EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Adoptée en première lecture au Sénat le 23 octobre 2018, la proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations, déposée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de nos collègues membres du groupe Les Républicains, a été adoptée, avec modifications, par l'Assemblée nationale le 5 février 2019 1 ( * ) . L'ensemble des dispositions du texte reste en discussion en deuxième lecture, à l'exception de son article 8, adopté conforme par l'Assemblée nationale.
Alors qu'il avait exprimé, lors de l'examen du texte au Sénat, une réticence à l'égard des dispositions votées par notre assemblée, soulignant des faiblesses sur le plan opérationnel et des risques d'inconstitutionnalité, le Gouvernement a finalement demandé, en début d'année, l'inscription du texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et choisi d'amender les dispositions en discussion.
Si l'on ne peut que se réjouir d'une telle évolution, il est regrettable que tant de temps ait été perdu.
Le Sénat avait voté ce texte pour apporter une réponse aux débordements importants constatés à l'occasion de plusieurs manifestations, en particulier celles du 1 er mai 2018. Le contexte des dernières semaines confirme, si besoin en était, que, loin de constituer un texte de circonstance, la proposition de loi défendue par notre assemblée comporte des dispositifs pertinents et utiles.
Les actes inédits de violence et de dégradations commis en marge des manifestations des « gilets jaunes » témoignent de l'urgence à doter nos forces de l'ordre d'outils leur permettant de mieux prévenir les violences dans les manifestations et l'autorité judiciaire de dispositions lui permettant de les sanctionner plus sévèrement.
Nous ne saurions tolérer plus longtemps que, chaque week-end, des groupes de « casseurs » sèment le trouble dans les grandes agglomérations comme dans les petites villes et s'en prennent, avec une violence d'une ampleur inédite, à nos forces de l'ordre. Le saccage du musée de l'Arc de Triomphe, l'incendie de la préfecture du Puy-en-Velay, les images de policiers frappés à terre, les commerces pillés, pour ne prendre que ces quelques exemples, ont marqué les esprits.
Loin d'entraver le droit de manifester, auquel le Sénat demeure profondément attaché, les dispositions de la présente proposition de loi visent à en assurer le libre exercice . Il ne s'agit pas de restreindre les droits et libertés des manifestants pacifiques, mais bien de cibler les quelques individus qui, par leurs actes violents, prennent en otage les manifestations et les rassemblements sur la voie publique. Ainsi, votre commission ne confond pas la grande majorité des manifestants, qui défendent des revendications souvent légitimes de justice sociale, avec une petite minorité de délinquants.
Bien que le texte adopté par le Sénat ait été remanié et complété par l'Assemblée nationale, les objectifs poursuivis par votre commission et notre assemblée ont tous été maintenus par les députés.
La plupart des modifications adoptées, dans la mesure où elles garantissent une meilleure opérationnalité des dispositifs, sont apparues pertinentes à votre commission. Quelques-unes lui ont semblé soulever des interrogations quant à leur constitutionnalité mais ont finalement reçu son assentiment compte tenu des assurances fournies.
À l'initiative de son rapporteur, votre commission s'est attachée à ne pas examiner la proposition de loi de manière désincarnée. L'évolution des phénomènes de violence dans les manifestations impose d'innover dans les réponses à leur apporter, en recherchant de nouveaux instruments de prévention mis en oeuvre dans les meilleurs délais.
C'est pourquoi, soucieuse d'apporter une réponse rapide aux troubles que connaît depuis plusieurs semaines notre pays, elle a souhaité, en dépit de quelques réserves, proposer l'adoption conforme du texte issu de l'Assemblée nationale.
I. UN TEXTE REMANIÉ ET COMPLÉTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, DANS LE RESPECT DES OBJECTIFS POURSUIVIS PAR LE SÉNAT
Adoptée par le Sénat dans le but de renforcer un arsenal juridique insuffisant pour appréhender efficacement les phénomènes de violences dans les manifestations, la proposition de loi comporte deux volets : le premier, préventif, tend à conférer de nouvelles prérogatives à l'autorité administrative en vue de mieux anticiper et éviter les débordements ; le second, répressif, vise à sanctionner plus sévèrement les auteurs de violences et de dégradations dans les manifestations.
Conservés par l'Assemblée nationale, ces deux volets ont été amendés et complétés.
A. LE VOLET PRÉVENTIF : DES OBJECTIFS COMMUNS, DES DISPOSITIFS REMANIÉS
Souscrivant à la position défendue par le Sénat lors de l'examen du texte en première lecture, l'Assemblée nationale, en dépit des interrogations soulevées par sa commission des lois tant sur l'utilité que la proportionnalité des mesures, a approuvé la création de nouveaux outils destinés à mieux prévenir la commission de violences dans le cadre des manifestations sur la voie publique.
Elle a toutefois apporté des modifications substantielles aux dispositions adoptées par le Sénat, notamment en vue d'assurer une meilleure opérationnalité des instruments créés.
1. Un transfert de l'initiative des contrôles aux abords des manifestations à l'autorité judiciaire
Alors que le Sénat avait proposé de confier à l'autorité administrative la possibilité d'instaurer des périmètres de contrôles aux abords des manifestations, l'Assemblée nationale a préféré , en dépit des garanties apportées par le Sénat, la création d'un dispositif judiciaire à celle d'une nouvelle mesure de police administrative .
À l'initiative du Gouvernement, elle a ainsi proposé une rédaction remaniée de l'article 1 er qui introduit dans le code de procédure pénale un nouveau régime de contrôles de police judiciaire , sur réquisitions du procureur de la République.
Ce faisant, les députés ont souhaité réserver à l'autorité judiciaire, garante des libertés individuelles, le soin de diligenter des contrôles dans le cadre des manifestations. La nouvelle rédaction proposée devrait permettre une plus grande souplesse dans la mise en oeuvre des dispositifs de contrôles.
2. Une adaptation de la mesure d'interdiction de participer à une manifestation pour répondre à des besoins opérationnels
En dépit des doutes émis lors de l'examen en commission, l'Assemblée nationale a également souscrit à la création d'une mesure d'interdiction administrative de participer à une manifestation sur la voie publique qui serait prononcée par le préfet à l'encontre de toute personne représentant une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public ( article 2 de la proposition de loi ).
Elle a conservé la plupart des garanties apportées par le Sénat au texte initialement déposé en vue d'assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis. Sur ce point, l'Assemblée nationale a partagé le souci de votre commission d'assurer un droit au recours effectif, en présumant la condition d'urgence pour les recours en référé devant le juge administratif.
Guidés par le souci de répondre aux « besoins opérationnels constatés sur le terrain » 2 ( * ) , les députés ont néanmoins apporté plusieurs modifications qui tendent, en définitive, à élargir le périmètre de la mesure.
Ils ont, en particulier, redéfini son champ d'application de manière à répondre aux besoins des forces de l'ordre. D'une part, ils ont souhaité dissocier la mesure de toute condamnation pénale préalable, de manière à pouvoir cibler les personnes ayant commis des actes violents avant même qu'elles ne soient condamnées. D'autre part, ils ont ouvert la possibilité de prononcer une mesure d'interdiction à l'encontre de personnes en raison de leurs « agissements » récurrents dans le cadre des manifestations.
Alors que le Sénat avait cherché à circonscrire l'interdiction de manifester dans le temps et dans l'espace, en en faisant une mesure ponctuelle, l'Assemblée nationale a prévu la possibilité de prononcer des mesures d'interdiction de manifester valables sur l'ensemble du territoire national, pour une durée pouvant aller jusqu'à un mois . Selon l'objet de l'amendement du Gouvernement adopté, cette « mesure concernerait les personnes dont il existe des raisons sérieuses de penser qu'une interdiction ponctuelle ne les dissuadera pas de se rendre dans un autre lieu de manifestation dans le but d'y causer des violences ou dégradations ».
Poursuivant le même objectif d'opérationnalité, l'Assemblée nationale a également réécrit l'article 3 de la proposition de loi relatif à l'inscription, dans un fichier unique, de l'ensemble des mesures d'interdiction de manifester, judiciaires et administratives.
Elle a approuvé l'objectif poursuivi par le Sénat de faciliter, pour les forces de sécurité intérieure, les contrôles nécessaires pour s'assurer du respect de ces mesures. Plutôt que de créer un nouveau fichier, elle a néanmoins estimé préférable de prévoir l'inscription de ces mesures au sein du fichier des personnes recherchées, déjà facilement accessible par les policiers et gendarmes.
3. Un assouplissement du régime de déclaration des manifestations
Partageant le souci du Sénat de prévenir, le plus en amont possible, les risques de débordements dans le cadre des manifestations sur la voie publique, l'Assemblée nationale a complété le chapitre I er de la proposition de loi d'un article 1 er A .
Celui-ci tend à assouplir les modalités de déclaration des manifestations auprès de l'autorité administrative. Il prévoit que cette formalité, qui doit aujourd'hui être accomplie par trois personnes résidant dans le département où se déroule la manifestation, puisse désormais l'être par une seule personne, sans condition de résidence.
Comme le relevait notre collègue Alice Thourot, rapporteure de la commission des lois de l'Assemblée nationale, cette disposition vise à « encourager les organisateurs de manifestation à procéder à la déclaration prévue par la loi afin de permettre à l'autorité administrative d'établir un dispositif d'accompagnement adapté aux besoins » 3 ( * ) .
4. L'instauration d'un contrôle parlementaire renforcé
Eu égard à l'atteinte susceptible d'être portée aux droits et libertés constitutionnellement garantis, l'Assemblée nationale a souhaité prévoir un contrôle parlementaire renforcé pour l'ensemble des mesures préventives de la proposition de loi.
Elle a, à cet effet, introduit un article 3 bis qui fixe le principe d'une évaluation annuelle desdites mesures par les assemblées parlementaires et prévoit la remise annuelle, par le Gouvernement, d'un rapport au Parlement sur leurs conditions d'application.
* 1 L'Assemblée nationale a notamment modifié l'intitulé du texte : la proposition de loi visant à prévenir les violences et à sanctionner leurs auteurs est devenue la proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations.
* 2 Objet de l'amendement n° 228 (Rect) déposé par le Gouvernement, en séance publique, sur l'article 2 de la proposition de loi, et adopté par l'Assemblée nationale.
* 3 Rapport n° 1352 (XVe législature) de Mme Alice Thourot fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur la proposition de loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs. Ce rapport est disponible à l'adresse suivante :