EXAMEN EN COMMISSION
Le jeudi 21 juillet 2022, la commission des affaires européennes a engagé le débat suivant :
M. Jean-François Rapin , président . - Nous évoquons maintenant un autre sujet important, à savoir l'incidence du régime européen d'autorisation de l'usage du plomb sur le patrimoine. Le 21 juin dernier, notre collègue Vanina Paoli-Gagin a déposé avec plusieurs de ses collègues une proposition de résolution européenne visant à préserver l'activité des vitraillistes, menacée par l'interdiction du plomb qui pourrait intervenir dans le cadre de la prochaine révision du règlement REACH relatif aux substances chimiques.
Ce texte a été renvoyé pour examen à notre commission. Des précédents d'exemptions relatives à l'interdiction de recourir au plomb pour un secteur déterminé ont déjà eu lieu dans certains domaines. J'ai pu approcher ce sujet voilà quelques années, lorsque, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, j'avais plaidé pour une exemption au bénéfice du cristal de la directive relative à la limitation de l'utilisation de substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques. Nous avions alors obtenu gain de cause. Toutefois, il semble qu'une telle exemption ne soit pas envisageable dans le cas qui nous occupe aujourd'hui. Les rapporteurs, que je remercie pour leur travail intense dans le délai imparti à notre commission pour examiner ce texte et pour leur engagement au service du patrimoine européen dans le prolongement de leur récent rapport à ce sujet, vont nous expliquer pourquoi.
Chacun, dans vos territoires, vous avez pu être interrogés par des vitraillistes inquiets de voir leur profession remise en cause par ces règlements.
Mme Catherine Morin-Desailly , rapporteure . - Effectivement, nous avons effectué un travail intense et accéléré.
Grâce à la proposition de résolution européenne déposée il y a un mois par notre collègue Vanina Paoli-Gagin, nous avons l'occasion, ce matin, d'aborder de nouveau l'importance du patrimoine européen, et particulièrement de ses métiers d'art.
Voilà quatre mois, avec Louis-Jean de Nicolaÿ, nous présentions devant notre commission notre rapport d'information proposant une stratégie européenne ambitieuse pour le patrimoine. Nous recommandions d'assumer ce qui, selon nous, doit devenir une véritable priorité pour l'Union européenne. Le patrimoine, bien commun des Européens, est aussi un puissant facteur d'identité, de reconnaissance, de rayonnement pour l'Europe, et un levier d'attractivité, de développement durable et de cohésion pour nos territoires.
Il semble que nos espoirs puissent aboutir sous présidence tchèque, puisque c'est à la fin de l'année, à l'issue de celui de la période 2019-2022, que devrait être élaboré le nouveau programme d'action quadriennal européen en matière de culture, pour la période 2023-2026, qui pourrait prendre la forme d'une résolution du Conseil. Nous formons le voeu que le patrimoine en soit un axe fort, voire structurant.
Nous évoquions, à l'appui de notre conviction en faveur du patrimoine, l'Europe des cathédrales, des monastères, des pèlerinages, l'Europe des châteaux, des monuments, unie dans sa diversité pluriséculaire, mobilisée pour la conservation de ce précieux héritage, et sans cesse tournée vers la création, le renouveau des savoirs et des arts ainsi mis en oeuvre.
Or voici que cette Europe du patrimoine, des arts et des savoir-faire ancestraux et toujours renouvelés est menacée, presque inopinément ! Non pas par quelque force venue de l'extérieur, mais en son sein même, par une tentative, vertueuse dans son principe, de réglementation de l'usage des produits chimiques. Nous sommes là dans le domaine de REACH, acronyme anglais du règlement européen concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques. Ce règlement date du 18 décembre 2006 et sa gestion est confiée à l'Agence chimique européenne, désignée elle aussi sous son acronyme anglais ECHA. Ce règlement fleuve fait plusieurs centaines de pages, sans compter les annexes, tout aussi volumineuses. Ainsi l'annexe XIV, qui nous occupe ici, compte 331 pages. Quant au site internet de l'ECHA, presque intégralement en anglais, il est sans doute l'un des plus touffus et complexes qui soient. Il contient plusieurs milliers voire dizaines de milliers de pages et mériterait un moteur de recherche à lui tout seul !
C'est dire qu'il n'a pas été simple de se repérer dans ce maquis, dans le délai d'un mois que le règlement du Sénat laisse à notre commission pour examiner la proposition de résolution européenne (PPRE), à compter de son dépôt. Nous tenons à remercier tout d'abord les professionnels, maîtres verriers et la Chambre syndicale nationale du vitrail, qui nous ont tôt alertés, ainsi que notre collègue auteure de la proposition de résolution, qui a pris l'heureuse initiative de saisir ainsi le Sénat de ce sujet.
Pourquoi cette mobilisation précoce ? L'ECHA a lancé au printemps une consultation sur l'inclusion du plomb à l'annexe XIV du règlement REACH, concernant les substances dites « particulièrement préoccupantes ».
Or la procédure d'autorisation que cela implique, et qui cédera la place à une interdiction pure et simple au terme de quelques années, représenterait un coût prohibitif pour les utilisateurs : plusieurs mois de montage de dossier d'expertise, exigeant le recours à un cabinet ou une structure d'appui spécialisé et le versement d'une redevance à l'ECHA, de l'ordre de 27 000 euros à 200 000 euros, selon la taille de l'entreprise concernée. Les TPE et PME françaises du secteur du patrimoine culturel ne pourront pas mettre en oeuvre cette procédure très lourde. Leur survie même serait mise en cause à court terme.
Avant d'examiner le vaste champ patrimonial concerné, au-delà du seul secteur du vitrail, il convient de revenir au calendrier de révision du règlement REACH et à la procédure qui s'y applique, que nous détaillons dans notre rapport écrit.
Toute modification des annexes de ce règlement, XIV, listant les substances soumises à autorisation, avec interdiction à terme, ou XVII, listant celles qui sont soumises à une simple déclaration qui peut comporter des exceptions, relève de la procédure de réglementation avec contrôle, qui date d'avant le Traité de Lisbonne. La Commission européenne doit consulter le comité des États membres de l'ECHA, dit comité REACH, composé de représentants de chacun des États membres, et ne peut pas adopter la modification si l'opinion du comité est négative, c'est-à-dire si la proposition de modification ne reçoit pas une majorité qualifiée en sa faveur. Les parlements nationaux peuvent ici jouer un rôle précieux de « lanceurs d'alerte » législatifs auprès de leur gouvernement, qui est représenté dans le comité d'experts, mais aussi directement auprès de la Commission européenne dans le cadre du dialogue politique.
Le plomb figurait déjà, depuis 2018, sur la liste des substances dites « candidates » à l'inscription à l'annexe XIV. Il a donc fait l'objet, dans ce cadre, d'une consultation publique, ouverte le 2 février 2022 et close depuis le 2 mai 2022.
Le comité REACH doit maintenant se prononcer pour prioriser les substances à inclure dans cette annexe XIV. Il se prononce sur le tonnage, la dangerosité et le caractère dispersif, et examine l'impact des règles envisagées sur l'industrie. Ainsi, 84 % du tonnage de plomb utilisé concerne les batteries. Au comité, siège pour la France un représentant de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) avec l'appui d'un représentant du ministère de la transition écologique.
Interviendra ensuite l'instruction par la Commission européenne de la recommandation de l'ECHA et des informations recueillies lors de la consultation publique.
À ce stade, le résultat de la consultation n'est pas encore accessible sur le site de l'ECHA, qui, de fait, n'a pas encore adopté sa recommandation.
Une fois la recommandation adoptée, ce qui devrait intervenir au plus tard d'ici à la fin de l'année 2022, la Commission européenne proposera, en général sous douze mois, un projet de règlement, qui devrait donc intervenir d'ici à la fin de l'année 2023. C'est alors seulement que les autorités françaises auront officiellement connaissance des intentions de la Commission quant à l'inscription ou non du plomb à l'annexe XIV du règlement REACH.
Selon les services de la Commission européenne que nous avons interrogés, quelque 1 500 contributions auraient été reçues par l'ECHA au sujet du plomb. Selon le ministère français de la culture, auraient participé à la consultation de l'ECHA les ministères de la culture ou autorités en charge du patrimoine et des monuments historiques des pays et collectivités suivants : Autriche, Allemagne fédérale, Land de Saxe, Italie, République tchèque, Pays-Bas. Cela peut indiquer un début de mobilisation politique sur l'enjeu patrimonial de l'inscription du plomb en annexe XIV.
Les maîtres verriers qui nous ont saisis demeurent légitimement inquiets, car la fabrication et la conservation du vitrail sont indissociables de l'usage du plomb. Les baguettes formant la matrice soutenant le verre coloré et peint sont en plomb. Ces baguettes présentent longitudinalement des rainures opposées, dos à dos, en forme de H, où sont serties les plaques de verre, jusqu'à 170 par mètre carré. L'espace compris entre les rainures au milieu du plomb s'appelle « l'âme » ; les côtés qui recouvrent le verre sont les « ailes ».
Les propriétés intrinsèques de malléabilité, de durabilité et de solidité du plomb expliquent que le réseau arachnéen formé par ces baguettes soit irremplaçable.
Or la France concentre plus de 60 % du patrimoine des vitraux européens et abrite la plus grande surface de vitraux au monde. Nul besoin d'insister sur la valeur exceptionnelle de ce patrimoine, dont les plus beaux joyaux sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco, mais qui s'étend aussi dans tous nos territoires. Je renvoie à ce sujet à l'excellent rapport d'information sur l'état du patrimoine religieux dans notre pays, publié voilà deux semaines par nos collègues Pierre Ouzoulias et Anne Ventalon, au nom de la commission de la culture.
Mais les maîtres verriers ne sont pas les seuls à s'inquiéter, loin de là. Le champ des métiers concernés est beaucoup plus vaste, d'où les amendements que nous proposons à la PPRE initiale, afin de couvrir l'ensemble du champ du patrimoine, après avoir précisé et circonscrit le cadre procédural que nous venons d'indiquer.
Les facteurs d'orgues sont eux aussi concernés au premier chef, ainsi que les organistes et tous les amateurs de ce prodigieux instrument, en partie constitué de plomb. Malgré de nombreux essais de substitution depuis le XIX e siècle, il apparaît que sa sonorité est indissociable de la part de plomb qui forme l'alliage de ses tuyaux, dans une proportion variant de 10 % à 95 % environ.
C'est pourquoi nous avons entendu l'association Orgue en France, présidée par M. Philippe Lefebvre, organiste titulaire de Notre-Dame de Paris, ainsi que le groupement professionnel des facteurs d'orgues, rattaché à l'Union nationale des industries de l'ameublement français. Sur près de 10 000 orgues recensées en France, près de 1 600 sont classées au titre des monuments historiques. Les manufactures d'orgues représentent environ 65 entreprises en France, dont une trentaine a un effectif moyen compris entre trois et cinq personnes. Environ 200 à 250 personnes travaillent, dans notre pays, chez les tuyautiers et dans les manufactures d'orgues. On estime entre 200 kilos et une tonne la quantité de plomb pur mise en oeuvre annuellement par une entreprise.
L'interdiction du recours au plomb ou la lourde procédure d'autorisation de l'annexe XIV de REACH entraînerait le risque majeur de la perte de cet immense patrimoine pluridisciplinaire : orgues à tuyaux, facteurs d'orgues, organistes, compositeurs de musique d'orgue et, à terme, la musique d'orgue elle-même, dans sa diversité, qu'elle soit profane ou sacrée.
Au-delà du vitrail et de l'orgue, la présence du plomb dans de nombreux éléments des bâtiments anciens et des monuments historiques implique d'autres filières du patrimoine culturel, qui pourraient être gravement affectées.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ , rapporteur . - En effet, la taille de pierre classique utilise également du plomb, matériau de remplissage entre les pierres, mais aussi de couverture des appuis et des corniches en pierre et des joints en fer des pierres, ainsi protégés de la corrosion. La malléabilité et la durabilité du plomb concourent à la conservation de long terme des bâtiments anciens. Certaines toitures historiques sont également constituées de plomb. C'est le cas de celles de nombreuses cathédrales, tout particulièrement Notre-Dame de Paris, mais aussi de nombreux monuments, comme le château de Versailles, le musée du Louvre, l'Opéra Garnier, le Panthéon ou les châteaux de la Loire.
L'impact le plus lourd concernerait donc l'ensemble des professions liées à la restauration et à la conservation des monuments historiques. C'est pourquoi nous avons également entendu le Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques, qui fédère 252 entreprises de douze métiers, employant près de 10 000 salariés, dont environ 1 000 apprentis en France. Les tailleurs de pierre des monuments historiques comptent 78 entreprises, employant quelque 5 000 salariés, pour un chiffre d'affaires estimé à 600 millions d'euros. Les couvreurs des monuments historiques comptent 39 entreprises employant 1 500 salariés, pour un chiffre d'affaires de 170 millions d'euros.
Les feuilles de plomb servent également à l'étanchéité des bassins et le plomb demeure utilisé pour celle des joints et conduites alimentant les fontaines, la statuaire et les ornements du château et du domaine de Versailles et le réseau hydraulique d'autres domaines nationaux, comme celui de Saint-Cloud.
De nombreuses recherches de matériaux de substitution ont été réalisées par les professions concernées. Toutefois, elles ont constaté que le plomb comme produit de scellement et de jointoiement a un meilleur comportement élastique au cours du temps que la résine ou le mortier. C'est un motif majeur de l'utilisation maîtrisée du plomb dans tous ses usages patrimoniaux : sa malléabilité, sa ductilité, sa résistance à la corrosion en font un matériau éminemment durable, qui assure la contribution du patrimoine au développement durable.
L'interdiction ou la restriction de l'utilisation du plomb pour ces usages reviendrait donc à condamner un nombre important d'entreprises de petite taille ayant développé un savoir-faire unique au service du patrimoine français et européen.
Outre les bâtiments et monuments historiques, les musées et les institutions patrimoniales de l'Union européenne et du monde entier conservent de très nombreux objets d'art et biens culturels contenant du plomb, dont la liste a été dressée par le Conseil international des monuments et des sites, le Conseil international des musées et la Confédération européenne des organisations de conservateurs restaurateurs : la sculpture en bronze, les conduites d'eau romaines, les sarcophages du haut Moyen-Âge, les insignes médiévaux des pèlerins en étain plombé, les jouets et articles ménagers, les poids médiévaux pour filets de pêche et tissus, les restes d'activité industrielle, le matériel médico-militaire, les émaux au plomb sur la céramique, le verre au plomb, le blanc de plomb dans la peinture, les pièces de monnaie, les médailles ou les poids, ainsi que des éléments d'impression. L'on pourrait ajouter d'autres objets du patrimoine technique, telles les voitures hippomobiles ou automobiles anciennes, mais aussi les sceaux anciens conservés dans les archives, bibliothèques et musées.
La conservation, l'entretien et la restauration de tous ces éléments du patrimoine européen requièrent la manipulation ou l'usage du plomb par les conservateurs, restaurateurs et autres agents intervenant dans ces opérations.
Nous ne négligeons nullement dans notre rapport l'enjeu sanitaire, bien évidemment central, mais qui était peu développé dans la PPRE initiale. Nous vous soumettons donc une version amendée de ce texte, enrichi de visas, considérants et paragraphes.
Le plomb est un polluant bien identifié. L'usage de carburants sans plomb a, heureusement, drastiquement réduit la pollution qui y est liée. Mais nous sommes bien conscients des dangers du plomb, de la gravité du saturnisme, du caractère reprotoxique de ce matériau, particulièrement nocif pour les jeunes enfants, les femmes enceintes, les foetus. Ces risques sont connus et pris en charge dans la population générale. Mais qu'en est-il précisément dans les secteurs du patrimoine ? Nous déplorons qu'à ce jour, il n'existe aucune donnée épidémiologique fiable mettant en question, en France et en Europe, la santé des travailleurs exposés au plomb dans le domaine du patrimoine culturel.
C'est pourquoi nous appelons à la réalisation d'études spécifiques à ce domaine, au niveau européen et avec un financement adéquat sur les programmes de recherche européens, avec le concours des services de la commissaire à la culture, Mme Mariya Gabriel. Nous avons pu récemment attirer l'attention de son cabinet sur ce point crucial.
La prévention du risque plomb est une préoccupation de longue date de tous les secteurs du patrimoine que nous avons rencontrés, préoccupation dont nous nous réjouissons de constater qu'elle est partagée par les associations professionnelles ainsi que par le ministère de la culture, sa direction générale des patrimoines et de l'architecture, et sa sous-direction des monuments historiques et des sites. Toutes les entreprises concernées y sont sensibilisées et ont pris les mesures de prévention indispensables en évaluant la présence de plomb et en déployant des protocoles stricts en matière d'hygiène ainsi que des moyens de protection collective et des équipements de protection individuelle.
Nous avons constaté de visu , en nous rendant sur le chantier de restauration d'une église historique au coeur de Paris, dans l'île Saint-Louis, l'importance des mesures prises en matière de prévention, la réalité et l'intensité des contraintes qui pèsent sur les entreprises et les intervenants et les contrôles imposés, pour la bonne protection de la santé des travailleurs concernés : vestiaires et douches sur échafaudage, port de vêtements de travail lavés par une entreprise extérieure, interdiction de manger et de fumer avec ceux-ci, traitement spécial des déchets.
La législation française prévoit en effet déjà des exigences spécifiques en ce qui concerne le plomb en matière de protection de la santé humaine et de l'environnement.
Sur le plan de la santé au travail, le code du travail français a prévu deux indicateurs permettant de vérifier l'efficacité des mesures de prévention mises en place vis-à-vis du risque plomb : la valeur limite d'exposition professionnelle (VLEP) au plomb, et la plombémie, assortie de valeurs limites biologiques (VLB) à ne pas dépasser.
Le code du travail prévoit également que le médecin du travail assure un suivi individuel renforcé dès le dépassement de certains seuils de concentration de plomb dans l'air ou de plombémie.
Ces valeurs limites sont susceptibles d'être abaissées et harmonisées au niveau européen dans le cadre de la révision de la directive 98/24/CE du 7 avril 1998 concernant la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs contre les risques liés à des agents chimiques sur le lieu de travail, ce qui renforce les exigences de prévention.
Un guide pratique intitulé « Organisation des chantiers patrimoniaux en présence et avec maintien du plomb » a par ailleurs été rédigé à l'initiative du ministère de la culture. Ce guide, finalisé en 2018, pourrait être publié et largement distribué, tout comme l'ont été les actes d'une journée d'étude organisée en 2018, en lien avec la Caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France (Cramif) et le ministère de la culture, par l'Association des restaurateurs d'art et d'archéologie de formation universitaire (Araafu).
Nous citons ces documents de référence dans notre rapport et dans notre PPRE. La prévention s'appuie aussi sur les guides et fiches produits par l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) sur la santé et sécurité au travail. La Fédération française du bâtiment (FFB) propose également sur son site internet un kit de documents en ligne.
Les formations initiales et continues des professionnels proposées, par exemple, par l'Institut national du patrimoine (INP) ou par l'École de Chaillot, prennent déjà en compte la prévention du risque plomb, mais pourraient être enrichies par les recommandations de ces documents.
Ces règles, ces outils, ces bonnes pratiques existent donc. Les maîtres d'ouvrage, maîtres d'oeuvre et entreprises des chantiers d'entretien et de restauration incluant le plomb, dans tous ses états, sont mobilisés en faveur de la sécurité sanitaire des chantiers et de tous les intervenants. Nous sommes toutefois favorables à ce qu'un protocole national voire européen de prévention du risque plomb soit mis en oeuvre sur les chantiers des monuments historiques, sur le fondement des protocoles instaurés récemment sur les chantiers français.
Cette voie nous semble bien préférable à une révision du règlement REACH. Certes, l'article 58 de ce règlement prévoit que certaines utilisations ou catégories d'usages peuvent être exemptées de l'obligation d'autorisation, à condition que le risque soit bien maîtrisé, mais uniquement s'il l'est par le biais d'une législation communautaire spécifique. Or le risque plomb est bien maîtrisé, nous l'avons vu, mais par une législation et une réglementation nationales. Hélas, faute de législation communautaire spécifique existante, une telle exemption à l'obligation d'autorisation pour continuer à utiliser le plomb dans les activités patrimoniales paraît exclue, dans le cadre de l'annexe XIV de REACH.
Pour les filières du patrimoine qui constituent l'objet de la présente proposition de résolution, le moyen le plus sûr de garantir une telle exemption serait donc le statu quo , c'est-à-dire le maintien du plomb en dehors du champ de l'annexe XIV.
Si la Commission européenne jugeait toutefois nécessaire de durcir les règles d'usage du plomb dans le secteur industriel, elle pourrait aussi bien recourir à d'autres législations européennes existant par ailleurs dans le champ du travail ou de la santé -- législations qui, elles, relèvent d'ailleurs de la procédure de codécision -, mais elle devrait alors veiller à bien exempter les filières patrimoniales de telles nouvelles dispositions.
Il importe que le gouvernement français s'engage en ce sens et mobilise son représentant au comité de l'ECHA pour éviter une désastreuse inscription du plomb à l'annexe XIV du règlement REACH. Je rappelle que le plomb relève actuellement de l'annexe XVII.
La France appartient au groupe des pays les plus ambitieux en Europe en matière de gestion des risques des substances chimiques, dénommé « Reach-Up », déterminé à promouvoir des avancées ambitieuses pour la sécurité environnementale dans le cadre de la révision du règlement REACH. Elle se trouve par conséquent en bonne position pour défendre en même temps la nécessité de prévoir des précautions spécifiques afin de préserver l'avenir des filières patrimoniales. Elle est d'autant plus légitime à plaider pour une telle exception patrimoniale qu'elle est dotée d'un patrimoine culturel exceptionnel.
Les maîtres verriers, facteurs d'orgues, couvreurs, maçons du patrimoine maîtrisent et transmettent des gestes et des techniques ancestrales dont ils sont les seuls dépositaires. Toute une culture européenne, mais aussi une économie touristique patrimoniale reposent sur l'entretien de ces bâtiments dans un état proche de leur construction, permettant aux visiteurs d'appréhender l'histoire de notre pays et de notre continent. Il y va de l'attractivité et du développement durable, mais aussi du développement économique et social de nos territoires, sans parler de la pratique des cultes ou du simple plaisir de contempler les jeux de lumière et de couleurs des vitraux et de se laisser emporter par les sons prodigieux des grandes orgues.
Au total, pour ce qui concerne la révision telle qu'elle est actuellement envisagée du règlement REACH, nous partageons et prolongeons les préoccupations de l'auteur de la PPRE, en les élargissant à l'ensemble des filières concernées.
Tel est le sens des modifications substantielles que nous vous proposons d'apporter à cette proposition de résolution européenne, afin que la dimension patrimoniale de l'usage du plomb soit pleinement prise en compte, au-delà même du règlement REACH.
Nous vous proposons d'adresser dans le même mouvement un signal politique direct à la Commission européenne par un avis politique, reprenant en grande partie les termes de la proposition de résolution européenne, sous réserve de quelques dispositions qui concernent plus spécifiquement la Commission.
M. Jean-François Rapin , président . - De tels sujets requièrent une certaine vigilance. À la demande de notre commission, un débat aura d'ailleurs lieu en séance à la rentrée d'octobre sur la prise en compte des territoires, des savoir-faire et des cultures dans l'élaboration de réglementations européennes d'harmonisation.
Merci de votre rapport et du travail que vous avez effectué sur la PPRE, qui ne dénature pas la volonté de notre collègue Vanina Paoli-Gagin, mais vient au contraire l'enrichir.
M. Claude Kern . - Merci de ce travail. J'ai travaillé le plomb par le passé, notamment dans une fonderie artisanale. Nous ne connaissions pas à l'époque la nocivité des fumées associées.
Que ce soit dans l'artisanat, l'industrie ou la rénovation du patrimoine, le plomb est irremplaçable. Il offre en effet une ductilité que l'on ne retrouve dans aucun matériau de substitution. J'adhère donc entièrement aux propositions qui nous sont présentées, notamment celle relative à la réalisation d'études plus approfondies sur les risques du plomb et la recherche d'un matériau de remplacement. Si l'on se souvient de ce qui a pu se produire, par exemple, pour l'amiante -- qui n'est pas dangereux tant qu'il n'est pas volatil, contrairement à ce que l'on a pu affirmer -, il faut se préserver en la matière de tout excès.
M. Pierre Ouzoulias . - La relation entre le plomb et les humains est ancienne. On peut ainsi mesurer dans les glaces du Groenland les premiers travaux réalisés par les Romains en Espagne pour l'exploitation des mines de plomb, au II e siècle avant Jésus-Christ. Notre civilisation est imprégnée de plomb depuis sa naissance.
Je remercie également les rapporteurs pour ce travail précis. Nous sommes confrontés à une incompréhension du domaine de la préservation des monuments historiques. Si le souci d'éloigner les substances nuisibles des processus de production contemporains est évidemment compréhensible, s'agissant du patrimoine, les matériaux ne peuvent être séparés de la façon dont ils sont produits. En effet, l'objectif de la restauration est de restituer non seulement les monuments, mais aussi les savoir-faire ayant permis leur construction. Nous devons pour cela approcher au plus près les techniques anciennes.
Ne faudrait-il pas envisager de classer parmi les monuments historiques les savoir-faire et modes de production anciens, mais vivants, afin de les mieux transmettre, comme cela se fait au Japon, par exemple ? Il faudrait avancer sur ce sujet en Europe, y compris pour certaines techniques agricoles ancestrales, dont nous pourrions avoir besoin dans un avenir proche.
La commission adopte à l'unanimité la proposition de résolution européenne ainsi modifiée, disponible en ligne sur le site du Sénat, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.