EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Pour la troisième fois en sept mois, le Sénat est appelé à débattre et à statuer sur la question des communications d'informations entre l'autorité judiciaire et l'administration en cas de condamnation ou de procédure pénale en cours concernant une personne employée par l'administration ou dans une structure placée sous son contrôle. Ces initiatives législatives interviennent dans le prolongement de récentes affaires médiatisées de pédophilie survenues dans deux établissements scolaires au printemps 2015 1 ( * ) , à l'occasion desquelles il était apparu que deux personnes mises en cause pour des actes de pédophilie avaient pu continuer à exercer leurs fonctions professionnelles au contact de mineurs, alors même qu'elles avaient déjà été condamnées en 2006 et 2008 respectivement pour détention d'images pédopornographiques et pour recel de biens provenant de la diffusion d'images pédopornographiques.
Ces faits avaient conduit les ministres de la justice et de l'éducation nationale à diligenter une enquête administrative, confiée conjointement à l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche et à l'inspection générale des services judiciaires, afin d'identifier d'éventuelles défaillances organisationnelles et de faire des propositions pour y remédier.
À la suite de la remise d'un rapport d'étape par les inspections, le Gouvernement avait décidé d'introduire par amendement un article additionnel 2 ( * ) dans le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne (DADUE), tendant à remédier aux lacunes de notre législation en matière de transmission d'informations aux autorités administratives de tutelle en cas de condamnation ou de procédure judiciaire en cours concernant un agent public ou un salarié exerçant une activité placée sous le contrôle direct ou indirect de l'autorité publique, de manière générale pour tout type d'infraction et de manière renforcée pour des infractions sexuelles commises contre mineur.
Votre commission, suivie par le Sénat, s'était alors opposée à cette démarche pour des raisons de principe touchant à la procédure - l'initiative, à l'instar de nombreux autres articles additionnels insérés par les députés, ne présentant pas de lien avec l'objet du texte en discussion - et de fond, au regard des atteintes excessives portées par ce dispositif au principe constitutionnel de présomption d'innocence.
Votre rapporteur ne contestait cependant pas le fait que la législation pénale relative aux infractions sexuelles commises contre les mineurs pouvait faire l'objet d'améliorations. Telle était d'ailleurs l'opinion défendue dans le rapport 3 ( * ) adopté par votre commission à l'occasion de la nouvelle lecture du projet de loi DADUE, dans lequel votre rapporteur indiquait que le Sénat pourrait utilement discuter, dans les meilleurs délais, de la proposition de loi n° 437 (2014-2015), déposée le 12 mai 2015 par notre collègue Catherine Troendlé et plusieurs de ses collègues, visant à rendre effective l'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs lorsqu'une personne a été condamnée pour des agressions sexuelles sur mineur.
Dans sa décision du 13 août 2015 4 ( * ) sur la loi définitivement adoptée par l'Assemblée nationale sur le fondement du dernier alinéa de l'article 45 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a fait droit à l'argumentation procédurale développée dans le recours des sénateurs et déclaré cet article additionnel 5 ( * ) contraire à la Constitution au motif qu'il ne présentait pas de lien, même indirect, avec l'objet du projet de loi. Le Conseil ne s'est en revanche pas prononcé sur le fond des arguments par ailleurs présentés dans le recours.
Avec la reprise de la session ordinaire 2015-2016, votre commission a ainsi été saisie de la proposition de loi n° 437. Dans le droit fil des travaux qu'il avait menés sur le projet de loi DADUE, votre rapporteur a également été chargé de l'examen de ce texte 6 ( * ) . À cette occasion, il s'est attaché à soumettre à votre commission, qui les a acceptées, plusieurs améliorations juridiques de la proposition déposée par notre collègue, dont les principales peuvent ainsi être présentées :
- garantir le caractère constitutionnel du dispositif prévoyant le caractère automatique de la peine complémentaire d'interdiction d'une activité professionnelle ou bénévole en cas de condamnation pour infraction sexuelle contre mineur, en permettant au juge de moduler la durée de cette interdiction et de déroger à la peine complémentaire au regard des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ;
- s'agissant de la communication des informations entre l'autorité judiciaire et l'administration, s'en tenir à un régime de communication ayant pour objet la protection des mineurs, limité à un certain nombre d'infractions et portant sur la transmission des décisions de condamnations ou de placement sous contrôle judiciaire assorti d'une interdiction d'exercer une activité au contact habituel des mineurs ;
- rendre obligatoire, sauf décision contraire spécialement motivée du magistrat, le placement sous contrôle judiciaire assorti de cette même interdiction pour toute personne mise en examen pour une ou plusieurs infractions entrant dans le champ de ce régime de communication ;
- reprendre les dispositions des articles 31, 32 et 33 de la loi DADUE ayant pour objet de renforcer la protection des mineurs contre les auteurs d'agressions sexuelles, lesquels avaient été également déclarés contraires à la Constitution pour absence de lien avec ce texte ;
- modifier l'intitulé de la proposition de loi pour tenir compte de l'élargissement de son objet (proposition de loi relative à la protection des mineurs contre les auteurs d'agressions sexuelles).
Examiné par votre commission des lois le 14 octobre 2015, ce texte a ensuite été discuté en séance publique le 20 octobre, discussion qui a donné lieu à l'adoption d'un seul amendement de précision déposé par notre collègue Catherine Troendlé. Votre Haute assemblée a ainsi voté le texte qui lui était présenté 7 ( * ) et formé des voeux pour que cette initiative puisse prospérer avec la navette parlementaire.
Le Gouvernement n'a cependant pas souhaité soutenir cette démarche, faisant valoir qu'il entendait présenter au Parlement un projet de loi, encore en cours d'élaboration en octobre, objet du présent rapport. Votre rapporteur ne peut que déplorer cette décision dans la mesure où la discussion aurait pu s'engager sur le fondement du texte adopté par le Sénat, ce qui aurait permis d'aboutir plus rapidement à la mise en place d'une nouvelle législation.
I. LES INSUFFISANCES DU CADRE LÉGAL JUSTIFIENT SON ÉVOLUTION
A. LES DYSFONCTIONNEMENTS EN MATIÈRE DE TRANSMISSION D'INFORMATIONS À L'AUTORITÉ ADMINISTRATIVE
Passée l'émotion suscitée par les affaires dites de Villefontaine et d'Orgères, constat a été dressé que l'organisation des relations entre l'autorité judiciaire et l'administration de l'éducation nationale ne garantissait pas que de tels dysfonctionnements ne puissent se reproduire à l'avenir. En outre, le cadre légal applicable est porteur d'incertitudes juridiques pour les parquets, chargés de la transmission des informations, dès lors qu'une procédure pénale est en cours.
De ce point de vue, votre rapporteur approuve la décision prise par les ministres de la justice et de l'éducation nationale d'avoir confié à leurs inspections générales le soin de conduire une analyse des causes de ces dysfonctionnements et de formuler des propositions pour y remédier 8 ( * ) . Ce document contient une analyse rigoureuse de l'état du droit en vigueur et des lacunes dans l'organisation des relations entre la justice et l'éducation nationale. À cet égard, la mission des inspections formule trois constatations principales :
- l'impossibilité d'une consultation fiable de l'application Cassiopée 9 ( * ) interdit d'affirmer que toutes les condamnations concernant des agents en fonction dans des établissements scolaires ont été transmises à l'administration de l'éducation nationale. Le rapport souligne ainsi qu'il « ne peut être exclu que des situations identiques à celles de l'Isère et de l'Ille-et-Vilaine se reproduisent » ;
- les incertitudes liées au cadre légal relatif aux transmissions d'informations à l'autorité administrative concernant des procédures pénales en cours rendent aléatoires de telles communications. Quand les jugements ont été prononcés, les obstacles sont en revanche « essentiellement liés à des problèmes organisationnels et à une inadaptation des moyens informatiques mis à disposition des parquets » ;
- les défauts de fluidité dans la transmission de l'information sont enfin imputables à l'organisation territoriale de l'administration de l'éducation nationale (les personnels du premier degré sont placés sous le contrôle des directions académiques des services de l'éducation nationale et ceux du second degré sous celui des rectorats), au manque d'interlocuteurs bien identifiés, avec des responsabilités claires, au sein des rectorats et à l'absence de dispositif d'alerte structuré de nature à occasionner des « pertes » d'information entre la justice et l'éducation nationale.
* 1 Survenues à Villefontaine (Isère) et à Orgères (Ille-et-Vilaine).
* 2 Devenu l'article 30 de la loi.
* 3 Rapport n° 647 (2014-2015) de M. François Zocchetto sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne.
* 4 Décision n° 2015-719 DC du 13 août 2015 (loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne).
* 5 Ainsi que vingt-six autres articles additionnels introduits par les députés.
* 6 Rapport n° 54 (2015-2016) fait par M. François Zocchetto au nom de la commission des lois sur la proposition de loi de Mme Catherine Troendlé et plusieurs de ses collègues visant à rendre effective l'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs lorsqu'une personne a été condamnée pour des agressions sexuelles sur mineur.
* 7 Texte n° 15 (2015-2016) adopté par le Sénat le 20 octobre 2015.
* 8 Propositions pour une amélioration de la communication des informations entre la justice et l'éducation nationale - Rapport conjoint de l'inspection générale des services judiciaires (n° 15-36) et de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale (n° 2015-056) - Juin 2015.
* 9 L'application Cassiopée (Chaîne Applicative Supportant le Système d'Information Orienté Procédure pénale Et Enfants), déployée par le ministère de la justice depuis 2011, est une chaîne informatique dont l'objectif était de remplacer les anciennes applications pénales équipant les tribunaux de grande instance. Elle a été élaborée afin de permettre aux tribunaux de suivre le déroulement des procédures pénales de leur introduction à leur issue.