EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Les attentats terroristes qui ont douloureusement frappé nos concitoyens au cours de l'année 2015 sont venus malheureusement illustrer le niveau élevé de la menace auquel est exposé notre pays. La France, qui joue un rôle moteur au plan diplomatique et militaire en matière de lutte contre les organisations terroristes établies au Moyen-Orient et en Afrique, est aujourd'hui l'une des principales cibles d'attentats, comme viennent régulièrement le rappeler les différentes communications de Daesh sur le sujet.
Dans ce contexte de crise aiguë, renforcer la sécurité de nos concitoyens sur le territoire national, qui passe également par notre action sur les théâtres d'opérations étrangers en combattant nos ennemis au plus près, constitue un impératif pour la puissance publique. Quand la République est attaquée, sa réponse doit être sans faiblesse.
Le Sénat est pleinement déterminé à jouer son rôle et à apporter sa contribution à la politique pénale de lutte contre le terrorisme. À plusieurs reprises, il s'y est employé par l'attitude constructive qu'il a adoptée lors des débats sur les différents textes consacrés à la sécurité présentés par le Gouvernement, à l'automne 2014 avec le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, mais également au printemps 2015 avec le projet de loi relatif au renseignement ou encore, tout récemment, avec le texte de prorogation de l'état d'urgence et de modernisation de la loi du 3 avril 1955 1 ( * ) . Dans le même temps, le Sénat a également créé une commission d'enquête sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, dont les conclusions, adoptées à l'unanimité avec plus de cent propositions 2 ( * ) , ont été publiées en avril 2015 et qui sont malheureusement restées en grande partie lettre morte depuis leur parution.
La réaction du Gouvernement au soir des attentats du 13 novembre 2015 a montré les signes de fermeté commandés par ces évènements tragiques. Le rétablissement des contrôles aux frontières et la déclaration de l'état d'urgence, mesures rendues d'autant plus indispensables que notre pays s'apprêtait à accueillir le sommet mondial sur le climat, sont alors apparus comme des réponses appropriées à une situation de péril imminent pour notre sécurité collective.
L'état d'urgence, déclaré pour répondre à des actes de terrorisme sans précédent, ne saurait pour autant devenir la norme en matière de lutte contre le terrorisme et de gestion des troubles à l'ordre public. Certes, nos concitoyens doivent être pleinement conscients de l'existence d'un risque terroriste sur le long terme. Cette situation ne peut cependant nous conduire à diminuer nos exigences en matière de protection des droits et libertés fondamentales, ce qui constitue précisément l'un des buts recherchés par les ennemis de notre République et de notre démocratie. La sécurité est le gage essentiel de l'exercice des droits reconnus par notre Constitution et nos principes républicains. Elle ne saurait pourtant être garantie par des mesures d'exception remettant durablement en cause ces droits et principes.
Le combat contre le terrorisme constitue une lutte exigeante car il doit être mené avec détermination et s'appuyer sur des outils et des techniques efficaces, tout en faisant l'objet de contrôles stricts ayant pour objet de vérifier que les atteintes aux libertés sont strictement nécessaires, adaptées et proportionnées à cet objectif. Toute autre stratégie ne pourrait que remettre en cause les fondements mêmes de notre État de droit.
Telle a été l'approche retenue par votre rapporteur dans l'analyse de cette proposition de loi, déposée à la fin du mois de décembre dernier à l'initiative de notre collègue, le président Philippe Bas. Votre rapporteur s'est ainsi employé à élaborer un texte permettant d'apporter des réponses pérennes et respectueuses de nos grands principes républicains, exclusivement orientées vers l'accroissement des moyens de la lutte antiterroriste dans le seul domaine judiciaire.
Cette proposition de loi - qui est le fruit d'une réflexion approfondie, nourrie plus particulièrement par les observations et les propositions des acteurs judiciaires de la lutte antiterroriste - est susceptible de recueillir l'assentiment le plus large. Votre rapporteur forme le voeu qu'elle puisse être adoptée car elle trouve toute sa place dans l'arsenal législatif envisagé par le Gouvernement à l'heure où celui-ci propose de réviser la Constitution et s'apprête à présenter un nouveau projet de loi renforçant les dispositions pénales relatives à la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme.
I. UN TEXTE QUI PARACHÈVE LES PRÉROGATIVES DES SERVICES ANTITERRORISTES
Depuis 1986, de nombreux textes législatifs ont structuré et organisé notre arsenal juridique de lutte antiterroriste et ont également renforcé les prérogatives des services compétents en ce domaine. Cette construction progressive a abouti à l'élaboration d'un droit pénal antiterroriste dérogeant aux procédures de droit commun à tous les stades du processus judiciaire, qu'il s'agisse de la phase d'enquête et d'instruction, de jugement et, dans une moindre mesure, d'application des peines.
Le dispositif judiciaire antiterroriste se caractérise tout d'abord par une centralisation parisienne, qui résulte de la loi du 9 septembre 1986 3 ( * ) , avec la section antiterroriste du parquet de Paris et du pôle d'instruction du tribunal de grande instance de Paris, ainsi que de la cour d'assises spécialement composée. Cette spécialisation des autorités judiciaires s'accompagne d'une compétence concurrente nationale pour les juridictions parisiennes qui s'exerce parallèlement aux règles de compétence de droit commun des juridictions locales.
En matière d'enquêtes, ce droit dérogatoire propre à la lutte antiterroriste s'est progressivement étoffé, par la loi du 23 janvier 2006 4 ( * ) , avec la possibilité de prolonger les gardes à vue jusqu'à 144 heures ou d'identifier les agents et officiers de police judiciaire par leur seul numéro d'immatriculation administrative,.
Enfin, les outils judiciaires autorisés par la procédure dérogatoire commune à la délinquance et à la criminalité organisée, créée par la loi du 9 mars 2004 5 ( * ) , s'appliquent à la lutte antiterroriste, qu'il s'agisse d'opérations de surveillance ou d'infiltration, d'enquêtes sous pseudonyme, d'interceptions de correspondances, d'opérations de sonorisation et de perquisitions de nuit au cours de l'instruction, de captations des données informatiques ou encore de mesures conservatoires permettant au juge des libertés et de la détention d'ordonner le gel des avoirs de la personne suspecte.
Les deux dernières lois antiterroristes adoptées par le législateur en 2012 6 ( * ) et 2014 7 ( * ) ont eu, quant à elles, pour objet d'adapter la réponse des pouvoirs publics aux nouvelles caractéristiques de la menace, se traduisant notamment par le nombre important de Français rejoignant ou tentant de rejoindre des organisations terroristes établies à l'étranger - nécessitant ainsi l'extension du principe d'extraterritorialité des infractions à la loi pénale dans le domaine délictuel -, le passage à l'acte d'individus isolés ou encore l'émergence du cyber-djihad.
Enfin, l'adoption, en 2015, d'un cadre juridique pour les activités de renseignement 8 ( * ) , qui faisait défaut à notre pays, est venue parachever ce mouvement de consolidation de notre droit.
À l'issue de ce rapide résumé des derniers textes législatifs antiterroristes, la question se pose légitimement de savoir si notre appareil juridique nécessite une nouvelle révision.
L'efficacité de la lutte antiterroriste est en effet désormais devenue moins une question juridique, un grand nombre d'acteurs de l'antiterrorisme reconnaissant aujourd'hui la performance de notre corpus juridique en la matière, que de moyens humains et matériels.
Elle est devenue moins une question d'organisation des structures policières et judiciaires que de capacité des hommes qui les composent à mettre en commun leurs informations et coopérer efficacement.
Elle met enfin en lumière l'absolue nécessité de mettre en place, de manière effective, les mécanismes et outils de coopération entre les différents pays membres de l'Union européenne, dont la plupart, à des degrés divers, sont confrontés au même péril.
Au-delà de ces constats, votre rapporteur a néanmoins considéré que ce texte était utile .
Sa première utilité a tout d'abord trait aux principes mêmes de cette lutte. Certes, la prévention du terrorisme dans le domaine de la police administrative constitue une priorité absolue, comme le soulignait notre collègue Philippe Bas lors des débats en séance publique sur le projet de loi relatif au renseignement. La déclaration de l'état d'urgence s'inscrit dans une logique similaire par l'accroissement, dans un contexte de crise, des prérogatives de l'autorité administrative et du surcroît d'efficacité qu'il est supposé procurer. Pourtant, cet état de crise est par nature temporaire, et ne saurait devenir la méthode de droit commun pour lutter contre le terrorisme.
Au surplus, cette finalité préventive s'incarne parfaitement dans le domaine judiciaire, comme le rappelait M. David Bénichou, vice-président au pôle d'instruction antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris lors de son audition le 9 décembre 2015 devant votre commission, avec l'infraction d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste qui incrimine la préparation d'un acte de terrorisme avant tout passage à l'acte.
Ce sont donc les autorités judiciaires qui doivent être armées pour réprimer ces atteintes à notre sécurité. Or, de ce point de vue, l'examen de notre législation pénale fait encore apparaître certaines lacunes, tant en matière de prérogatives d'enquête, dont le parquet ne dispose pas à l'heure actuelle, que d'incriminations spécifiques.
Cette consolidation des prérogatives du parquet - qui remet en lumière la fragilité de son statut et l'absolue nécessité de réviser l'article 65 de la Constitution pour que ces magistrats bénéficient des garanties adéquates d'indépendance -, conjuguée à la création de nouvelles infractions terroristes, devrait permettre de renforcer notre arsenal permanent, qui s'inscrit dans le respect des grands équilibres des pouvoirs, afin de sortir de l'état d'urgence.
Enfin, compte tenu de la gravité des infractions terroristes, il est apparu indispensable de proposer l'instauration d'un régime dérogatoire d'exécution des peines pour les condamnés pour terrorisme, afin de garantir une application rigoureuse de ces peines et prévenir, par une surveillance adaptée, les risques de récidive.
* 1 Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.
* 2 Rapport n° 388 (2014-2015) de M. Jean-Pierre Sueur, fait au nom de la commission d'enquête sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes - Filières djihadistes : pour une réponse globale et sans faiblesse (http://www.senat.fr/notice-rapport/2014/r14-388-notice.html).
* 3 Loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme.
* 4 Loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.
* 5 Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.
* 6 Loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme.
* 7 Loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.
* 8 Loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.