LES PRINCIPAUX ENJEUX DU PROGRAMME « SÉCURITÉ CIVILE »

A. FACE À LA BAISSE DE LEURS MOYENS, LA NÉCESSITÉ D'UNE DYNAMIQUE DE MUTUALISATION ET D'UN SOUTIEN AUX INVESTISSEMENTS STRUCTURANTS DES SDIS

1. Une stagnation du budget des SDIS, malgré une croissance continue de l'activité opérationnelle

Les SDIS ont réalisé, en 2017, près de 4,648 millions d'interventions, soit une croissance de 2 % liée aux augmentations des incendies (+ 6 %) principalement des feux de végétation, des secours à victimes et de l'assistance aux personnes (+ 3 %), tempérées par la diminution des opérations diverses (- 7 %).

La moyenne des interventions par service d'incendie et de secours est de 125 par jour, avec des variations importantes.

En tout état de cause, les budgets des SDIS sont désormais stabilisés depuis six années, puisque la progression de leurs dépenses totales, hors inflation, de 0,2 % en 2011, se situe en 2012 à 1,1 %, à 1,2 % en 2013, à 0,8 % en 2014 et à 1,1 % en 2014, soit une hausse très modérée. Pour 2016 on observe la première baisse des budgets des SDIS à - 1,27 % en valeur brute et - 1,47 % en tenant compte de l'inflation. En 2017 les budgets des SDIS sont de nouveau en légère hausse à 1,6 % en tenant compte de l'inflation (2,4 %, en valeur brute).

Dépenses des SDIS depuis 2007

(en euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les comptes de gestion des SDIS).

Outre cette stagnation budgétaire, il convient de relever que sur le long terme, les dépenses d'investissement des SDIS ont connu une baisse importante, de près de 20 % entre 2008 et 2017. Cette baisse apparait comme d'autant plus préoccupante que le soutien de l'État aux investissements structurant des SDIS s'est récemment affaibli.

Cette modération de la dépense publique doit être compensée par la multiplication des mesures visant à parvenir à une meilleure maîtrise des dépenses des SDIS. Il en est ainsi par exemple, de la réduction des coûts de formation par le développement, notamment, de la validation des acquis de l'expérience, des mesures de mutualisation des achats, ainsi que de la mutualisation des fonctions supports avec les services des conseils départementaux ou d'autres services publics. Diverses pistes avaient été formulées à ce sujet, l'an dernier, par votre rapporteur spécial 4 ( * ) .

En outre, les dépenses des SDIS sont alimentées par des exigences réglementaires qui ne font pas toujours l'objet de compensation de la part de l'État 5 ( * ) .

2. Une dotation aux investissements structurants des SDIS très largement insuffisante

De 2003 à 2012, l'État est intervenu directement en faveur des SDIS au travers du fonds d'aide à l'investissement des SDIS (FAI) pour un total de 302 millions d'euros sur l'ensemble de la période. Critiqué dès 2007 pour le « saupoudrage » des crédits qu'il occasionnait, ce fonds n'est plus doté depuis 2013 en AE mais seulement en CP afin d'achever la couverture des engagements antérieurs. Depuis 2017, aucun crédit n'est prévu en loi de finances initiale au titre de ce fonds.

Cependant, ainsi qu'il a été rappelé, les dépenses d'investissement des SDIS ont régulièrement diminué au cours des dernières années. Il est apparu nécessaire de se doter d'un nouvel outil afin de répondre à la demande d'une intervention de l'État pour soutenir l'investissement des SDIS.

C'est pourquoi une dotation destinée à appuyer les équipements structurants des services d'incendie et de secours a été créée par la loi du 27 décembre 2016 relative aux sapeurs-pompiers professionnels et aux sapeurs-pompiers volontaires 6 ( * ) .

Cette dotation est financée par un prélèvement sur la contribution que l'État versait jusqu'alors annuellement aux conseils départementaux, au travers de la DGF, au titre de sa participation au financement de la prestation de fidélisation et de reconnaissance (PFR) versée aux sapeurs-pompiers volontaires.

En 2017, la dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS s'élevait à 25 millions d'euros ainsi répartis :

- pour un montant de 5 millions d'euros , l'accompagnement ponctuel attendu par le Gouvernement de Nouvelle-Calédonie au titre du transfert de la compétence « Sécurité civile » ;

- pour un montant de 20 millions d'euros :

• d'une part, un soutien à des projets nationaux tels que la mise en place de la mission de préfiguration pour le développement du système unifié de gestion des appels, des alertes et des opérations des SDIS, le déploiement du dispositif SINUS de dénombrement des victimes ou encore la capacité de renseignement aérien ;

• d'autre part, un soutien à des projets locaux d'intérêt national portés par les SDIS, sélectionnés suite à un appel à projets.

Suite au comité d'engagement du 12 mai 2017, des projets transmis par les services préfectoraux (zone de défense et de sécurité) ont ainsi été sélectionnés pour un montant de 9,26 millions d'euros, le reste étant attribué aux projets d'intérêt national.

Ont plus particulièrement été financés des projets locaux permettant la pleine efficacité du réseau Antarès (appui à la généralisation du raccordement des SDIS au service de radiocommunications numériques Antarès et à son déploiement en outre-mer, financement des équipements CTA-CODIS de Mayotte), ou des projets élaborés dans le cadre du contrat territorial de réponses aux risques et aux effets des menaces (CoTRRiM).

Au titre de 2018, la loi de finances n'a abondé que de 10 millions d'euros la dotation de soutien aux investissements structurants des services d'incendie et de secours, soit une réduction regrettable de 60 % de cette dotation.

En outre, la moitié de cette dotation est prévue pour financer le projet de système d'information unifié des services d'incendie et secours et de la sécurité civile « SGA-SGO/NexSIS », qui constitue, à juste titre, un élément clé de la stratégie du ministère de l'intérieur.

Le projet de système d'information unifié des services d'incendie
et de secours de la sécurité civile (NexSIS)

Depuis avril 2017, sous l'autorité du directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises, une mission de préfiguration travaille au lancement du programme « NexSIS 18-112 », système d'information et de commandement unifié des services d'incendie et de secours et de la sécurité civile.

Les deux champs d'action principaux de cette mission pour 2018 ont été la mise en place de l'établissement public national à gouvernance partagée entre l'État et les SDIS, future structure porteuse du programme, et l'établissement de l'ensemble des spécifications techniques et fonctionnelles de la future plateforme digitale des secours, consolidée au sein d'un plan projet élaboré en partenariat avec les différentes structures concernées, dont les SDIS préfigurateurs.

Le décret portant la création de l'Agence nationale du numérique de la sécurité civile est paru le 8 octobre 2018 7 ( * ) . L'établissement est ainsi opérationnel dès le début 2019, notamment pour lancer les premiers appels d'offres.

En parallèle, la mission de préfiguration a finalisé les deux dossiers qui permettront de consolider le programme sur le plan opérationnel et dans son pilotage interministériel : le plan projet, qui guidera la réalisation et la gestion de l'opération, et le dossier de validation soumis à l'avis de la direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État, dossier exigé pour les grands projets informatiques.

La fin de l'année 2018 sera ainsi consacrée au lancement de l'agence, à la consolidation de la stratégie industrielle et à la conception du premier démonstrateur informatique pour le module de gestion des appels. En effet, la démarche systématique d'expérimentation doit permettre une déclinaison rapide des travaux d'expression des besoins et éviter une démarche hors-sol. Cette même méthode agile doit également concourir à la maitrise des coûts du programme.

Au titre de l'année 2019, 7 millions d'euros issus du programme « Sécurité civile » seront consacrés à l'agence, complétés par 2 millions d'euros de subventions d'investissements des SDIS.

Pour mémoire, le financement initial du programme s'opérera grâce à une participation de l'État à hauteur de 25 %, soit 37 millions d'euros cumulés, et par des subventions d'investissements de SDIS préfigurateurs. À l'issue, ce sont les contributions de fonctionnement des SDIS bénéficiant des services de NexSIS 18-112 qui constitueront l'essentiel des recettes de l'agence.

À ce jour, le calendrier de déploiement se base sur une première version mise en place dans un premier SDIS béta-testeur en 2020 puis une montée en charge progressive à partir de 2021. Le second semestre 2018 doit notamment permettre la poursuite des échanges avec l'ensemble des SIS pour élaborer la trajectoire de déploiement.

Source : réponse au questionnaire budgétaire

Les AE finançant des projets locaux notifiées au titre de l'exercice 2017 ont été honorées selon une répartition « 30/70 », l'étalement des crédits de paiements s'opérant en fonction de la progression des différentes actions menées localement.

Les 3 millions d'euros de CP d'intervention permettront de solder plus de la moitié des projets locaux engagés initialement sur l'année budgétaire. Dans une configuration inchangée en 2019 et en 2020, 3 millions d'euros de CP au bénéfice des projets locaux seront prioritairement utilisés à la couverture des dernières demandes de liquidation de ces subventions avec une possibilité en 2021 d'une nouvelle programmation à la marge.

Au total, ce montant est unanimement considéré comme largement insuffisant pour permettre le financement satisfaisant de ces projets. Par ailleurs, il néglige la nécessité de poursuivre les investissements dans d'autres domaines (systèmes de radiocommunication, véhicules, équipements, etc.). Aussi, il apparaît nécessaire de procéder au minimum à un doublement de cette dotation pour les années à venir . L'absence de revalorisation de cette dotation par le présent projet de loi de finances apparait, en outre, d'autant plus surprenante que la dépense prévue est inférieure à la prévision de 4,8 millions d'euros pour les crédits hors titre 2 (cf. supra ).

3. Une soutenabilité financière également menacée par l'application de la directive européenne sur le temps de travail aux sapeurs-pompiers volontaires

Les effectifs des sapeurs-pompiers approchent les 246 800, dont 193 800 (79 %) sapeurs-pompiers volontaires (SPV), 40 600 (16 %) sapeurs-pompiers professionnels (SPP) et 12 300 militaires. La proportion de sapeurs-pompiers volontaires peut aller jusqu'à 90 % dans les départements les moins peuplés.

Le développement et la pérennité du modèle français de distribution des secours, qui repose de façon significative sur les sapeurs-pompiers volontaires, constitue un enjeu majeur pour la sécurité civile. À ce titre, la préservation d'un cadre juridique flexible et adapté à leurs activités est primordiale.

À ce titre, la directive européenne de 2003 relative au temps de travail 8 ( * ) , ne s'applique pas, à l'heure actuelle, aux sapeurs-pompiers volontaires.

Cette dernière contient notamment deux dispositions contraignantes :

- la durée maximale de travail hebdomadaire de 48 heures ;

- le repos journalier de 11 heures consécutives.

Statuant le 21 février 2018 9 ( * ) sur un contentieux opposant un sapeur-pompier volontaire belge à la commune de Nivelles à propos de la rémunération de son service de garde à domicile, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a considéré que :

- les sapeurs-pompiers volontaires doivent être considérés comme « travailleurs » au sens de la directive ;

- les périodes de garde sont toujours considérées comme du temps de travail ;

- les périodes d'astreinte peuvent être exclues du temps de travail dès lors que les contraintes ne sont pas excessives et ne peuvent être assimilées à celles découlant d'un travail (subordination, rémunération).

Aucune procédure de mise en demeure n'a été engagée à ce jour contre la France pour non-conformité avec cette directive. Cependant, plusieurs contentieux nationaux 10 ( * ) ont été introduits, à l'initiative de certaines organisations syndicales de sapeurs-pompiers professionnels, sur le fondement de l'arrêt Matzak pour obtenir la qualification des sapeurs-pompiers volontaires français comme travailleurs au sens de la directive, avec l'ensemble des effets induits.

L'application de la directive emporterait une rupture profonde d'équilibre du modèle français de secours. Pour garantir une capacité opérationnelle constante, elle supposerait, selon la Fédération française des sapeurs-pompiers français, un accroissement de moitié (2,5 milliards d'euros) du coût des services d'incendie et de secours lié à la compensation des effectifs de sapeurs-pompiers volontaires par des professionnels, lequel apparaît à la fois difficilement soutenable pour les finances publiques, déjà fortement sollicitées par la mise en conformité en 2013 du temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels 11 ( * ) sans égard pour la spécificité de leurs missions.

À ce titre, votre rapporteur spécial souhaite rappeler l'importance de maintenir un statut dérogatoire pour les sapeurs-pompiers volontaires, sans lequel la pérennité du modèle français est mise en danger. Comme l'indique le rapport de la mission « Volontariat » ; « rigoureusement, les SPV français ne sauraient [...] être assimilés à des travailleurs :

- ils ne sont pas placés dans une situation de subordination hiérarchique, puisqu'ils s'engagent librement en tant que citoyens. Ils répondent simplement à une chaîne de commandement rendue nécessaire pour que les SIS assurent efficacement leurs missions ;

- leur activité ne constitue pas du temps de travail, puisque, d'une part, ils indiquent personnellement et sans obligation leur disponibilité et puisque, d'autre part, plus de 85 % des centres d'incendie et de secours ont recours à l'astreinte, mode selon lequel le SPV est présent sur son lieu de travail ou de repos tant que son bip sélectif ne retentit pas, et vaque librement à sa vie professionnelle, familiale ou personnelle ;

- enfin, les SPV ne perçoivent pas de rémunération comparable à un salaire du secteur privé ou un traitement de la fonction publique, mais une indemnisation, destinée à compenser les risques élevés qu'ils acceptent de prendre au service des autres et les charges que leur engagement fait peser sur le niveau de vie de leur foyer . » 12 ( * ) La préservation de ce statut appelle, en tout état de cause, une initiative forte de la part du Gouvernement français vis-à-vis de la Commission européenne.


* 4 Rapport général n° 108 (2017-2018) de M. Jean Pierre Vogel, fait au nom de la commission des finances, déposé le 23 novembre 2017

* 5 Observation de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) en audition.

* 6 Article 17 de la loi n°2016-1867 du 27 décembre 2016 relative aux sapeurs-pompiers professionnels et aux sapeurs-pompiers volontaires.

* 7 Décret n° 2018-856 du 8 octobre 2018 portant création de l'Agence du numérique de la sécurité civile.

* 8 Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail.

* 9 Cour de justice de l'Union européenne, arrêt du 21 février 2018, Matzak, C-518/15.

* 10 Tribunal administratif de Strasbourg (2 e chambre), 2 novembre 2017, Syndicat autonome des SPP et des PATS du Bas-Rhin, n°1700145.

* 11 Décret n° 2013-1186 du 18 décembre 2013 relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels.

* 12 Rapport à l'attention du ministre d'État, ministre de l'intérieur, Mission volontariat sapeurs-pompiers, 23 mai 2018.

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