Rapport n° 170 (2020-2021) de Mme Claudine THOMAS , fait au nom de la commission des lois, déposé le 2 décembre 2020
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INTRODUCTION
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EXAMEN EN COMMISSION
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RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE
L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS DU RÈGLEMENT DU
SÉNAT (« CAVALIERS »)
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LISTE DES PERSONNES ENTENDUES ET
CONTRIBUTIONS ÉCRITES
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LA LOI EN CONSTRUCTION
N° 170
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021
Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 décembre 2020
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi visant à supprimer la possibilité ouverte au dirigeant d'une entreprise de déposer une offre de rachat de l' entreprise après avoir organisé son dépôt de bilan ,
Par Mme Claudine THOMAS,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Jacky Deromedi, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, M. Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Mikaele Kulimoetoke, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .
Voir les numéros :
Sénat : |
714 (2019-2020) et 171 (2020-2021) |
INTRODUCTION
Réunie le 2 décembre 2020 sous la présidence de François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), la commission des lois a examiné le rapport de Claudine Thomas (Les Républicains - Seine-et-Marne) sur la proposition de loi n° 714 (2019-2020) visant à supprimer la possibilité ouverte au dirigeant d'une entreprise de déposer une offre de rachat de l'entreprise après avoir organisé son dépôt de bilan , présentée par Sophie Taillé-Polian et inscrite à l'ordre du jour du Sénat à la demande du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.
La commission n'a pas adopté cette proposition de loi , considérant que la disposition que le texte prévoit d'abroger ne constitue qu'un assouplissement très modéré et temporaire de la procédure de droit commun permettant à un dirigeant, à ses parents et alliés ou à ceux de l'entrepreneur individuel de reprendre une entreprise en difficulté, cette possibilité ayant en outre été appliquée avec beaucoup de prudence par les juridictions.
I. LA REPRISE D'UNE ENTREPRISE EN DIFFICULTÉ PAR SES DIRIGEANTS : UNE INTERDICTION DE PRINCIPE ET DES EXCEPTIONS
A. OBJECTIFS ET RÉGIME JURIDIQUE DE LA CESSION D'ACTIFS EN PROCÉDURE COLLECTIVE
La cession des actifs d'une entreprise en difficulté n'était traditionnellement envisagée par le droit des procédures collectives que comme une opération liquidative visant au désintéressement des créanciers . La loi n° 67-563 du 13 juillet 1967 sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes en confiait le soin au syndic (ancêtre du liquidateur), sitôt la liquidation des biens prononcée par le tribunal. La loi n'envisageait pas le cas d'une cession globale de l'entreprise ou de certaines de ses unités de production, qui s'était néanmoins développée dans la pratique sous le nom de « cession à forfait ».
Depuis la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises , la cession est également considérée comme l'une des voies permettant le maintien de tout ou partie des activités de l'entreprise ainsi que des emplois qui y sont attachés , voie susceptible d'être empruntée dans le cadre d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, mais aussi dans le cadre de la procédure de sauvegarde créée par la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises.
Selon le droit en vigueur, plusieurs types de cession doivent donc être distingués :
1° La cession totale ou partielle de l'entreprise dans le but d'assurer le maintien d'activités, de préserver tout ou partie des emplois qui y sont attachés et d'apurer le passif (une cession partielle devant porter sur un ensemble d'éléments d'exploitation formant une ou plusieurs branches complètes d'activité), qui peut être ordonnée par le tribunal :
- dans le cadre d'un plan de sauvegarde (il ne peut alors s'agir que d'une cession partielle) 1 ( * ) ;
- dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire , si le ou les plans de redressement proposés apparaissent manifestement insusceptibles de permettre le redressement de l'entreprise, ou en l'absence de tels plans (si la cession est partielle, les autres activités de l'entreprise doivent faire l'objet d'un plan de redressement, à défaut de quoi une procédure de liquidation est ouverte conduisant à la réalisation des actifs concernés) 2 ( * ) ;
- dans le cadre d'une procédure de liquidation judiciaire 3 ( * ) ;
2° La cession d'actifs isolés, dans le cadre d'une procédure de liquidation et visant exclusivement à l'apurement du passif (lorsque la cession totale de l'entreprise n'a pas été possible, ou pour liquider les actifs non compris dans une cession partielle). La vente d'actifs isolés, mobiliers ou immobiliers, est opérée par le liquidateur sous le contrôle du juge-commissaire 4 ( * ) .
B. UNE INCAPACITÉ D'ACQUÉRIR FRAPPANT LE DÉBITEUR, SES DIRIGEANTS ET LEURS PROCHES, AINSI QUE LES CONTRÔLEURS
Tout en prévoyant expressément la possibilité d'une cession globale d'unités de production dans le cadre d'une liquidation judiciaire, la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 précitée avait fait interdiction aux dirigeants d'une personne morale en liquidation, ainsi qu'aux parents ou alliés jusqu'au deuxième degré de ces dirigeants ou du chef d'entreprise, de se porter acquéreurs 5 ( * ) . De même, dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire, seuls les « tiers » étaient habilités à présenter une offre de reprise totale ou partielle 6 ( * ) .
Au fil des réformes successives, cette incapacité fut, d'une part, étendue à d'autres personnes ainsi qu'à l'acquisition ultérieure de biens compris dans la cession, d'autre part, assortie de dérogations .
L'interdiction de principe est aujourd'hui énoncée au premier alinéa de l'article L. 642-3 du code de commerce, applicable à la cession totale ou partielle de l'entreprise en liquidation :
« Ni le débiteur, au titre de l'un quelconque de ses patrimoines, ni les dirigeants de droit ou de fait de la personne morale en liquidation judiciaire, ni les parents ou alliés jusqu'au deuxième degré inclusivement de ces dirigeants ou du débiteur personne physique, ni les personnes ayant ou ayant eu la qualité de contrôleur au cours de la procédure ne sont admis, directement ou par personne interposée, à présenter une offre. De même, il est fait interdiction à ces personnes d'acquérir, dans les cinq années suivant la cession, tout ou partie des biens compris dans cette cession, directement ou indirectement, ainsi que d'acquérir des parts ou titres de capital de toute société ayant dans son patrimoine, directement ou indirectement, tout ou partie de ces biens, ainsi que des valeurs mobilières donnant accès, dans le même délai, au capital de cette société. »
La liste des personnes frappées par l'incapacité de présenter une offre d'acquisition diffère légèrement, comme on le voit, selon que le débiteur est une personne physique ou morale.
Champ de l'incapacité à présenter
une offre
de reprise de tout ou partie de l'entreprise en
difficulté
Débiteur personne physique |
Débiteur personne morale |
||
Le débiteur lui-même
|
Le débiteur lui-même |
Directement ou par personne interposée |
|
- |
Les dirigeants de droit ou de fait de la personne morale |
||
Les parents ou alliés jusqu'au deuxième degré du débiteur |
Les parents ou alliés jusqu'au deuxième degré des dirigeants de droit ou de fait |
||
Les contrôleurs 7 ( * ) |
Les contrôleurs |
Source : commission des lois du Sénat
Ces incapacités s'appliquent également, par renvoi, à la cession partielle de l'entreprise dans le cadre d'un plan de sauvegarde, à la cession totale ou partielle de l'entreprise en redressement judiciaire, ainsi qu'à la cession d'actifs isolés dans le cadre d'une liquidation judiciaire sans plan de cession.
L'interdiction faite au débiteur, à ses dirigeants et à leurs proches d'acquérir tout ou partie des biens de l'entreprise soumise à une procédure collective se justifie par un souci de « moralisation » de la vie des affaires .
Il s'agit principalement de faire obstacle à la fraude aux intérêts des créanciers , en évitant que le débiteur ou ses dirigeants ne conservent directement ou indirectement tout ou partie des actifs de l'entreprise alors même qu'ils se seraient délestés du passif (ou auraient du moins obtenu un aménagement de leur passif sous forme de délais de paiement ou de remises de dette, dans le cadre d'un plan de sauvegarde ou de redressement). Cela importe d'autant plus que la cession est souvent ordonnée à un prix très avantageux pour le repreneur, dans le but de maintenir les activités et les emplois.
Il s'agit également d' empêcher la fraude à l'assurance contre le risque de non-paiement des créances salariales . Un dirigeant indélicat pourrait, en effet, être tenté de demander l'ouverture d'une procédure collective dans le but de faire assumer par l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS) la charge financière liée à des licenciements économiques (indemnités de licenciement, mesures d'accompagnement prévues par un plan de sauvegarde de l'emploi ou PSE), voire à des salaires ou autres créances salariales impayés . Certes, lorsqu'elle fait l'avance des sommes nécessaires au paiement de ces diverses créances, l'AGS est subrogée dans les droits des salariés et bénéficie donc des droits de préférence qui leur sont reconnus 8 ( * ) pour être payée sur le produit de la vente des biens du débiteur. Toutefois, il arrive fréquemment que l'AGS ne parvienne pas à rentrer dans ses fonds, en raison de l'insuffisance de l'actif disponible, qui peut notamment être dû à la modicité du prix payé par le repreneur.
En revanche, il est plus discutable de considérer que l'interdiction faite au débiteur, à ses dirigeants et à leurs proches d'acquérir tout ou partie des biens de l'entreprise en procédure collective permet de protéger les salariés eux-mêmes .
En effet, même dans le cadre d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, l'employeur, l'administrateur ou le liquidateur, selon le cas, reste tenu de respecter les formes prévues par le code du travail pour tout licenciement pour motif économique . Il a donc l'obligation de consulter le comité social et économique, lorsque celui-ci existe, et - s'il s'agit d'une entreprise d'au moins cinquante salariés - d'élaborer un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), dont le contenu est défini par un accord collectif validé par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) ou, à défaut, par un document établi unilatéralement par l'employeur et homologué par le Direccte. L'administration de l'État est donc en mesure de vérifier, en particulier, que les mesures d'accompagnement prévues par le PSE 9 ( * ) sont suffisantes et correctement financées . Seule la sanction de la méconnaissance de cette procédure diffère selon que l'entreprise est ou non soumise à une procédure collective 10 ( * ) .
Sanctions de la méconnaissance des obligations liées au plan de sauvegarde pour l'emploi dans les entreprises d'au moins cinquante salariés
(Les références sont faites aux articles concernés du code du travail)
Droit commun |
Entreprises en procédure collective |
|
Licenciement prononcé sans que le PSE ait été approuvé par le Direccte 11 ( * ) |
Nullité du licenciement (art. L. 1235-10) , conduisant : 1° Soit à la réintégration du salarié (art. L. 1235-11) ; 2° Soit, si le salarié ne le souhaite pas ou si sa réintégration est impossible , au versement à celui-ci : - d'une indemnité spéciale au moins égale à six mois de salaire (art. L. 1235-11) ;
- d'une indemnité pour non-respect des procédures
de consultation des représentants du personnel ou d'information de
l'autorité administrative, calculée
- de l'indemnité légale de licenciement (art. L. 1234-9) . |
Pas de nullité du licenciement, mais versement au salarié : - d'une indemnité spéciale au moins égale à six mois de salaire (art. L. 1233-58) ; - d'une indemnité pour non-respect des procédures de consultation des représentants du personnel ou d'information de l'autorité administrative, calculée en fonction du préjudice subi ; - de l'indemnité légale de licenciement. |
Licenciement antérieur à l'annulation de la décision du Direccte approuvant le PSE |
1° Réintégration du salarié ; 2° Ou, à défaut d'accord des parties , versement au salarié des indemnités susmentionnées (art. L. 1235-16) |
Versement au salarié des indemnités susmentionnées (art. L. 1233-58) |
Source : commission des lois du Sénat
C. LES DÉROGATIONS PRÉVUES PAR LE DROIT COMMUN
Les interdictions prévues au premier alinéa de l'article L. 642-3 du code de commerce connaissent des dérogations .
Une première dérogation concerne les exploitations agricoles en redressement ou en liquidation judiciaire : le tribunal peut autoriser leur cession totale ou partielle à leurs dirigeants (lorsque l'exploitant est une personne morale) ainsi qu'aux parents ou alliés de ces dirigeants ou de l'exploitant personne physique. Cette dérogation a d'abord été introduite par la loi n° 94-475 du 10 juin 1994 relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises au bénéfice des parents ou alliés de l'exploitant, afin de tenir compte de situations fréquentes dans lesquelles les parcelles voisines sont détenues par un frère ou une soeur, qui souhaite reconstituer l'exploitation familiale. Elle a été étendue aux dirigeants de l'exploitant personne morale par la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 précitée.
Par ailleurs, sous certaines conditions procédurales strictes, le tribunal ou, le cas échéant, le juge-commissaire peut ordonner ou autoriser la cession totale ou partielle de l'entreprise, ou encore la vente de biens isolés, à toute personne frappée en principe par l'incapacité d'acquérir, à l'exception du débiteur lui-même (au titre de l'un quelconque de ses patrimoines, s'il s'agit d'un EIRL) et des contrôleurs . S'agissant de la cession totale ou partielle en redressement ou en liquidation judiciaire, le tribunal ne peut ordonner une telle cession que sur requête du ministère public, par un jugement spécialement motivé et après avis des contrôleurs . Cette disposition résulte d'un compromis trouvé en commission mixte paritaire lors de l'examen de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 précitée : alors que le Gouvernement comme le Sénat souhaitaient que le tribunal puisse déroger à l'ensemble des interdictions prévues au premier alinéa de l'article L. 642-3 du code de commerce, à l'exception de celle (nouvelle) frappant les contrôleurs, par un jugement spécialement motivé et sur simple avis du ministère public et des contrôleurs, l'Assemblée nationale avait voulu réserver le bénéfice d'une telle dérogation aux parents et alliés du débiteur ou des dirigeants, à l'exception des dirigeants eux-mêmes. L'introduction d'un verrou procédural supplémentaire, lié à l'exigence d'une requête du ministère public, avait permis de conserver, quant au fond, un champ suffisamment large à la dérogation.
Conditions procédurales de droit commun permettant la cession totale ou partielle d'une entreprise en difficulté à ses dirigeants ou à leurs parents ou alliés 12 ( * )
(Les références sont faites aux articles concernés du code de commerce)
Lorsque l'entreprise en difficulté est une exploitation agricole |
Dans les autres cas |
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Cession partielle en sauvegarde (art. L. 626-1) |
Jugement spécialement motivé du tribunal, rendu sur requête du ministère public et après avis des contrôleurs |
|
Cession totale ou partielle en redressement
(art. L. 631-22, par renvoi à l'art. L. 642-3) |
Jugement du tribunal |
Jugement spécialement motivé du tribunal, rendu sur requête du ministère public et après avis des contrôleurs |
Cession totale ou partielle en liquidation
(art. L. 642-3) |
Jugement du tribunal |
Jugement spécialement motivé du tribunal, rendu sur requête du ministère public et après avis des contrôleurs (art. L. 642-3) |
Cession d'actifs isolés en liquidation (art. L. 642-20) |
Ordonnance du juge-commissaire rendue sur requête du ministère public |
Source : commission des lois du Sénat
Selon les informations recueillies par la rapporteure, ces dérogations restent assez peu employées en dehors du secteur agricole. Elles n'en sont pas moins utiles lorsque les offres d'acquisition présentées par des tiers sont, soit inexistantes, soit insuffisantes au regard du triple objectif de maintien des activités, de préservation des emplois et d'apurement du passif . Dans tous les cas où une requête du ministère public est exigée, celui-ci n'accepte, en pratique, de la présenter que si la reprise par un dirigeant ou un proche apparaît comme la seule issue à même de sauver l'entreprise et ses emplois tout en préservant suffisamment les intérêts des créanciers. Cela suppose pour le parquet d'étudier le dossier de manière approfondie dès avant l'expiration du délai imparti aux candidats repreneurs pour présenter leur offre ; les dirigeants ou les proches intéressés doivent donc lui soumettre un projet suffisamment abouti à un stade précoce de la procédure, condition parfois difficile à remplir. Enfin, le procureur de la République s'assure en général, avant de présenter sa requête, que l'offre du dirigeant ou des proches recueille l'aval de l'administrateur, des salariés et des créanciers.
II. L'ASSOUPLISSEMENT PROCÉDURAL TEMPORAIRE PRÉVU PAR L'ORDONNANCE DU 20 MAI 2020
A. UN DISPOSITIF QUI DEMEURE TRÈS ENCADRÉ
Au cours du printemps 2020, plusieurs dispositions ont été prises par le Gouvernement par voie d'ordonnance, sur le fondement d'une habilitation consentie par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 , afin d'adapter le droit des entreprises en difficulté au contexte lié à la crise sanitaire et à ses conséquences économiques.
Parmi ces dispositions, l'article 7 de l'ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l'épidémie de covid-19, applicable jusqu'au 31 décembre 2020 seulement , dispose :
« Lorsque la cession envisagée est en mesure d'assurer le maintien d'emplois, la requête prévue au deuxième alinéa de l'article L. 642-3 du code de commerce peut être formée par le débiteur ou l'administrateur judiciaire. Les débats ont alors lieu en présence du ministère public. Le tribunal statue par un jugement spécialement motivé, après avoir demandé l'avis des contrôleurs. Le recours formé par le ministère public contre ce jugement est suspensif.
« Le délai de convocation prévu à l'article R. 642-7 du code de commerce est réduit à huit jours. »
Le second alinéa de cet article, de nature réglementaire, abrège de quinze à huit jours le délai de convocation des cocontractants et titulaires de sûretés lorsque le tribunal est appelé à statuer sur le transfert au cessionnaire d'une entreprise en difficulté de contrats ou de biens grevés de sûretés spéciales. S'agissant d'une disposition de procédure, elle aurait pu être rendue applicable aux procédures en cours par simple décret.
La controverse porte aujourd'hui sur le premier alinéa, qui est, lui, de nature législative.
Cette disposition assouplit temporairement la procédure qui permet au tribunal, dans le cadre d'un plan de cession en redressement ou en liquidation judiciaire, d'ordonner la cession totale ou partielle de l'entreprise à ses dirigeants (si le débiteur est une personne morale), à leurs proches ou à ceux du débiteur personne physique. En effet, même dans le cas où l'entreprise concernée n'est pas une exploitation agricole, une requête du ministère public n'est plus exigée : une telle cession peut être ordonnée sur requête du débiteur lui-même ou de l'administrateur .
Des garde-fous procéduraux sont néanmoins conservés :
- conformément au droit commun, le jugement ordonnant la cession à une personne normalement frappée d'incapacité d'acquérir doit être spécialement motivé et rendu après avis des contrôleurs ; il peut être frappé d'appel et l'appel du ministère public est suspensif ;
- en outre, le ministère public doit être présent à l'audience , ce qui le met à même de présenter ses observations et, le cas échéant, d'interjeter appel en temps utile.
Par ailleurs, l'ordonnance fixe une condition de fond, tenant au fait que la cession envisagée soit « en mesure d'assurer le maintien d'emplois », dont la portée exacte est incertaine . Toute cession partielle ou totale d'une entreprise en redressement ou en liquidation doit répondre au triple objectif d'assurer le maintien d'activités, de tout ou partie des emplois qui y sont attachés et d'apurer le passif. Faut-il comprendre que le maintien d'emplois est la seule considération au vu de laquelle le tribunal doit apprécier la recevabilité d'une requête présentée par le débiteur ou l'administrateur sur le fondement de l'article 7 de l'ordonnance précitée ? Lorsque des offres concurrentes ont été présentées, le simple fait que l'offre des dirigeants ou des proches prévoit un nombre plus élevé de licenciements rend-elle cette offre irrecevable ? La jurisprudence ne va pas en ce sens : les tribunaux semblent avoir considéré que cette condition de fond était surabondante par rapport aux conditions de droit commun 13 ( * ) .
B. LES MOTIFS DE CET ASSOUPLISSEMENT MODÉRÉ
L'absence d'étude d'impact et de débat parlementaire sur une disposition prise par voie d'ordonnance, ainsi que le caractère laconique du rapport au Président de la République sur le projet d'ordonnance, rendent difficile d'apprécier les raisons qui ont conduit le Gouvernement à adopter cette mesure d'assouplissement procédural .
Le rapport au Président de la République se contente d'indiquer qu'il s'agissait de faciliter la cession d'entreprises mises en difficulté par la crise sanitaire, « dès lors qu'elles sont viables et si le débiteur n'est pas en mesure d'assurer lui-même la poursuite de l'activité dans le cadre d'un plan de sauvegarde ou de redressement », et pour le cas où « les dirigeants de la personne morale en liquidation judiciaire [seraient] en mesure de préserver les emplois en reprenant l'entreprise dans le cadre d'un plan de cession ». La circulaire du 16 juin 2020 précise que « les premières analyses des conséquences de la crise font apparaître (...) que le maintien des emplois imposera plus fréquemment une telle opération, dans un marché affecté par cette crise 14 ( * ) ».
Selon les informations complémentaires recueillies par la rapporteure, deux principales considérations conjoncturelles ont motivé cet assouplissement temporaire de la procédure :
- une considération d'ordre économique : on pouvait craindre que les repreneurs potentiels ne soient beaucoup moins nombreux qu'habituellement dans le contexte très incertain de la crise sanitaire ; il convenait donc de faciliter la reprise d'entreprises par leurs dirigeants eux-mêmes ;
- une considération d'ordre moral : les dirigeants d'entreprises mises en difficulté par la crise sanitaire et les mesures de police administrative prises pour y faire face (fermeture d'établissements, limitation des déplacements, etc .) n'en portant aucunement la responsabilité, il était légitime de leur permettre de présenter plus facilement des offres de reprise, en concurrence, le cas échéant, avec des candidats extérieurs.
S'y sont ajoutées des considérations indépendantes du contexte de crise et tenant au bien-fondé de la procédure de droit commun :
- l'exigence d'une requête préalable du ministère public, compte tenu notamment du fait qu'elle impose aux dirigeants, parents ou alliés de lui soumettre leur offre très en amont de l'expiration du délai normalement imparti aux candidats repreneurs, peut faire obstacle à la présentation effective d'une telle offre, quand bien même elle serait la seule possible ou la plus pertinente eu égard aux critères légaux ;
- en outre, plutôt que l'offre des dirigeants, parents ou alliés soit formulée par l'intermédiaire d'une requête (non motivée) du ministère public, il peut apparaître préférable qu'elle soit directement présentée au tribunal et soumise à débat contradictoire à l'audience ;
- enfin, certains parquets semblent réticents à endosser la responsabilité de présenter une telle requête, et estiment que leur rôle est plutôt de formuler un avis à l'audience à l'issue des débats et, le cas échéant, de faire usage de leur droit d'appel .
Ces dernières considérations semblent corroborées par la rareté des affaires où il est effectivement recouru à la faculté prévue à l'article L. 642-3 du code de commerce .
C. UNE APPLICATION PRUDENTE PAR LES JURIDICTIONS
Quelques-unes des décisions rendues par les juridictions en application de l'article 7 de l'ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 ont retenu l'attention des médias et du grand public, certains s'opposant par principe à ce qu'un dirigeant d'entreprise soit autorisé, généralement par l'intermédiaire d'une société, à reprendre son entreprise en difficulté au lieu de mettre en oeuvre un plan de redressement avec continuation d'activité.
Un examen attentif de la jurisprudence montre toutefois que les tribunaux ont fait un usage prudent de cette possibilité, le plus souvent avec l'assentiment des organes de la procédure, des salariés et du parquet . Les jugements sont rendus au vu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce, en comparant les prix proposés par les repreneurs, le périmètre des activités et le nombre d'emplois repris, les capacités financières des repreneurs et la viabilité de leur projet pour l'entreprise, le contexte social au sein de celle-ci, ainsi que le comportement passé des dirigeants.
Prenons l'exemple du groupe Ymagis , spécialisé dans la fourniture de services et de technologies numériques pour l'industrie du cinéma, dont six sociétés avaient été placées en redressement judiciaire par jugements du tribunal de commerce de Paris rendus le 30 juin 2020. Deux offres de reprise avaient été présentées, l'une par la société J.M.S. détenue à 99 % par le président directeur général de la société faîtière du groupe Ymagis, l'autre par la société Sylicone RGB.
Les deux offres étaient très proches quant au périmètre des activités reprises et au nombre d'emplois préservés, avec néanmoins un léger avantage pour celle de la société J.M.S. Le prix proposé par cette dernière (700 000 euros) était également supérieur à celui proposé par son concurrent (507 007 euros) ; dans l'un et l'autre cas, ce prix était faible eu égard aux actifs repris et très insuffisant pour assurer l'apurement du passif des sociétés en redressement (plus de 91 millions d'euros). Les deux offres étaient jugées fragiles par les administrateurs eu égard aux besoins financiers prévisibles et à la situation du marché, mais J.M.S. disposait d'un avantage tiré de « la connaissance du groupe et de l'ensemble de ses activités » (selon les administrateurs) ainsi que de la « connaissance du marché » (selon le juge-commissaire). Les représentants des salariés ayant, de leur côté, exprimé leur préférence pour l'offre de J.M.S. et le ministère public s'en étant remis à la sagesse du tribunal, celui-ci a finalement retenu l'offre de la société contrôlée par le dirigeant en place 15 ( * ) .
À l'inverse, dans le cas de la société Camaïeu , le tribunal de commerce de Lille a retenu l'offre présentée par la Financière immobilière bordelaise plutôt que celle d'un consortium dont faisait partie le dirigeant de Camaïeu, en raison principalement de l'opposition du comité social et économique à cette dernière offre (justifié notamment par le nombre légèrement plus faible d'emplois repris), et alors même que les administrateurs, les mandataires, les contrôleurs et le parquet plaidaient en faveur de l'offre du consortium 16 ( * ) .
Le tableau ci-après synthétise les principales caractéristiques des offres présentées au cours de quelques procédures qui ont eu un retentissement particulier au cours des derniers mois, et où le tribunal a ordonné la cession de tout ou partie de l'entreprise en difficulté à l'un de ses dirigeants (ou à une personne morale contrôlée au moins partiellement par ce dirigeant) 17 ( * ) . Ce tableau ne présente qu'un aperçu très schématique de chaque dossier : le nombre d'emplois repris ne dit rien, par exemple, de la viabilité à moyen terme du projet du repreneur, sur laquelle l'avis des administrateurs, du juge-commissaire et du parquet fournit en revanche des indications.
Synopsis des offres de reprise présentées dans quatre affaires concernant des entreprises en redressement judiciaire |
Alinéa |
Offre présentée indirectement par le dirigeant (seule offre globale) |
20 918 752 € |
865 (sur 1 895) |
Favorable |
Favorable |
Favorable |
Réservé |
Favorable |
Favorable |
OFFRE ACCEPTÉE |
Source : commission des lois du Sénat |
Ymagis |
Offre concurrente |
500 007 € |
702 |
Défavorable |
Défavorable |
Défavorable |
Défavorable |
N.A. |
Sagesse |
Offre rejetée |
||
Offre présentée indirectement par le dirigeant |
700 000 € |
740 |
Favorable |
Défavorable |
Favorable |
Favorable |
N.A. |
Sagesse |
OFFRE ACCEPTÉE |
|||
Camaïeu |
Offre concurrente |
2 €
|
2 750 |
Défavorable |
Défavorable |
Favorable |
Favorable |
Défavorable |
Défavorable |
OFFRE ACCEPTÉE |
||
Offre présentée indirectement par le dirigeant |
2 000 002 €
|
2 516 |
Favorable |
Favorable |
Défavorable |
Défavorable |
Favorable |
Favorable |
Offre rejetée |
|||
Orchestra-Prémaman |
Offre concurrente |
26 000 000 € |
2 242 en France 3 485 dans le monde |
Défavorable |
Réservé |
Défavorable |
Favorable |
N.A. |
Réservé |
Offre rejetée |
||
Offre présentée indirectement par le dirigeant |
35 500 000 € |
2 136 en France 3 769 dans le monde |
Favorable |
Réservé |
Favorable |
Défavorable |
N.A. |
Réservé |
OFFRE ACCEPTÉE |
|||
Prix offert |
Nombre d'emplois maintenus (directs et indirects) |
Avis des administrateurs judiciaires |
Avis des mandataires judiciaires |
Avis du juge-commissaire |
Avis des représentants des salariés |
Avis des contrôleurs |
Avis du ministère public |
Issue |
Par ailleurs, il est intéressant de constater que, dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire ouverte au bénéfice de quatre sociétés du groupe BVA (connu en particulier pour son activité de sondages), alors même que le tribunal avait été requis par le ministère public d'examiner l'offre d'une société présidée par le dirigeant du groupe, c'est une autre offre qui a été retenue par jugement du 15 septembre 2020, le tribunal ayant considéré que l'offre concurrente présentait de meilleures garanties quant à la continuité de l'activité à moyen terme, aux droits des salariés (grâce aux engagements pris en matière d'augmentation de salaire, d'intéressement et d'actionnariat salarié) et à l'apurement du passif (malgré un prix de cession apparemment moins élevé, mais grâce aux engagements pris en matière de charges augmentatives 18 ( * ) et à la non-déclaration des créances du repreneur sur le débiteur). Les avis exprimés à l'audience étaient partagés, les administrateurs et mandataires judiciaires, les membres du comité social et économique et le contrôleur se déclarant favorables à l'offre du dirigeant, tandis que le juge-commissaire plaidait en sens contraire. Quant au parquet, malgré sa requête initiale, son avis formulé à l'audience penchait plutôt pour l'offre concurrente, en dépit du « point négatif » tenant à l'absence d'adhésion des salariés 19 ( * ) .
Depuis, il ressort d'informations de presse que le ministère public a fait appel de la décision du tribunal, avec le soutien du comité social et économique 20 ( * ) , ce qui est la meilleure preuve qu'une offre présentée par un dirigeant en place peut apparaître, dans certaines situations, comme la solution la mieux à même de répondre aux intérêts des salariés comme aux exigences de l'ordre public économique .
III. LES OPTIONS OFFERTES AU LÉGISLATEUR
Sur la base de ces analyses et de ces constats, plusieurs options se présentent au législateur.
A. L'ABROGATION (OPTION RETENUE PAR LA PROPOSITION DE LOI)
La première option consisterait à abroger l'article 7 de l'ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020, comme le prévoit la proposition de loi aujourd'hui soumise à l'examen du Sénat. Plus exactement, son article 1 er vise à ratifier l'ordonnance et son article 2 à abroger l'article 7 de celle-ci.
Selon la sénatrice Sophie Taillé-Polian, auteure de la proposition de loi, en effet, cet assouplissement de la procédure de reprise a constitué un effet d'aubaine pour des dirigeants dont la mauvaise gestion avait elle-même contribué aux difficultés de leur entreprise. « En quelques semaines, certains dirigeants d'entreprise ont déjà profité de cet effet d'aubaine pour effacer une partie de leurs dettes, faciliter les licenciements des salariés, faire prendre en charge des salaires par l'Unedic puis récupérer leur entreprise ainsi allégée alors qu'elle était déjà en difficulté avant la pandémie », peut-on lire dans l'exposé des motifs de la proposition de loi.
Cette argumentation n'a pas emporté la conviction de la commission .
Tout d'abord, il est très contestable que cette disposition ait « facilité les licenciements » : ceux-ci auraient pu avoir lieu en dehors de toute procédure collective en raison des difficultés économiques rencontrées, et l'on rappellera une nouvelle fois que les licenciements en procédure collective sont soumis aux mêmes formes et garanties que les licenciements économiques de droit commun (consultation des salariés, indemnisation, accompagnement via un PSE, etc .)
Pour le reste, la commission des lois ne conteste aucunement l'importance de la « morale des affaires » , car il n'y a pas de vie civile ni d'activité économique sans confiance et sans crédit. Toutefois :
- d'autres considérations, d'ordre économique et social, doivent être également prises en compte : de deux maux - la reprise d'une entreprise par un dirigeant qui peut ne pas être exempt de toute faute de gestion, au préjudice éventuel des créanciers, d'une part, la disparition de cette entreprise et des activités et emplois qui s'y rattachent directement ou indirectement, d'autre part - il faut choisir le moindre ;
- dans le contexte de la crise sanitaire, beaucoup d'entreprises rencontrent de graves difficultés qui sont entièrement indépendantes de toute faute de gestion de leurs dirigeants . Certes, l'assouplissement procédural prévu à l'article 7 de l'ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 a une portée générale, et l'on aurait pu souhaiter qu'il soit réservé à ce type de cas. Peut-être est-il envisageable d'améliorer le dispositif pour éviter tout effet d'aubaine, mais cela n'exige pas de le supprimer purement et simplement.
On rappellera en outre que l'assouplissement dont il est question est très modéré, la procédure demeurant très encadrée . Le droit d'appel suspensif du ministère public devrait suffire à rassurer ceux qui craignent des abus.
Enfin, s'agissant de l'article 1 er de la proposition de loi, il convient de noter que le Parlement n'a nullement l'obligation de ratifier une ordonnance pour en modifier une ou plusieurs dispositions. En l'occurrence, l'ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 comprend des mesures très diverses et complexes, dont certaines ont suscité des réserves de la part de la mission de suivi de la commission des lois sur la mise en oeuvre de l'état d'urgence sanitaire 21 ( * ) ; il serait donc inopportun de la ratifier tout entière sans en avoir mené une analyse complète , ce que ne permet pas l'examen de la proposition de loi.
B. LA PROROGATION, VOIRE LA PÉRENNISATION, SOUS UNE FORME ÉVENTUELLEMENT MODIFIÉE
Une autre option consisterait à proroger l'application de l'article 7 de l'ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 au-delà du 31 décembre 2020, voire à l'inscrire dans le droit commun en modifiant l'article L. 642-3 du code de commerce.
Plusieurs personnes entendues par la rapporteure ont plaidé en ce sens, au motif notamment que les défaillances d'entreprises liées à la crise sanitaire sont encore, pour la plupart d'entre elles, à venir . Le cas des cafetiers, restaurateurs, hôteliers, petits commerçants dont les établissements ont dû fermer une nouvelle fois cet automne, en application des mesures de police prises sur le fondement de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire ou de l'état d'urgence sanitaire de nouveau en vigueur depuis le 17 octobre 2020, a été très souvent évoqué lors des auditions de la rapporteure.
Dans cette hypothèse, le dispositif pourrait éventuellement être resserré pour éviter tout effet d'aubaine . Ainsi, il serait envisageable de réserver expressément, à l'avenir, le bénéfice de cet assouplissement procédural aux dirigeants n'ayant pas commis de faute de gestion 22 ( * ) , à ceux qui n'ont dirigé aucune entreprise liquidée judiciairement au cours des années précédentes, ou encore à ceux dont le chiffre d'affaires a diminué dans une certaine proportion pendant la durée d'application des mesures de police affectant leur activité. Dans une contribution écrite adressée à la rapporteure, la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) suggère quant à elle d'en conditionner l'application à l'engagement par le dirigeant-repreneur de maintenir la totalité des emplois.
Tel ne semble pas être le choix du Gouvernement .
C. LE MAINTIEN DU DISPOSITIF PRÉVU PAR L'ORDONNANCE JUSQU'À SON TERME, SOIT LE 31 DÉCEMBRE 2020
Le Gouvernement, en effet, n'a pas demandé au Parlement la prolongation de la durée d'application de l'article 7 de l'ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 - contrairement aux articles 1 er à 6 de la même ordonnance, qui devraient être prorogés jusqu'au 31 décembre 2021 par l'article 124 de la loi d'accélération et de simplification de l'action publique 23 ( * ) . De même, ses représentants ont fait savoir à la rapporteure qu'il n'avait pas l'intention de prolonger l'application dudit article 7 sur le fondement des habilitations qui lui ont été consenties par la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire. L'examen de l'ordonnance n° 2020-1443 du 25 novembre 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises aux conséquences de l'épidémie de covid-19 le confirme.
L'exécutif, en effet, semble échaudé par les réactions très contrastées qu'a suscitées cette disposition de la part des praticiens, des organisations d'employeurs et de salariés, ainsi que de la presse généraliste et spécialisée. La procédure de droit commun permettant au dirigeant d'une entreprise de reprendre celle-ci dans le cadre d'un plan de cession était souvent ignorée, parce que rarement employée. Beaucoup de déclarations entendues au cours de l'automne ont entretenu une certaine confusion, en laissant entendre que l'ordonnance du 20 mai 2020 avait introduit cette possibilité de reprise d'une entreprise par l'un de ses dirigeants, alors qu'elle a seulement assoupli la procédure pour parvenir à ce résultat, en maintenant d'ailleurs d'importants garde-fous procéduraux et de strictes conditions de fond.
Par ailleurs, le Gouvernement considère que les acteurs économiques, les praticiens des procédures collectives et les parquets sont désormais pleinement sensibilisés à la nécessité de faciliter les cessions d'entreprises, y compris à leurs dirigeants si cela s'avère opportun, et mieux informés des souplesses prévues par le droit commun . Dès lors, l'article 7 de l'ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 aurait joué son rôle pédagogique et ne serait plus indispensable au cours des mois à venir.
Entendant cet argument, la rapporteure appelle à mobiliser l'ensemble des possibilités offertes par notre droit pour sauver des entreprises viables mais fragilisées par la crise, et pour préserver ainsi des milliers d'emplois .
En tout état de cause, et conformément à la pratique suivie au Sénat depuis 2009 en application d'un gentlemen's agreement des présidents de groupe et de commission, la proposition de loi ayant été inscrite à l'ordre du jour du Sénat à la demande d'un groupe d'opposition et dans un espace qui lui est réservé, aucun amendement ne pouvant être adopté en commission sans l'accord de ce groupe, la rapporteure a proposé le rejet du texte .
*
* *
En conséquence, la commission des lois n'a pas adopté la proposition de loi.
En application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance publique, le 10 décembre 2020, sur le texte de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.
EXAMEN EN COMMISSION
M. François-Noël Buffet , président . - Nous passons à l'examen de la proposition de loi visant à supprimer la possibilité ouverte au dirigeant d'une entreprise de déposer une offre de rachat de l'entreprise après avoir organisé son dépôt de bilan.
Mme Claudine Thomas , rapporteure . - La proposition de loi visant à supprimer la possibilité ouverte au dirigeant d'une entreprise de déposer une offre de rachat de l'entreprise après avoir organisé son dépôt de bilan, qui a été déposée par notre collègue Sophie Taillé-Polian le 21 septembre dernier, a pour objet principal d'abroger l'article 7 de l'ordonnance du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l'épidémie de covid-19. Cet article a temporairement assoupli la procédure permettant aux dirigeants d'une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire, ou à leurs parents ou alliés ainsi qu'à ceux du débiteur personne physique, de présenter une offre d'achat partiel ou total de l'entreprise. Ce dispositif est temporaire : il ne s'applique que jusqu'au 31 décembre 2020.
Le code de commerce interdit en principe au débiteur, à ses dirigeants ou à leurs parents ou alliés de se porter acquéreurs d'une entreprise en difficulté dans le cadre d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Cette interdiction s'explique par un souci bien légitime de « moralisation » de la vie des affaires. Il s'agit d'éviter, d'une part, la fraude aux intérêts des créanciers, c'est-à-dire que le débiteur ou le dirigeant ne conserve directement ou indirectement tout ou partie des actifs de l'entreprise, alors même qu'il se serait délesté du passif ; d'autre part, la fraude à l'assurance contre le risque de non-paiement des créances salariales.
En revanche, contrairement à ce que nous entendons parfois dire, cette interdiction n'est pas destinée à protéger les salariés eux-mêmes contre un détournement de la procédure de licenciement, car les formes prévues par le code du travail pour tout licenciement pour motif économique doivent être respectées.
Le droit commun prévoit des dérogations à cette interdiction, à l'article L. 642-3 du code de commerce en faveur d'abord des exploitations agricoles, ensuite, et sous de strictes conditions procédurales, des autres entreprises : le tribunal ne peut ordonner leur cession à l'un des dirigeants, à un allié ou un proche de ceux-ci ou du débiteur personne physique que sur requête du ministère public, par un jugement spécialement motivé et après avis des contrôleurs.
Dans les faits, l'exigence d'une requête préalable du ministère public impose aux dirigeants, proches ou alliés, qui souhaitent reprendre l'entreprise de lui soumettre un projet suffisamment abouti bien avant l'expiration du délai imparti aux candidats repreneurs, ce qui peut être difficile. Cette dérogation reste d'ailleurs assez peu employée. Elle n'en a pas moins révélé son utilité dans les cas où les offres d'acquisition présentées par des tiers sont, soit inexistantes, soit insuffisantes au regard du triple objectif de maintien des activités, de préservation des emplois et d'apurement du passif qui caractérise tout plan de cession.
L'assouplissement prévu par l'ordonnance est d'ordre procédural : il permet au débiteur ou à l'administrateur de former lui-même une requête en vue d'une offre de rachat, sans exiger que le ministère public la reprenne à son compte.
Ce dispositif a suscité beaucoup d'émoi en raison d'une poignée d'affaires qui ont défrayé la chronique et qui sont à l'origine, sans doute, de cette proposition de loi. Il est, toutefois, très encadré : outre que le jugement doit être spécialement motivé et rendu après avis des contrôleurs comme le droit commun l'exige, l'ordonnance rend obligatoire la présence du ministère public à l'audience, au cours de laquelle il peut présenter des observations et, le cas échéant, interjeter appel. En outre, comme c'est toujours le cas en matière de procédures collectives, l'appel du parquet est suspensif.
Au surplus, les conditions de fond régissant le choix du cessionnaire par le tribunal demeurent : l'offre choisie doit être celle qui satisfait le mieux aux trois objectifs de maintien des activités, de préservation des emplois et d'apurement du passif.
Cet assouplissement, comme nous l'ont précisé les services de la chancellerie, a été motivé par deux raisons très pragmatiques qu'il est difficile de contester. La première est d'ordre économique : on pouvait craindre que les repreneurs potentiels ne soient beaucoup moins nombreux qu'habituellement dans un contexte économique très incertain. La seconde est d'ordre moral : les dirigeants d'entreprises mises en difficulté par la crise sanitaire n'en portant aucunement la responsabilité, il peut paraître légitime de leur permettre de présenter plus facilement une offre de reprise.
En outre, un examen attentif de la jurisprudence montre que les tribunaux ont fait un usage prudent de cette possibilité, le plus souvent avec l'assentiment des organes de la procédure, des salariés et du parquet, et au vu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce.
Par exemple, dans le cas de la société Camaïeu, le tribunal de commerce de Lille a retenu l'offre présentée par la Financière immobilière bordelaise plutôt que celle d'un consortium dont faisait partie le dirigeant de Camaïeu, en raison principalement de l'opposition du comité social et économique à cette dernière offre, justifiée notamment par le nombre légèrement plus faible d'emplois repris, et alors même que les administrateurs, les mandataires, les contrôleurs et le parquet plaidaient en faveur de l'offre du consortium.
Dans ces conditions, et après avoir entendu les acteurs concernés, je considère que la disposition critiquée ne mérite ni excès d'honneur ni excès d'indignité. En tout état de cause, il ne me paraît pas nécessaire de l'abroger, alors qu'elle est en vigueur jusqu'au 31 décembre prochain seulement. Au demeurant, cet exercice me semble un peu vain, car ce texte aurait très peu de chances d'être définitivement adopté avant cette date...
Prolonger l'application de cette mesure d'assouplissement procédural aurait pu d'ailleurs avoir du sens, éventuellement sous une forme modifiée pour dissiper toute crainte d'abus, par exemple en en subordonnant expressément le bénéfice à l'absence de toute faute de gestion de la part des dirigeants. Les difficultés des entreprises risquent d'exploser en 2021 en raison de la crise sanitaire, notamment pour ce qui concerne nos petites et moyennes entreprises, et ce dispositif aurait peut-être pu leur être utile... Les syndicats de salariés que nous avons entendus se sont d'ailleurs montrés plus ouverts à un dispositif ciblé.
Toutefois, telle n'est pas l'intention du Gouvernement d'après ce que le cabinet du garde des sceaux nous a indiqué.
Au moins l'ordonnance aura-t-elle permis aux acteurs économiques, aux praticiens des procédures collectives et aux parquets d'être désormais pleinement sensibilisés à la nécessité de faciliter les cessions d'entreprises, y compris à leurs dirigeants si cela s'avère opportun, et mieux informés des souplesses prévues par le droit commun.
Pour l'ensemble de ces raisons, je vous propose de rejeter cette proposition de loi. En application de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique porterait alors sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.
Mme Nathalie Goulet . - La proposition de loi trouve son origine dans une série d'affaires qui ont défrayé la chronique. Le dispositif aurait dû être encadré. On comprend bien que des procédures d'urgence aient été prises durant les trois premiers mois de la crise sanitaire, mais en l'occurrence, aucun garde-fou n'a été prévu, ce qui a créé des effets d'aubaine massifs inacceptables. Je comprends l'initiative de Mme Taillé-Polian.
Pour le Gouvernement, c'était « pas vu pas pris »... Il faudrait être certain que ce dispositif s'arrêtera bien le 31 décembre prochain.
M. Jean-Pierre Sueur . - Notre groupe votera cette proposition de loi, qui n'a certes qu'une dimension symbolique, car il est impossible qu'elle soit adoptée avant le 31 décembre 2020, date à laquelle l'article 7 de l'ordonnance du 20 mai 2020 cessera de s'appliquer. Par ailleurs, le cabinet du garde des sceaux a fait savoir à Mme la rapporteure que la mesure ne serait pas prorogée, ce que craignait Mme Taillé-Polian.
Néanmoins, certaines situations ont provoqué des incompréhensions et des protestations. En effet, il était possible qu'une personne mette en faillite son entreprise, fasse prendre en charge par la puissance publique un certain nombre de dépenses, notamment le paiement des salaires, puis qu'elle rachète ce qui reste de l'entreprise. Cette méthode paraît choquante, et les organisations syndicales nous ont fait part d'un certain nombre de cas où les choses se sont passées exactement comme cela.
Je me suis occupé, en tant que sénateur, d'une de ces entreprises. Selon le Comité interministériel de restructuration industrielle, avec lequel j'ai pris contact, il peut arriver que ce genre de situation ne soit en réalité ni néfaste ni condamnable : la reprise de l'entreprise par l'un de ses dirigeants peut lui permettre de perdurer, les syndicats le reconnaissent. Il n'en demeure pas moins que, dans d'autres cas, les syndicats se sont insurgés devant des procédés choquants.
Voter ce texte est un acte symbolique, mais également une mise en garde. Cela n'exclut pas de poursuivre la réflexion, et nous y sommes ouverts, car nous sommes confrontés à une crise sociale qui va devenir de plus en plus forte avec la multiplication des licenciements et des difficultés rencontrées par les entreprises.
M. Guy Benarroche . - Je m'inscris dans le droit fil des interventions de Mme Goulet et de M. Sueur.
Une règle était clairement fixée ; les exceptions, très encadrées. Avec la crise sanitaire, l'exception devient la règle. Dans certains cas, le dispositif a pu être utile à certaines entreprises. Mais d'autres, en grand nombre, ont bénéficié d'un effet d'aubaine. Vous avez cité Camaïeu ; on peut aussi évoquer Alinéa, Orchestra, Prémaman, Phildar ou Inteva Products. Ce dernier exemple correspond exactement à la situation décrite par M. Sueur : les dirigeants ont profité de l'effet d'aubaine pour effacer une partie de leur dette d'avant la crise, faciliter les licenciements de salariés, et faire prendre en charge les salaires par l'Unedic, avant de récupérer leur entreprise « allégée ».
Nous sommes convaincus que les mesures d'aides ou de facilitation à la reprise d'entreprise sont nécessaires pour faire face à la crise. Mais à force d'assouplir les règles de droit commun pour éviter les faillites, on remet en cause les dispositifs prévus pour protéger les salariés et les créanciers, et on ouvre la voie à des dérives.
Symboliquement, il est justifié de présenter une proposition de loi et de la faire voter par notre assemblée. Nous la soutiendrons.
M. Thani Mohamed Soilihi . - On peut comprendre l'émoi que ces affaires ont provoqué et la volonté d'afficher un symbole qui sous-tend cette proposition de loi. Mais les choses sont claires : le dispositif prendra fin le 31 décembre prochain. Même si nous adoptions ce texte, nous n'aurions pas le temps d'aller au bout de la navette.
Je félicite la rapporteure pour son travail. Notre groupe suivra ses recommandations.
M. Philippe Bonnecarrère . - Le sujet se prête assez peu aux questions de principe. Les tribunaux de commerce connaissent bien ces situations, et les parquets interviennent de plus en plus fortement dans les procédures.
Une mission d'information sur les outils juridiques de traitement des difficultés des entreprises vient d'être mise en place par notre commission. C'est dans ce cadre que nous pourrons apporter une réponse pertinente aux difficultés actuelles. Il aurait été préférable que nous examinions cette proposition de loi à l'issue de ce travail.
Mme Claudine Thomas , rapporteure . - Madame Goulet, je vous rassure, le dispositif prendra fin le 31 décembre prochain. La toute récente ordonnance du 25 novembre 2020 n'en a pas prolongé l'application.
Je veux rappeler que le droit commun permet déjà aux dirigeants d'une entreprise en redressement ou en liquidation de présenter une offre de reprise, sous certaines conditions. Certains d'entre vous s'en disent choqués par principe, tout en appelant à trouver les assouplissements nécessaires en temps de crise... ce qui est précisément l'objet de l'article 7 de l'ordonnance du 20 mai dernier. Soyons cohérents !
Mes chers collègues, conformément à la procédure fixée par la Conférence des présidents, il nous appartient de définir le périmètre de la proposition de loi pour l'application de l'article 45 de la Constitution relatif aux cavaliers législatifs.
Comme la proposition de loi touche, au moins formellement, à l'ensemble de l'ordonnance du 20 mai 2020, je vous propose de considérer comme recevable tout amendement portant sur les procédures de traitement des difficultés des entreprises, telles que définies au livre VI du code de commerce et au chapitre I er du titre V du livre III du code rural et de la pêche maritime.
M. François-Noël Buffet , président . - Pour conclure, je veux rappeler que la procédure dérogatoire prévue par l'ordonnance du 20 mai 2020 va prendre fin dans quelques jours, c'est désormais acté. Selon le droit commun, hors état d'urgence sanitaire, une requête du procureur de la République est requise lorsqu'un dirigeant veut reprendre sa propre entreprise. Si le parquet refuse, le tribunal ne peut pas passer outre.
On ne peut nier que le dépôt de bilan ait pu être utilisé comme un mode de gestion de l'entreprise... La procédure permet d'empêcher de tels détournements. Notre mission d'information nous permettra d'avancer sur ce sujet important.
Mais il faut aussi dire que la majorité des dirigeants sont honnêtes ! Ils n'ont aucun plaisir à venir déposer le bilan de leur entreprise au greffe du tribunal de commerce, parce qu'une page de leur vie se tourne...
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi, déposée sur le Bureau du Sénat.
RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)
Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 24 ( * ) .
De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie 25 ( * ) . Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte 26 ( * ) . Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial 27 ( * ) .
En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.
En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des lois a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 7 octobre 2020, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 714 (2019-2020) .
Ce périmètre comprend toute disposition relative aux procédures de traitement des difficultés des entreprises, telles que définies au livre VI du code de commerce et au chapitre I er du titre V du livre III du code rural et de la pêche maritime.
LISTE DES PERSONNES
ENTENDUES ET
CONTRIBUTIONS ÉCRITES
PERSONNES ENTENDUES
- Mme Sophie Taillé-Polian , sénatrice, auteure de la proposition de loi
Ministère de la justice
- Mme Christelle Hilpert , conseillère affaires civiles et prospectives au cabinet du garde des sceaux
- M. Patrick Rossi, sous-directeur du droit économique à la direction des affaires civiles et du sceau
Ministère de l'économie, des finances et de la relance
- M. Louis Margueritte , directeur du comité interministériel de restructuration industrielle
Conférence générale des juges consulaires de France
- M . Georges Richelme , président
Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ)
- M e Christophe Basse , président du CNAJMJ, mandataire judiciaire
- M e Frédéric Abitbol , vice-président du CNAJMJ, administrateur judiciaire
- M. Alain Damais , directeur général
- M. Alexandre de Montesquiou , consultant
Organisations professionnelles d'employeurs :
Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) :
- M . Bruno Dondero , président de la commission juridique
- M. Lionel Vignaud , responsable de la direction des affaires économiques
- Mme Sandrine Bourgogne , secrétaire générale adjointe
Organisations syndicales de salariés
Confédération générale du travail (CGT) :
- Mme Marie-Claire Cailletaud , membre de la direction confédérale
- M. David Meyer , responsable confédéral
Confédération générale du travail - Force ouvrière (CGT-FO) :
- M. Franck Gressier , assistant confédéral, juriste
Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE - CGC) :
- Mme Raphaëlle Bertholon
CONTRIBUTIONS ÉCRITES
Conférence nationale des procureurs de la République
Organisations professionnelles d'employeurs
Mouvement des entreprises de France (MEDEF)
Union des entreprises de proximité (U2P)
Organisations syndicales de salariés
Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl19-714.html
* 1 Article L. 626-1 du code de commerce.
* 2 Article L. 631-22 du même code.
* 3 Articles L. 642-1 et suivants dudit code.
* 4 Articles L. 642-18 et suivants du même code.
* 5 Article 155 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 précitée.
* 6 Article 21 de la même loi.
* 7 Pour mémoire, les contrôleurs sont des créanciers désignés par le juge-commissaire pour assister le mandataire judiciaire (ou, en liquidation, le liquidateur) ainsi que le juge-commissaire lui-même dans sa mission de surveillance de l'administration de l'entreprise (ou des opérations de liquidation). Les administrations financières, les organismes de sécurité sociale, les institutions de protection sociale complémentaire et supplémentaire sont désignés contrôleurs de plein droit s'ils en font la demande (ou un seul d'entre eux en cas de pluralité de demandes), ainsi que l'Association pour la gestion du régime de garantie des salaires ou AGS (article L. 621-10 du code de commerce).
* 8 À savoir le privilège général sur les meubles prévu au 4° de l'article 2331 du code civil, le privilège général sur les immeubles prévu au 2° de l'article 2375 du même code, mais aussi le superprivilège des salariés (couvrant les salaires et accessoires des soixante derniers jours) prévu à l'article L. 3253-2 du code du travail, ainsi que le privilège dit « des créances postérieures » couvrant l'ensemble des créances, y compris salariales, nées régulièrement après l'ouverture de la procédure et pour les besoins de celle-ci ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, prévu aux articles L. 622-17 et L. 641-13 du code de commerce.
* 9 Il peut s'agir d'actions de reclassement, de formation, de soutien à la création d'activités nouvelles, etc . (article L. 1233-62 du code du travail).
* 10 Cette différence de régime s'explique, en cas de cession totale ou partielle de l'entreprise, par le souci de ne pas pénaliser le repreneur qui a formulé son offre en fonction du nombre de licenciements prévus. En cas de liquidation sans plan de cession, elle s'explique encore plus aisément par la dissolution de la personne morale employeuse ou la cessation d'activité de l'employeur personne physique. S'agissant enfin des licenciements prononcés au cours de la période d'observation en redressement judiciaire, ils ne peuvent être autorisés par le juge-commissaire qu'au vu de la décision du Direccte.
* 11 Plus exactement, sans que l'accord ou le document déterminant le contenu du plan ait été validé ou homologué.
* 12 Plus exactement, aux dirigeants lorsque le débiteur est une personne morale, ou aux parents ou alliés de ces dirigeants ou du débiteur personne physique.
* 13 Voir Tribunal de commerce de Lille, 17 août 2020, n° 2020009730 : la requête présentée par la société en redressement a été jugée recevable (quoique finalement rejetée au fond) en dépit du fait que l'offre présentée par l'un de ses dirigeants prévoyait la reprise d'un nombre d'emplois inférieur à celui prévu par une offre concurrente.
* 14 Circulaire du garde des sceaux du 16 juin 2020 de présentation de l'ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020.
* 15 Tribunal de commerce de Paris, 2 octobre 2020, n° 2020031869.
* 16 Tribunal de commerce de Lille, jugement précité.
* 17 Outre les deux jugements précités, voir Tribunal de commerce de Montpellier, 19 juin 2020, n° 2020005729 et Tribunal de commerce de Marseille, 14 septembre 2020, n° 2020L01979.
* 18 Les charges augmentatives du prix s'entendent de prestations supplémentaires incombant en principe au vendeur en qualité de propriétaire, et imposés par lui à l'acquéreur dans l'acte de vente. En l'espèce, il s'agissait de la reprise de congés payés et du versement de sommes restant dues à la suite de l'acquisition de deux filiales du groupe BVA.
* 19 Tribunal de commerce de Toulouse, 15 septembre 2020, n° 2020F01218.
* 20 « Ce recours du procureur, c'est l'appel de l'espoir », entretien avec Ludovic Briey, secrétaire du CSE, La Dépêche du Midi , 12 novembre 2020.
* 21 Mieux organiser la Nation en temps de crise , rapport d'information n° 609 (20129-2020) fait, au nom de la commission des lois, par MM. Philippe Bas, François-Noël Buffet, Pierre-Yves Collombat, Mmes Nathalie Delattre, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, MM. Loïc Hervé, Patrick Kanner, Alain Richard, Jean Pierre Sueur et Dany Wattebled, p. 212-222. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/r19-609/r19-6091.pdf .
* 22 C'est ce que propose par exemple la Confédération générale du travail - Force ouvrière, à défaut d'un retour au droit commun qui a sa préférence.
* 23 Adoptée définitivement par l'Assemblée nationale le 28 octobre 2020, cette loi a fait l'objet d'une saisine devant le Conseil constitutionnel avant sa promulgation par plus de soixante députés le 3 novembre 2020.
* 24 Voir le commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.
* 25 Voir par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.
* 26 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.
* 27 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.