N° 237
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020
Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 janvier 2020
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission spéciale (1) sur le projet
de loi, adopté
par l'Assemblée nationale, relatif
à la
bioéthique
,
Par Mmes Corinne IMBERT, Muriel JOURDA,
MM. Olivier HENNO et
Bernard JOMIER,
Sénateurs
(1) Cette commission est composée de : M. Alain Milon, président ; M. Olivier Henno, Mme Corinne Imbert, M. Bernard Jomier et Mme Muriel Jourda, rapporteurs ; MM. Philippe Bas, Jacques Bigot, Mme Catherine Deroche, M. Gérard Longuet, Mmes Michelle Meunier, Élisabeth Doineau, M. Michel Amiel, Mmes Véronique Guillotin, Laurence Cohen et M. Daniel Chasseing, vice-présidents ; M. Bernard Bonne, Mme Marie-Pierre de la Gontrie et M. Jean-Marie Mizzon, secrétaires ; Mmes Éliane Assassi, Martine Berthet, Maryvonne Blondin, MM. Guillaume Chevrollier, Jean-Pierre Corbisez, Yves Daudigny, Mmes Jacky Deromedi, Chantal Deseyne, Catherine Di Folco, M. Loïc Hervé, Mme Christine Herzog, MM. Xavier Iacovelli, Roger Karoutchi, Dominique de Legge, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, M. Thani Mohamed Soilihi, Mmes Laurence Rossignol, Patricia Schillinger et M. Yannick Vaugrenard.
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : |
2187 , 2243 et T.A. 343 |
Sénat : |
63 et 238 (2019-2020) |
L'ESSENTIEL
_______
Le projet de loi de bioéthique soumis à l'examen du Sénat engage, dans le prolongement des lois de 2004 et de 2011, la troisième « grande » révision des lois de bioéthique adoptées par le Parlement en 1994.
Conformément à ce qu'avait souhaité le législateur en 2011, l'élaboration de ce texte a été précédée d'une large concertation.
Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a ouvert le 18 janvier 2018 la consultation citoyenne dans le cadre des États généraux de la bioéthique , qui ont révélé ou ravivé l'intérêt de nos concitoyens pour ces questions touchant directement, comme l'a relevé le CCNE, « le “noyau dur” de l'humain » . Ce comité a rendu son avis le 25 septembre 2018.
De nombreuses instances ont également contribué à nourrir la réflexion du Parlement en vue du réexamen de la loi : l'Agence de la biomédecine et le Conseil d'Etat ont rendu publiques des études et propositions tant sur les aspects scientifiques que juridiques des enjeux bioéthiques posés à la société d'aujourd'hui. En outre, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a procédé à des travaux approfondis sur l'évaluation de la précédente loi 1 ( * ) .
Chaque loi de bioéthique s'inscrit dans un équilibre délicat , produit de la volonté d'accueillir des avancées médicales, technologiques ou scientifiques dans le respect des principes fondamentaux formant « l'éthique à la française ». Dans ce contexte, la commission spéciale a abordé ses travaux dans un esprit de responsabilité, d'écoute et de respect mutuels, sur des sujets impliquant fortement les convictions personnelles. Elle a tenu à entendre, à travers ses auditions plénières et celles conduites par ses rapporteurs, l'expression d'une grande diversité de points de vue.
Les évolutions sociétales engagées par le projet de loi en matière d'assistance médicale ont soulevé d'importants questionnements en ce qu'elles impliquent des choix collectifs et des attentes individuelles. La commission spéciale, au terme d'un large débat, a ouvert la voie à ces évolutions tout en réaffirmant des principes essentiels, que ce soit sur la finalité de notre système de sécurité sociale ou sur le respect de la vie privée pour ce qui est de la levée de l'anonymat des donneurs de gamètes.
Sur d'autres sujets comme la génétique ou la recherche, qui connaissent d'importants bouleversements ou sont exposés à des enjeux renouvelés, la commission spéciale a souhaité accompagner des évolutions qui lui sont apparues porteuses de progrès en matière de santé, tout en les encadrant de garde-fous, plutôt que de freiner a priori des développements qui posent inévitablement de nouveaux questionnements éthiques.
La commission spéciale a adopté le projet de loi en y apportant, ainsi, des modifications substantielles. Elle l'a enrichi de 137 amendements, dont 124 à l'initiative de ses rapporteurs.
A. RÉPONDRE À DES ATTENTES SOCIÉTALES EN MATIÈRE DE PROCRÉATION DANS LE RESPECT DES PRINCIPES FONDAMENTAUX DE NOTRE DROIT
1. Ouvrir l'accès à l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes non mariées sans revenir sur le cadre existant pour les couples infertiles
• La commission spéciale, au terme d'un large débat, a ouvert l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes non mariées tout en modifiant substantiellement les modalités prévues par l' article 1 er du projet de loi.
Elle a ainsi maintenu les conditions médicales actuelles de recours à l'AMP pour les couples hétérosexuels , sur la base d'une infertilité pathologique ou afin d'éviter la transmission à l'enfant ou à l'autre membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité.
Seul le recours à l'assistance médicale à la procréation pour ces raisons médicales ou pathologiques sera pris en charge par l'assurance maladie , conformément à la vocation de la sécurité sociale d'assurer la « protection contre le risque et les conséquences de la maladie ».
La commission spéciale a également assoupli les conditions d'âge pour accéder à l'assistance médicale à la procréation, en les renvoyant à une recommandation de bonnes pratiques plutôt qu'à un décret en Conseil d'Etat, afin de ménager plus de souplesse dans l'appréciation par les équipes médicales des situations individuelles.
Elle a prévu la participation, au sein de l'équipe médicale pluridisciplinaire des centres d'AMP, d'un pédopsychiatre et a introduit le principe d'une évaluation psychologique et, en tant que de besoin, sociale des demandeurs. Elle a clarifié la portée, en outre, de l'appréciation de la « motivation » des demandeurs.
La commission spéciale a supprimé des dispositions introduites par l'Assemblée nationale pour interdire toute discrimination en matière d'accès à l'AMP, jugées redondantes au regard des dispositions du code de déontologie médicale, et stigmatisantes pour les équipes médicales.
Elle a enfin étendu à tous les établissements de santé l'activité d'accueil d'embryons , qui ne peut actuellement être exercée qu'au sein du secteur public ou privé non lucratif.
• La commission spéciale a adopté l' article 4 , tirant les conséquences de l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes en termes de filiation , dans sa rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale.
Afin de donner une portée pleine et entière à l'interdiction de la gestation pour autrui (GPA) en France, elle a introduit un article 4 bis interdisant la transcription totale de l'acte de naissance étranger d'un enfant né d'une GPA lorsqu'il mentionne comme mère une autre femme que celle qui a accouché ou deux pères.
2. Autoriser, sans la décourager, l'autoconservation de gamètes à des fins de prévention
• La commission spéciale a approuvé, à l' article 2 , l'autoconservation de gamètes dans une démarche de prévention de l'infertilité, que le Gouvernement entend autoriser « sans l'encourager ».
Afin cependant de rendre cette possibilité effective, elle a assoupli les critères d'âges pour en bénéficier en renvoyant cette appréciation aux équipes médicales , sur la base d'une recommandation de bonnes pratiques, plutôt qu'à un décret en Conseil d'Etat, en soulignant le caractère restrictif des bornes d'âge envisagées.
Elle a également étendu cette pratique à l'ensemble des établissements de santé , alors que le projet de loi prévoyait d'en exclure les établissements de santé à but lucratif qui assurent à l'heure actuelle plus de la moitié de l'activité d'assistance médicale à la procréation et constituent la seule offre médicale disponible sur de nombreux territoires.
Elle a précisé, en parallèle, les informations apportées aux personnes en amont de cette démarche, notamment sur les risques liés aux grossesses tardives, afin que cette possibilité ne soit pas perçue comme une « solution miracle » contre l'infertilité.
La commission spéciale a par ailleurs maintenu le consentement du conjoint ou partenaire au don de gamètes , d'autant plus utile compte tenu de l'accès possible à l'identité du donneur par les enfants issus du don.
Elle a également mieux encadré les conditions d'importation et d'exportation de gamètes afin d'éviter toute dérive mercantile.
Parallèlement aux évolutions proposées concernant l'activité d'accueil d'embryons, elle a autorisé, à titre dérogatoire, des établissements de santé privés lucratifs à pratiquer l'activité de don de gamètes , en l'absence d'une autre offre médicale disponible dans un département.
• S'agissant de l'autoconservation de gamètes ou tissus germinaux pour motif pathologique, dont l' article 22 du projet de loi étend la finalité à la restauration d'une fonction hormonale afin d'améliorer la qualité de vie des patientes, la commission spéciale a encadré ces dispositions notamment afin de protéger la situation des personnes mineures au moment du recueil ou du prélèvement et de renforcer leur information ainsi que le suivi des personnes concernées. Elle a également autorisé expressément ce recueil en cas de changement de sexe à l'état civil.
3. Permettre l'accès aux données personnelles du donneur par les personnes nées de dons, quelle que soit leur date de naissance et dans le respect de la vie privée
La commission spéciale a approuvé, à l' article 3 , la création d'un droit reconnu à toute personne née d'un don de gamètes ou d'embryons d' accéder aux données non identifiantes de son donneur.
Elle a toutefois souhaité permettre au donneur d'accepter ou de refuser l'accès à son identité au moment de la demande exprimée par la personne issue de son don, considérant que cette solution, qui avait également la préférence du Conseil d'État, présentait une temporalité plus respectueuse de la vie privée du donneur .
Elle a fait le choix de confier les missions relatives à l'accès aux données personnelles du donneur au Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP) qui existe depuis près de 18 ans et a acquis une expérience forte en matière d'accès aux origines et d'accompagnement, plutôt que de créer une commission ad hoc distincte.
Pour faciliter le travail du CNAOP, elle l'a habilité à interroger le répertoire national d'identification des personnes physiques avec le numéro d'inscription (code NIR) du donneur.
Constatant que la situation des enfants déjà nés avait été ignorée par le Gouvernement, la commission spéciale a confié au CNAOP la mission de recontacter en toute discrétion les anciens donneurs en cas de demandes d'accès provenant de personnes nées de dons sous l'ancien régime d'anonymat, et de les interroger sur leur volonté ou non de communiquer leurs données personnelles , sans attendre qu'ils se manifestent spontanément.
Pour améliorer l'échange de données médicales entre donneurs et personnes nées de dons de gamètes via leurs médecins, elle a introduit à l'article L. 1244-6 du code de la santé publique la possibilité de mettre à jour ces données auprès des CECOS .
* 1 Rapport de Jean-François Eliaou, député et Annie Delmont-Koropoulis, sénatrice, 25 octobre 2018.