil d'administration de Frontex, en se calant sur les formulations figurant dans le mandat de l'agence.

L'amendement COM-4 est adopté.

L'article unique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

La proposition de résolution européenne est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

M. François-Noël Buffet , président . - La PPRE sera examinée en séance publique le 8 février prochain.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

M. de BELENET, rapporteur

1

Prise en compte de la nomination du nouveau directeur exécutif de Frontex

Adopté

M. de BELENET, rapporteur

2

Actualisation des données statistiques relatives à l'immigration irrégulière

Adopté

M. de BELENET, rapporteur

3

Critères de recrutement de l'officier et des contrôleurs aux droits fondamentaux

Adopté

M. de BELENET, rapporteur

4

Représentation du Parlement européen au conseil d'administration de Frontex

Adopté

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