B. LES ÉCUEILS D'UNE INFORMATION PRÉCOCE DE L'AUTORITÉ ADMINISTRATIVE
La transmission des informations relatives à des condamnations pénales, même non définitives, concernant des agents placés sous la tutelle de l'administration ne pose pas de problème quant au respect du principe de présomption d'innocence. S'agissant de jugements publics, les problématiques afférant au respect du secret de l'enquête ou de l'instruction n'ont en effet plus lieu d'être. Votre rapporteur estime qu'il appartient au Gouvernement de tirer toutes les leçons des dysfonctionnements relevés dans le rapport de la mission, afin que les condamnations des agents de l'éducation nationale puissent être systématiquement portées à la connaissance de l'autorité administrative, chargée d'exercer, le cas échéant, le pouvoir disciplinaire ou d'appliquer les textes en matière d'interdiction d'exercice de certaines activités professionnelles à la suite d'une condamnation pénale 10 ( * ) .
Les ministres de l'éducation nationale et de la justice ont apporté une première réponse à ces défaillances en prévoyant, dans leur circulaire du 16 septembre 2015 adressée aux procureurs et aux recteurs 11 ( * ) , la désignation, dans chaque rectorat, d'un référent académique justice ayant vocation « à assurer l'interface entre l'éducation nationale et l'autorité judiciaire pour toutes les affaires qui concernent les élèves victimes ou mis en cause pour des faits commis dans le cadre scolaire et les agents, victimes à l'occasion de l'exercice de leur fonction, mis en cause ou condamnés ». Cette circulaire retient également le principe d'une désignation, au sein de chaque parquet, d'un magistrat chargé de « suivre les relations avec les services de l'éducation nationale et notamment avec le référent justice compétent désigné par le recteur » et ayant notamment pour rôle de s'assurer que les demandes formulées par le référent « sont prises en compte et traitées dans les meilleurs délais ».
Comme votre rapporteur avait eu l'occasion de le souligner lors de la nouvelle lecture du projet de loi DADUE et de l'examen de la proposition de loi n° 437, la question des transmissions d'information se pose dans des termes foncièrement différents au stade des poursuites, avant condamnation. En effet, la présomption d'innocence, remise au coeur de la procédure pénale française par la loi du 15 juin 2000 12 ( * ) , constitue un principe constitutionnel défini à l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dont le Conseil constitutionnel a fait application à plusieurs reprises 13 ( * ) .
Votre commission s'était ainsi opposée au dispositif proposé par le Gouvernement 14 ( * ) en ce qu'il donnait une faculté d'information sur les procédures pénales en cours, à l'initiative du parquet, à l'issue de la garde à vue d'une personne contre laquelle il aurait existé des raisons sérieuses de soupçonner qu'elle ait commis ou tenté de commettre une infraction à caractère sexuel contre un mineur.
Votre rapporteur n'est pas opposé par principe à des mesures tendant à renforcer la protection des mineurs contre les auteurs d'infractions sexuelles, à plus forte raison dans le milieu scolaire. Un juste équilibre doit néanmoins être défini par le législateur pour garantir cette protection de la manière la plus efficiente possible, dans le respect de notre ordre constitutionnel. En effet, si les deux affaires survenues au printemps 2015 sont le résultat de réels dysfonctionnements, il convient de rappeler qu'elles concernent des personnes ayant déjà fait l'objet de condamnations pénales devenues définitives. À l'inverse, la diffusion d'informations sur l'existence d'une procédure judiciaire en cours est susceptible de causer des dommages irréparables à des personnes qui auraient été injustement mises en cause.
Certes, comme le souligne le Conseil d'État dans son avis rendu sur le présent projet de loi, la jurisprudence constitutionnelle a autorisé l'utilisation à des fins administratives de données nominatives recueillies dans le cadre d'activités de police judiciaire 15 ( * ) . Toutefois, le Conseil constitutionnel a jugé conforme aux exigences constitutionnelles un tel dispositif à la condition expresse qu'il ne porte pas une atteinte excessive aux doits ou intérêts légitimes des personnes concernées résultant des exigences constitutionnelles posées par les articles 2, 4, 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
En outre, la décision n° 2010-80 QPC du 17 décembre 2010 du Conseil constitutionnel est également de nature à éclairer les travaux du législateur, en particulier son considérant n° 5 en vertu duquel « le principe de présomption d'innocence, proclamé par l'article 9 de la Déclaration de 1789, ne fait pas obstacle à ce que l'autorité judiciaire soumette à des mesures restrictives ou privatives de liberté, avant toute déclaration de culpabilité, une personne à l'encontre de laquelle existent des indices suffisants quant à sa participation à la commission d'un délit ou d'un crime ; que, toutefois, c'est à la condition que ces mesures soient prononcées selon une procédure respectueuse des droits de la défense et apparaissent nécessaires à la manifestation de la vérité, au maintien de ladite personne à la disposition de la justice, à sa protection, à la protection des tiers ou à la sauvegarde de l'ordre public ».
En faisant l'hypothèse que le Conseil constitutionnel, le cas échéant saisi d'un recours, suivrait un raisonnement similaire pour la transmission à l'autorité administrative d'informations relatives à une procédure pénale en cours, il n'est pas douteux que le principe de protection des tiers, en l'occurrence des mineurs, pourrait être retenu mais à la condition explicite que cette transmission s'effectue dans le cadre d'une procédure respectueuse des droits de la défense . Or, votre rapporteur continue à douter que la communication d'informations à l'autorité administrative de tutelle alors qu'une enquête préliminaire est en cours permette à la personne mise en cause de bénéficier de ses droits de la défense, y compris quand une telle communication est assortie de l'obligation, comme le prévoyait l'article 30 de la loi DADUE ou comme le propose l'article 1 er du présent projet de loi, d'informer la personne de cette transmission d'informations après lui avoir permis de formuler des observations par procès-verbal.
* 10 Cas de l'article L. 911-5 du code de l'éducation qui interdit aux personnels des établissements du premier degré et des établissements techniques, publics et privés, ayant fait l'objet d'une condamnation pour crime ou délit contraire à la probité et aux moeurs de diriger un tel établissement.
* 11 Circulaire relative au partenariat renforcé entre l'autorité judiciaire et les services du ministère chargé de l'éducation nationale.
* 12 Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.
* 13 Voir notamment les décisions n os 89-258 DC, 2002-461 DC, 2009-580 DC et 2010-80 QPC.
* 14 Devenu l'article 30 de la loi DADUE, déclaré contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel en raison de son absence de lien avec le texte.
* 15 Décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003 (loi pour la sécurité intérieure).