N° 233

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 janvier 2020

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi visant à créer un droit à l' erreur des collectivités locales dans leurs relations avec les administrations et les organismes de sécurité sociale ,

Par M. Philippe BONNECARRÈRE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François-Noël Buffet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Di Folco, MM. Jacques Bigot, André Reichardt, Mme Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, M. Loïc Hervé, Mme Marie Mercier , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Vincent Segouin, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Sénat :

283 (2018-2019) et 234 (2019-2020)

L'ESSENTIEL

Le 8 janvier 2020, la commission des lois a adopté, sur le rapport de Philippe Bonnecarrère, sénateur du Tarn et membre du groupe Union Centriste , la proposition de loi n° 283 (2018-2019) visant à créer un droit à l'erreur des collectivités locales dans leurs relations avec les administrations et les organismes de sécurité sociale déposée par Hervé Maurey , sénateur de l'Eure et Sylvie Vermeillet , sénatrice du Jura, tous deux membres du groupe Union Centriste.

La loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance, dite loi « ESSoC » est venue consacrer, au sein du code des relations entre le public et l'administration, un droit général à la régularisation en cas d'erreur au profit des particuliers et des entreprises venant compléter les mécanismes préexistants en matière fiscale et sociale. Dès l'examen de ce texte, le Sénat s'était montré favorable à ce que ce nouveau droit soit étendu aux collectivités territoriales et à leurs groupements , sans pour autant qu'une telle option ne soit retenue dans le texte finalement promulgué.

Là où elles ne devaient respecter, il y a encore quelques années, que des normes spéciales, les collectivités territoriales sont de plus en plus soumises aux mêmes règles que les autres acteurs juridiques, qu'ils soient de droit public ou de droit privé . Cette soumission aux mêmes règles les confrontent aux mêmes administrations, dont elles sont devenues, de fait, des usagers à part entière. Or, la baisse des ressources des collectivités territoriales les a contraintes à réduire leurs moyens humains et juridiques, multipliant d'autant leurs chances de commettre des erreurs en toute bonne foi dans des procédures complexes.

Partageant l'objectif poursuivi par les auteurs de la proposition de loi, la commission des lois a considéré opportun d'ouvrir un droit général à la régularisation en cas d'erreur au bénéfice des collectivités territoriales et de leurs groupements. Elle a jugé que ce nouveau droit viendrait utilement compléter les dispositifs spéciaux ouvrant un droit à l'erreur en matière fiscale et sociale qui s'appliquent déjà à eux, ainsi que le nouveau rescrit préfectoral créé par la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique.

À l'initiative du rapporteur, la commission des lois a étendu la portée et amélioré l'efficacité du dispositif proposé. Ainsi, le bénéfice de ce nouveau droit a été ouvert à l'ensemble des collectivités et à leurs groupements et non plus seulement aux communes et à leurs groupements, comme le prévoyait la proposition de loi initiale. La commission des lois a également précisé que des dispositions spéciales ne pourraient faire obstacle à l'application de ce nouveau principe général que si elles ont « pour objet ou pour effet d'assurer une protection équivalente » .

Le texte adopté par la commission des lois sera examiné par le Sénat en séance publique le 16 janvier 2020.

I. UN DROIT À L'ERREUR POUR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES : UN BESOIN DÉJÀ EXPRIMÉ PAR LE SÉNAT

A. LA RECONNAISSANCE D'UN DROIT À L'ERREUR PAR LA LOI « ESSOC »

La création d'un droit général à régularisation en cas d'erreur est issue de l'article 2 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance dite loi « ESSoC » , entré en vigueur le 12 août 2018. Ces dispositions ont été codifiées aux articles L. 123-1 et L. 123-2 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA). Ce « droit à l'erreur » permet aux usagers ayant méconnu pour la première fois une règle applicable à leur situation ou qui ont commis une erreur matérielle lors du renseignement de leur situation, de ne pas se voir infliger une sanction administrative pécuniaire ou consistant en la privation de tout ou partie d'une prestation.

En application de l'article L. 100-3 du CRPA, la notion d'usager englobe « toute personne physique » et « toute personne morale de droit privé, à l'exception de celles qui sont chargées d'une mission de service public lorsqu'est en cause l'exercice de cette mission » . Deux conditions cumulatives sont nécessaires pour bénéficier de ce droit : la personne ne doit pas être de mauvaise foi et elle doit avoir régularisé sa situation, de sa propre initiative ou sur invitation de l'administration.

La notion de mauvaise foi est définie à l'article L. 123-2 du CRPA qui dispose également que sa preuve doit être rapportée par l'administration, au même titre que celle de la fraude.

Ces dispositions sont favorables aux usagers puisqu'elles ne permettent à l'administration de ne sanctionner que ceux qui enfreignent volontairement les règles. Ces dispositions sont également favorables à l'administration puisqu'elles incitent les usagers à régulariser leur situation de leur propre initiative, sans attendre d'y être invités dans le cadre d'une procédure contradictoire faisant suite à l'instruction de leur dossier.

Les dispositions introduites dans le CRPA par la loi « ESSoC » précitée sont supplétives, en application de l'article L. 100-1 du même code qui dispose que ce code régit « les relations entre le public et l'administration en l'absence de dispositions spéciales applicables » . Le droit à l'erreur assis sur les dispositions du CRPA ne trouve donc notamment pas à s'appliquer en matière fiscale et sociale puisque des dispositions spéciales régissent déjà les relations entre usagers et administration.

Ces dispositions spéciales comportaient déjà des mécanismes permettant aux usagers de rectifier leurs erreurs avant l'entrée en vigueur de la loi « ESSoC ». En matière fiscale, Jean-Claude Luche, sénateur de l'Aveyron (groupe Union Centriste), et Pascale Gruny, sénateur de l'Aisne (groupe Les Républicains), rapporteurs pour la commission spéciale du Sénat en charge de l'examen du projet de loi « ESSoC », constataient que « l'article L. 62 du livre des procédures fiscales prévoit une procédure de règlement des litiges en cas de contrôle 1 ( * ) , réservée aux contribuables de bonne foi et sous réserve que leur chiffre d'affaires ne dépasse pas un certain seuil. Il leur permet de ? régulariser les erreurs, inexactitudes, omissions ou insuffisances dans les déclarations souscrites dans les délais?, moyennant le paiement d'intérêts de retard à taux réduit 2 ( * ) . De surcroît, le livre des procédures fiscales fait bénéficier les contribuables d'une présomption de bonne foi à son article L. 195 A, dans sa rédaction issue de la loi n° 77-1453 du 29 décembre 1977 accordant des garanties de procédure aux contribuables en matière fiscale et douanière : en cas de contestation des pénalités fiscales relatives à certains impôts, ?la preuve de la mauvaise foi et des manoeuvres frauduleuses incombe à l'administration? » 3 ( * ) . L'article L. 62 précité a été complété par l'article 9 de la loi « ESSoC » afin, notamment, d'étendre la procédure de régularisation en cours de contrôle à l'ensemble des procédures de contrôle fiscal, dont celles relatives à l'examen de la situation fiscale personnelle des particuliers et aux contrôles sur pièces en général.

L'article 15 de la loi « ESSoC » a également créé l'article L. 62 B du livre des procédures fiscales qui institue un droit à l'erreur pour les redevables de contributions indirectes.

En matière sociale, les rapporteurs du projet de loi « ESSoC » relevaient que « l'article R. 243-10 du code de la sécurité sociale permet [déjà] à l'employeur de rectifier les erreurs constatées dans ses déclarations de cotisations et de contributions sociales lors de l'échéance déclarative la plus proche, sans avoir à payer les majorations de retard et les pénalités encourues. Ce droit à l'erreur ne s'applique pas en cas d'omission de salariés dans la déclaration ou d'inexactitudes répétées, acception qui se rapproche de la notion de mauvaise foi » 4 ( * ) . En outre, l'article L. 243-7-6 du code de la sécurité sociale dispose que, à l'issue d'un contrôle opéré par les organismes chargés du recouvrement des cotisations, le montant du redressement des cotisations et contributions sociales mis en recouvrement ne peut être majoré de 10 % que dans le cas où « l'employeur n'a pas pris en compte les observations notifiées lors d'un précédent contrôle » .

Le droit à l'erreur dans le domaine de la sécurité sociale a été récemment mis en place par le décret n° 2019-1050 du 11 octobre 2019 relatif à la prise en compte du droit à l'erreur par les organismes chargés du recouvrement des cotisations de sécurité sociale. S'inspirant des dispositions introduites dans le CRPA par la loi « ESSoC », il vient modifier la partie réglementaire du code de la sécurité sociale afin d'étendre les droits des usagers (voir encadré infra ).

Principaux apports du décret du 11 octobre 2019
relatif à la prise en compte du droit à l'erreur par les organismes
chargés du recouvrement des cotisations de sécurité sociale

La mise en oeuvre du droit à l'erreur dans la sphère sociale a donné lieu à la publication du décret du 11 octobre 2019 relatif à la prise en compte du droit à l'erreur par les organismes chargés du recouvrement des cotisations de sécurité sociale. Ce texte pose une règle de droit commun d'absence de sanction dans l'ensemble des cas de retard, d'omissions ou d'inexactitudes dans les déclarations sociales comme pour les paiements de cotisations en cas de contrôle.

1. Non-application des majorations de retard et pénalités en cas de déclaration régularisatrice

Le décret du 11 octobre 2019 confirme le principe selon lequel l'employeur doit corriger, lors de l'échéance déclarative la plus proche, les erreurs constatées dans ses déclarations de cotisations et de contributions sociales des mois précédents. L'employeur doit alors verser à la même échéance le complément de cotisations et de contributions sociales. La correction peut intervenir de la propre initiative de l'employeur ou à la demande de l'organisme de recouvrement dont il relève.

En dehors des cas d'omission de salariés dans la déclaration ou d'inexactitudes répétées du montant des rémunérations déclarées, les majorations de retard et les pénalités ne sont pas applicables aux erreurs corrigées si l'une des conditions suivantes est remplie :

- la déclaration rectifiée et le versement de la régularisation correspondant au complément de cotisations et de contributions sociales sont adressés au plus tard lors de la première échéance qui suit celle de la déclaration et du versement initial ;

- le versement de régularisation est inférieur à 5 % du montant total des cotisations initiales ou, à compter du 1 er janvier 2020, le montant des majorations et pénalités qui seraient applicables est inférieur à la valeur mensuelle du plafond de la sécurité sociale (3 428 euros).

2. Non-application des majorations de retard en cas de retard de paiement des cotisations

Actuellement, les majorations de retard et pénalités sont appliquées puis remises lorsque les trois conditions suivantes sont respectées :

- aucun retard de paiement dans les 24 derniers mois ;

- le montant des sanctions encourues est inférieur au plafond mensuel de la sécurité sociale (3 377 euros en 2019) ;

- les cotisations et contributions sociales sont acquittées dans un délai de 30 jours.

À compter du 1 er janvier 2020, les cotisants respectant ces mêmes conditions bénéficieront d'une non-application des majorations de retard initiales et complémentaires. Par ailleurs, la non-application des majorations aux cotisants ayant obtenu un accord de délai dans les 30 jours suivant la date d'exigibilité des cotisations, sera effective dès lors que les deux conditions tenant à l'absence de retard dans les 24 mois et au montant des sanctions encourues seront remplies.

3. Non-application des majorations de retard initiales suite à contrôle (à compter d'avril 2020)

À compter d'avril 2020, aucune majoration de retard initiale à l'issue d'un contrôle comptable d'assiette, d'un contrôle sur pièces ou d'un contrôle demandé par l'employeur ne sera appliquée, sauf dans deux types de situation (article R. 243-17 du code de la sécurité sociale) :

- application d'une majoration/pénalité au titre d'un abus de droit, de travail dissimulé ou d'obstacle à contrôle, de la non mise en conformité suite aux observations formulées lors d'un précédent contrôle ;

- montant des sommes redressées supérieur ou égal au plafond annuel de la sécurité sociale (40 524 euros pour 2019).

Source : Direction de la sécurité sociale


* 1 Au cours d'une vérification de comptabilité (contrôle sur pièces et sur place), ou d'un examen de comptabilité (contrôle à distance).

* 2 Article 1727 du code général des impôts.

* 3 Rapport n° 329 (2017-2018) de Mme Pascale Gruny et M. Jean-Claude Luche, fait au nom de la commission spéciale, déposé le 22 février 2018, page 26.

* 4 Ibidem , page 28.

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