CHAPITRE IX
DISPOSITIONS RELATIVES À L'AIDE JURIDICTIONNELLE

Article 12
Modalités d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle

L'article 12 de la proposition de loi tend à automatiser l'attribution à titre provisoire de l'aide juridictionnelle dans certains contentieux présentant un caractère d'urgence limitativement énumérés par décret en Conseil d'État . Parallèlement, il réaffirme la règle existante selon laquelle une admission provisoire ne devient définitive que si le contrôle des ressources du bénéficiaire en établit l'insuffisance.

La commission a refusé que la liste des contentieux pour lesquels une admission à titre provisoire peut être prononcée soit limitativement définie par décret . Elle a préféré s'en tenir au système actuel qui donne suffisamment de souplesse aux juridictions et aux bureaux d'aide juridictionnelle pour permettre de traiter toutes sortes de situations dans lesquelles l'admission à titre provisoire est nécessaire.

La commission a supprimé l'article 12 .

I. Le droit existant : donner à la juridiction la faculté d'attribuer l'aide juridictionnelle à titre provisoire dans les cas d'urgence

« Les personnes physiques dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice peuvent bénéficier d'une aide juridictionnelle » 42 ( * ) . Cette aide met à la charge de l'État les dépenses qui incomberaient sans elle au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle au cours de la procédure. Elle permet ainsi d'assurer de manière effective le droit au recours et les droits de la défense, qui sont garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 43 ( * ) .

Dans les cas d'urgence, la juridiction ou le bureau d'aide juridictionnelle (BAJ) peuvent admettre à titre provisoire le justiciable à l'aide juridictionnelle 44 ( * ) . Cette possibilité est spécialement rappelée dans le code civil s'agissant des ordonnances de protection : le 7° de l'article 515-11 précise ainsi que le juge aux affaires familiales est compétent pour « prononcer l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle de la partie demanderesse en application du premier alinéa de l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ».

L'admission provisoire ainsi accordée, sur appréciation de la juridiction ou du BAJ, permet au justiciable de régulariser son dossier de demande d'aide juridictionnelle après l'audience ou à la juridiction de rendre sa décision sans avoir à renvoyer à une autre audience, le temps que le BAJ se prononce sur un dossier déjà déposé 45 ( * ) .

Si l'admission provisoire est accordée, le BAJ décide dans un second temps de l'admission à titre définitif au regard des pièces du dossier, en particulier de celles justifiant des ressources du demandeur. Si le BAJ rejette la demande d'aide juridictionnelle après une admission provisoire, cette décision produit les mêmes effets qu'une décision de retrait 46 ( * ) qui « rend immédiatement exigibles [...] les droits, redevances, honoraires, émoluments, consignations et avances de toute nature dont le bénéficiaire avait été dispensé » 47 ( * ) .

Une telle admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut également être accordée lorsque « la procédure met en péril les conditions essentielles de vie de l'intéressé » (saisie de biens ou expulsion, par exemple) 48 ( * ) .

II. Le dispositif proposé : déterminer par décret en Conseil d'Etat les procédures éligibles à une aide juridictionnelle provisoire de droit

L'article 12 - dont la rédaction a très peu évolué lors de son examen à l'Assemblée nationale 49 ( * ) - propose une nouvelle rédaction de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991. Il tend à créer une admission provisoire de plein droit et à renvoyer à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer la liste des procédures présentant un caractère d'urgence permettant cette admission. Il supprime ainsi la faculté laissée aux juridictions ou aux BAJ d'allouer à titre provisoire l'aide juridictionnelle en cas d'urgence, quelle que soit la procédure concernée.

Par ailleurs, le texte proposé rappelle le caractère provisoire de l'admission en faisant figurer de manière expresse dans l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 que « l'aide juridictionnelle provisoire devient définitive si le contrôle des ressources du demandeur réalisé a posteriori par le bureau d'aide juridictionnelle établit l'insuffisance des ressources ».

III. La position de la commission : refuser une rigidification du système de l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle

Le but de la nouvelle rédaction proposée est, selon ses auteurs, de « faciliter le parcours des victimes de violences conjugales en permettant la prise en charge de la victime dès le dépôt de plainte. L'aide juridictionnelle est alors attribuée de manière provisoire puis de manière définitive sous condition de ressources » .

Toutefois, le rapporteur a estimé que cet article ne présentait qu'un apport très modeste au regard de la situation existante.

L'attention des magistrats et des BAJ est d'ores et déjà attirée sur l'importance de prononcer des admissions à titre provisoire s'agissant des femmes victimes de violences conjugales. Ainsi la circulaire publiée le 28 janvier 2020 par la garde des sceaux 50 ( * ) rappelle qu'« une attention particulière doit être apportée aux demandes d'aide juridictionnelle. À cet égard, et conformément aux dispositions de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle pourra être prononcée en urgence, y compris à l'audience ». Cette circulaire devrait entraîner une harmonisation des pratiques des différents tribunaux judiciaires.

Par ailleurs, la solution dépend avant toute chose de l'organisation des BAJ et de la manière dont ils traitent de manière prioritaire les dossiers des victimes de violences conjugales. La circulaire susmentionnée appelle ainsi les BAJ à mettre en place un circuit spécifique permettant l'attribution sous 24 heures de l'aide juridictionnelle au profit de la partie demanderesse dans le cadre des ordonnances de protection « afin de garantir la célérité du traitement procédural , outre la bonne mise en état du dossier dans les six jours impartis ». Cette solution a déjà été mise en place avec succès, par exemple au tribunal judiciaire de Bobigny. Ce faisant, les BAJ peuvent accorder directement l'aide juridictionnelle à titre définitif, ce qui accorde plus de sécurité au demandeur qu'une admission à titre provisoire.

En revanche, la rédaction proposée modifierait en profondeur le régime de l'admission à titre provisoire, quel que soit le contentieux
- judiciaire, commercial, prud'homal ou administratif - pour en restreindre l'usage aux seuls contentieux énumérés par un décret en Conseil d'État, supprimant ainsi toute possibilité pour une juridiction d'apprécier elle-même les cas urgents dans lesquels une admission provisoire serait souhaitable 51 ( * ) . Or il est important de garder à la disposition des juridictions un outil souple qui a fait la preuve de son utilité pendant la crise sanitaire du covid-19. De nombreux BAJ ont dû suspendre leur activité pendant cette période, et l'aide juridictionnelle provisoire a pu constituer une solution dans un certain nombre de dossiers urgents, en particulier les référés qui faisaient partie des contentieux essentiels maintenus.

Les auteurs de la proposition de loi n'ont pu mettre en oeuvre une préconisation du rapport d'information des députés Naïma Moutchou et Philippe Gosselin 52 ( * ) : « Prévoir que l'aide juridictionnelle est accordée, de droit, sans condition de ressources pour les victimes de violences conjugales et que ces dernières bénéficient de l'aide juridictionnelle dès le dépôt de plainte » en raison de la contrainte de la recevabilité financière. L'article 12 proposé semble donc être une « solution de repli », qui présente plus d'inconvénients que d'avantages .

À l'initiative de son rapporteur, la commission a, en conséquence, adopté l'amendement de suppression COM-17 .

La commission a adopté supprimé l'article 12 .

Article 12 bis
Aide juridictionnelle provisoire accordée au défendeur
à une demande d'ordonnance de protection

L'article 12 bis tend à indiquer expressément à l'article 515-11 du code civil que le juge aux affaires familiales peut, dans le cadre de la procédure de demande d'ordonnance de protection, admettre provisoirement le défendeur à l'aide juridictionnelle dans les conditions de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Ces dispositions du code civil ne visant jusqu'alors que le demandeur, il convenait de lever cette ambiguïté.

La commission a adopté cet article sans modification.

L'article 12 bis tend à modifier le 7° de l'article 515-11 du code civil relatif à la délivrance d'une ordonnance de protection pour permettre au juge aux affaires familiales de prononcer, lors du jugement, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle de la partie défenderesse , alors que le droit en vigueur ne vise que la partie demanderesse .

L' admission provisoire à l'aide juridictionnelle permet d'éviter les demandes de renvoi . Elle est donc de nature à assurer la célérité du traitement des ordonnances de protection qui doivent, conformément à la volonté du législateur, être délivrées en six jours à compter de la fixation de la date d'audience, en application de l'article 4 de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille.

Cette admission se ferait dans les conditions de l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, qui permet à la juridiction compétente ou son président, voire au bureau d'aide juridictionnelle lui-même, de prononcer l'admission à l'aide juridictionnelle « dans les cas d'urgence » ou « si la procédure met en péril les conditions essentielles de vie de l'intéressé, notamment en cas d'exécution forcée emportant saisie de biens ou expulsion ».

Le demandeur peut déjà, demander l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle sur le fondement de cette loi. Néanmoins, le 7° de l'article 515-11 du code civil est lui-même ambigu, puisqu'il n'évoque que le seul défendeur . Il devait donc être corrigé .

La commission a adopté l'article 12 bis sans modification .


* 42 Article 2 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

* 43 Décision n° 2012-231/234 QPC du 13 avril 2012.

* 44 Article 20 de la loi n° 91-647 susmentionnée.

* 45 Article 43-1 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

* 46 Article 65 du décret n° 91-1266 précité.

* 47 Article 52 de la loi n° 91-647 précitée.

* 48 Article 20 de la loi n° 91-647 précitée.

* 49 Amendement rédactionnel CL 126 de Bérangère Couillard, rapporteure en commission des lois à l'Assemblée nationale.

* 50 Circulaire du 28 janvier 2020 relative à la présentation des dispositions de droit civil et de droit pénal immédiatement applicables de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille et instructions de politique pénale issues des travaux du Grenelle contre les violences conjugales.

* 51 Lorsqu'un dossier d'aide juridictionnelle a déjà été déposé, la juridiction peut prononcer l'admission à titre provisoire d'office, en application de l'article 62 du décret n° 91-1266 susmentionné.

* 52 Rapport d'information en conclusion des travaux d'une mission d'information sur l'aide juridictionnelle, n° 2183, déposé le 23 juillet 2019.

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