C. LES DÉROGATIONS PRÉVUES PAR LE DROIT COMMUN
Les interdictions prévues au premier alinéa de l'article L. 642-3 du code de commerce connaissent des dérogations .
Une première dérogation concerne les exploitations agricoles en redressement ou en liquidation judiciaire : le tribunal peut autoriser leur cession totale ou partielle à leurs dirigeants (lorsque l'exploitant est une personne morale) ainsi qu'aux parents ou alliés de ces dirigeants ou de l'exploitant personne physique. Cette dérogation a d'abord été introduite par la loi n° 94-475 du 10 juin 1994 relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises au bénéfice des parents ou alliés de l'exploitant, afin de tenir compte de situations fréquentes dans lesquelles les parcelles voisines sont détenues par un frère ou une soeur, qui souhaite reconstituer l'exploitation familiale. Elle a été étendue aux dirigeants de l'exploitant personne morale par la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 précitée.
Par ailleurs, sous certaines conditions procédurales strictes, le tribunal ou, le cas échéant, le juge-commissaire peut ordonner ou autoriser la cession totale ou partielle de l'entreprise, ou encore la vente de biens isolés, à toute personne frappée en principe par l'incapacité d'acquérir, à l'exception du débiteur lui-même (au titre de l'un quelconque de ses patrimoines, s'il s'agit d'un EIRL) et des contrôleurs . S'agissant de la cession totale ou partielle en redressement ou en liquidation judiciaire, le tribunal ne peut ordonner une telle cession que sur requête du ministère public, par un jugement spécialement motivé et après avis des contrôleurs . Cette disposition résulte d'un compromis trouvé en commission mixte paritaire lors de l'examen de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 précitée : alors que le Gouvernement comme le Sénat souhaitaient que le tribunal puisse déroger à l'ensemble des interdictions prévues au premier alinéa de l'article L. 642-3 du code de commerce, à l'exception de celle (nouvelle) frappant les contrôleurs, par un jugement spécialement motivé et sur simple avis du ministère public et des contrôleurs, l'Assemblée nationale avait voulu réserver le bénéfice d'une telle dérogation aux parents et alliés du débiteur ou des dirigeants, à l'exception des dirigeants eux-mêmes. L'introduction d'un verrou procédural supplémentaire, lié à l'exigence d'une requête du ministère public, avait permis de conserver, quant au fond, un champ suffisamment large à la dérogation.
Conditions procédurales de droit commun permettant la cession totale ou partielle d'une entreprise en difficulté à ses dirigeants ou à leurs parents ou alliés 12 ( * )
(Les références sont faites aux articles concernés du code de commerce)
Lorsque l'entreprise en difficulté est une exploitation agricole |
Dans les autres cas |
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Cession partielle en sauvegarde (art. L. 626-1) |
Jugement spécialement motivé du tribunal, rendu sur requête du ministère public et après avis des contrôleurs |
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Cession totale ou partielle en redressement
(art. L. 631-22, par renvoi à l'art. L. 642-3) |
Jugement du tribunal |
Jugement spécialement motivé du tribunal, rendu sur requête du ministère public et après avis des contrôleurs |
Cession totale ou partielle en liquidation
(art. L. 642-3) |
Jugement du tribunal |
Jugement spécialement motivé du tribunal, rendu sur requête du ministère public et après avis des contrôleurs (art. L. 642-3) |
Cession d'actifs isolés en liquidation (art. L. 642-20) |
Ordonnance du juge-commissaire rendue sur requête du ministère public |
Source : commission des lois du Sénat
Selon les informations recueillies par la rapporteure, ces dérogations restent assez peu employées en dehors du secteur agricole. Elles n'en sont pas moins utiles lorsque les offres d'acquisition présentées par des tiers sont, soit inexistantes, soit insuffisantes au regard du triple objectif de maintien des activités, de préservation des emplois et d'apurement du passif . Dans tous les cas où une requête du ministère public est exigée, celui-ci n'accepte, en pratique, de la présenter que si la reprise par un dirigeant ou un proche apparaît comme la seule issue à même de sauver l'entreprise et ses emplois tout en préservant suffisamment les intérêts des créanciers. Cela suppose pour le parquet d'étudier le dossier de manière approfondie dès avant l'expiration du délai imparti aux candidats repreneurs pour présenter leur offre ; les dirigeants ou les proches intéressés doivent donc lui soumettre un projet suffisamment abouti à un stade précoce de la procédure, condition parfois difficile à remplir. Enfin, le procureur de la République s'assure en général, avant de présenter sa requête, que l'offre du dirigeant ou des proches recueille l'aval de l'administrateur, des salariés et des créanciers.
* 12 Plus exactement, aux dirigeants lorsque le débiteur est une personne morale, ou aux parents ou alliés de ces dirigeants ou du débiteur personne physique.