CHAPITRE III
MIEUX ENCADRER LE RECOURS AUX CONSULTANTS

Article 5
Interdiction des prestations de conseil à titre gratuit

L'article 5 de la proposition de loi pose un principe d'interdiction des prestations réalisées à titre gratuit pour l'administration, tout en prévoyant une exception pour les missions exécutées dans le cadre du mécénat d'entreprise.

La commission a adopté cet article en clarifiant sa rédaction.

1. En dépit des risques déontologiques qu'elle comporte, l'intervention gratuite de consultants au profit de l'administration fait l'objet d'un encadrement récent et rudimentaire

1.1. Le pro bono : une pratique courante des cabinets de conseil, porteuse de risques pour l'administration

Les cabinets de conseil interviennent parfois gratuitement pour leurs clients, soit sous la forme de pro bono19(*), soit sous la forme du mécénat.

Ainsi que la commission d'enquête l'a souligné, le pro bono concerne en pratique surtout le secteur économique, avec comme principaux bénéficiaires l'Élysée et le ministère de l'économie et des finances.

Ces missions gratuites revêtent un triple intérêt pour les cabinets de conseil, comme l'a souligné la commission d'enquête20(*) : contribuer à des problématiques sociales, dans une logique de responsabilité sociale des entreprises ; impliquer les consultants dans un projet d'intérêt général ; et, dans le cas du mécénat, bénéficier de réductions fiscales ou de contreparties en nature.

Comme l'a révélé la commission d'enquête, beaucoup de cabinets de conseil sont intervenus gratuitement pendant la crise sanitaire21(*). Or, « les prestations pro bono soulèvent trois difficultés majeures, qui pèsent à la fois sur l'administration et sur les cabinets de conseil »22(*) :

un régime juridique incertain : aussi bien le périmètre de la prestation, l'organisation du travail, que les principes déontologiques sont à la main de l'administration et des cabinets de conseil. La signature d'une convention n'est du reste pas systématique ;

- un risque de récupération commerciale : le pro bono réalisé auprès d'entités publiques peut devenir un argument de vente pour le prestataire de conseil ;

- un risque de contrepartie onéreuse : le pro bono permet au prestataire de conseil de nouer des relations avec l'administration et les décideurs politiques, de manière à se rendre indispensable par la suite et d'obtenir des marchés importants, conformément à la stratégie du « pied dans la porte » identifiée par l'universitaire Julie Gervais23(*). Comme l'a mis en avant Didier Migaud, président de la HATVP, « il faut toujours être prudent à l'égard de ce type de prestations, surtout lorsqu'elles sont proposées par des sociétés dont l'objet est de dégager des marges. J'appelle à la plus grande vigilance, afin d'éviter qu'elles ne fassent l'objet de suites positives pour les sociétés en question »24(*).

En dépit de ces risques déontologiques élevés, les prestations réalisées à titre gratuit pour l'administration font l'objet d'un encadrement récent et timide. Est ainsi prévue l'interdiction des contreparties aux missions pro bono et des droits de suite, mais pas l'interdiction des missions pro bono en elles-mêmes.

La circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022 prévoit ainsi que « les missions dites pro bono, effectuées à titre gracieux au bénéfice des administrations publiques, ne doivent donner lieu à aucune contrepartie. Toute mission pro bono ou mécénat de compétence doit être autorisée par le secrétariat général du ministère et enregistrée auprès de l'acheteur ministériel ou interministériel compétent. Il va sans dire qu'aucun droit de suite ne peut être accordé au prestataire d'une mission pro bono ».

Ces dispositions ont été inscrites dans le cahier des charges du futur accord-cadre de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP)25(*).

Certains cabinets de conseil vont toutefois jusqu'à interdire la réalisation de prestations à titre gratuit, à l'image de Syntec Conseil dans sa charte de déontologue visant les interventions de conseil auprès du secteur public, adoptée à l'été 2022.

1.2. L'article 5 propose d'interdire les missions pro bono, tout en prévoyant une exception pour le mécénat d'entreprise

Afin de contrer la stratégie du « pied dans la porte » poursuivie par certains cabinets de conseil pour accroître leur réseau de clientèle en direction de la sphère publique, la proposition de loi entend poser un principe d'interdiction des prestations de conseil réalisées à titre gratuit pour l'administration.

Seraient en revanche autorisées les missions réalisées dans le cadre du mécénat, tel qu'il est régi par la loi n°2003-709 du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations.

Défini comme « un soutien matériel ou financier apporté sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire, à une oeuvre ou à une personne pour l'exercice d'activités présentant un caractère d'intérêt général »26(*), le mécénat se traduit par le versement d'un don en numéraire (don en argent, effectué de manière ponctuelle ou répétée), en nature (don d'un bien mobilier ou immobilier) ou en compétence (l'entreprise réalise une prestation de service ou met son personnel à disposition) à un organisme pour soutenir une oeuvre d'intérêt général.

Si le bénéficiaire est éligible au mécénat déductible, le don ouvre droit, pour les donateurs (entreprises et particuliers), à certains avantages fiscaux.

Pour être éligible au mécénat ouvrant droit, pour le donateur, à un avantage fiscal, le bénéficiaire doit être un organisme d'intérêt général. Cette condition est remplie si l'activité est non lucrative et non concurrentielle, si la gestion est désintéressée, et si l'activité ne profite pas à un cercle restreint de personnes.

Conformément à l'article 238 bis du code général des impôts (CGI), il peut s'agir des organismes bénéficiaires suivants :

- organismes d'intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial ou culturel ;

- organismes d'intérêt général concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l'environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises ;

- fondations ou associations reconnues d'utilité publique ;

- musées de France ;

- établissements d'enseignement supérieur ou d'enseignement artistique public ou privé, d'intérêt général, à but non lucratif ;

- établissements d'enseignement supérieur consulaire pour leurs activités de formation professionnelle initiale et continue et de recherche ;

- sociétés ou organismes publics ou privés agréés par le ministère chargé du budget ;

- organismes publics ou privés dont la gestion est désintéressée et qui ont pour principale activité la présentation au public d'oeuvres théâtrales, musicales, cinématographiques, audiovisuelles et de cirque ou l'organisation d'expositions d'art contemporain.

La loi de finances rectificative pour 2009 a étendu, sous certaines conditions, le bénéfice du mécénat à des organismes agréés dont le siège est situé dans un État membre de l'Union européenne ou dans un État partie à l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale.

L'oeuvre, quant à elle, doit être d'intérêt général, c'est-à-dire revêtir un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l'environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue ou des connaissances scientifiques françaises.

Les entreprises à l'origine d'un don répondant aux conditions ainsi posées bénéficient d'une réduction d'impôt égale à 60 % du montant du don pour la fraction inférieure ou égale à deux millions d'euros, et à 40 % pour la part du don supérieure à deux millions d'euros. Cette réduction est plafonnée à 20 000 euros par an ou à 0,5 % du chiffre d'affaires annuel de l'entreprise donatrice si ce dernier montant est plus élevé. Lorsque ce plafond est dépassé au cours d'un exercice, l'excédent peut donner lieu à des réductions d'impôts sur les cinq exercices suivants.

Aussi bien les organismes bénéficiaires que les entreprises donatrices sont soumis à des obligations déclaratives : les premiers doivent assurer, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'État, la publicité par tous moyens et la certification de leurs comptes annuels au-dessus d'un montant de dons de 153 000 euros par an ; les mécènes sont quant à eux tenus d'effectuer une déclaration fiscale supplémentaire au-delà de 10 000 euros de dons versés au cours d'un même exercice.

Enfin, le mécénat peut donner lieu à une contrepartie du bénéficiaire en faveur du mécène comme, par exemple, l'accès gratuit à un musée. Conformément à la doctrine fiscale, cette contrepartie est limitée à 25 % de la valeur du don.

Ce dispositif diffère du parrainage (ou « sponsoring »), dans lequel l'entreprise qui « parraine » retire une contrepartie directe (comme la publicité) de l'organisme parrainé en échange du soutien accordé.

2. Favorable à l'interdiction des prestations de conseil réalisées pour l'administration à titre gratuit et à l'exception prévue pour le mécénat, la commission a précisé la rédaction de l'article 5

2.1. La commission estime l'interdiction des prestations pro bono justifiée au regard des risques déontologiques associés

Au regard des travaux de la commission d'enquête, la commission perçoit toute l'ambiguïté dont sont porteuses les prestations de conseil réalisées à titre gratuit pour l'administration : si les missions pro bono peuvent répondre, de manière apparemment désintéressée, à une demande sincère d'engagement de la part des consultants, elles n'en contribuent pas moins à la réputation du cabinet, lequel mettra en avant le fait d'avoir travaillé pour une entité publique.

La rapporteure a certes entendu, à l'occasion des auditions, l'argument selon lequel l'urgence inhérente à certaines situations de crise peut nécessiter le recours à des prestations pro bono ; à sa suite, la commission a considéré non seulement qu'il revenait à la loi de poser des principes généraux, mais surtout que les risques déontologiques induits par ce type de missions justifient leur interdiction.

Enfin, la commission a jugé bienvenue l'exception prévue pour les prestations réalisées dans le cadre du mécénat. En effet, ce dispositif bénéficie d'un cadre légal clair, à la différence du pro bono. Dès lors, il ne paraît pas justifié de priver les prestataires de conseil de la possibilité de contribuer à des projets d'intérêt général, d'autant que le mécénat de compétences correspond à une pratique courante chez de nombreux cabinets, qui mobilisent gratuitement des salariés pour travailler sur une mission.

Pour autant, comme relevé par la commission d'enquête, le mécénat n'est pas non plus sans risques, notamment pour les domaines exposés que sont les sciences et l'enseignement supérieur. C'est pourquoi la commission a souligné que l'autorisation des missions réalisées dans le cadre du mécénat devait aller de pair avec les obligations déclaratives posées à l'article 11 de la proposition de loi, dans un objectif de transparence.

2.2. La commission a souhaité clarifier la rédaction de l'article 5

Souscrivant à l'objectif poursuivi à l'article 5 de la proposition de loi, la commission a jugé nécessaire de clarifier sa rédaction, en cohérence avec l'article 238 bis du CGI.

Si l'article 5 propose, dans sa rédaction initiale, d'exclure les « actions de mécénat  mentionnées à l'article 238 bis du code général des impôts », il faut rappeler que cet article du CGI ne mentionne pas en tant que telles les actions de mécénat. Il ne renvoie pas non plus à l'objet des prestations concernées par la réduction d'impôt prévue au 2. de l'article, mais il énumère les catégories d'organismes bénéficiaires des versements effectués par les entreprises qui ouvrent droit à la réduction d'impôt.

C'est pourquoi la commission a adopté l'amendement COM-11 de sa rapporteure proposant de requalifier en conséquence les prestations de conseil qui échapperaient au principe d'interdiction du pro bono : cette exception s'appliquerait ainsi aux actions menées au profit des personnes morales relevant des catégories mentionnées à l'article 238 bis du code général des impôts.

La commission a adopté l'article 5 ainsi modifié.

Article 6
Évaluation des prestations de conseil
par l'administration bénéficiaire

L'article 6 de la proposition de loi vise à rendre obligatoire l'évaluation de toute prestation de conseil par l'administration qui en a bénéficié. Cette évaluation, systématique et formalisée, ferait également l'objet d'une publicité.

La commission a adopté cet article en apportant des précisions quant à l'objet de l'évaluation, et en modifiant les conditions dans lesquelles le modèle de l'évaluation serait fixé.

1. L'évaluation des prestations de conseil fait actuellement l'objet d'un encadrement réglementaire et contractuel qui vise principalement à vérifier la conformité de la prestation réalisée à la commande

1.1. Les opérations de vérification préalable à la constatation du service fait n'ont pas pour but d'évaluer le prestataire

Comme souligné par la DITP lors de son audition par la rapporteure, les règles de la commande publique prévoient des opérations de vérification préalable à la constatation du service fait ouvrant droit au paiement des prestations, sous le contrôle du comptable public. Ce contrôle vise non pas à évaluer le prestataire, mais à vérifier que la prestation qu'il a réalisée est bien conforme aux stipulations de la commande passée, s'agissant à la fois des moyens engagés et des résultats attendus.

Ainsi, l'article 21 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) de l'accord-cadre de 2018 de la DITP prévoit que « chaque administration commanditaire est responsable de la constatation et de la certification du service fait (opérations de vérification, de réception, d'ajournement, de réfaction ou de rejet). Les opérations de vérification des prestations ont pour but de s'assurer que les productions réalisées sont conformes aux prescriptions fixées dans le présent CCAP et dans le CCTP »27(*).

Les opérations de vérification conduisent le commanditaire à prendre l'une des décisions suivantes : réception ; ajournement ; réfaction ; ou encore rejet des livrables.

En outre, au sein de la DITP, un service rédige des fiches d'évaluation à l'issue des prestations. Lors de son audition par la rapporteure, le délégué interministériel à la transformation publique a insisté sur le fait sur ces fiches d'évaluation, qui ne sont prévues par aucune disposition contractuelle, répondent à une finalité purement interne ; leur objectif est moins d'évaluer les prestations, que d'évaluer la relation de travail avec les prestataires : « il n'y a donc pas de lien direct entre ces fiches d'évaluation interne et le paiement des prestations »28(*).

Cette bonne pratique d'évaluation en fin de mission a été étendue à l'ensemble des prestations intellectuelles par la circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022 relative à l'encadrement du recours par les administrations et les établissements publics de l'État aux prestations intellectuelles.

Le CCAP de l'accord-cadre publié le 29 juillet 2022 prévoit également qu'« à l'issue de chaque prestation, le titulaire est évalué par l'administration commanditaire conformément à la grille d'évaluation annexée au CCTP du présent accord-cadre, sur l'ensemble des prestations ayant fait l'objet du bon de commande. L'évaluation est transmise à la DITP par l'administration commanditaire au plus tard un mois après la fin de la mission »29(*). Il est également prévu que ces évaluations puissent faire l'objet d'une publication, « sans préjudice du secret en matière industrielle et commerciale, du secret de la vie privée et du secret des affaires ». Elles constituent des documents communicables dans le cadre des règles prévues par le CRPA et précisées par la CADA.

1.2. L'article 6 vise à instaurer une procédure d'évaluation systématique, formalisée et publique

Partant du constat d'une forte hétérogénéité des pratiques entre les différents ministères s'agissant de l'évaluation des prestations de conseil et de l'inexistence d'un cadre législatif en la matière, la commission d'enquête a recommandé de « systématiser les fiches d'évaluation des prestations de conseil et de les rendre publiques »30(*).

Traduisant cette préconisation, l'article 6 de la proposition de loi vise à contraindre l'administration à évaluer systématiquement toute prestation de conseil à laquelle elle aurait eu recours.

Cette évaluation, identique pour toutes les administrations publiques entrant dans le champ de la proposition de loi, préciserait :

- la liste des documents rédigés avec la participation des consultants et de l'ensemble des travaux réalisés par ceux-ci ;

- le bilan de la prestation, l'apport des consultants et les éventuelles pénalités infligées au prestataire ;

- les transferts de compétences réalisés au bénéfice de l'administration ;

- les conséquences de la prestation sur les politiques publiques.

Un décret en Conseil d'État, pris après avis du Conseil supérieur de la fonction publique de l'État, déterminerait le modèle à partir duquel seraient rédigées les évaluations, qui seraient en outre publiées en données ouvertes.

2. Souscrivant à l'objectif visé par l'article 6, la commission a souhaité préciser l'objet de l'évaluation ainsi que ses modalités de mise en oeuvre

2.1. La commission juge pertinente l'inscription dans la loi de l'obligation de l'évaluation par l'administration des prestations de conseil

La commission tient à rappeler que la mesure proposée à l'article 7 ne vise en aucun cas à remettre en cause la réalité des opérations de vérification auxquelles se livrent les personnes publiques afin de vérifier la conformité des prestations à la commande passée et l'application des cahiers des charges.

Elle estime que le système d'évaluation existant et prévu aux niveaux réglementaire et contractuel ne permet pas, en revanche, de mesurer la réelle valeur ajoutée des prestations de conseil pour l'élaboration de la décision publique et les missions de l'administration.

C'est pourquoi la commission juge pertinente l'inscription dans la loi de l'obligation, pour l'administration, d'évaluer toute prestation de conseil à laquelle elle a recours selon un modèle clairement défini et uniforme d'une entité publique à l'autre.

Enfin, la publication de ces évaluations lui semble justifiée afin de garantir la transparence du recours par l'administration aux prestations de conseil.

2.2. La commission a toutefois souhaité préciser l'objet de l'évaluation ainsi que ses modalités de mise en oeuvre

Tout d'abord, la commission a jugé préférable de prévoir que l'évaluation visée précise non pas les pénalités infligées au prestataire mais, plus largement, les sanctions. En effet, les pénalités ne correspondent qu'à une partie des décisions qui peuvent être prises par l'administration commanditaire en application du cahier des clauses administratives générales. En plus des pénalités, le commanditaire peut décider l'ajournement, la réfaction, ou encore le rejet (partiel ou total) des livrables ; le marché peut également être résilié en cas de faute de titulaire. Afin de garantir l'exhaustivité de l'évaluation sur ce point, la commission a adopté l'amendement COM-12 de la rapporteure.

De plus, la commission a souhaité, à l'initiative de sa rapporteure, préciser que l'évaluation porte sur les conséquences de la prestation sur la décision publique, et non pas sur les politiques publiques (même amendement COM-12).

En effet, apprécier les conséquences d'une prestation de conseil sur les politiques n'est possible que sur le temps long, tandis que l'évaluation aurait davantage d'intérêt si elle intervenait à brève échéance. De surcroît, les conséquences réelles d'une prestation sur les politiques publiques dépendent surtout des décisions prises par l'administration et de leur mise en oeuvre.

Par ailleurs, la commission n'a pas jugé opportune la consultation du Conseil supérieur de la fonction publique de l'État afin de déterminer le modèle de l'évaluation des prestations de conseil. Si le Conseil supérieur de la fonction publique de l'État est consulté sur toutes les questions d'ordre général concernant la fonction publique de l'État, et s'il constitue en particulier l'organe supérieur de recours en matière disciplinaire, il ne paraît en revanche pas compétent pour le sujet dont il est ici question.

Il n'a pas non plus semblé justifié à la commission de consulter le Conseil d'État sur cette mesure d'application de loi. Déterminer le modèle des évaluations présente en effet un caractère purement technique et un décret simple est dès lors plus approprié ; à cette fin, la commission a adopté le même amendement COM-12 de la rapporteure.

La commission a adopté l'article 6 ainsi modifié.

Article 7
Obligation de l'emploi du français par les consultants

L'article 7 de la proposition de loi tend à imposer aux consultants l'emploi de la langue française dans leurs échanges avec l'administration et la rédaction de leurs documents, tout en prévoyant que ceux-ci pourront être traduits dans une ou plusieurs langues étrangères.

La commission a adopté cet article en introduisant la disposition dans la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, dite loi « Toubon ».

1. L'obligation de l'emploi du français est actuellement prévue par la loi pour la rédaction des contrats publics, mais pas pour leur exécution

1.1. La législation relative à l'emploi de la langue française dans l'État et l'administration

Si l'ordonnance de Villers-Cotterêts a fait en 1539 du français la langue de l'administration et de la justice, il a fallu attendre la révision constitutionnelle du 25 juin 1992 pour que soit inscrite dans la Constitution la disposition selon laquelle « la langue de la République est le français ».

S'appuyant sur cette disposition constitutionnelle, la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, dite loi « Toubon » précise que la langue française est la langue des services publics.

Elle prévoit en conséquence que les contrats auxquels participe une personne morale de droit public (ou une personne privée exécutant une mission de service public) sont rédigés en français. En outre, ces contrats « ne peuvent contenir ni expression ni terme étrangers lorsqu'il existe une expression ou un terme français de même sens approuvés dans les conditions prévues par les dispositions réglementaires relatives à l'enrichissement de la langue française »31(*).

Dans sa décision du 29 juillet 1994, le Conseil constitutionnel a estimé qu'il était permis au législateur de « prescrire [...] aux personnes morales de droit public comme aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public l'usage obligatoire d'une terminologie officielle » ; il a en revanche considéré que le législateur ne pouvait imposer la même obligation aux personnes privées hors l'exercice par celles-ci d'une mission de service public, et aux organismes et services de radiodiffusion sonore et télévisuelle, qu'ils soient publics ou privés32(*).

Au niveau réglementaire, de nombreuses circulaires rappellent le cadre légal de l'emploi de la langue française par l'administration ; la circulaire du 1er octobre 2016 du ministre de la fonction publique souligne le « devoir d'exemplarité » qui incombe à cet égard aux agents de la fonction publique.

1.2. Le constat dressé par la commission d'enquête : l'emploi systématique de termes anglo-saxons par les prestataires de conseil

L'emploi de termes anglo-saxons apparaît consubstantiel à la culture du conseil, en raison à la fois des thématiques traitées et des modes de travail. Le glossaire présent en annexe du rapport de la commission d'enquête, qui comporte les mots anglo-saxons incontournables dans toute prestation de conseil, l'illustre bien.

Or, cette prégnance du vocabulaire anglo-saxon dans les propos, oraux ou documents écrits des consultants, a pour conséquence le risque d'un « nouveau conformisme » ainsi qu'un « appauvrissement de la langue employée » à son tour par l'administration dans ses échanges avec les cabinets de conseil33(*).

Face à ce constat, la commission d'enquête a recommandé que les administrations s'assurent contractuellement « que les cabinets de conseil auxquels elles recourent respectent l'emploi de termes français tout au long de leurs missions et notamment dans leurs livrables » 34(*).

S'inspirant directement de cette proposition, la DITP a intégré, dans le cahier des clauses administratives particulières de son futur accord-cadre35(*) la disposition selon laquelle « le titulaire emploie la langue française dans ses échanges avec l'administration bénéficiaire et la rédaction des documents auxquels ils participent » 36(*; en cas d'utilisation abusive de termes non issus de la langue française, le prestataire encourt une pénalité de 100 euros par occurrence dans le livrable37(*).

2. L'article 7 vise à faire du français la langue de travail obligatoire des consultants dans leurs rapports avec l'administration

2.1. L'article 7 vise à inscrire dans la loi l'obligation de l'emploi du français par les consultants dans leurs échanges avec l'administration et la rédaction de leurs documents

L'article 7 pose le principe selon lequel les consultants emploient la langue française dans leurs échanges avec l'administration bénéficiaire ainsi que dans la rédaction de leurs documents.

Il vise également à étendre aux prestations de conseil la règle posée par l'article 5 de la loi « Toubon » s'agissant des contrats rédigés par les personnes morales de droit public, selon laquelle les consultants ne peuvent utiliser « ni expression ni terme étrangers lorsqu'il existe une expression ou un terme français de même sens approuvés dans les conditions prévues par les dispositions réglementaires relatives à l'enrichissement de la langue française ». Les listes de termes, expressions et définitions adoptés par la Commission d'enrichissement de la langue française sont publiées au Journal officiel38(*).

Enfin, et toujours de manière analogue à l'article 5 de la loi « Toubon »39(*), l'article 7 prévoit que les documents rédigés par les consultants peuvent également comporter une ou plusieurs versions en langue étrangère.

2.2. La commission a jugé la mesure pertinente et a souhaité l'inscrire dans la loi Toubon

La commission estime la mesure visée à l'article 7 justifiée, afin de mettre un terme à « l'usage abusif du jargon imprégné de “franglais” par les cabinets de conseil », pour reprendre les mots d'Éliane Assassi40(*), et à sa diffusion dans l'administration.

Consciente dans le même temps de la nécessité, dans certains cas de figure, de disposer d'une version en anglais, la commission juge également pertinent d'autoriser les traductions en langue étrangère.

Afin d'améliorer la lisibilité des dispositions législatives relatives à l'emploi de la langue française, la commission a adopté l'amendement COM-13 de sa rapporteure, qui vise à inscrire l'article 7 de la proposition de loi au sein de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française.

La commission a adopté l'article 7 ainsi modifié.

Article 8
Remise d'un rapport au Parlement sur la cartographie des ressources humaines de l'administration et des mesures de valorisation du conseil interne

L'article 8 de la proposition de loi vise à introduire l'obligation, pour chaque ministère, de remettre au Parlement et au Conseil supérieur de la fonction publique de l'État un rapport faisant l'état des lieux des ressources humaines dont il dispose, ainsi que des mesures mises en oeuvre pour valoriser celles-ci et développer des compétences de conseil en interne.

À l'initiative de sa rapporteure, la commission a souhaité que le rapport demandé soit remis par le ministre le plus concerné par cet enjeu, à savoir, le ministre de la transformation et de la fonction publiques. Elle a également précisé l'objet de la cartographie des ressources humaines demandée.

1. Alors que certaines compétences font aujourd'hui défaut aux ministères, le développement de compétences en conseil interne au sein de l'administration semble indispensable

1.1. L'État justifie le recours aux consultants principalement par l'insuffisante disponibilité de certaines compétences au sein de l'administration

Comme indiqué par le rapport de la commission d'enquête, le recours aux consultants est justifié par l'État et les cabinets par trois types de raisons :

- la recherche d'une compétence technique spécifique qui n'est pas disponible au sein de l'administration, ou l'est insuffisamment ;

- la recherche d'un point de vue extérieur et d'une méthodologie spécifique ;

- la recherche d'une « force de frappe », c'est-à-dire d'un renforcement temporaire en ressources humaines pour faire face à un pic d'activité41(*).

Partageant en partie cette analyse, le cabinet du ministre de la transformation et de la fonction publiques a souligné, à l'occasion de son audition par la rapporteure, que le déficit de compétences à l'origine du recours par l'administration à une prestation de conseil extérieur pouvait correspondre à plusieurs cas de figure.

Il peut tout d'abord s'agir d'un déficit de compétences en spécialisation, qui peut être conjoncturel lorsqu'un besoin spécifique émerge (en expertise juridique ou technique, par exemple), ou structurel du fait de difficultés de recrutement, que celles-ci proviennent d'un manque d'attractivité de la fonction publique et/ou de tensions sur le marché de l'emploi pour certains métiers42(*). Ce déficit de compétences en spécialisation s'observe en particulier s'agissant de l'accompagnement des transformations de l'action publique43(*).

L'administration peut également être confrontée à un déficit de compétences en volume, qui se révèle lorsqu'une pression particulière s'exerce sur le domaine d'activité en question44(*).

Enfin, ces deux types de déficit de compétences peuvent se cumuler. Tel est le cas du déficit en compétences numériques qui affecte l'ensemble des métiers existants dans l'administration.

Dans le même temps, il semblerait que certaines compétences, pourtant bien présentes au sein de l'administration, soient insuffisamment valorisées voire méconnues ; l'administration recourt alors à des cabinets de conseil extérieurs pour une mission qu'elle aurait pourtant les moyens de réaliser en interne.

Ainsi que le cabinet du ministre de la transformation et de la fonction publiques l'a confirmé à la rapporteure, les systèmes d'information des ressources humaines (SIRH) ministériels ne comportent aujourd'hui pas de données sur les compétences des agents.

La circulaire du Premier ministre en date du 19 janvier 2022 sur l'encadrement du recours par les administrations et les établissements publics de l'État aux prestations intellectuelles a pourtant prévu la mise en place d'une base de données « identifiant les compétences internes disponibles au sein de l'État et de ses établissements publics », sous la responsabilité de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et de la Délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État (Diese). Cette base de données n'a néanmoins pas encore vu le jour.

Cette base de données45(*) est censée constituer le moyen pour atteindre l'objectif posé par cette même circulaire, à savoir, limiter le recours à des cabinets de conseil extérieurs dans les seuls cas qui le justifient, en subordonnant ce recours à la démonstration, par l'administration, de « l'absence de disponibilité, de compétences ou de ressources internes, au sein [des départements] ministériels, dans les inspections et conseils généraux ministériels ou interministériels, permettant de répondre au besoin identifié par le service l'ayant exprimé » 46(*).

1.2. L'article 8 vise à rendre obligatoire la remise d'un rapport au Parlement faisant l'état des lieux des ressources humaines et des mesures mises en oeuvre pour valoriser celles-ci et développer des compétences de conseil en interne

Reprenant la proposition n° 6 formulée par la commission d'enquête, l'article 8 de la proposition de loi vise à introduire l'obligation, pour chaque ministère, de remettre au Parlement et au Conseil supérieur de la fonction publique de l'État un rapport présentant la « cartographie des ressources humaines dont il dispose, en interne et dans le cadre interministériel », ainsi que les mesures mises en oeuvre pour valoriser celles-ci et développer des compétences de conseil en interne.

Ce rapport aurait également pour objet d'évaluer les conséquences de ces mesures sur le recours par le ministère aux prestations de conseil.

Il serait remis dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi, puis tous les cinq ans.

2. Approuvant l'objectif du rapport demandé, la commission a souhaité rendre celui-ci plus opérationnel

La commission souscrit à l'objectif de mieux connaître d'abord, et valoriser ensuite, les ressources humaines et compétences disponibles dans l'administration, afin de limiter le recours aux prestations de conseil extérieur.

Elle considère que le rapport que l'article 8 vise à instaurer pourra contribuer à cet objectif.

À l'initiative de sa rapporteure, la commission a en revanche estimé plus cohérent et réaliste de prévoir que le rapport serait rendu non pas par chaque ministère, mais par le ministre chargé de la fonction publique au nom du Gouvernement (amendement COM-14). Le fait d'avoir un seul rapport, comportant autant de rubriques que de ministères, permettra en effet une vision globale et agrégée ; il palliera en outre le risque de modification des périmètres et attributions des ministères respectifs d'une remise de rapport à l'autre, facilitant les comparaisons sur le long terme.

Enfin, la commission a souhaité préciser l'objet de la cartographie des ressources humaines demandée, pour plus de clarté et d'efficacité (même amendement COM-14).

La commission a adopté l'article 8 ainsi modifié.


* 19 « Pour le bien public » en latin.

* 20 Rapport de la commission d'enquête, p. 193.

* 21 Les missions, au nombre d'une vingtaine, ont porté sur la montée en puissance des tests, le pilotage des besoins en ressources humaines dans les Ehpad, ou encore le modèle de prévision des appels au SAMU et des admissions en réanimation de l'AP-HP (source : rapport de la commission d'enquête, p. 194).

* 22 Rapport de la commission d'enquête, p. 199.

* 23 Auditionnée par la commission d'enquête le 18 janvier 2022.

* 24 Auditionné par la commission d'enquête le 26 janvier 2022.

* 25 L'article 9.3.5 du CCAP stipule que : « Les missions effectuées à titre gracieux (dites pro bono) au bénéfice des administrations publiques ne doivent donner lieu à aucune contrepartie. Toute mission pro bono ou mécénat de compétence doit être autorisée par le secrétaire général du ministère et enregistrée auprès de la DITP. Aucun droit de suite ne peut être accordé au prestataire d'une mission pro bono. »

* 26 Arrêté du 6 janvier 1989 relatif à la terminologie économique et financière.

* 27 Cahier des clauses techniques particulières.

* 28 Réponse de la DITP au questionnaire de la rapporteure.

* 29 Article 12.2.4 du CCAP.

* 30 Proposition n°7 du rapport de la commission d'enquête.

* 31 Article 5 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française.

* 32 Décision n° 94-345 DC du 29 juillet 1994.

* 33 Rapport n° 578 (2021-2022) de Mme Éliane Assassi, fait au nom de la commission d'enquête sur les cabinets de conseil, p. 163.

* 34 Proposition n°8 de la commission d'enquête, à l'initiative de M. Mickäel Vallet.

* 35 L'avis de renouvellement a été lancé le 1er juillet 2022.

* 36 Article 9.3.7. du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) de l'accord-cadre relatif à la réalisation de prestations de conseil en stratégie, en cadrage et conduite de projets et en efficacité opérationnelle de la DITP

* 37 Article 17.8 du CCAP.

* 38 La dernière liste date du 30 août 2022 et porte sur l'économie.

* 39 Qui prévoit que « les contrats visés au présent article conclus avec un ou plusieurs cocontractants étrangers peuvent comporter, outre la rédaction en français, une ou plusieurs versions en langue étrangère pouvant également faire foi ».

* 40 Lors de l'examen en commission du rapport de la commission d'enquête, le 16 mars 2022.

* 41 Rapport n° 578 (2021-2022) de Mme Éliane Assassi, fait au nom de la commission d'enquête sur les cabinets de conseil, p. 79.

* 42 À l'instar du métier d'expert en mégadonnées (ou data scientist en anglais).

* 43 La DITP mentionne ainsi, dans la réponse au questionnaire de la rapporteure, les types de compétences suivantes : conduite de projets ; stratégie, organisation et management ; méthodologies de la performance ; transformation numérique, analyse et modélisation de données ; animation de la participation citoyenne ; amélioration de parcours usagers ; outils d'innovation ; accompagnement managérial du type coaching et codéveloppement.

* 44 Ainsi, pendant la crise sanitaire liée à l'épidémie de covid-19, l'administration ne disposait pas suffisamment d'experts logistiques pour régler les questions de transport des vaccins et de préservation de la chaîne du froid.

* 45 Qui n'a pas encore vu le jour à la date de la publication de ce rapport.

* 46 Circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022 sur l'encadrement du recours par les administrations et les établissements publics de l'État aux prestations intellectuelles, p. 2.

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