III. LES MODALITÉS DE MISE EN oeUVRE DU PLAN DE RELANCE DOIVENT ÉTRE MIEUX PRÉCISÉES
A. LES EFFETS SUR L'ÉCONOMIE RISQUENT DE SE FAIRE ATTENDRE
Le Gouvernement se réjouit du lancement rapide des premiers appels à projets, par exemple pour la rénovation énergétique des bâtiments publics 10 ( * ) . Toutefois, si l'on considère cet exemple, cet appel à projets, certes lancé rapidement et avant d'attendre l'autorisation parlementaire, correspond en fait à une pré-sélection de projets, qui devront faire l'objet d'une instruction au niveau régional avant une sélection des chantiers à mener au niveau national le 30 novembre 2020. Il reste donc à lancer ensuite des marchés de conception, puis de travaux, les résultats concrets sur l'activité étant difficile à attendre avant la fin 2021 au minimum.
Si la loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP) a remonté, jusqu'au 31 décembre 2022, à 100 000 euros le seuil de passation des marchés publics en procédure simplifiée, la plupart des travaux de rénovation de bâtiments publics dépassent ce seuil. Selon le Gouvernement, 4 000 projets ont été pré-sélectionnés pour un montant total de près de 8 milliards d'euros, soit près de 2 millions d'euros par projet.
En conséquence, comme certains organismes en ont fait part au rapporteur spécial, un certain nombre d'appels à projet ne devraient pas apporter concrètement d'activité dans les secteurs avant le second semestre 2021 .
L'article 56 quinquies du présent projet de loi de finances rectificative, introduit par l'Assemblée nationale, devrait toutefois faciliter la réalisation de certains projets en autorisant le recours aux marchés de conception-réalisation dans le cadre du plan de relance.
B. LE PLAN DE RELANCE OUBLIE DE S'APPUYER SUR LES TERRITOIRES
Le Premier ministre a précisé dans une circulaire du 23 octobre dernier les dispositifs envisagés pour assurer la « territorialisation » du plan de relance 11 ( * ) . Il ressort de cette circulaire, comme des appels à projets déjà lancés, une vision « verticale » du plan de relance dans laquelle la territorialisation annoncée se limite à confier aux préfets un important pouvoir de décision .
1. Le plan de relance est associé à un dispositif de suivi local qui privilégie l'information et non la concertation ou la construction partagée des projets
Au niveau régional, un comité régional de pilotage et de suivi , co-présidé par le préfet de région, le directeur régional des finances publiques (DFRiP) et, dans les régions où un accord a été signé, le président du conseil régional, a une fonction d'information à destination du public et de remontée d'information vers l'échelon national. Ce comité sera donc utile pour garantir l'exhaustivité des informations mais il n'aura pas de pouvoir de décision, ni même, semble-t-il, d'avis à formuler sur la conduite des projets.
Au niveau des départements , un comité consultatif associe autour du préfet de département les principaux élus et représentants des corps intermédiaires afin de permettre à ces préfets de formuler eux-mêmes un avis au préfet de région sur les opérations du plan de relance localisées dans leur département.
Les préfets coordonnent également l'action des nombreux opérateurs et institutions de l'État présents dans les territoires (ADEME, ANAH, Caisse des dépôts et consignations, BPI...), chargés de mettre en oeuvre des opérations dans le cadre du plan de relance. Le rapporteur spécial note à cet égard que l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) est quasiment associée au plan de relance 12 ( * ) . En cas de désaccord avec les opérateurs, le préfet peut saisir le secrétaire général du plan de relance, voire le cabinet du Premier ministre.
Le Gouvernement a également annoncé la mise en place de « sous-préfets à la relance », précisée par une circulaire signée le 10 septembre 13 ( * ) . Ces sous-préfets peuvent être des sous-préfets existants, qui recevront un label « sous-préfet à la relance », ou correspondre à des postes nouveaux créés pour une durée d'un à deux ans, « en vue de répondre à un besoin précis sur un territoire donné s'inscrivant dans la mise en oeuvre du plan de relance ».
Ces postes sont destinés à des jeunes hauts fonctionnaires affectés dans les « grands corps » de l'État à la sortie de l'École nationale d'administration (ENA) ou de l'École polytechnique, mais aussi à de administrateurs civils et des membres d'autres corps, ainsi que des fonctionnaires de catégorie A appartenant à un corps ou un cadre d'emplois de niveau comparable. Dix sous-préfets à la relance ont été nommés le 13 novembre 2020 14 ( * ) .
Après l'économie administrée, ce plan met en oeuvre la relance administrée.
2. Le plan de relance ne laisse qu'une marge limitée à la territorialisation
S'agissant de la mise en oeuvre des mesures du plan de relance, il convient de distinguer quatre cas.
Certaines des mesures les plus importantes , sur le plan financier, sont appliquées de manière uniforme sur le territoire . Il est donc difficile d'envisager leur territorialisation. C'est le cas, notamment, de la réforme des impôts de production (20 milliards d'euros sur deux ans), du soutien à la rénovation thermique des logements privés (2 milliards d'euros) ou des PME (200 millions d'euros), des dispositifs de soutien à l'activité partielle (5 milliards d'euros) ou à l'embauche des jeunes (4 milliards d'euros). Il en est de même des dispositifs mis en oeuvre par des appels d'offre nationaux, tels que le plan de soutien aux secteurs aéronautique et automobile.
En second lieu, des appels à projets déconcentrés seront gérés par des opérateurs de l'État tels que l'ADEME ou l'ANAH, selon les procédures habituelles à ces organismes. Le plan de relance apparaît alors comme une source nouvelle de financement et les opérateurs devront seulement informer les préfets de région dans le cadre du suivi du plan de relance.
En troisième lieu, les préfets disposeront d'enveloppes spécifiques pour des projets d'investissements , qu'ils utiliseront « à leur appréciation », en portant une attention particulière aux quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et aux territoires ruraux, ou encore pour des appels à projets régionaux (rénovation thermique des bâtiments, mobilités du quotidien). La circulaire prévoit pour ces projets des « discussions » entre les préfets et les présidents de conseils régionaux.
Enfin un certain nombre de lignes de crédits correspondent à des mesures précises, pour lesquelles la circulaire prévoit de laisser une marge de manoeuvre aux préfets, tout en maintenant possible la réallocation entre un territoire et un autre.
3. Les collectivités territoriales seront surtout sollicitées pour contribuer au financement des mesures
La circulaire indique que « la contractualisation avec les collectivités territoriales participe pleinement de la réussite du plan de relance ». L'objet principal de ces conventions est toutefois surtout « d'associer les collectivités au financement des actions pour créer un effet de levier sur les crédits de l'État ».
Le Gouvernement prévoit ainsi de signer des « accords régionaux de relance » avec les conseils régionaux et les collectivités territoriales situées en outre-mer. Ces accords seront coordonnés avec la nouvelle génération de contrats de plan État-région (CPER), mais seront distincts de ces contrats pour des besoins de communication autour du plan de relance.
Les préfets pourront également contractualiser avec les départements , les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ou les communes si ces collectivités ou établissements sont susceptibles d'apporter des co-financements à certaines opérations.
4. Au total, la « territorialisation » apparaît comme une déconcentration, visant un objectif d'information et de communication et reposant sur une vision verticalisée du plan de relance
On le voit, c'est une organisation très verticalisée du plan de relance que le Gouvernement prévoit de mettre en place, dans laquelle les collectivités sont informées plus qu'elles ne participent véritablement au plan de relance national, alors même que nombre d'entre elles ont déjà lancé leurs propres initiatives en faveur de la relance sur le territoire. Le nombre des appels à projet déjà lancés, avant toute concertation avec les territoires, laisse mal augurer de la prise en compte des territoires dans le plan de relance.
Au lieu d'une territorialisation , on peut parler d'une déconcentration placée sous l'égide du ministère de l'économie, des finances et de la relance et mise en oeuvre localement par les préfets.
La mise en oeuvre du plan de relance reposera ainsi sur l'administration centrale pour les mesures uniformes au niveau national, sur les grands opérateurs de l'État pour les appels d'offre relevant de leurs compétences traditionnelles et, pour les autres mesures, sur les préfets. Les collectivités seront surtout sollicitées pour co-financer des dispositifs décidés pour l'essentiel par l'État.
On constate également que la vision du Gouvernement repose sur une vision purement quantitative du suivi . Des tableaux de bord permettront de faire remonter des informations chiffrées au niveau national, comme cela était le cas pour le plan d'urgence du printemps. Une participation réelle des collectivités territoriales permettrait pourtant d'aller plus loin que ces statistiques indispensables , et d'apporter une vision qualitative en identifiant les projets plus efficaces et en alertant sur les catégories de ménages, d'entreprises ou de territoires qui restent à l'écart.
* 10 Franc succès des appels à projets pour la rénovation énergétique des bâtiments publics de l'État dans le cadre de « France Relance » , communiqué de presse du Gouvernement, 20 octobre 2020.
* 11 Premier ministre, Mise en oeuvre territorialisée du plan de relance, circulaire aux préfets de région, aux préfets de département et aux directeurs régionaux des finances publiques, 23 octobre 2020.
* 12 L'action 07 « Cohésion territoriale » du programme 364 « Cohésion » prévoit 20 millions d'euros en autorisations d'engagement et 5 millions d'euros en crédits de paiement pour le déploiement des programmes nationaux de l'ANCT à destination des territoires les plus fragiles.
* 13 Mobilisation des jeunes hauts fonctionnaires sur nos territoires en faveur de la relance , 10 septembre 2020.
* 14 Décret du 13 novembre 2020 portant nomination de sous-préfets chargés de mission dans le cadre de la déclinaison territoriale du plan de relance.