N° 416

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 mai 2020

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi (procédure accélérée) prorogeant l' état d' urgence sanitaire et complétant ses dispositions ,

Par M. Philippe BAS,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François-Noël Buffet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Di Folco, MM. Jacques Bigot, André Reichardt, Mme Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, M. Loïc Hervé, Mme Marie Mercier , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Vincent Segouin, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Sénat :

414 , 415 et 417 ( 2019-2020 )

L'ESSENTIEL

Réunie le lundi 4 mai 2020, la commission des lois du Sénat a adopté, sur le rapport de Philippe Bas (Les Républicains - Manche), le projet de loi n° 414 (2019-2020) prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions .

Ce texte a pour premier objet de prolonger, pour une durée de deux mois, soit jusqu'au 23 juillet prochain, l'état d'urgence sanitaire déclaré le 24 mars dernier sur l'ensemble du territoire national dans le but de doter les pouvoirs publics des prérogatives suffisantes pour prévenir et limiter la propagation de l'épidémie de covid-19.

Dans la perspective d'une sortie progressive du confinement à compter du 11 mai, il procède également à plusieurs ajustements du régime de l'état d'urgence sanitaire , en vue de faciliter le rétablissement de la libre circulation des personnes tout en évitant les concentrations de population qui pourraient être délétères sur le plan sanitaire.

Il envisage, enfin, la création d'un système d'information de collectes des données individuelles de santé des personnes affectées par le virus et des personnes contact, dans la perspective de lutter contre la propagation de l'épidémie.

Au regard des risques sanitaires encore élevés, la commission des lois a souscrit à la nécessité de prolonger l'état d'urgence sanitaire au-delà du délai de deux mois initialement prévu.

Toutefois, alors même que le Parlement est amené à se prononcer dans des délais extrêmement contraints, elle déplore que certaines mesures, en particulier concernant la création d'un système de données personnelles de santé élargi, n'aient fait l'objet d'aucun débat public préalablement au dépôt du présent projet de loi, ni été portées à la connaissance des parlementaires, alors même qu'elles présentent, en termes de libertés et de protection du secret médical, une sensibilité bien plus forte que l'application StopCovid .

Elle a adopté 29 amendements sur le projet de loi afin d'assurer la sécurité juridique des mesures proposées.

I. UNE PROLONGATION NÉCESSAIRE DE L'ÉTAT D'URGENCE SANITAIRE AU REGARD DES RISQUES ENCORE ÉLEVÉS DE PROPAGATION DE L'ÉPIDÉMIE DE COVID-19

A. L'ÉTAT D'URGENCE SANITAIRE : UN DISPOSITIF SOUPLE QUI A DOTÉ LE GOUVERNEMENT DE MOYENS D'ACTION RAPIDES POUR FAIRE FACE À L'ÉVOLUTION DE L'ÉPIDÉMIE

La loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a déclaré un état d'urgence sanitaire sur l'ensemble du territoire national, pour une période de deux mois, soit jusqu'au 23 mai inclus .

Régime d'exception inspiré de celui de la loi du 2 avril 1955, l'état d'urgence sanitaire confère au Premier ministre et au ministre de la santé, aux seules fins de faire face aux situations de catastrophe sanitaire, de larges prérogatives, dont certaines sont susceptibles de porter une atteinte forte aux libertés publiques et individuelles.

Déclinées dans le cadre du décret du 23 mars 2020 1 ( * ) , modifié et complété à 13 reprises depuis son entrée en vigueur , les mesures prescrites par le Gouvernement pour lutter contre l'épidémie du covid-19 ont notamment consisté à 2 ( * ) :

- interdire aux personnes de sortir de leur domicile, à l'exception de certains déplacements justifiés par des besoins professionnels, de santé ou encore liés à l'accès aux biens et services de première nécessité ;

- restreindre les déplacements de personnes, par la voie maritime ou aérienne, et réglementer, avec le même objectif, les conditions d'usage des transports publics et des transports en taxi ;

- autoriser les placements en quarantaine de toute personne arrivant sur le territoire d'une collectivité ultramarine ;

- interdire les rassemblements de personnes, les réunions et les activités réunissant plus de 100 personnes ;

- fermer les établissements recevant du public et des lieux de réunion, à l'exception de ceux nécessaires à la satisfaction des biens et services de premières nécessités ;

- assurer l'approvisionnement en médicaments et produits médicaux subissant des tensions sur le marché, en régulant les prix et en assouplissant les conditions d'importation et de vente ;

- autoriser les réquisitions préfectorales de personnels sanitaires.

Ces dispositions ont été complétées par un arrêté du ministre de la santé, pris sur le fondement de l'article L. 3131-16 du code de la santé publique et modifié à onze reprises, qui adapte le fonctionnement et l'organisation du dispositif de santé aux nécessités de gestion de l'épidémie.

L'état d'urgence sanitaire a enfin trouvé une importante déclinaison au niveau territorial. De manière à permettre une adaptation, au plus proche du terrain, des mesures de lutte contre la propagation de l'épidémie, le législateur a en effet conféré au Gouvernement la possibilité d'habiliter les autorités préfectorales soit à prendre les mesures d'adaptation locale des mesures prescrites au niveau national, soit à agir en lieu et place des autorités gouvernementales lorsque les mesures envisagées ne sont que de portée locale 3 ( * ) .

Les prérogatives attribuées aux préfets
dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de covid-19

Conformément au cadre légal défini par le code de la santé publique pour l'état d'urgence sanitaire, le décret du 23 mars 2020 habilite les préfets :

- à prescrire, lorsque les circonstances locales l'exigent, des mesures plus restrictives que celles décidées par le Gouvernement au niveau national concernant les trajets et déplacements des personnes, les fermetures d'établissements recevant du public et l'interdiction des rassemblements, réunions ou activités ;

- à déroger, lorsque les circonstances locales le permettent, aux mesures définies au niveau national, en adoptant des mesures moins contraignantes. C'est ainsi que les préfets peuvent autoriser la tenue de marchés alimentaires. Ils peuvent également déroger aux restrictions imposées par le Gouvernement sur le trafic maritime dans les eaux territoriales françaises ;

- à procéder à certaines réquisitions (établissement de santé ou établissement médico-social ; laboratoires ; matières premières nécessaires à la fabrication de masques de protection ; établissements recevant du public nécessaires pour répondre aux besoins d'hébergement ou d'entreposage ; biens, personnes ou services nécessaires au bon fonctionnement des agences régionales de santé).

Les préfets ont fait pleinement usage des prérogatives qui leur ont été attribuées sur ce fondement par le décret du 23 mars. Au 27 avril 2020, 4 825 mesures préfectorales étaient ainsi applicables 4 ( * ) .

Plus de 80 % d'entre elles, soit 3 891 mesures au total, sont des mesures d'autorisation de marchés , prises par dérogation aux dispositions réglementaires imposées au niveau national. Les mesures restantes se répartissent entre :

- des mesures restreignant les trajets et déplacements de personnes, dont 39 arrêtés de couvre-feu et 283 mesures portant interdiction d'accès à certains lieux, notamment les parcs, plages et forêts (soit un total de 322 mesures) ;

- des mesures de restriction ou d'interdiction à l'ouverture des établissements recevant du public (244 mesures) ;

- des mesures de réquisition, qui ont majoritairement concerné le personnel de santé (285 mesures sur un total de 368 mesures de réquisitions) ;

- des mesures de dérogation ou d'aggravation de l'interdiction des rassemblements (39 mesures).

À l'issue de six semaines d'application, le cadre légal instauré par la loi d'urgence du 23 mars 2020 paraît avoir démontré sa pertinence et son efficacité en apportant, ainsi que le relevait la commission dans son second rapport de suivi de l'état d'urgence sanitaire 5 ( * ) , la souplesse nécessaire au Gouvernement « pour apporter des réponses rapides à l'évolution de la situation sanitaire ».


* 1 Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

* 2 L'ensemble de ces mesures sont détaillées dans les deux rapports publiés par la commission des lois au titre de la mission de suivi de l'état d'urgence sanitaire, consultables aux adresses suivantes : http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/commission/lois/MI_Covid19/Mission_suivi_urgence_Covid-19_Premiers_constats.pdf et http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/commission/lois/MI_Covid19/Mission_suivi_urgence_Covid-19_Deuxieme_rapport_etape.pdf

* 3 Article L. 3131-17 du code de la santé publique.

* 4 Le nombre d'arrêtés préfectoraux est moindre que le nombre de mesures, un arrêté préfectoral pouvant comprendre plusieurs mesures.

* 5 Référence et lien internet

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