TITRE II - DISPOSITIONS RELATIVES AUX DÉLITS DE HARCÈLEMENT SEXUEL ET HARCÈLEMENT MORAL
Article 3 - (art. 222-33 et 222-33-2-2 du code pénal ; art. 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique) - Répression du harcèlement sexuel et moral
L'article 3 du projet de loi tend à modifier la définition des qualifications pénales de harcèlement sexuel et de harcèlement moral afin de mieux réprimer les faits de harcèlement collectif, notamment en ligne.
• La répression actuelle du harcèlement sexuel et moral
Plusieurs qualifications pénales permettent de réprimer les faits de harcèlement.
En application de l'article 222-33 du code pénal, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende « le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » .
Est également puni, en tant que fait assimilé au harcèlement sexuel, l'usage « de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers ».
Défini par l'article 222-33-2 du code pénal, le délit de harcèlement moral réprime « le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». Sont alors encourues deux ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende.
Depuis la loi du 4 aout 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, l'article 222-33-2-2 punit en outre d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende « le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale » .
• L'évolution proposée de ces qualifications pénales par l'article 3 du projet de loi afin de réprimer les « raids numériques »
Dans son avis de novembre 2017, intitulé « En finir avec l'impunité des violences faites aux femmes en ligne : une urgence pour les victimes 48 ( * ) » , le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) a appelé à lutter contre les « raids numériques », c'est-à-dire la « publication par plusieurs auteurs différents de propos sexistes et violents proférés une seule fois à l'encontre d'une même cible ».
Ce phénomène n'est que très difficilement réprimé sur le fondement des qualifications actuelles puisque les auteurs des raids réitèrent rarement les mêmes propos. En revanche, ils se coordonnent afin de cibler, de manière collective, la même personne.
En conséquence, l'article 3 du projet de loi vise donc à compléter les dispositions relatives aux délits de harcèlement sexuel et de harcèlement moral afin de considérer comme un harcèlement le fait individuel d'une personne, qui agit de façon concertée avec d'autres auteurs, contre une personne afin que celle-ci subisse des propos ou comportements répétés.
En commission des lois, notre collègue députée et rapporteure, Alexandra Louis, a distingué clairement deux hypothèses de « concertation », l'une tacite, l'autre expresse.
Ainsi, constitueraient un harcèlement sexuel ou moral :
- le fait, pour plusieurs personnes, de manière concertée ou à l'instigation de l'une d'elles , alors même que chacune de ces personnes n'a pas agi de façon répétée, d'imposer des propos ou comportements visés par la qualification de harcèlement sexuel ou moral à une même victime ;
- le fait, pour plusieurs personnes, qui même en l'absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition, d'imposer successivement des propos ou comportements visés par la qualification de harcèlement sexuel ou moral à une même victime . »
En séance publique à l'Assemblée nationale, à l'initiative de notre collègue députée et rapporteure, Alexandra Louis, a modifié la qualification légale du harcèlement sexuel afin d'inclure les propos ou les comportements à connotation « sexiste » afin « d'aligner, hors la répétition, la définition du harcèlement sexuel telle qu'elle figure à l'article 222-33 du code pénal et la définition de l'outrage sexiste ».
• La position de votre commission
Votre commission a souhaité revenir sur l'ajout introduit à l'Assemblée nationale en première lecture, tendant à modifier les éléments constitutifs de l'infraction de harcèlement sexuel pour y inclure les propos ou comportements à connotation sexiste imposés à une personne de façon répétée.
Comme l'ont souligné le Défenseur des droits ainsi que plusieurs magistrats et universitaires entendus par votre rapporteur, cette extension entraîne une confusion entre le harcèlement sexuel et l'outrage sexiste , créé par l'article 4 du projet de loi, alors que la notion de harcèlement sexuel doit rester clairement distinguée des autres infractions.
Par l'adoption de l'amendement COM-66 de votre rapporteur, votre commission a supprimé cette mention.
Sous cette réserve, votre commission des lois partage la volonté du Gouvernement de faire évoluer les définitions du harcèlement sexuel et moral pour mieux réprimer les raids numériques et approuve dès lors l'extension proposée par le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale .
Afin de renforcer effectivement la lutte contre les violences en ligne et mieux lutter contre la propagation de contenus « harceleurs », votre commission a adopté, à l'initiative de votre rapporteur et de notre collègue Marie-Pierre de la Gontrie, les amendements identiques COM-67 et COM-12 qui incluent, dans le devoir de coopération des intermédiaires techniques, la lutte contre le harcèlement sexuel.
Le régime de responsabilité et les devoirs des intermédiaires techniques Transposant en droit français les dispositions de la directive 2000/31 du 8 juin 2000, dite directive « commerce électronique », l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique prévoit un régime de responsabilité limitée pour les fournisseurs d'accès 49 ( * ) et les hébergeurs de contenus 50 ( * ) . S'ils ne sont pas responsables a priori des contenus qu'ils « stockent » et donc ne sont pas astreints à un devoir de surveillance de ces contenus, ces intermédiaires techniques ont néanmoins pour obligation d'agir promptement pour retirer toute donnée dont le contenu serait manifestement illicite. Pour certains délits spécifiques, les intermédiaires techniques doivent également : - mettre en place un dispositif « facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance » les contenus jugés contraires à l'intérêt général ; - informer promptement les autorités publiques compétentes des signalements reçus par le biais des dispositifs de signalement ; ces signalements sont traités par la plate-forme (PHAROS) ; - rendre publics les moyens qu'ils consacrent à la lutte contre les activités illicites. Parmi ces délits, figurent notamment l'apologie de crimes contre l'humanité, la discrimination, l'incitation à la haine ou à la violence, la pédopornographie ou encore le proxénétisme. |
Possibilités de signalement d'une vidéo de cyber-harcèlement sur Youtube
Source : captures d'écran de l'écran de signalement d'une vidéo sur Youtube
Votre commission a adopté l'article 3 ainsi modifié.
Article 3 bis (art. 132-80, 222-8, 222-10, 222-12, 222-13, 222-24, 222-28, 222-33, 222-33-2-1, 222-33-2-2 du code pénal) - Circonstances aggravantes
Introduit par l'Assemblée nationale en commission, par l'adoption de deux amendements identiques de notre collègue députée et rapporteure, Alexandra Louis, et de notre collègue député Dimitri Houbron, l'article 3 bis du projet de loi a pour objet de préciser ou de créer plusieurs circonstances aggravantes.
• L'absence d'exigence de cohabitation pour la circonstance aggravante d'infractions commises par le conjoint, concubin ou partenaire d'un pacte civil de solidarité
Les violences sexuelles subies par les femmes dans la sphère privée ont lieu le plus souvent au sein du couple ; en 2016, 45 % des femmes âgées de 18 à 75 ans, déclarant avoir été victimes d'un viol, étaient victimes de leur conjoint ou de leur ex-conjoint 51 ( * ) .
Afin de réprimer ces comportements, le code pénal prévoit, pour certaines infractions, une circonstance aggravante « lorsque l'infraction est commise par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité . »
L' article 132-80 du code pénal précise que la circonstance aggravante est également constituée « lorsque les faits sont commis par l'ancien conjoint, l'ancien concubin ou l'ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité ».
L'exigence de communauté de vie en matière civile L'article 215 du code civil énonce, en matière conjugale, que « les époux s'obligent mutuellement à une communauté de vie » et que « la résidence de la famille est au lieu qu'ils choisissent d'un commun accord . » L'article 515-4 du même code dispose que « les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s'engagent à une vie commune ». Enfin, selon l'article 515-8 du code civil, « le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ». |
Afin d'éviter certaines applications jurisprudentielles de cette circonstance aggravante qui impose une cohabitation, et pas seulement une communauté de vie et d'intérêts, l'article 3 bis du projet de loi a pour objet de préciser que la circonstance aggravante « d'infraction commise au sein du couple » s'applique même aux couples non-cohabitants .
Votre commission approuve cette précision, qui peut être utile.
• La circonstance aggravante de l'infraction de harcèlement sexuel lorsque ce dernier est le fait d'un conjoint, d'un concubin ou d'un partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité
L'article 3 bis du projet de loi tend également à compléter la liste des circonstances aggravantes prévues pour le harcèlement sexuel à trois hypothèses :
- alors qu'un mineur de quinze ans était présent au moment des faits et y a assisté ;
- lorsque les faits ont été commis par un ascendant ou par tout autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ;
- lorsque les faits sont commis par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un PACS.
Les peines encourues seraient alors de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende.
Votre rapporteur comprend la volonté de l'Assemblée nationale mais estime néanmoins que la circonstance aggravante liée au fait que l'auteur est le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un PACS pourrait engendrer une confusion avec le délit de harcèlement au sein du couple (prévu par l'article 222-33-2-1 du code pénal) alors même que les peines encourues pour ce dernier délit peuvent être supérieures (jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende, en cas de circonstances aggravantes).
Le harcèlement sexuel (article 222-33 du code pénal) « I. - Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. II. - Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers. III. - Les faits mentionnés aux I et II sont punis de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende. » Le harcèlement moral au sein du couple (article 222-33-2-1 du code pénal) « Le fait de harceler son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ont entraîné aucune incapacité de travail et de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende lorsqu'ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours. » |
De plus, comme l'ont relevé plusieurs universitaires entendus par votre rapporteur, il semble préférable de sanctionner le harcèlement « moral » au sein du couple, plutôt que le harcèlement sexuel ; cette dernière qualification pénale serait susceptible d'entraîner des débats judiciaires délicats autour des éléments constitutifs du harcèlement sexuel alors même que les éléments constitutifs de l'article 222-33-2-1 du code pénal semblent plus larges.
En conséquence, par l'amendement COM-68 rect . de votre rapporteur, votre commission a supprimé cette précision.
En revanche, votre commission a conservé l'ajout des deux autres circonstances aggravantes au délit de harcèlement sexuel.
• La présence d'un mineur de 15 ans ayant assisté aux faits comme circonstance aggravante
Pour certaines infractions limitativement énumérées, l'article 3 bis du projet de loi vise à créer une nouvelle circonstance aggravante en cas de présence d'un mineur de 15 ans lors de la commission des faits réprimés à titre principal.
Infractions concernées par la circonstance aggravante de présence d'un mineur de 15 ans
Articles
|
Qualification pénale |
Peines encourues |
Article 222-8 |
Violences mortelles avec circonstances aggravantes |
20 ans de réclusion criminelle |
Article 222-10 |
Violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente avec circonstances aggravantes |
15 ans de réclusion criminelle |
Article 222-12 |
Violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours, avec circonstances aggravantes |
5 ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende |
Article 222-13 |
Violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail |
3 ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende |
Article 222-24 |
Viol, avec circonstances aggravantes |
20 ans de réclusion criminelle |
Article 222-28 |
Agression sexuelle, avec circonstances aggravantes |
7 ans d'emprisonnement et 100 000 € d'amende |
Article 222-33 |
Harcèlement sexuel |
2 ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende |
Article 222-33-2-1 |
Harcèlement au sein du couple |
5 ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende |
Article 222-33-2-2 |
Harcèlement moral, avec circonstances aggravantes |
2 ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende |
Selon les auteurs des amendements à l'origine de cet article, il s'agit de mieux prendre en compte l'impact des violences conjugales sur les mineurs qui y assistent, conformément à l'article 46 de la Convention d'Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, ratifiée en 2014.
Votre rapporteur souscrit à la volonté des députés de mieux protéger les mineurs qui assistent à des faits de violences conjugales : en 2014, 143 000 enfants vivaient dans un foyer où une femme a déclaré être victime de violences physiques et/ou sexuelles de la part de son conjoint ou ex-conjoint. 42 % de ces enfants avaient moins de six ans 52 ( * ) . Or cette exposition à la violence conjugale a de graves conséquences sur le développement physique et psychique de l'enfant.
Néanmoins, votre rapporteur relève que la rédaction retenue n'a pas réservé l'application de la circonstance aggravante à la sphère privée. Par conséquent, une telle rédaction porterait à pouvoir considérer comme témoins tous les mineurs de quinze ans présents lors d'actes de violences survenus sur la voie publique et donc incriminer les auteurs de ces actes d'une peine aggravée, y compris lorsque les auteurs de ces actes sont mineurs. Or il serait paradoxal de condamner plus sévèrement un mineur s'étant battu sur la voie publique en raison de la présence de mineurs à ses côtés . Votre rapporteur s'est interrogée sur la pertinence d'une restriction de l'application de cette circonstance aggravante aux lieux privés. Néanmoins, une telle limitation ne semble pas justifiée pour tous les crimes (par exemple, les viols, où la présence d'un mineur à proximité, même accidentelle, peut néanmoins constituer une circonstance aggravante) et délits (le harcèlement sexuel peut avoir lieu dans l'espace public).
Surtout, la rédaction retenue par l'Assemblée nationale pose une difficulté dans la mesure où elle ne répond qu'imparfaitement à l'objectif initial de l'amendement qui visait à prendre en compte les enfants victimes d'un cadre familial perturbé par des violences conjugales. En effet, la rédaction de l'article 3 bis du projet de loi vise à créer une circonstance aggravante alternative, et non cumulative, à la circonstance aggravante de violences commises par un conjoint, partenaire de PACS ou concubin .
Afin de répondre à l'objectif recherché de mieux réprimer les violences conjugales commises en présence d'un mineur de quinze ans, par le même amendement COM-68 rect ., votre commission a prévu de créer une nouvelle circonstance aggravante de présence d'un mineur de 15 ans, qui peut se cumuler aux circonstances aggravantes existantes .
Ainsi, les peines seraient désormais plus élevées en cas de combinaison de ces deux circonstances aggravantes pour les infractions de violences mortelles (article 222-8 du code pénal), violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente (article 222-10 du code pénal), violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours (article 222-12 du code pénal) ou violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail (article 222-13 du code pénal).
Dans les autres hypothèses d'infractions, votre commission a conservé la rédaction issue de l'Assemblée nationale.
Votre commission a adopté l'article 3 bis ainsi modifié .
* 48 Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, rapport n° 2017-11-16-VIO-030 publié le 16 novembre 2017, « En finir avec l'impunité des violences faites aux femmes en ligne : une urgence pour les victimes ». Le rapport est consultable à cette adresse :
* 49 Soit les personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne.
* 50 Soit les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services.
* 51 Étude CVS de 2016 précitée.
* 52 INSEE- ONDRP, Enquête Cadre de vie et sécurité 2010-2015.