TITRE
II
DÉFINIR L'OFFRE DE SERVICES À FOURNIR PAR LES SERVICES
DE PRÉVENTION ET SANTÉ AU TRAVAIL AUX ENTREPRISES ET AUX
SALARIÉS, NOTAMMENT EN MATIÈRE DE PRÉVENTION ET
D'ACCOMPAGNEMENT
Article 8
Mise en place d'une offre socle et d'une offre
complémentaire par les services de prévention et de santé
au travail interentreprises ainsi que d'une procédure de
certification
Cet article prévoit que les services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI) mettront en place, obligatoirement, un ensemble socle de services ainsi que, de manière facultative, une offre de services complémentaires. Il prévoit en outre que chaque SPSTI fera l'objet d'une procédure de certification par un organisme indépendant.
En commission, l'Assemblée nationale a par ailleurs élevé au niveau législatif la procédure d'agrément à laquelle sont soumis tous les services de santé au travail.
La commission a adopté cet article en y apportant plusieurs modifications visant notamment à préciser la définition de l'offre socle de services, à soumettre l'agrément de chaque SPSTI à l'avis du CNPST, à instituer une procédure d'administration provisoire en cas de défaillance grave du service et à prévoir que les référentiels de la certification seront définis sur proposition du CNPST.
La commission a adopté cet article ainsi modifié.
I - Le dispositif proposé : améliorer la qualité des services rendus par les SSTI
A. Le constat partagé des insuffisances et de l'hétérogénéité des services rendus par les SSTI
1. Des services soumis à des obligations de moyens et de résultats
Toutes les entreprises qui ne disposent pas d'un service autonome de santé en travail 83 ( * ) sont tenues d'adhérer à un service de santé au travail interentreprises (SSTI) 84 ( * ) .
Les SSTI sont obligatoirement constitués sous la forme d'organismes à but non lucratif, dotés de la personnalité civile et de l'autonomie financière 85 ( * ) ; il s'agit, en pratique, d'associations « loi de 1901 » dont les membres sont des employeurs.
Selon l'IGAS 86 ( * ) , la France comptait 235 SSTI en 2019, leur nombre ayant diminué au cours des dernières années sous l'effet de fusions encouragées par les directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) 87 ( * ) . Ces services assurent le suivi de plus de 16 millions de salariés et comptent près de 80 % de très petites entreprises (TPE) parmi leurs adhérents.
Les missions des SSTI , communes à l'ensemble des services de santé au travail, sont définies par l'article L. 4622-2 du code du travail :
- conduire les actions de santé au travail, dans le but de préserver la santé physique et mentale des travailleurs tout au long de leur parcours professionnel ;
- conseiller les employeurs, les travailleurs et leurs représentants ;
- assurer la surveillance de l'état de santé des travailleurs ;
- participer au suivi et contribuer à la traçabilité des expositions professionnelles et à la veille sanitaire.
Chaque SST fait l'objet d'un agrément d'une durée de cinq ans délivré par l'autorité administrative après avis du médecin inspecteur du travail 88 ( * ) . La DREETS confère ainsi au service une compétence sur un territoire et pour un ou plusieurs secteurs d'activité. Lorsque le DREETS constate que le fonctionnement du SST ne satisfait pas aux obligations fixées par le code du travail, il peut raccourcir la durée de l'agrément, sous réserve d'un engagement précis et daté de mise en conformité de la part du SST, ou y mettre fin 89 ( * ) .
Par ailleurs, les priorités des SSTI sont précisées dans le cadre d'un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM) conclu entre le service, la DREETS et la CARSAT , après avis des organisations d'employeurs, des organisations syndicales représentatives au niveau national et de l'agence régionale de santé (ARS) 90 ( * ) . Conclu pour une durée maximale de cinq ans, il peut être révisé par voie d'avenant 91 ( * ) . Cet outil opérationnel complète ainsi l'agrément avec des obligations de moyens ou des objectifs de résultats. Bien qu'il constitue une obligation légale, la couverture des services reste incomplète mais elle progresse : selon l'IGAS, 78 % des SSTI avaient conclu un CPOM en 2019 contre 56 % deux ans plus tôt.
Dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), et à l'initiative de la profession, les CPOM ont en pratique été élargis à l'Organisme professionnel de prévention du BTP (OPPBTP) avec la conclusion de plusieurs conventions quadripartites.
Le directeur du SSTI met enfin en oeuvre, en lien avec l'équipe pluridisciplinaire de santé au travail et sous l'autorité du président, les actions approuvées par le conseil d'administration dans le cadre d'un projet de service pluriannuel définissant les priorités d'action du service 92 ( * ) .
2. Des services rendus hétérogènes et une régulation insuffisante
Les partenaires sociaux se sont accordés dans l'ANI du 9 décembre 2020 sur le diagnostic d'une « grande hétérogénéité » des prestations rendues par les SSTI, notamment en matière de prévention pour laquelle il existe une forte attente, tant de la part des employeurs que des salariés.
Le rapport d'information de vos rapporteurs relevait en effet que « certains SSTI, bien qu'ayant obtenu leur agrément, ne satisfont pas pleinement à leurs exigences réglementaires minimales . Plusieurs services peinent encore à développer des actions de prévention sur le milieu de travail et se cantonnent à la délivrance de certificats d'aptitude, sans pouvoir consacrer une partie de leur activité à l'étude de postes en entreprise et au conseil des employeurs et des instances de dialogue social sur l'analyse et l'évaluation des risques professionnels. » 93 ( * )
Dans son rapport d'évaluation des SSTI de 2020, l'IGAS confirme que la politique d'agrément « n'a qu'une portée limitée sur l'amélioration du fonctionnement des SSTI ». Les critiques formulées contre cette procédure portent notamment sur l'absence d'orientations nationales harmonisées et sur un contrôle excessivement centré sur les moyens et l'organisation des SSTI. En outre, les décisions de retrait d'agrément de la DIRECCTE ont peu de conséquences pratiques puisqu'elles ne mettent pas fin à l'activité du service . Il s'avère en effet particulièrement difficile dans une situation de monopole territorial de retirer « sèchement » l'agrément d'un SSTI sous peine de priver à court terme les salariés du secteur de couverture par un service de santé. Les DIRECCTE préfèrent ainsi délivrer aux SSTI défaillants des agréments conditionnels et limités dans le temps.
Quant aux CPOM, leur bilan apparaît mitigé après deux générations de contractualisation : selon l'IGAS, « les acteurs concernés s'en sont diversement emparés, avec des actions en nombre trop important et peu évaluables ». Le rapport Artano-Gruny constatait pour sa part que, du fait de leur hétérogéinéité, les CPOM ne constituent pas encore le levier d'une politique de prévention de proximité au bénéfice des entreprises.
L'article 8 de la proposition de loi s'attache ainsi, à la suite de l'ANI, à répondre à la nécessité de faire évoluer l'offre des SSTI « dans une approche de service rendu aux employeurs, aux salariés et à leurs représentants » .
B. La redéfinition de l'offre de services des SSTI
Le 1° du I prévoit, dans un nouvel article L. 4622-9-1 du code du travail, que le SSTI , qui devient un service de prévention et de santé au travail (SPSTI) 94 ( * ) , fournit d'une part à ses entreprises adhérentes et à leurs travailleurs « un ensemble socle de services obligatoires » dans trois matières :
- la prévention des risques professionnels ;
- le suivi individuel des travailleurs ;
- la prévention de la désinsertion professionnelle.
La liste et les modalités de cet ensemble de services seraient définies par le nouveau comité national de prévention et de santé au travail (CNPST) créé au sein du conseil d'orientation des conditions de travail (COCT) ( cf . article 25 ) et approuvées par voie réglementaire.
D'autre part, le SPSTI propose également « une offre de services complémentaires qu'il détermine ».
La proposition de loi transpose ainsi les propositions de l'ANI du 9 décembre 2020 relatives à l'offre de service des SPSTI.
Le 2° modifie en conséquence l'article L. 4622-10 du code du travail pour préciser que les priorités spécifiques de chaque SPSTI, précisées dans le CPOM, seraient déterminées dans le respect de l'obligation de fournir un ensemble socle de services.
C. L'introduction d'une procédure de certification
Le 1° du I prévoit en outre, dans un nouvel article L. 4622-9-2 du code du travail, que chaque SPSTI doit faire l'objet d'une procédure de certification réalisée par un organisme indépendant et accrédité . Cette certification vise à porter une appréciation à l'aide de référentiels sur trois aspects :
- la qualité et l'effectivité des services rendus dans le cadre de l'ensemble socle de services ;
- l'organisation et la continuité du service, l'activité effective, les procédures suivies ;
- la gestion financière, la tarification et son évolution.
Les référentiels servant de base à la certification des SPSTI ainsi que les principes guidant l'accréditation des organismes indépendants seraient définis par le CNPST et approuvés par voie réglementaire.
II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale
A. Les modifications apportées en commission
1. L'inscription dans la loi de la procédure d'agrément
Le Conseil d'État avait préconisé, dans son avis sur la proposition de loi, de donner une base légale au principe de l'agrément . La commission des affaires sociales a donc adopté, à l'initiative des rapporteures, un amendement visant à élever au niveau législatif, dans un nouvel article L. 4622-9-1-1 du code du travail, cette procédure à laquelle est soumis chaque SPSTI.
Il est précisé que l'agrément tient compte, le cas échéant, des résultats de la procédure de certification .
La durée de l'agrément est fixée à cinq ans , comme le prévoit actuellement l'article D. 4622-48 du code du travail.
L'autorité administrative pourra toujours diminuer cette durée ou mettre fin à l'agrément si elle constate des manquements de la part du SPSTI.
2. Les modifications apportées au rôle du CNPST
Le Conseil d'État avait estimé dans son avis que « la délégation donnée au CNPST pour définir l'ensemble du régime de certification des services de santé au travail présent[ait] une fragilité constitutionnelle. » En effet, le législateur peut confier à une autorité publique autre que le Premier ministre le soin de fixer les normes permettant de mettre en oeuvre une loi à condition que cette habilitation ne concerne que des mesures de portée limitée tant par leur champ d'application que par leur contenu 95 ( * ) .
Un amendement des rapporteures adopté en commission a donc précisé que les référentiels et les principes guidant l'élaboration du cahier des charges de certification seraient fixés par voie réglementaire, après avis du CNPST . L'accréditation sera mise en oeuvre selon les modalités de droit commun, encadrées par la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie 96 ( * ) .
Concernant la définition de l'offre socle de services, un autre amendement des rapporteures a prévu qu' en cas de carence du CNPST, la liste et les modalités de ces services seraient déterminées par décret en Conseil d'État .
3. Les précisions apportées aux critères de la certification
Un amendement des rapporteures a ajouté un nouveau critère devant être apprécié dans le cadre de la certification : celui de la conformité du traitement des données personnelles au règlement général de l'Union européenne sur la protection des données (RGPD) 97 ( * ) et à la loi « Informatique et libertés » 98 ( * ) .
Un autre amendement des rapporteures a précisé qu'une appréciation devrait être portée sur « la qualité des procédures suivies ».
4. Les précisions apportées à l'offre de services
À l'initiative des rapporteures, la commission a donné à l'offre de services complémentaires un caractère facultatif .
Elle a enfin adopté trois amendements rédactionnels.
B. Les modifications apportées en séance publique
1. Les améliorations apportées à la procédure d'agrément
En séance publique, l'Assemblée nationale a adopté à l'initiative des rapporteures un amendement précisant que l'agrément s'applique aussi bien aux services de prévention et de santé au travail autonomes qu'aux SPSTI .
En outre, trois amendements identiques déposés par des membres du groupe Les Républicains prévoient qu'un cahier des charges national de cet agrément sera défini par décret. L'ANI du 9 décembre 2020 appelle en effet à l'élaboration, avec les partenaires sociaux, d'un tel cahier des charges national afin de « garantir une application homogène et transparente de l'agrément administratif dans toutes les régions ».
2. L'encadrement des CPOM des services de branche
L'Assemblée nationale a adopté deux amendements identiques de Dominique Da Silva (La République en Marche) ainsi que de Jeanine Dubié et des membres du groupe Liberté et Territoires, précisant que les CPOM des services de santé au travail de branche doivent intégrer les priorités définies par la branche professionnelle .
3. L'adaptation aux services de santé au travail agricoles
À l'initiative du groupe Mouvement Démocrate et Démocrates apparentés, l'Assemblée nationale a adopté un amendement visant à adapter les dispositions de l'article 8 au mode d'organisation spécifique des services de sécurité et de santé au travail en agriculture (services SST). La Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA) est ainsi appelée à assurer la coordination de la mise en oeuvre de l'ensemble socle de services par les services SST. Elle pourra en outre proposer une offre de services complémentaires, délivrée par les services SST.
La liste et les modalités de mise en oeuvre de l'ensemble socle de services devront être déterminées par décret après avis du CNPST, de même que les référentiels et principes guidant l'élaboration du cahier des charges de la certification des services SST. Le cahier des charges fera l'objet d'adaptations pour prendre en compte l'organisation spécifique de ces services au sein des caisses de MSA.
L'Assemblée a enfin adopté trois amendements rédactionnels ou de coordination des rapporteures.
L'Assemblée nationale a adopté cet article ainsi modifié.
III - La position de la commission : mieux définir l'offre socle et renforcer le contrôle des SPSTI
En mentionnant explicitement la prévention au sein de l'ensemble socle de services devant être fournis par les SPSTI, ces dispositions contribuent à donner corps à l'objectif de placer la prévention primaire au coeur du système de santé au travail.
La définition d'un ensemble socle de services assuré en contrepartie de la cotisation des employeurs répond à l'une des préconisations formulées par l'IGAS en 2020. Quant à la mise en place d'une procédure de certification, elle avait été recommandée par plusieurs rapports, dont le rapport Artano-Gruny de 2019, et appelée de leurs voeux par les partenaires sociaux.
On peut néanmoins s'interroger sur la capacité des SPSTI à s'affirmer comme les principaux référents en matière de prévention. Ainsi, l'ouverture à une offre de services complémentaires facturés fait craindre que les SPSTI privilégient ces derniers au détriment de la prévention.
Afin de garantir que les SPSTI proposeront à l'ensemble des entreprises adhérentes et à leurs salariés l'offre la plus complète et la plus homogène possible, la commission a donc adopté un amendement (COM-140) précisant que l'ensemble socle de services devra couvrir l'intégralité des missions prévues par la loi en matière de prévention des risques professionnels, de suivi individuel des travailleurs et de prévention de la désinsertion professionnelle .
En outre, cet article élève au niveau législatif la procédure d'agrément sans toutefois renforcer sa portée. Sur la proposition des rapporteurs, la commission a prévu, en cohérence avec la réforme de la gouvernance territoriale de la santé au travail prévue à l'article 26, que le comité régional de prévention et de santé au travail (CRPST) formule un avis sur l'agrément de chaque SPSTI relevant de son ressort territorial (amendement COM-141).
En complément de l'agrément, la commission a souhaité doter l'autorité administrative d'un outil plus efficace et constructif en instituant, en cas de difficultés graves d'organisation ou de fonctionnement rencontrées par un SPSTI, un régime d'administration provisoire devant permettre, sans interrompre le service, de lui donner les moyens de se réorganiser, notamment lorsque sa gouvernance est défaillante (amendement COM-142).
Afin de préserver la capacité d'initiative des partenaires sociaux sur la certification, la commission a adopté un amendement COM-143 des rapporteurs prévoyant que les référentiels et les principes guidant l'élaboration du cahier des charges seront fixés par voie réglementaire sur proposition du CNPST . A défaut de proposition du comité à l'issue d'un délai déterminé, ces référentiels et ces principes seraient déterminés par décret en Conseil d'État.
Enfin, la commission a adopté un amendement COM-189 visant à soumettre à l'avis de l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) le CPOM de tout service de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI) opérant dans le secteur du bâtiment, en considérant qu'il serait trop complexe de généraliser les conventions quadripartites dans ce secteur.
La commission a adopté cet article ainsi modifié.
Article additionnel
après l'article 8
Recours par les services de prévention
et de santé au travail autonomes aux compétences des SPSTI
Cet article, inséré par la commission, vise à permettre aux services de prévention et de santé au travail autonomes (SPSTA) de recourir par convention aux compétences des services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI).
La commission a adopté cet article additionnel.
Cet article additionnel a été inséré par l'adoption de deux amendements identiques de nos collègues Dominique Estrosi-Sassone ( COM-20 ) et Emilienne Poumirol et les membres du groupe Socialiste, écologiste et républicain ( COM-65 ).
Dans l'accord national interprofessionnel (ANI) du 9 décembre 2020, les partenaires sociaux ont considéré que les services de prévention et de santé au travail autonomes (SPSTA) devaient s'inscrire dans la même dynamique de qualité que les services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI) et qu'il serait donc utile qu'ils puissent bénéficier de compétences identiques, y compris en matière de prévention de la désinsertion professionnelle, afin de répondre à l'ensemble des besoins des employeurs et des salariés.
L'ANI a ainsi prévu que, s'ils ne peuvent assumer en propre certaines missions, les SPSTA puissent « solliciter les compétences d'un SPSTI par convention ou contrat de prestations facturées . »
Cet article additionnel vise à transposer ce point de l'ANI en ouvrant, à l'article L. 4622-4 du code du travail, la possibilité d'une coopération entre SPSTI et SPSTA.
Les rapporteurs considèrent que, si les SPSTI ne disposent pas forcément des ressources médicales suffisantes pour répondre à de telles demandes supplémentaires, la conclusion d'une convention garantit le caractère opérationnel de la mesure, qui pourrait contribuer à garantir à l'ensemble des salariés du territoire un suivi homogène.
La commission a adopté cet article additionnel ainsi rédigé.
Article 9
Réforme de la tarification des services de
prévention et de santé au travail interentreprises
Cet article prévoit des modalités de tarification adaptées à la redéfinition de l'offre des services de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI).
La commission a adopté cet article après avoir exclu le mode de calcul des cotisations en équivalent temps plein (ETP) et prévu un encadrement de leur montant par référence au coût moyen de l'offre socle de services.
I - Le dispositif proposé : une mise à jour des règles de tarification des SSTI
A. Des modalités de tarification qui manquent de transparence
Les SSTI, associations « loi de 1901 » dont les membres sont des employeurs, appartiennent conformément à la jurisprudence à la catégorie des organismes à but non lucratif, à gestion désintéressée mais ayant une activité lucrative.
Les dépenses afférentes aux services de santé au travail sont à la charge des employeurs. L'article L. 4622-6 du code du travail dispose que, dans le cas des SSTI, ces frais sont répartis « proportionnellement au nombre des salariés » .
La seule exception, résultant de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine 99 ( * ) , prévoit une répartition proportionnelle à la masse salariale pour certaines professions (mannequins, journalistes pigistes, professions artistiques).
En pratique, de nombreux SSTI se sont écartés du principe de répartition per capita prévue par la loi en fixant des cotisations assises sur la masse salariale .
La Cour de cassation a toutefois récemment rappelé que « la cotisation doit être fixée à une somme, par salarié équivalent temps plein [ETP] de l'entreprise 100 ( * ) , correspondant au montant total des dépenses engagées par le service de santé interentreprises auquel adhère l'employeur rapporté au nombre total de salariés pris en charge par l'organisme » ; elle a cependant nuancé ce principe en précisant que « seul peut être appliqué le cas échéant à ce calcul un coefficient déterminé correspondant au nombre de salariés nécessitant une surveillance médicale renforcée » 101 ( * ) .
L'IGAS a pu constater dans son rapport d'évaluation des SSTI de 2020 102 ( * ) que la situation financière de ces services est « globalement bonne ». En revanche, du fait de l'hétérogénéité des services rendus ( cf . article 8), leur tarification, qui s'avère également variable, est souvent questionnée . Alors que le coût des SSTI pour les entreprises adhérentes est estimé à un peu moins de 100 euros par salarié couvert en moyenne, l'IGAS fait état d'une forte dispersion des montants (entre 57 et 162 euros annuels par salarié). Or, faute de transparence sur les dépenses et le coût effectif moyen des SSTI, l'IGAS juge « impossible de déterminer quels sont les écarts objectivement justifiés ».
Les partenaires sociaux se sont ainsi prononcés, dans l'accord national interprofessionnel (ANI) du 9 décembre 2020, en faveur d'une tarification plus transparente en lien avec la redéfinition de l'offre de services des SSTI. Ainsi, les entreprises souhaitant obtenir des prestations complémentaires au-delà de l'ensemble socle de services fournis en contrepartie de la cotisation devraient se voir facturer le coût de ces actions dans un cadre à déterminer dans la certification .
Les partenaires sociaux ont en outre convenu que l'assemblée générale du service de prévention et de santé au travail interentreprises (SPSTI) doit se prononcer sur le niveau des cotisations , lequel est « contenu dans un seuil plafond qu'elle fixera », sous réserve que l'amplitude des cotisations n'excède pas 20 % du coût moyen national de l'offre socle . L'ANI considère comme « essentiel d'établir un contrôle financier strict, en toute transparence » permettant aux administrateurs « d'avoir une maîtrise des coûts et d'assurer un niveau de cotisation en cohérence avec le budget voté . »
B. Une adaptation à la redéfinition de l'offre de services des SPSTI
L'article 9 de la proposition de loi modifie l'article L. 4622-6 du code du travail afin de revoir les modalités de tarification des SSTI en cohérence avec la refonte de leur offre de services ( cf . article 8 ).
Le 1° prévoit, d'une part, que la règle actuelle reposant sur une cotisation proportionnelle couvrant l'ensemble des services rendus, continuera de s'appliquer aux services communs à plusieurs établissements ou à plusieurs entreprises constituant une unité économique et sociale (UES).
D'autre part, il dispose que les SPSTI feront l'objet d'une double tarification :
- les « services obligatoires » (c'est-à-dire l'ensemble socle de services introduit par l'article 8) feront l'objet d'une cotisation « proportionnelle au nombre de travailleurs suivis » ;
- les services complémentaires proposés, ainsi que l'offre spécifique de services destinés aux travailleurs indépendants ( cf . article 17), feront l'objet d'une tarification sur la base d'une grille tarifaire.
Il est précisé que le barème des cotisations et la grille tarifaire sont approuvés par l'assemblée générale du SPSTI. Est ainsi consacré dans la loi le rôle de l'assemblée générale, laquelle n'y est actuellement pas mentionnée ( cf . article 20).
Le 2° opère une coordination au sein du même article.
II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale
A. Les modifications apportées en commission
À l'initiative des rapporteures, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a confié au conseil d'administration du SPSTI la compétence d'approbation du montant des cotisations et de la grille tarifaire , ces derniers étant désormais simplement « portés à la connaissance de l'assemblée générale ». La commission a ainsi contredit, sans justification apparente, un point sur lequel s'étaient accordés les partenaires sociaux dans l'ANI ( cf. supra ).
B. Les modifications apportées en séance publique
En séance publique, l'Assemblée nationale est revenue, par l'adoption de cinq amendements identiques déposés par des membres des groupes Les Républicains et Mouvement démocrate et Démocrates apparentés, sur la modification effectuée en commission. Elle a ainsi rétabli la compétence d'approbation du montant des cotisations et de la grille tarifaire de l'assemblée générale du SPSTI.
En outre, un amendement du groupe Mouvement démocrate et Démocrates apparentés a précisé les modalités d'application de la réforme aux services de santé et sécurité au travail en agriculture . Le taux de la cotisation, ainsi que la répartition des recettes et compensations de charges des caisses de mutualité sociale agricole (MSA), resteront ainsi fixés par la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA). De plus, la CCMSA serait compétente pour fixer, le cas échéant, la grille tarifaire applicable à l'offre de services complémentaires.
L'Assemblée nationale a adopté cet article ainsi modifié.
III - La position de la commission : rendre plus équitable et homogène le calcul des cotisations
La rédaction adoptée par l'Assemblée nationale va dans le sens souhaité par les partenaires sociaux, en cohérence avec la redéfinition de l'offre de services des SSTI.
Malgré la diversité des pratiques actuelles, cet article réaffirme le principe d'une cotisation proportionnelle au nombre de travailleurs. Il rend cependant la tarification plus juste en intégrant dans l'assiette l'ensemble des « travailleurs suivis », qui recouvre toute personne placée à quelque titre que ce soit sous l'autorité de l'employeur, et non les seuls salariés. Faute de précision contraire, la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle l'effectif doit être comptabilisé en ETP demeurerait applicable.
Toutefois, les rapporteurs considèrent que le mode de calcul en ETP ne reflète pas la réalité de la mission des SPST : en matière de prévention et de santé au travail, un salarié à temps partiel doit faire l'objet du même suivi qu'un salarié à temps plein. De plus, il est inéquitable à l'égard des services localisés dans des territoires qui comptent une proportion importante de travailleurs saisonniers ; en sens contraire, il est moins favorable aux employeurs ou aux secteurs d'activité qui ont le moins recours aux contrats courts.
Une modification de ce mode de calcul permettrait en outre de mettre fin aux contentieux causés par la diversité actuelle des pratiques, certains SSTI continuant à privilégier d'autres méthodes de tarification que le calcul en ETP.
Sur la proposition des rapporteurs, la commission a ainsi adopté un amendement (COM-144) précisant que le nombre de travailleurs suivis doit être calculé de telle sorte que chaque travailleur compte pour une unité, et non proratisé en ETP .
Conformément à la position des partenaires sociaux exprimée dans l'ANI, la commission a par ailleurs souhaité encadrer la fixation du niveau des cotisations par le SPSTI dans un « tunnel » défini par référence au coût moyen de l'ensemble socle de services (amendement COM-145). Les modalités de cet encadrement pourront être précisées par voie réglementaire après qu'aura été réalisée une étude au niveau national des déterminants des coûts des SPSTI.
La commission a adopté cet article ainsi modifié.
Article 10
Renforcement de la transparence des documents produits par
les SPSTI
Cet article prévoit la communication et la publication par les services de prévention et de santé au travail (SPSTI) d'une liste de documents en vue de renforcer la transparence de leur activité.
La commission a modifié cet article afin de renvoyer au décret la liste exhaustive des documents devant être communiqués et publiés.
I - Le dispositif proposé : renforcer les obligations de communication des SPSTI auprès de leurs adhérents et du public
A. Des obligations documentaires actuellement limitées
Les obligations documentaires des services de santé au travail interentreprises (SSTI) sont actuellement définies au niveau réglementaire.
Les SSTI doivent communiquer leurs statuts et, le cas échéant, leur règlement intérieur aux employeurs lors de leur demande d'adhésion, accompagnés de la grille des cotisations et d'un document détaillant les contreparties individualisées de l'adhésion 103 ( * ) .
Pour chaque entreprise adhérente, une fiche d'entreprise est établie dans l'année qui suit son adhésion par l'équipe pluridisciplinaire. Elle est transmise à l'employeur qui la présente au comité social et économique (CSE). Elle est également tenue à la disposition de la DIRECCTE et peut être consultée par les agents des CARSAT 104 ( * ) .
Par ailleurs, le rapport annuel d'activité , établi par le médecin du travail pour les entreprises dont il a la charge en application de l'article L. 4624-1 du code du travail, est remis au conseil d'administration et, selon les cas, au CSE interentreprises et à la commission de contrôle 105 ( * ) .
La synthèse annuelle d'activité établie par le directeur du service, qui rend compte de la réalisation des actions approuvées dans le cadre du projet pluriannuel de service prévu à l'article L. 4622-16, doit être remise aux mêmes organes.
Quant aux contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) qui lient les SSTI à la DIRECCTE et à la CARSAT 106 ( * ) , ils sont actuellement publiés mais ne doivent pas faire l'objet d'une communication spécifique aux adhérents.
B. Un principe de transparence matérialisé dans la loi
L'article 10 introduit au niveau législatif, dans un nouvel article L. 4622-16-1 du code du travail, l'obligation pour le SSTI , désormais dénommé service de prévention et de santé au travail (SPSTI) (cf. article 1 er ), de communiquer à ses adhérents ainsi qu'au nouveau comité régional de prévention et de santé au travail (CRPST) 107 ( * ) et de rendre publics une liste de documents dont il dispose ou qu'il produit. Il s'agit :
- de ses statuts ;
- des résultats de sa dernière procédure de certification, en application des dispositions de l'article 8 ;
- du CPOM ;
- du projet de service pluriannuel ;
- de l'ensemble socle de services défini par le comité national de prévention et de santé au travail (CNPST) en application des dispositions de l'article 8 ;
- de l'offre de services complémentaires que le SPSTI peut déterminer en application de l'article 8 ;
- du dernier rapport annuel d'activité établi par le médecin du travail ;
- des indicateurs de son activité, « dont la typologie des travailleurs suivis en fonction de leur statut » ;
- du barème de cotisations, de la grille tarifaire et de leurs évolutions.
Un décret doit préciser les conditions de transmission et de publicité de ces documents.
II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale
A. Les modifications apportées en commission
À l'Assemblée nationale, la commission des affaires sociales a adopté un amendement de notre collègue députée Catherine Fabre (groupe La République en Marche) précisant que le rapport annuel d'activité comprend des données relatives à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes .
La commission a également adopté un amendement rédactionnel et un amendement de coordination des rapporteures.
B. Les modifications apportées en séance publique
En séance publique, l'Assemblée nationale a adopté un amendement rédactionnel de la députée Jeanine Dubié (groupe Libertés et Territoires).
L'Assemblée nationale a adopté cet article ainsi modifié.
III - La position de la commission : rétablir la répartition entre la loi et le règlement
L'objectif de renforcer la transparence des SPSTI, notamment à l'égard des adhérents ainsi que des autorités de régulation, est louable et les rapporteurs approuvent l'inscription de ce principe dans la loi.
En revanche, comme l'a relevé le Conseil d'État dans son avis sur la proposition de loi, la liste exhaustive des documents devant être communiqués et publiés pourrait utilement être renvoyée au décret .
D'une part, il paraît contreproductif de fixer dans la loi une liste limitative de documents.
D'autre part, le partage entre la loi et le règlement apparaît ici d'autant moins cohérent que l'obligation pour le SPSTI d'établir certains des documents mentionnés dans cet article, à l'image des statuts, est fixée au niveau réglementaire. Par ailleurs, l'obligation de communiquer d'autres documents non mentionnés dans cet article, telle la synthèse annuelle transmise à l'assemblée générale, reste définie au niveau réglementaire.
Sur la proposition des rapporteurs, la commission a donc adopté un amendement renvoyant au décret la liste des documents devant être publiés et communiqués , à l'exception du contenu de l'offre socle et de l'offre complémentaire, du montant des cotisations et de la grille tarifaire (amendement COM-146). Par coordination, le contenu du rapport annuel d'activité, qui doit désormais comprendre des données relatives à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, serait précisé à l'article L. 4622-16 du code du travail pour souligner le rôle du directeur du SPSTI de rendre compte des actions mises en oeuvre dans le cadre du projet de service pluriannuel.
La commission a adopté cet article ainsi modifié.
Article 11
Accès des professionnels de santé des services
de prévention et de santé au travail au dossier médical
partagé du travailleur
Cet article ouvre au médecin du travail l'accès au dossier médical partagé du travailleur sous réserve du consentement exprès de ce dernier, dans un objectif de renforcement de la coordination du parcours de santé du travailleur entre la médecine du travail et la médecine de ville.
La commission a prévu la possibilité pour le travailleur d'accorder l'accès à son DMP non seulement au médecin du travail mais également à tout professionnel de santé du SPST participant à son suivi médical, dont l'infirmier de santé au travail. Elle a également modifié l'article afin de prévoir que l'accord du travailleur ne pourra pas être accordé oralement et que la demande d'accès devra faire l'objet d'une procédure dématérialisée, afin que le travailleur ne s'estime pas contraint d'accorder l'accès à son DMP lors d'un entretien avec la médecine du travail.
La commission a adopté cet article ainsi modifié
I - Le dispositif proposé : l'approfondissement du dialogue entre la médecine du travail et la médecine de ville
A. Un décloisonnement entre la médecine du travail et la médecine de ville amorcé par la loi « Santé » du 24 juillet 2019
L'article 51 de la loi « Santé » 108 ( * ) du 24 juillet 2019 a prévu d'intégrer le dossier médical en santé au travail (DMST) du travailleur dans son dossier médical partagé (DMP) à compter du 1 er juillet 2021. Alors que le DMST ne pouvait jusqu'ici être communiqué qu'à un médecin choisi par le travailleur à la demande expresse de ce dernier, le DMST pourra, une fois intégré au DMP, être accessible à tout professionnel de santé prenant en charge le travailleur, sauf opposition de sa part. Le même article 51 a également supprimé, à l'article L. 1111-18 du code de la santé publique, l'interdiction pour la médecine du travail d'avoir accès au DMP par la possibilité pour la médecine du travail d'y accéder dans le but unique d'y verser des documents, tels que des fiches d'exposition.
Dans leur rapport d'information sur la santé au travail d'octobre 2019 109 ( * ) , les rapporteurs de la commission des affaires sociales du Sénat ont appelé à poursuivre le renforcement de la collaboration entre la médecine du travail et de la médecine de ville, en proposant de permettre au salarié de consentir à l'accès, total ou partiel, à son DMP par le médecin du travail, en préservant la possibilité pour le salarié de revenir à tout moment sur les conditions de cet accès afin qu'il puisse « décider de la nature des informations issues de son parcours de soins en ville ou à l'hôpital qu'il souhaite porter à la connaissance du médecin du travail. » Ce partage d'informations entre la médecine du travail et la médecine de ville doit permettre de mieux adapter l'environnement professionnel du travailleur à son état de santé, en facilitant le cas échéant la prise en compte par le médecin du travail des éventuelles contraintes du parcours de soins du travailleur - par exemple, en cas de maladie chronique ou de cancer - pour anticiper les aménagements nécessaires à son maintien en emploi.
Pour mémoire, selon des informations de la caisse nationale de l'assurance maladie, 9,3 millions de DMP étaient ouverts en juillet 2020. L'ouverture du DMP deviendra automatique au plus tard le 1 er janvier 2022 110 ( * ) , au même moment où devra intervenir l'ouverture automatique de l'espace numérique de santé dont le DMP constitue une composante socle.
B. L'extension de l'accès des professionnels de santé des SPST au DMP
L'article 11 de la proposition de loi ouvre l'accès au DMP à tout professionnel chargé du suivi de santé d'un travailleur dans le cadre de la médecine du travail sous réserve du consentement de l'intéressé :
- son 1° modifie le III de l'article L. 1111-17 du code de la santé publique afin d'élargir le champ des professionnels susceptibles d'accéder au DMP d'une personne, sous réserve que celle-ci y ait consenti après avoir été préalablement informée : aux côtés des professionnels participant à la prise en charge d'une personne dans le cadre de la médecine de ville ou hospitalière, sont ajoutés les professionnels participant « au suivi de son état de santé en application de l'article L. 4624-1 du code du travail », c'est-à-dire le médecin du travail, et sous l'autorité de celui-ci, le collaborateur médecin 111 ( * ) , l'interne en médecine du travail et l'infirmier ;
- son 2° supprime le quatrième alinéa de l'article L. 1111-18 du code de la santé publique, aux termes duquel « le dossier médical partagé n'est pas accessible dans le cadre de la médecine du travail. » L'article 51 de la loi « Santé » du 24 juillet 2019 avait modifié cet alinéa pour qu'il prévoie, à compter du 1 er juillet 2021, que « dans le cadre de la médecine du travail, le dossier médical partagé est accessible uniquement pour y déposer des documents. »
II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale
A. En commission
Afin de tenir compte des observations du Conseil d'État, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a adopté un amendement de réécriture de l'article 11 de la proposition de loi, présenté par ses rapporteures.
• D'une part, dans son avis sur la proposition de loi, le Conseil d'État a rappelé que « le salarié ne bénéficie pas du libre choix du médecin du travail ou du professionnel du service de santé au travail qui assure son suivi » et que « le dossier médical partagé contient des informations médicales, le cas échéant très anciennes, qui ne sont pas toutes nécessaires à l'exercice des missions de la médecine du travail. » En résulte une différence de situation entre, d'une part, la relation entretenue par le travailleur avec le médecin du travail et, d'autre part, le colloque singulier qui s'établit entre le patient et son médecin traitant ou spécialiste, qui peut justifier des modalités d'accès au DMP différentes.
L'amendement adopté par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale en tire les conséquences en limitant la possibilité d'accès au DMP au seul médecin du travail et la conditionne au consentement exprès du travailleur et à son information préalable quant aux possibilités de restreindre l'accès au contenu de ce dossier. Il convient de rappeler qu'un consentement manifesté expressément n'emporte pas nécessairement la production d'un écrit : une approbation orale peut suffire, pour autant qu'elle soit donnée sans équivoque.
À titre de comparaison, le III de l'article L. 1111-17 du code de la santé publique prévoit que le professionnel de santé participant à la prise en charge d'un patient peut accéder à son DMP « sous réserve du consentement de la personne préalablement informée ». L'article R. 1111-38 du même code permet, en outre, au titulaire du DMP de décider que des informations du DMP ne soient pas accessibles aux professionnels de santé autorisés à accéder à son dossier. L'article R. 1111-41 dudit code précise que le consentement pour l'accès au DMP donné au professionnel de santé membre d'une équipe de soins est réputé donné à l'ensemble des professionnels de santé membres de cette équipe ; en revanche, dans les autres cas, le consentement doit être donné directement par le patient au professionnel concerné, sauf l'hypothèse où un professionnel de santé recueille le consentement pour le compte d'un autre avec l'accord et l'information du patient.
• D'autre part, le Conseil d'État a estimé nécessaire de compléter les garanties de confidentialité entourant l'accès par le médecin du travail aux informations contenues dans le DMP en prévoyant qu'« aucune conséquence ne saurait être tirée du refus du salarié d'autoriser le médecin du travail à accéder à son dossier médical partagé » et que les informations acquises par la consultation du DMP sont exclues de celles que le médecin du travail est tenu, en cas de litige devant le conseil de prud'hommes, de communiquer au médecin mandaté par l'employeur.
En conséquence, l'amendement adopté par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale entend :
- faciliter l'expression par le travailleur d'un éventuel refus à une demande d'accès à son DMP formulée par le médecin du travail : est ainsi inséré dans le code du travail un nouvel article L. 4624-8-1 précisant que le travailleur peut s'opposer à l'accès des professionnels chargés du suivi de son état de santé en application de l'article L. 4624-1 du même code, que ce refus ne constitue pas une faute, ni ne peut servir de fondement à un avis d'inaptitude et que ce refus n'est pas porté à la connaissance de l'employeur ;
- empêcher, en cas de litige prud'homal concernant un avis du médecin du travail, qu'il puisse être exigé de ce dernier la communication d'informations issues du DMP.
B. En séance
En séance, les députés ont adopté, à l'initiative des rapporteures de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale deux amendements rédactionnels et un amendement procédant à une coordination au sein de l'article 51 de la loi « Santé » du 24 juillet 2019.
III - La position de la commission : préserver la relation de confiance entre le travailleur et la médecine du travail
Conformément aux propositions formulées par les rapporteurs dans leur rapport d'information d'octobre 2019 sur la santé au travail, la commission est convaincue que le décloisonnement de la médecine du travail et de la médecine de ville et hospitalière passe par un renforcement du partage, dans le strict respect du secret médical, d'informations de nature à faciliter la coordination du parcours de soins du travailleur et à faciliter la conciliation de sa vie professionnelle et des contraintes éventuelles liées à son état de santé ou à sa prise en charge.
Aux termes de l'article L. 4623-8 du code du travail, le médecin du travail exerce ses missions dans les conditions d'indépendance professionnelles définies et garanties par loi. Les autres professionnels de santé du service de santé au travail participant, en application de l'article L. 4624-1 du même code, au suivi individuel de l'état de santé du travailleur - c'est-à-dire le collaborateur médecin, l'interne en médecine du travail et l'infirmier de santé au travail - interviennent sous l'autorité du médecin du travail qui anime et coordonne l'équipe pluridisciplinaire. Ils sont donc soumis aux mêmes conditions d'indépendance professionnelle. Le médecin du travail et les autres professionnels de santé membres de l'équipe pluridisciplinaire sont, en outre, soumis aux exigences déontologiques de protection du secret professionnel propres à leur profession médicale 112 ( * ) ou paramédicale 113 ( * ) .
Compte tenu du renforcement du statut de l'infirmier en santé au travail et du rôle déterminant qu'il a vocation à jouer dans le suivi du travailleur dans le cadre des délégations de tâches, la commission estime indispensable d'ouvrir la possibilité que l'accès au DMP soit accordé par le travailleur non seulement au médecin du travail mais également à tout autre professionnel de santé qui, sous l'autorité du médecin du travail, intervient dans le suivi individuel de son état de santé. À l'initiative de ses rapporteurs, elle a adopté un amendement COM-147 en ce sens qui prévoit également la possibilité pour le médecin praticien correspondant d'avoir accès au DMP avec l'accord du travailleur. L'amendement précise également que l'accès peut être consenti pour « tout ou partie » du DMP, en cohérence avec la reconnaissance de la possibilité pour le titulaire de restreindre cet accès.
Au travers de cet amendement, la commission a également tenu à préserver la relation de confiance entre le médecin du travail et le travailleur sur la question épineuse du partage du DMP. Afin que le travailleur ne s'estime pas contraint d'accorder l'accès à son DMP lors d'un entretien avec le médecin du travail, elle a adopté un précisant que l'accès ne pourra pas être accordé oralement. La demande d'accès devra ainsi faire l'objet d'une procédure dématérialisée conduisant à alerter le titulaire du DMP via l'application ou le site de consultation du DMP qu'une demande d'accès a été formulée par son médecin du travail. Il sera informé de la possibilité d'ignorer cette demande, de la refuser ou de restreindre l'accès au contenu de son dossier.
Dans un souci de renforcement de la protection du travailleur, cet amendement prévoit, en outre, que les informations recueillies dans le dossier médical partagé restent confidentielles et ne peuvent être communiquées ni à l'employeur de la personne ni à un employeur auprès duquel la personne sollicite un emploi. Cette précision reprend la rédaction du III de l'article L. 4163-1 du code du travail qui interdit à tout employeur s'acquittant de son obligation de déclaration relative à l'exposition du travailleur à certains facteurs de risques professionnels de communiquer les informations contenues dans cette déclaration à un autre employeur auprès duquel le travailleur sollicite un emploi.
Enfin, la commission a adopté un amendement COM-193 de coordination visant à préciser que le décret d'État prévu par l'article L. 1111-21 du code de la santé publique pour déterminer les conditions d'utilisation du DMP par les professionnels de santé devra tenir compte des nouvelles dispositions permettant son accès aux professionnels de santé des SPST.
La commission a adopté cet article ainsi modifié.
Article 12
Modalités d'accès au dossier médical en
santé au travail
Cet article permet aux professionnels de santé prenant en charge le travailleur en dehors de son contexte professionnel d'avoir accès à son dossier médical en santé au travail (DMST) dont les conditions de consultation et d'alimentation seront sécurisées et simplifiées par le biais de l'identifiant national de santé. Est posé, en outre, le principe de la portabilité de ce dossier tout au long de la vie professionnelle du travailleur en permettant son transfert entre SPST compétents.
La commission a consacré le DMST comme l'outil central de la collecte des données d'exposition professionnelle et a précisé son articulation avec le DMP en prévoyant que celui-ci comportera, avec l'accord de l'intéressé, un volet « santé au travail » dans lequel seront versés les éléments du DMST nécessaires au développement de la prévention ainsi qu'à la coordination, à la qualité et à la continuité des soins.
I - Le dispositif proposé : un renforcement de l'interconnexion entre le DMST et le DMP
A. Un rapprochement récent du DMST et du DMP...
• Auparavant inscrit dans la partie règlementaire du code du travail 114 ( * ) , le dossier médical en santé au travail (DMST) a été introduit dans la loi à l'occasion de l'examen de la réforme des retraites de 2010 115 ( * ) . Aux termes de l'article L. 4624-8 du code du travail, le DMST est constitué par le médecin du travail et retrace :
- les informations relatives à l'état de santé du travailleur ;
- les expositions auxquelles il a été soumis ;
- les avis et propositions du médecin du travail, notamment les avis d'aptitude ou d'inaptitude, les mesures individuelles d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste et les mesures d'aménagement du temps de travail justifiées par des considérations relatives à l'âge ou à l'état de santé physique et mental du travailleur.
En outre, la Haute Autorité de santé (HAS) a publié en janvier 2009 des recommandations de bonne pratique sur les objectifs, le contenu et les principes de tenue et d'utilisation du DMST.
Pour certains travailleurs faisant l'objet d'une surveillance médicale renforcée, des informations relatives à leurs expositions et à leurs examens complémentaires sont consignées dans des dossiers médicaux complémentaires au DMST - sans qu'il soit toujours précisé s'ils en sont distincts ou s'ils y sont versés - ou sont versées directement dans le DMST :
- aux termes de l'article R. 4412-54 du code du travail, le médecin du travail est tenu de constituer un dossier médical individuel pour chaque travailleur exposé à des agents chimiques dangereux pour la santé, sans qu'il soit précisé si ce dossier médical est distinct du DMST ou s'il en constitue une composante. Ce dossier médical individuel doit être conservé pendant au moins 50 ans après la fin de la période d'exposition ;
- de même, un « dossier médical spécial » doit être tenu par le médecin du travail pour chaque travailleur susceptible d'être exposé à des agents biologiques pathogènes 116 ( * ) , devant être conservé dix ans après la cessation de l'exposition, voire 40 ans en fonction de l'agent pathogène. En revanche, il est précisé qu'une mention spéciale de ce dossier doit être faite au sein du DMST du travailleur ;
- pour les travailleurs exposés aux rayonnements ionisants, les éléments spécifiques de leur suivi sont versés au DMST 117 ( * ) . Dans leur cas, le DMST est conservé jusqu'à ce que le travailleur ait atteint l'âge de 75 ans et, en tout état de cause, pendant une période d'au moins 50 ans à compter de la fin de l'activité professionnelle exposante ;
- le DMST des travailleurs exerçant en milieu hyperbare doit être conservé pour une durée minimale de vingt ans 118 ( * ) .
• Le DMST est créé à l'occasion de la visite d'information et de prévention par le professionnel de santé chargé de l'assurer sous l'autorité du médecin du travail - le collaborateur médecin, l'interne en médecine du travail ou l'infirmier en santé au travail - ou lors de l'examen médical d'aptitude effectué par le médecin du travail à l'embauche des travailleurs faisant l'objet d'un suivi individuel renforcé.
En application de l'article L. 4624-8 du code du travail, le DMST est transmis par le médecin du travail en cas de risque pour la santé publique ou à sa demande au médecin inspecteur du travail. Il peut également être communiqué à un autre médecin du travail pour la continuité de la prise en charge, sauf refus du travailleur. Le travailleur ou, en cas de décès, ses ayants-droit peuvent demander la communication du DMST.
• En l'état du droit en vigueur, le DMST ne peut être communiqué qu'au médecin choisi par le travailleur. Toutefois, l'article 51 de la loi « Santé » 119 ( * ) du 24 juillet 2019 a prévu d'intégrer le dossier médical en santé au travail (DMST) du travailleur dans son dossier médical partagé (DMP) à compter du 1 er juillet 2021. À compter de cette date, le DMST est ainsi censé être accessible à tout professionnel de santé prenant en charge le travailleur, sauf opposition de sa part.
B. ... renforcé par la proposition de loi
L'article 12 de la proposition de loi modifie l'article L. 4624-8 du code du travail, relatif au DMST, dans sa rédaction résultant de l'article 51 de la loi « Santé » du 24 juillet 2019 appelée à entrer en vigueur à compter du 1 er juillet 2021 :
- le 2° complète l'article L. 4624-8 du code du travail par quatre alinéas visant à :
Ø sécuriser les conditions de saisie des données dans le DMST et d'accès au DMST, en prévoyant que, pour chaque titulaire, l'identifiant du DMST est l'identifiant national de santé mentionné à l'article L. 1111-8-1 du code de santé publique, c'est-à-dire le numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques (NIR). Le recours au NIR permettra de renforcer et de sécuriser le référencement des données de santé du travailleur ;
Ø étendre le champ des professionnels susceptibles d'avoir accès au DMST :
• il est désormais clairement précisé que le DMST est accessible aux professionnels de santé en charge du suivi médical du travailleur en application de l'article L. 4624-1 du code du travail, c'est-à-dire le médecin du travail, le collaborateur médecin, l'interne en médecine du travail et l'infirmier en santé au travail ;
• il est prévu que tous les autres professionnels de santé participant à la prise en charge du travailleur en dehors de la médecine du travail pourront avoir accès au DMST, dans les mêmes conditions que le DMP, à savoir avec le consentement de la personne préalablement informée ;
Ø poser le principe d'un partage de l'accès au DMST entre plusieurs SPST lorsque le travailleur relève de plusieurs SPST et de portabilité du DMST d'un SPST à un autre en cas de changement de service compétent, afin d'assurer la continuité du suivi du travailleur ;
Ø renvoyer à un décret en Conseil d'État, pris après avis de la CNIL, le soin de fixer les modalités de mise en oeuvre de ces dispositions ;
- par coordination, le 1° supprime les phrases initialement inscrites à l'article L. 4624-8 du code du travail relatives aux éléments modifiés par le 2° : sont ainsi supprimées, d'une part, la disposition selon laquelle le DMST est accessible aux professionnels de santé prenant en charge le travailleur en ville ou à l'hôpital sauf opposition de l'intéressé et, d'autre part, la disposition selon laquelle le DMST peut être communiqué à un autre médecin du travail dans la continuité de la prise en charge sauf refus du travailleur.
II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale
A. En commission
Outre plusieurs amendements rédactionnels, de précision et de coordination, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a adopté plusieurs tendant à modifier l'article 12 de la proposition de loi :
- un amendement de ses rapporteures limite le contenu des informations accessibles aux professionnels de santé exerçant sous l'autorité du médecin du travail et aux professionnels de santé de ville ou hospitaliers aux seuls éléments nécessaires à la coordination des soins. Par cet amendement, elles ont souhaité tenir compte des observations du Conseil d'État qui, dans son avis sur la proposition de loi, rappelle que « certaines informations figurant habituellement dans les dossiers médicaux en santé au travail et relatives par exemple à l'employeur du salarié ou à leurs relations de travail ne relèvent pas de la logique ayant présidé à la création du dossier médical partagé » et considère que « permettre à tout professionnel de santé d'y avoir accès porterait au droit au respect de la vie privée une atteinte qui n'est pas justifiée par l'objectif de protection de la santé » ;
- un amendement de députés du groupe La République en marche, ayant reçu l'avis favorable des rapporteures, précise que le DMST pourra être accessible « uniquement à des fins de consultation » afin de préserver le monopole de la médecine du travail dans l'alimentation du DMST. Toutefois, il est à noter que cette précision concerne l'accès au DMST autant des professionnels de santé de ville ou hospitaliers que des professionnels de santé exerçant sous l'autorité du médecin du travail, restreignant ainsi l'accès au DMST dont bénéficient aujourd'hui ces derniers ;
- un amendement des rapporteures précise les modalités de consentement du travailleur à l'accès des professionnels de santé, autres que le médecin du travail : le DMST leur sera accessible « sous réserve du consentement du travailleur préalablement informé ».
B. En séance
En séance, l'Assemblée nationale a adopté un amendement, accepté par la commission et le Gouvernement et déposé par des députés du groupe Les Républicains, ouvrant la possibilité pour le médecin praticien correspondant d'ouvrir un DMST et d'y accéder. En effet, il est prévu, par l'article 21 de la proposition de loi, que le médecin praticien correspondant, disposant d'une formation en médecine du travail, contribue, en lien avec le médecin du travail, au suivi médical du travailleur, à l'exception du suivi médical renforcé des travailleurs exposés à des risques particuliers.
L'Assemblée nationale a adopté un second amendement, avec les avis favorables de la commission et du Gouvernement, reprenant la formulation proposée par le Conseil d'État pour définir le contenu des informations du DMST qui seront accessibles aux professionnels de santé exerçant sous l'autorité du médecin du travail et aux professionnels de santé de ville et hospitaliers : il s'agira des éléments nécessaires au développement de la prévention ainsi qu'à la coordination, la qualité et la continuité des soins.
III - La position de la commission : mieux articuler le DMST et le DMP et faire du DMST un outil opérationnel de suivi des expositions professionnelles
Les rapporteurs de la commission des affaires sociales du Sénat relèvent que, dans son avis sur la proposition de loi, le Conseil d'État a suggéré de délimiter le contenu des informations du DMST versées au DMP. Il a rappelé, en effet, que l'article 51 de la loi « Santé » du 24 juillet 2019 prévoit l'intégration du DMST au sein du DMP à compter du 1 er juillet 2021. Or l'article 12 de la proposition de loi transmise par l'Assemblée nationale ne revient pas sur la première phrase de l'article L. 4624-8 du code du travail qui disposera, à compter du 1 er juillet 2021, que le DMST est « intégré au dossier médical partagé ». Dans ces conditions, le Conseil d'État a préconisé de limiter cette intégration dans le DMP aux seules informations du DMST nécessaires au développement de la prévention ainsi qu'à la coordination, à la qualité et à la continuité des soins. En outre, par souci de clarté, le Conseil d'État a suggéré de faire mention du DMST à l'article L. 1111-15 du code de la santé publique, qui liste les différentes sources d'alimentation du DMP.
Dès lors, à l'initiative de ses rapporteurs, la commission a adopté un amendement COM-149 visant à supprimer, à l'article L. 4624-8 du code du travail, la disposition selon laquelle le DMST est intégré au DMP et à préciser, en contrepartie, que ce sont les éléments nécessaires au développement de la prévention ainsi qu'à la coordination, à la qualité et à la continuité des soins qui seront versés dans un volet spécifique concernant la santé au travail au sein du DMP. Par coordination, l'existence de ce volet « santé au travail » est inscrite à l'article L. 1111-15 du code de la santé publique et il est précisé qu'il reviendra à la Haute Autorité de santé de définir les catégories d'informations issues du DMST susceptibles d'être intégrées dans ce volet du DMP. Il convient, en effet, d'assurer une homogénéité dans les versements d'éléments du DMST dans les DMP.
En outre, l'amendement COM-149 inscrit dans la loi le principe selon lequel le médecin du travail ou tout autre professionnel de santé participant au suivi médical du travail doit reporter dans le dossier médical en santé au travail (DMST) toute donnée d'exposition à un ou plusieurs des facteurs de risques professionnels mentionnés à l'article L. 4161-1 du code du travail 120 ( * ) ou toute autre donnée d'exposition à un risque professionnel qu'il estime susceptible d'affecter l'état de santé du travailleur. La saisie de ces informations dans le DMST - et par voie de conséquence dans le volet « santé au travail » du DMP si le travailleur y consent - permettra d'assurer la traçabilité des expositions tant pour le médecin du travail que le médecin traitant ou tout autre professionnel de santé prenant en charge la personne concernée. Il est également précisé, par analogie avec les déclarations dématérialisées d'exposition aux facteurs de pénibilité réalisées par l'employeur, que les données d'exposition saisies par le médecin du travail sont confidentielles et ne peuvent être communiquées à un employeur auprès duquel le travailleur sollicite un emploi.
Par ailleurs, l'amendement COM-149 opère une distinction dans les modalités d'accès au DMST entre les professionnels de santé chargés du suivi médical du travailleur qui exercent sous l'autorité du médecin du travail et les professionnels de santé de ville et hospitalier. En effet, l'article 12 de la proposition de loi transmise par l'Assemblée nationale met ces deux catégories de professionnels de santé sur le même plan dans leur accès au DMST alors que leurs rôles vis-à-vis du travailleur/patient sont différents :
- les professionnels de santé chargés du suivi médical du travailleur, que sont le collaborateur médecin, l'interne en médecine du travail et l'infirmier de santé au travail, de même qu'à l'avenir le médecin praticien correspondant, sont appelés non seulement à consulter des informations qui dépassent les seules données de prévention et de coordination, notamment des informations socio-administratives ou relatives au poste occupé par le travailleur, mais également à alimenter le DMST. C'est en particulier le cas des professionnels de santé qui, sous l'autorité du médecin, assurent la visite d'information et de prévention et peuvent être amenés, dans le cadre du protocole de délégation de tâches défini par le médecin du travail, à saisir dans le DMST les conclusions de cette visite et les principales orientations ou recommandations évoquées à cette occasion. En outre, l'article R. 4624-11 du code du travail prévoit que tout professionnel de santé du SPST chargé d'assurer la visite d'information et de prévention est tenu d'ouvrir un DMST. Il y a donc lieu de ne pas limiter aux seuls médecin du travail et médecin praticien correspondant la possibilité d'ouvrir un DMST et d'y avoir accès, aussi longtemps que cette ouverture et cet accès sont réalisés conformément au protocole de délégation de tâches ;
- pour les professionnels de santé de ville ou hospitaliers, l'accès au DMST obéit à une logique de coordination du parcours de soins et doit leur permettre de tenir compte de l'environnement professionnel du patient afin, le cas échéant, d'adapter sa prise en charge.
Dans ces conditions, l'amendement COM-149 précise que les professionnels de santé exerçant sous l'autorité du médecin du travail ont accès au DMST, sauf opposition du travailleur, et que les professionnels de santé de ville et hospitalier n'auront accès, uniquement à des fins de consultation, qu'aux informations du DMST versées dans le volet « santé au travail » du DMP, sous réserve du consentement du travailleur préalablement informé.
La commission a adopté cet article ainsi modifié.
Article 13
Intégration des données issues des dossiers
médicaux en santé au travail dans le système national de
données de santé
Cet article vise à intégrer dans le système national de données de santé les données issues des dossiers médicaux en santé au travail dans un objectif de développement de la recherche en santé au travail.
La commission a étendu aux SPST des obligations de mise en conformité avec les référentiels d'interopérabilité et de sécurité afin de garantir une exploitation optimale des données issues de la santé au travail.
La commission a adopté cet article ainsi modifié.
I - Le dispositif proposé : renforcer l'alimentation du système national de données de santé en données de santé au travail
A. Une exploitation encore limitée des données de la santé au travail en raison d'une dématérialisation et d'une interopérabilité insuffisantes
Créé par la loi « Santé » du 26 janvier 2016 121 ( * ) , le système national de données de santé (SNDS) a vu le champ des données qu'il collecte élargi par la loi « Santé » du 24 juillet 2019 pour comprendre aujourd'hui onze grandes sources de données de santé :
- les données issues des systèmes d'information hospitaliers (SIH) mis en oeuvre par les établissements de santé publics et privés qui comprennent les données médicales nominatives saisies par les praticiens hospitaliers nécessaires à l'analyse de l'activité et à la facturation de celle-ci ;
- les données issues du système national d'information interrégimes de l'assurance maladie (Sniiram), qui correspondent aux dépenses des régimes d'assurance maladie ;
- les données sur les causes de décès restituées sur les certificats de décès et collectées par le centre d'épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDC) de l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ;
- les données médicosociales du système d'information alimenté par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et géré par la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) ;
- un échantillon représentatif des données de remboursement par bénéficiaire transmises par des organismes d'assurance maladie complémentaire ;
- des données recueillies à l'occasion d'activités de prévention, de diagnostic, de soins ou de suivi social ou médicosocial, destinées aux professionnels et organismes de santé et donnant lieu à une prise en charge par l'assurance maladie ou par la branche AT-MP ;
- des données relatives à la perte d'autonomie ;
- des données à caractère personnel des enquêtes dans le domaine de la santé ;
- les données recueillies lors des visites médicales et de dépistage obligatoires réalisées au cours de la scolarité ;
- les données recueillies par les services de protection maternelle et infantile ;
- les données de santé recueillies lors des visites d'information et de prévention réalisées par les services de santé au travail.
Afin de maximiser la mise à disposition de ces
données à des fins de recherche et de renforcement de
l'efficience des soins, la loi « Santé » du
24 juillet 2019 a également créé la plateforme des
données de santé (PDS)
- plus connue sous le nom de
Health Data Hub
-, succédant à l'institut national
des données de santé. Elle a pour missions principales de
réunir, d'organiser et de mettre à disposition les données
du SNDS, d'assurer le secrétariat des demandes de traitement
et de vérifier le caractère d'intérêt public de
ces demandes et de contribuer à l'élaboration de
référentiels et de méthodologies de
référence auxquels doivent se conformer les responsables de
traitement.
Lors de son audition par la commission des affaires sociales du Sénat le 14 avril 2021, Mme Mélina Le Barbier, directrice adjointe de la direction « Santé environnement et travail » de Santé publique France, a appelé à développer l'accès aux données des services de santé au travail et à renforcer l'interopérabilité de leurs systèmes d'information afin de faciliter la conduite d'études de biosurveillance, en soulignant « l'enjeu important que constituent les données recueillies dans les SST, tant pour renseigner sur les pathologies que sur les expositions ». Dans le même esprit, M. Henri Bastos, directeur adjoint de l'évaluation des risques à l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS) a préconisé, lors de la même audition, la mise en place d'« un plan de dématérialisation progressive et de numérisation des données en santé au travail dans les SST et entreprises - notamment les fiches d'entreprises, les données d'exposition et de santé dans le respect de l'ensemble des secrets (industriel, commercial, médical, statistique) - permettant une meilleure mise à disposition, par exemple dans une base de données nationale exploitable à des fins de recherche et de production de connaissances. »
B. L'intégration des données de santé des DMST dans le SNDS
Afin de faciliter l'accès aux données de santé issues des services de santé au travail à des fins de recherche, l'article 13 de la proposition prévoit qu'en sus des données de santé recueillies lors des visites d'information et de prévention, seront intégrées dans le SNDS les données de santé issues des dossiers médicaux en santé au travail.
II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale
Dans son avis sur la proposition de loi, le Conseil d'État a relevé que les données issues des visites d'information et de prévention sont déjà incluses dans les DMST. En outre, il a souligné que la proposition de loi ne visait que l'intégration des données de santé issues des DMST, excluant ainsi les données relatives à l'emploi et aux activités professionnelles des salariés.
Afin de tenir compte de ces observations, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a adopté un amendement de ses rapporteurs prévoyant, au 11° de l'article L. 1461-1 du code de la santé publique, que les données de santé au travail intégrées au SNDS sont celles issues des DMST - celles-ci englobant par définition les données recueillies à l'occasion des visites d'information et de prévention -. En outre, est supprimée la restriction des données collectées aux seules données de santé : en effet, les données ayant trait à l'activité professionnelle des travailleurs présentent un intérêt évident pour la recherche épidémiologique en permettant de faire le lien entre l'apparition de pathologies et certaines expositions professionnelles.
III - La position de la commission : étendre aux SPST des obligations de mise en conformité avec les référentiels d'interopérabilité et de sécurité
Si elle partage pleinement l'objectif de développement de la recherche en santé au travail, la commission rappelle que l'exploitation des données issues des services de santé au travail est conditionnée à leur standardisation et à leur interopérabilité. Or la numérisation des DMST reste variable au sein des services de santé au travail, et comme le souligne le Conseil d'État dans son avis sur la proposition de loi, le contenu du DMST « peut être assez disparate d'un service de santé au travail à l'autre, en l'absence d'encadrement règlementaire. »
Dans ces conditions, la commission a adopté, à l'initiative de ses rapporteurs, un amendement COM-150 introduisant une obligation pour les SPST de garantir la sécurité et l'interopérabilité des données de santé à caractère personnel qu'ils collectent dans le cadre de leurs missions afin de permettre l'exploitation, le partage et la confidentialité de ces données. Par analogie avec les obligations d'interopérabilité des systèmes d'information en santé qu'elle a renforcées pour les établissements et professionnels de santé lors de l'examen de la loi « Santé » du 24 juillet 2019, la commission a ainsi prévu que les SPST devront se conformer, à une échéance définie par décret et, au plus tard le 1 er janvier 2024, aux référentiels d'interopérabilité et de sécurité élaborés par l'agence du numérique en santé, le cas échéant adaptés aux spécificités de l'activité des SPST. Afin de garantir le respect de cette obligation, il est prévu que la conformité à ces référentiels constituera une condition de la certification des SPST.
La commission a adopté cet article ainsi modifié.
* 83 Un tel service peut être institué lorsque l'effectif de l'entreprise atteint au moins 500 salariés (article D. 4622-5 du code du travail).
* 84 Art. D. 4622-14 du code du travail.
* 85 Art. D. 4622-15 du code du travail.
* 86 D. Chaumel, B. Maurice et J.-P. Vinquant, « Évaluation des services de santé au travail interentreprises (SSTI) », rapport IGAS, février 2020.
* 87 Les DREETS ont succédé au 1 er avril 2021 aux DIRECCTE.
* 88 Art. D. 4622-48 du code du travail.
* 89 Art. D. 4622-51 du code du travail.
* 90 Art. L. 4622-10 du code du travail.
* 91 Art. D. 4622-47 du code du travail.
* 92 Art. L. 4622-16 du code du travail.
* 93 « Pour un service universel de santé au travail », rapport d'information n° 10 (2019-2020) de M. Stéphane Artano et Mme Pascale Gruny, fait au nom de la commission des affaires sociales, 2 octobre 2019.
* 94 Cf. article 1 er .
* 95 Décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989.
* 96 Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie - Article 137.
* 97 Règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.
* 98 Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
* 99 Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine.
* 100 En pratique, les salariés à temps partiel doivent donc être pris en compte au prorata de leur temps de travail.
* 101 Cour de cassation, chambre sociale, arrêt n° 1293 du 19 septembre 2018 (17-16.219).
* 102 D. Chaumel, B. Maurice et J.-P. Vinquant, « Évaluation des services de santé au travail interentreprises (SSTI) », rapport IGAS, février 2020.
* 103 Art. D. 4622-22 du code du travail.
* 104 Art. R. 4624-46 à R. 4624-50 du code du travail.
* 105 Art. D. 4624-52 du code du travail.
* 106 Art. L. 4622-10 du code du travail.
* 107 Cf. article 26.
* 108 Loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé
* 109 Pour un service universel de santé au travail , rapport d'information n° 10 (2019-2020) de M. Stéphane Artano et Mme Pascale Gruny, fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, déposé le 2 octobre 2019.
* 110 Article 98 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique.
* 111 En application de l'article L. 4623-1 du code du travail, il s'agit d'un médecin, non spécialiste en médecine du travail et engagé dans une formation en vue de l'obtention de cette qualification auprès de l'ordre des médecins, qui exerce sous l'autorité d'un médecin du travail d'un service de santé au travail.
* 112 Aux termes de l'article R. 4127-4 du code de la santé publique, « le secret professionnel, institué dans l'intérêt des patients, s'impose à tout dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris. »
* 113 Aux termes de l'article R. 4312-4 du code de la santé publique, « le secret professionnel s'impose à tout infirmier ou infirmière et à tout étudiant infirmier dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, lu, entendu, constaté ou compris. L'infirmier ou l'infirmière instruit ses collaborateurs de leurs obligations en matière de secret professionnel et veille à ce qu'ils s'y conforment. »
* 114 Jusqu'en 2012, l'article D. 4624-46 du code du travail prévoyait qu'« au moment de la visite d'embauche, le médecin du travail constitue un dossier médical qu'il ne peut communiquer qu'au médecin inspecteur du travail, ou, à la demande de l'intéressé, au médecin de son choix. »
* 115 Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites.
* 116 Article R. 4426-8 du code du travail.
* 117 Article R. 4451-83 du code du travail.
* 118 Article 35 du décret n° 90-277 du 28 mars 1990 relatif à la protection des travailleurs intervenant en milieu hyperbare.
* 119 Loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé
* 120 Ces dix facteurs de pénibilité sont : manutentions manuelles de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques, agents chimiques dangereux, travail en milieu hyperbare, températures extrêmes, bruit, travail de nuit, travail en équipes successives alternantes et travail répétitif.
* 121 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.