C. UN TEXTE SANS VÉRITABLE LIGNE DIRECTRICE
1. L'objectif initial : transcrire les préconisations du rapport Combrexelle
Dans son rapport précité, Jean-Denis Combrexelle fixait une feuille de route précise au Gouvernement pour l'année 2016, qui devait :
- s'engager à stabiliser la norme législative en fixant un agenda social annuel strict ;
- recourir à un texte de niveau législatif pour étendre et rationaliser la négociation dans les champs prioritaires des accords portant sur les conditions et le temps de travail, l'emploi et les salaires (ACTES) ;
- élaborer des dispositions générales sur la négociation collective en abordant notamment la place des accords de méthode, la limitation de leur période de validité ou encore le rôle des accords de groupe ;
- accélérer la restructuration des branches en adaptant les dispositifs actuels 20 ( * ) .
Force est de constater que le Gouvernement a respecté l'essentiel de cette feuille de route, même s'il n'a abordé que les accords d'entreprise portant sur la durée du travail, renvoyant à de futurs textes le soin de poursuivre cette refondation pour les accords relatifs aux conditions de travail, à l'emploi et aux salaires.
Toutefois, divers dispositifs ont été ajoutés au texte initial qui ont remis en cause sa cohérence .
2. L'adjonction tardive des volets relatifs à la compétitivité des entreprises, au compte personnel d'activité et au soutien des jeunes
Alors que le périmètre du projet de loi était initialement restreint à la modernisation de la négociation collective en France, afin de traduire les principales recommandations du rapport Combrexelle, des dispositions diverses , étrangères à ce champ, sont venues s'y adjoindre aux différentes étapes d'élaboration du projet de loi.
La loi du 17 août 2015 précitée avait fixé au 1 er janvier 2017 l'entrée en vigueur du compte personnel d'activité sans en préciser le contenu, renvoyant aux partenaires sociaux le soin de le définir. Sur la base d'un document d'orientation que leur a adressé le Gouvernement le 9 novembre 2015, ceux-ci ont engagé une négociation nationale interprofessionnelle sur le sujet qui s'est terminée le 8 février 2016 avec la publication d'une position commune qui n'a pourtant été signée par aucune organisation professionnelle représentative des employeurs. Quatre jours plus tard, le Gouvernement saisissait le Conseil d'Etat de l'ensemble du projet de loi et notamment de son article 21, qui précise les règles de fonctionnement de ce compte. Outre qu'il s'agit d'une question distincte de celle de la place de la négociation collective dans la définition de la norme en droit du travail, ce calendrier très rapproché signifie dans les faits que le Gouvernement n'a pas attendu que les partenaires sociaux achèvent leurs travaux et n'a donc pas souhaité tenir compte de leurs remarques pour élaborer le régime juridique de ce compte.
Le projet de loi contient également d'importantes dispositions relatives au licenciement économique , thématique abordée de manière annexe dans la loi du 6 août 2015 précitée. Toutefois, alors que des consultations bilatérales avec les partenaires sociaux avaient eu lieu sur différents aspects du projet de loi et qu'une négociation nationale interprofessionnelle avait été engagée sur le compte personnel d'activité, personne n'avait eu connaissance , à l'extérieur du Gouvernement, de l'inclusion d'une nouvelle définition du motif économique de licenciement dans le projet de loi avant que celui-ci ne soit transmis au Conseil d'Etat. Lors de son audition par votre commission, la ministre a invoqué des arbitrages rendus tardivement. Il est à ce titre révélateur que cette disposition ait figuré à l'article 30 bis de l'avant-projet de loi, signe qu'elle y a été introduite à la dernière minute , sans doute pour essayer de limiter la contestation attendue. De même, l'article 30 de cet avant-projet visait à réintégrer dans la loi le barème obligatoire d'indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse par le juge prud'homal afin de tenir compte de la censure, par le Conseil constitutionnel 21 ( * ) , de sa version antérieure adoptée par le Parlement lors de l'examen de la loi du 7 août 2015 précitée.
Enfin, on a vu apparaître dans le projet de loi, notamment dans le cadre de la deuxième saisine rectificative du Conseil d'Etat, diverses dispositions en faveur de la jeunesse , pourtant peu concernée par le reste du texte. La généralisation de la garantie jeunes a ainsi été proposée, avant même son évaluation, tandis que le compte d'engagement citoyen a vu le jour, au bénéfice notamment des volontaires du service civique ou de certains bénévoles associatifs. Vos rapporteurs tiennent à souligner que l'Assemblée nationale examinera prochainement un projet de loi sur l'égalité et la citoyenneté, présenté notamment par le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, au sein duquel ces mesures auraient eu toute leur place.
3. Les reculs du Gouvernement actés dans la lettre rectificative envoyée au Conseil d'Etat
La lettre rectificative envoyée le 15 mars 2016 par le Gouvernement au Conseil d'État a substantiellement modifié l'avant-projet de loi.
Parmi les modifications que vos rapporteurs approuvent figurent :
- l'abandon de l'inscription dans le préambule du code du travail des principes essentiels du droit du travail dégagés par la commission présidée par Robert Badinter, ces principes devant selon le Gouvernement seulement orienter les travaux de la commission de refondation du code du travail ;
- la fixation de planchers pour la durée des congés relatifs aux événements familiaux en cas d'absence d'accord ou de convention, qui reprennent les dispositions en vigueur ;
- le renforcement des missions des commissions paritaires de branche .
Vos rapporteurs regrettent toutefois l'abandon par le Gouvernement du dispositif de plafonnement des indemnités prud'homales fixées par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse et de la possibilité de déroger à la durée de travail quotidienne et hebdomadaire des apprentis.
4. L'adoption de mesures contestables dans le cadre de l'examen du projet de loi à l'Assemblée nationale
Plusieurs amendements adoptés en commission ou retenus dans le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité ont remis en cause certaines avancées du projet de loi initial. Ainsi, la commission de refondation du code du travail n'est plus autorisée à proposer des dispositions supplétives qui ne correspondraient pas à des règles légales en vigueur. Par ailleurs, la restriction du périmètre d'appréciation des difficultés économiques justifiant un licenciement économique aux entreprises du groupe, implantées en France et exerçant dans le même secteur d'activité, a été supprimée.
D'autres amendements ont par ailleurs introduit des dispositions dont vos rapporteurs contestent la pertinence, à l'instar :
- du report de la clôture du compte personnel d'activité , à travers le compte d'engagement citoyen, jusqu'au décès de son titulaire (article 21) ;
- de la création d'une responsabilité sociale des plateformes électroniques à l'égard des travailleurs indépendants qui collaborent avec elles (article 27 bis ) ;
- de la création d'une instance de dialogue du réseau de franchise (article 29 bis A) ;
- de la modification de la gouvernance des services interentreprises de santé au travail (article 44).
* 20 Jean-Denis Combrexelle, op. cit., pp. 106-109.
* 21 Conseil constitutionnel, décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015, Loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.