II. LE MÉCANISME À DOUBLE DÉTENTE PROPOSÉ PAR LA PROPOSITION DE LOI ET LE GOUVERNEMENT
A. POUR L'URGENCE, UN NOUVEAU REPORT DE L'AUTORISATION D'EXERCICE BÉNÉFICIANT AUX PADHUE RÉPONDANT AUX CRITÈRES DE LA « LISTE C »
• Dans ce contexte, l'ambition de la proposition de loi est très modeste . Il s'agit simplement de prolonger de deux ans, c'est-à-dire jusqu'au 31 décembre 2020, l'autorisation d'exercice dérogatoire mise en place par la LFSS pour 2007. Cette disposition figurait initialement à l'article 42 de la loi du 10 septembre 2018 sur l'immigration 19 ( * ) ; elle a cependant été censurée comme cavalier législatif par le Conseil constitutionnel.
Cette prolongation du dispositif mis en place en 2006 serait la troisième, après celles intervenues dans la loi dédiée de 2012 et dans la loi « Montagne » de 2016.
•Il s'agit donc uniquement d'une mesure d'urgence , qui vise à éviter que les quelques centaines de praticiens remplissant les conditions fixées par la loi de 2012 ne se retrouvent hors-la-loi au 1 er janvier prochain. Selon les estimations transmises par la DGOS, 300 personnes seraient concernées ; le SNPadhue évoque de son côté le chiffre de 500 praticiens.
• C'est bien évidemment très insuffisant , ne serait-ce que parce que la plupart des Padhue exerçant actuellement à titre dérogatoire ne relèvent pas de ce dispositif, puisqu'ils ont été recrutés après 2010. Le SNPadhue estime à ce titre que « cette proposition de loi est la bienvenue et nous la saluons : elle légaliserait le travail d'une minorité de Padhue. Néanmoins, elle n'englobera pas tous les praticiens et exclurait la majeure partie de ceux ne remplissent pas les conditions de la loi 2012 mais exerçant sous des statuts précaires ».
Il ne s'agit en outre ni plus ni moins que d'autoriser les professionnels concernés à poursuivre leur activité en reconduisant dans le même temps leur précarité . Le SNPadhue a d'ailleurs souligné que certains des professionnels relevant du périmètre de la présente proposition de loi ont d'ores et déjà reçu un préavis leur notifiant la fin de leurs fonctions au 31 décembre 2018, soit la date d'expiration du dispositif reconduit en 2016.
Votre commission regrette enfin que le dernier report de deux ans, voté dans la loi « Montagne » de 2016, n'ait pas été mis à profit pour définir une solution plus pérenne.
B. POUR LE MOYEN TERME, L'ANNONCE D'UNE RÉFORME GLOBALE, PRÉSENTÉE DANS LE CADRE DE LA FUTURE LOI « SANTÉ »
1. Les objectifs et le dispositif de la réforme à venir annoncés par le ministère de la santé
Les auditions conduites par votre rapporteure ont fait apparaître que la DGOS a assez largement avancé sur une proposition de réforme dont les syndicats et associations de Padhue, associés à son élaboration, approuvent l'architecture générale.
La DGOS a ainsi indiqué que des dispositions relatives à la « sécurisation des compétences et amélioration des conditions d'intégration des Padhue au système de santé français » figureront dans la loi « Santé » qui devrait être examinée par le Parlement au printemps 2019.
a) Une réforme annoncée sous la pression des professionnels
A l'approche de la date du 31 décembre 2018, et alors qu'aucune solution n'était encore effectivement prévue pour garantir la poursuite de l'activité des Padhue couverts par le régime mis en place en 2006, les syndicats et associations de Padhue ont organisé une manifestation devant le ministère de la santé le 15 novembre dernier, qui a débouché sur une concertation tenue dans l'urgence avec la DGOS.
Le ministère a indiqué que trois réunions avaient été successivement tenues au mois de novembre afin de recueillir l'avis et les demandes des acteurs concernés, en présence de représentants de l'ordre des médecins et du centre national de gestion : le 22 avec les représentants hospitaliers ; le 23 avec les différents syndicats de Padhue, de praticiens hospitaliers et d'étudiants en médecine ; le 27 avec les ordres des autres professions concernées.
b) L'esprit de la réforme envisagée : régler la situation de l'ensemble des Padhue et faire de la liste A l'unique voie d'accès au plein exercice de la médecine pour les titulaires d'un diplôme extra-européen
Au terme de cette concertation, la réforme envisagée poursuit quatre objectifs , selon la DGOS : sécuriser le contrôle de compétence des praticiens titulaires d'un diplôme délivré hors UE souhaitant bénéficier du plein exercice en France ; améliorer les conditions d'intégration au système de santé français et de reconnaissance des professionnels concernés ; poser les bases d'un nouveau dispositif pérenne ; créer les conditions pour qu'une fois résorbée la situation actuelle, il ne demeure plus qu'une seule voie d'accès à l'exercice des médecins en France.
L'esprit en sera le suivant : une procédure d'autorisation de plein exercice dérogatoire et temporaire sera mise en place pour assurer l'intégration du plus large nombre de Padhue actuellement en activité ; une fois résorbée la situation actuelle, il ne demeurerait plus qu'une seule voie d'accès à l'exercice des médecins en France, celle de la liste A .
Les hôpitaux n'auront par ailleurs plus la possibilité de recruter ces professionnels par voie contractuelle.
(1) La réforme envisagée concernerait un large nombre de Padhue
Selon les indications fournies par la DGOS, le dispositif en cours de préparation concernerait trois catégories de professionnels - étant précisé qu'il a vocation à s'appliquer aux recrutements de médecins à diplôme hors UE, mais également aux chirurgiens-dentistes, aux sages-femmes et aux pharmaciens.
En premier lieu, des dispositions transitoires d'intégration s'appliqueraient aux praticiens éligibles à l'examen de la liste C qui n'ont pas passé ou réussi les épreuves de vérification des connaissances mises en place en 2007, ainsi qu'aux praticiens non éligibles à l'examen de la liste C ayant exercé au sein du système de santé français « à une date donnée pendant une certaine période ».
En second lieu, des dispositions pérennes seront prévues pour les futurs lauréats du concours de la liste A, ouvert aux nouveaux arrivants.
(2) La résorption de la situation actuelle passerait par une procédure transitoire d'intégration à double niveau
Afin de résorber la situation actuelle, le ministère proposerait la mise en place d'une procédure à double niveau pour permettre l'examen d'un nombre potentiellement important de dossiers.
• Au terme d'une période de dépôt qui sera « limitée dans le temps », ces dossiers feraient tout d'abord l'objet d'une pré-instruction par une commission régionale constituée par spécialité et présidée par le directeur général de l'ARS. Au terme de cette pré-instruction, qui reposerait sur un examen du dossier et une audition du candidat, une attestation permettant un exercice temporaire jusqu'au 31 décembre 2021 au plus tard serait délivrée aux candidats au plein exercice, et une proposition serait faite à la commission nationale d'autorisation d'exercice compétente.
Cette proposition pourrait être de trois types : la délivrance d'une autorisation d'exercice ; la prescription d'un parcours de consolidation des compétences d'une durée maximale équivalente à celle du troisième cycle des études de médecine de la spécialité concernée ; le rejet de la demande du candidat.
• La commission nationale émettrait ensuite, après examen de chaque dossier, un avis destiné au ministre chargé de la santé.
• Le parcours de consolidation des compétences , qui pourrait débuter entre novembre 2020 et novembre 2021, verrait les praticiens concernés être affectés sur un terrain de stage agréé pour la formation du 3ème cycle des études de médecine en qualité de praticiens associés en intégration (PAI) - nouveau statut qui se substituerait aux statuts contractuels existants, et permettrait de prévenir de nouveaux recrutements contractuels. Ces praticiens seraient éligibles au contrat d'engagement de service public (CESP).
(3) La liste A deviendrait le mode d'accès privilégié à l'autorisation d'exercice
Dans ces conditions, et après résorption de la situation actuelle à la fin de l'année 2021, le concours de la liste A deviendrait l'unique mode d'accès au plein exercice de la médecine pour les diplômés extra-européens .
La liste des postes mis au concours chaque année serait établie après recensement des besoins auprès des ARS , les postes étant répartis par spécialités, régions et lieux de stage identifiés pour la réalisation des fonctions probatoires selon les besoins et des capacités de formation. Le choix des postes parmi les postes proposés et par ordre de classement au sein de chaque spécialité sera effectué par les lauréats, qui seront également éligibles au CESP.
La durée des fonctions probatoires serait réduite de trois à deux ans pour les médecins et pharmaciens ; les candidats pourront se présenter 4 fois au concours de la « liste A ».
2. Une vigilance particulière s'impose sur plusieurs des éléments annoncés
Si ces lignes générales apparaissent satisfaisantes, votre rapporteure insiste sur l'attention particulière qui devra être portée sur plusieurs points lors de l'examen de ce texte.
En premier lieu, le périmètre du dispositif d'intégration devra être suffisamment large pour couvrir l'ensemble des Padhue aujourd'hui en activité ou en recherche d'activité . Certains d'entre eux, du fait de la précarité de leurs contrats, pourraient en effet ne pas être couverts par la condition d'activité qui sera proposée pour y accéder. Le SNPadhue estime sur ce point que tous les praticiens en exercice au 31 décembre 2018 devront pouvoir intégrer le dispositif transitoire de résorption.
Cette ambition devra cependant être conciliée avec la garantie d'un contrôle rigoureux des connaissances , assorti le cas échéant de mesures de remise à niveau, permettant de garantir le plus haut niveau de qualité des soins à l'ensemble de nos concitoyens. Ce contrôle devra en particulier être assorti d'une vérification du niveau de langue des candidats au plein exercice.
Il semble par ailleurs que rien ne soit prévu pour régler l'épineuse situation des binationaux titulaires d'un diplôme étranger , qui sont très peu nombreux mais se trouvent dans une impasse dès lors qu'ils ne satisfont aux critères d'aucun régime d'exercice.
Enfin, le succès de la mesure suppose à la fois que la situation actuelle soit entièrement résorbée et qu'un nouveau « stock » de praticiens sans plein exercice ne soit pas recréé par de nouveaux recrutements avant l'entrée en vigueur de la loi. La DGOS a indiqué sur ce point que les hôpitaux seraient pleinement informés, par le biais des ARS, de la réforme à venir.
* 19 Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.