PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE MODIFIÉE
Proposition de résolution européenne relative à la préservation des filières du patrimoine, notamment celles du vitrail, de la facture d'orgue, de la restauration et de la conservation des monuments et bâtiments historiques, des objets et oeuvres d'art et des biens culturels, menacées par l'interdiction du plomb ou la procédure d'autorisation telles qu'envisagées par la révision du règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006, dit « REACH », concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu le préambule et l'article 3 du traité sur l'Union européenne,
Vu les articles 114, 167, 169 et 179 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE),
Vu le préambule et les articles 14 et 22 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,
Vu la convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, adoptée par les États membres de l'organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco), lors de sa 17 e conférence générale, à Paris, le 16 novembre 1972,
Vu le règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances, instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) n° 793/93 du Conseil et le règlement (CE) n° 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission, dit « REACH »,
Vu la publication par la Commission européenne, le 14 octobre 2020, de la Nouvelle stratégie dans le domaine des produits chimiques, vers un environnement exempt de substances toxiques, dans le cadre général du Pacte vert,
Vu les conclusions du Conseil (2018/C460/10) du 21 décembre 2018 sur le programme de travail 2019-2022 en faveur de la culture,
Vu l'étude d'impact initiale par la Commission européenne sur la prochaine révision du règlement « REACH »,
Vu le document publié en anglais par l'Agence chimique européenne (ECHA), le 2 février 2022, sur son site internet, intitulé Draft background document for lead, Document developed in the context of ECHA's eleventh recommendation for the inclusion of substances in Annex XIV ,
Vu l'ensemble de documents publiés en anglais par l'ECHA, le 18 mars 2022, sur son site internet, sous l'onglet « Informations sur les produits chimiques », sous le titre Recommendations for inclusion in the Authorisation List ,
Vu les articles R. 4412-149, R.4412-152 et R.4412-160 du Code du travail,
Vu le rapport d'information du Sénat n° 533 (2015-2016) sur la proposition de résolution européenne, présentée par M. René Danesi au nom de la commission des affaires européennes, concernant l'exemption du cristal de la directive « limitation de l'utilisation de substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques » (directive 2011/65/UE du 8 juin 2011), fait par M. Jean-François Rapin au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable,
Vu le rapport d'information du Sénat n° 426 (2019-2020) sur Les maires face au patrimoine historique architectural : protéger, rénover, valoriser, fait par M. Michel Dagbert et Mme Sonia de la Prôvoté au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation,
Vu le rapport d'information du Sénat n° 556 (2021-2022) Nouveaux défis, nouveaux enjeux : une stratégie européenne ambitieuse pour le patrimoine, fait par Mme Catherine Morin-Desailly et M. Louis-Jean de Nicolaÿ au nom de la commission des affaires européennes,
Vu le rapport d'information du Sénat n° 765 (2021-2022) Patrimoine religieux en péril : la messe n'est pas dite, fait par M. Pierre Ouzoulias et Mme Anne Ventalon, au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication,
Vu l'avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) « Saisine n° 2013-SA-0042 » et le rapport d'expertise collective Valeurs biologiques d'exposition en milieu professionnel, le plomb et ses composés inorganiques, du 11 juillet 2019,
Vu l'avis de l'Anses, « Saisine n° 2019-SA-0147 », relatif à la contamination d'espaces publics extérieurs par le plomb, du 15 janvier 2020,
Vu la fiche toxicologique n° 59, « Plomb et composés minéraux » publiée sur le site de l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) en mars 2020,
Vu l'étude « Imprégnation de la population française par le plomb. Programme national de biosurveillance, Esteban 2014-2016. », publiée sur le site de Santé publique France en mars 2020,
Vu le cahier technique n° 25-2020 de l'Association des restaurateurs d'art et d'archéologie collective de formation universitaire (ARAAFU), « Le plomb dans les chantiers de conservation-restauration, actes de la journée d'études du 25 mai 2018 »,
Vu la déclaration conjointe sur « le projet d'ECHA d'inclure le plomb dans la liste des substances soumises à autorisation (Annexe XIV du Règlement REACH) », publiée par le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), le Conseil international des musées (ICOM) et la Confédération européenne des organisations de conservateurs (E.C.C.O.), le 26 avril 2022,
Vu le livre vert sur le patrimoine culturel européen, publié en février 2022, par Europa Nostra en partenariat avec ICOMOS, avec le soutien de la Commission européenne et de la Banque européenne d'investissement,
Considérant que les signataires du traité sur l'Union européenne affirment, dans son préambule, « s'inspir[er] des héritages culturels, religieux et humanistes de l'Europe » ;
Considérant que, dès son préambule, la charte européenne des droits fondamentaux reconnaît le « patrimoine spirituel et moral » de l'Union européenne et appelle celle-ci à préserver et développer les valeurs communes en résultant, dans le respect de la diversité culturelle des peuples de l'Europe ;
Considérant que l'Union européenne est compétente, dans le respect du principe de subsidiarité, pour veiller à « la conservation et la sauvegarde du patrimoine culturel » qui constitue une ressource partagée et un bien commun des Européens et pour « contribuer à l'épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l'héritage culturel commun » ;
Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la Convention de l'Unesco du 17 septembre 1972, chacun des États parties s'engage à assurer « l'identification, la protection, la conservation, la mise en valeur et la transmission aux générations futures du patrimoine culturel et naturel visé aux articles 1 et 2 et situé sur son territoire (...) au maximum de ses ressources disponibles » ;
Considérant que plusieurs dizaines de cathédrales européennes sont inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco ;
Considérant la place singulière qu'occupent les vitraux, mais aussi les orgues, les couvertures, parements, ornements et revêtements en plomb, ainsi que les nombreux objets d'art ou biens culturels en plomb dans le patrimoine culturel français et européen, notamment au sein de ses édifices religieux, particulièrement ses cathédrales, ses églises, ses châteaux, ses bâtiments et monuments historiques, ses musées, édifices publics et lieux de culture ;
Considérant que le vitrail, la facture d'orgues, la restauration de monuments d'historiques et d'objets d'art sont des artisanats vivants, qui dépassent largement le cadre religieux et ouvrent à de nombreux artistes, artisans et apprentis un immense champ de création ;
Considérant l'intérêt pour nos territoires, notamment en matière d'attractivité touristique, de développement économique et de cohésion sociale, de préserver, restaurer, développer et promouvoir ce patrimoine, qui sert en outre à la pratique du culte ;
Considérant que les acteurs de ces filières, qu'ils exercent à leur compte, au sein d'ateliers ou d'entreprises, cherchent constamment à améliorer leurs procédés de fabrication et de restauration et à adopter de nouvelles techniques, pourvu qu'elles existent et répondent à leurs exigences de qualité et de rendu ;
Considérant le rôle irremplaçable du plomb dans la réalisation des vitraux, de tuyaux d'orgues et d'autres éléments du patrimoine historique bâti et non bâti et l'absence, en l'état de l'art, de substitut idoine permettant de se dispenser de cette substance ;
Considérant les efforts exemplaires accomplis par les filières du patrimoine, au-delà des exigences légales nationales et européennes, pour protéger, notamment grâce aux équipements de protection individuelle et grâce à des mesures de prévention collective détaillées dans de récents documents de référence, les artisans, intervenants et travailleurs en contact avec le plomb ;
Considérant la nécessité d'adopter une approche différenciée concernant la réglementation de l'utilisation de certaines substances chimiques, notamment eu égard à l'impact économique et social sur ces filières, au tonnage utilisé et à leur capacité effective d'adaptation aux évolutions législatives et réglementaires les concernant ;
Considérant qu'il n'y a pas, à ce stade, d'études scientifiques établissant de lien direct avéré entre le saturnisme et le travail régulier de restauration du patrimoine ou la fréquentation assidue des lieux patrimoniaux ;
Considérant, au regard de l'usage qu'ils font du plomb en faveur de la restauration, de l'entretien, de la conservation du patrimoine et des biens culturels, que la survie économique des entreprises, artisans et professionnels de la conservation, de l'entretien et de la restauration du patrimoine, ainsi que celle des vitraillistes, organistes et facteurs d'orgues et la transmission de leurs savoir-faire seraient directement menacées par l'interdiction du plomb ou par la procédure d'autorisation qui découlerait du nouveau traitement juridique de cette substance par le règlement européen « REACH » telle qu'envisagé à ce stade dans le cadre de la révision dudit règlement;
Considérant qu'une telle interdiction ou procédure d'autorisation au titre de l'annexe XIV dudit règlement aurait pour effet de délocaliser les savoir-faire et les ateliers des vitraillistes et d'autres artisans du patrimoine vers des pays extérieurs à l'Union européenne, au premier rang desquels le Royaume-Uni ;
Considérant qu'une telle interdiction ou une telle procédure d'autorisation, par le coût et la complexité qu'elles impliquent pour des entreprises de taille modeste, mettraient en péril leur viabilité économique voire la pérennité de leur savoir-faire, conduisant à une perte irrémédiable pour la conservation du patrimoine culturel de nos territoires, de la France et de l'Union européenne ;
Rappelle la nécessité d'une prise en compte transversale du patrimoine comme facteur d'identité et vecteur de rayonnement de l'Union européenne et de ses territoires ;
Estime qu'une telle prise en compte exige de la Commission européenne un réel effort de collégialité, afin de ne pas méconnaître le considérable impact politique, culturel et symbolique de mesures d'apparence technique ;
Regrette en conséquence que les acteurs des filières françaises et européennes du patrimoine ne soient pas davantage associés aux réflexions préalables à toute évolution réglementaire et législative susceptible de menacer l'exercice même de leurs activités ;
Espère que les revendications portées par ces acteurs pourront être entendues par le Gouvernement et les autorités européennes, afin que la révision envisagée du règlement « REACH » puisse tenir compte de l'impérieuse nécessité de préserver, restaurer, développer et promouvoir ce patrimoine culturel ;
Enjoint les acteurs de la filière française à se coordonner avec leurs homologues des autres États membres de l'Union européenne, afin qu'ils se mobilisent pour faire valoir leur intérêt commun dans le cadre de la révision envisagée du règlement « REACH » ;
Affirme que la nécessaire protection des citoyens européens contre les effets nocifs de certaines substances toxiques, parmi lesquelles le plomb, ne doit pas s'opposer à la préservation du patrimoine culturel français et européen ;
Demande que des études scientifiques pluridisciplinaires soient menées à l'échelle de l'Union européenne, sur les programmes de recherche financés sur fonds européens, afin de documenter les effets sur la santé du plomb dans le domaine du patrimoine ;
Demande instamment en conséquence que les usages patrimoniaux soient exemptés ou fassent l'objet d'une dérogation au titre du règlement REACH ou de toute autre législation européenne qui pourrait être envisagée pour limiter les effets nocifs du plomb en matière de protection de la santé ou de prévention au travail, afin que les activités relatives à la préservation, la restauration et la création de vitraux, d'orgues, et d'éléments du patrimoine puissent continuer à recourir au plomb dans les conditions auxquelles il y est actuellement recouru;
Invite le Gouvernement à faire valoir, en même temps que son ambition en matière de lutte contre les pollutions chimiques, cette « exception culturelle » en faveur du patrimoine, notamment dans la perspective du prochain Conseil qui pourrait arrêter le futur plan de travail en faveur de la culture 2023-2026 et fournirait l'occasion d'inscrire le patrimoine durable au premier rang des priorités de ce plan quadriennal,
Invite le Gouvernement à défendre cette position dans les négociations au Conseil.