II. L'ASSOUPLISSEMENT PROCÉDURAL TEMPORAIRE PRÉVU PAR L'ORDONNANCE DU 20 MAI 2020
A. UN DISPOSITIF QUI DEMEURE TRÈS ENCADRÉ
Au cours du printemps 2020, plusieurs dispositions ont été prises par le Gouvernement par voie d'ordonnance, sur le fondement d'une habilitation consentie par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 , afin d'adapter le droit des entreprises en difficulté au contexte lié à la crise sanitaire et à ses conséquences économiques.
Parmi ces dispositions, l'article 7 de l'ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l'épidémie de covid-19, applicable jusqu'au 31 décembre 2020 seulement , dispose :
« Lorsque la cession envisagée est en mesure d'assurer le maintien d'emplois, la requête prévue au deuxième alinéa de l'article L. 642-3 du code de commerce peut être formée par le débiteur ou l'administrateur judiciaire. Les débats ont alors lieu en présence du ministère public. Le tribunal statue par un jugement spécialement motivé, après avoir demandé l'avis des contrôleurs. Le recours formé par le ministère public contre ce jugement est suspensif.
« Le délai de convocation prévu à l'article R. 642-7 du code de commerce est réduit à huit jours. »
Le second alinéa de cet article, de nature réglementaire, abrège de quinze à huit jours le délai de convocation des cocontractants et titulaires de sûretés lorsque le tribunal est appelé à statuer sur le transfert au cessionnaire d'une entreprise en difficulté de contrats ou de biens grevés de sûretés spéciales. S'agissant d'une disposition de procédure, elle aurait pu être rendue applicable aux procédures en cours par simple décret.
La controverse porte aujourd'hui sur le premier alinéa, qui est, lui, de nature législative.
Cette disposition assouplit temporairement la procédure qui permet au tribunal, dans le cadre d'un plan de cession en redressement ou en liquidation judiciaire, d'ordonner la cession totale ou partielle de l'entreprise à ses dirigeants (si le débiteur est une personne morale), à leurs proches ou à ceux du débiteur personne physique. En effet, même dans le cas où l'entreprise concernée n'est pas une exploitation agricole, une requête du ministère public n'est plus exigée : une telle cession peut être ordonnée sur requête du débiteur lui-même ou de l'administrateur .
Des garde-fous procéduraux sont néanmoins conservés :
- conformément au droit commun, le jugement ordonnant la cession à une personne normalement frappée d'incapacité d'acquérir doit être spécialement motivé et rendu après avis des contrôleurs ; il peut être frappé d'appel et l'appel du ministère public est suspensif ;
- en outre, le ministère public doit être présent à l'audience , ce qui le met à même de présenter ses observations et, le cas échéant, d'interjeter appel en temps utile.
Par ailleurs, l'ordonnance fixe une condition de fond, tenant au fait que la cession envisagée soit « en mesure d'assurer le maintien d'emplois », dont la portée exacte est incertaine . Toute cession partielle ou totale d'une entreprise en redressement ou en liquidation doit répondre au triple objectif d'assurer le maintien d'activités, de tout ou partie des emplois qui y sont attachés et d'apurer le passif. Faut-il comprendre que le maintien d'emplois est la seule considération au vu de laquelle le tribunal doit apprécier la recevabilité d'une requête présentée par le débiteur ou l'administrateur sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance précitée ? Lorsque des offres concurrentes ont été présentées, le simple fait que l'offre des dirigeants ou des proches prévoit un nombre plus élevé de licenciements rend-elle cette offre irrecevable ? La jurisprudence ne va pas en ce sens : les tribunaux semblent avoir considéré que cette condition de fond était surabondante par rapport aux conditions de droit commun 13 ( * ) .
* 13 Voir Tribunal de commerce de Lille, 17 août 2020, n° 2020009730 : la requête présentée par la société en redressement a été jugée recevable (quoique finalement rejetée au fond) en dépit du fait que l'offre présentée par l'un de ses dirigeants prévoyait la reprise d'un nombre d'emplois inférieur à celui prévu par une offre concurrente.