C. LES NOUVEAUX INDICATEURS DE RICHESSE EN FRANCE
La France est, sans aucun doute, l'un des pays où les travaux menés sur les nouveaux indicateurs de richesse ont été les plus nombreux au cours des années récentes . Ainsi, les indicateurs à dominante sociale ont fait l'objet d'une analyse approfondie dans le cadre des travaux du groupe de travail « Niveaux de vie et inégalités sociale » du Conseil national de l'information statistique (CNIS), aboutissant à la publication d'un rapport sur ce thème en mars 2007 31 ( * ) .
Dans le domaine du développement durable, il convient de rappeler les travaux du Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui, saisi par le Premier ministre du projet de stratégie nationale de développement durable (SNDD) pour la période 2009-2013, a publié un avis présenté par Philippe Le Clézio 32 ( * ) , considérant que la diffusion régulière d'indicateurs de développement durable constituait la voie privilégiée de l'appropriation de cette stratégie.
Pour autant, l'initiative la plus « médiatisée » a sans doute été la mise en place, à l'initiative du Président de la République Nicolas Sarkozy, de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social présidée par l'économiste américain Joseph Stiglitz, dont les conclusions ont été rendues publiques en septembre 2009. Les analyses et propositions, qui sont au nombre de douze, de la Commission se répartissaient selon trois axes : les questions classiques relatives au PIB , la qualité de vie et le développement durable et l'environnement . Les propositions formulées dans ce cadre sont reprises dans l'encadré ci-après.
Le « rapport Stiglitz » continue, encore à ce jour, à exercer une forte influence sur les travaux relatifs aux indicateurs , en particulier en France. D'ailleurs, l'Insee ainsi que le service de l'observation et des statistiques du Commissariat général au développement durable (CGDD-SOeS) ont entrepris de mettre en oeuvre les recommandations figurant dans ce rapport à travers la création et l'étude de nouveaux indicateurs statistiques. Ainsi, à compter de 2010, les publications de l'Insee ont intégré des analyses relatives aux inégalités entre les ménages selon les revenus et selon la consommation dans les comptes nationaux, la prise en compte des transferts sociaux en nature dans l'évaluation des inégalités, etc.
Les douze recommandations de la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social Questions classiques relatives au PIB Recommandation n° 1 : Dans le cadre de l'évaluation du bien-être matériel, se référer aux revenus et à la consommation plutôt qu'à la production. Recommandation n° 2 : Mettre l'accent sur les perspectives des ménages. Recommandation n° 3 : Prendre en compte le patrimoine en même temps que les revenus et la consommation. Recommandation n° 4 : Accorder davantage d'importance à la répartition des revenus, de la consommation et des richesses. Recommandation n° 5 : Élargir les indicateurs de revenus aux activités non marchandes. Qualité de vie Recommandation n° 6 : La qualité de la vie dépend des conditions objectives dans lesquelles se trouvent les personnes et de leur « capabilité » (capacités dynamiques). Il conviendrait d'améliorer les mesures chiffrées de la santé, de l'éducation, des activités personnelles et des conditions environnementales. En outre, un effort particulier devra porter sur la conception et l'application d'outils solides et fiables de mesure des relations sociales, de la participation à la vie politique et de l'insécurité, ensemble d'éléments dont on peut montrer qu'il constitue un bon prédicteur de la satisfaction que les gens tirent de leur vie. Recommandation n° 7 : Les indicateurs de la qualité de la vie devraient, dans toutes les dimensions qu'ils recouvrent, fournir une évaluation exhaustive et globale des inégalités. Recommandation n° 8 : Des enquêtes devront être conçues pour évaluer les liens entre les différents aspects de la qualité de la vie de chacun, et les informations obtenues devront être utilisées lors de la définition de politiques dans différents domaines. Recommandation n° 9 : Les instituts de statistiques devraient fournir les informations nécessaires pour agréger les différentes dimensions de la qualité de la vie, et permettre ainsi la construction de différents indices. Recommandation n° 10 : Les mesures du bien-être, tant objectif que subjectif, fournissent des informations essentielles sur la qualité de la vie. Les instituts de statistiques devraient intégrer à leurs enquêtes des questions visant à connaître l'évaluation que chacun fait de sa vie, de ses expériences et priorités. Recommandation n° 11 : L'évaluation de la soutenabilité nécessite un ensemble d'indicateurs bien défini. Les composantes de ce tableau de bord devront avoir pour trait distinctif de pouvoir être interprétées comme des variations de certains « stocks » sous-jacents. Un indice monétaire de soutenabilité a sa place dans un tel tableau de bord ; toutefois, en l'état actuel des connaissances, il devrait demeurer principalement axé sur les aspects économiques de la soutenabilité. Développement durable et l'environnement Recommandation n° 12 : Les aspects environnementaux de la soutenabilité méritent un suivi séparé reposant sur une batterie d'indicateurs physiques sélectionnés avec soin. Il est nécessaire, en particulier, que l'un d'eux indique clairement dans quelle mesure nous approchons de niveaux dangereux d'atteinte à l'environnement (du fait, par exemple, du changement climatique ou de l'épuisement des ressources halieutiques). |
Toujours dans la continuité des travaux de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, l'Association des régions de France (ARF) a créé trois déclinaisons régionales d'indicateurs de richesse jusqu'alors réservés aux États - l'indice de développement humain (IDH), l'indicateur de santé sociale (ISS) et l'empreinte écologique -, de même que 22 indicateurs de contexte de développement durable 33 ( * ) .
Au cours des derniers mois, les réflexions sur les indicateurs de richesse ont été relancées dans le cadre de l'initiative « La France dans dix ans » portée par France Stratégie . À cet égard, dans le rapport Quelle France dans dix ans ? Les chantiers de la décennie , publié en juin 2014, France Stratégie appelle à « associer au PIB un petit nombre d'indicateurs de la qualité de la croissance pouvant faire l'objet d'un suivi annuel » 34 ( * ) . Aussi, dans une Note d'analyse du mois de septembre dernier, France Stratégie propose-t-elle « sept indicateurs susceptibles d'accompagner le PIB dans un tableau de bord de la qualité de la croissance française » 35 ( * ) , à savoir l'évolution des stocks d'actifs productifs physiques et incorporels rapportés au PIB, la proportion de titulaires d'un diplôme supérieur au brevet des collèges parmi les 25 à 64 ans, la proportion artificialisée du territoire, l'empreinte carbone française annuelle, le rapport entre les revenus détenus par le cinquième le plus riche de la population et ceux détenus par le cinquième le plus pauvre, la dette publique nette rapportée au PIB et la dette extérieure nette rapportée au PIB.
À la suite de cela, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a repris ses travaux relatifs aux indicateurs de richesse, en collaboration avec France Stratégie . Les actions menées dans ce cadre, auxquelles participent de nombreux experts et représentants associatifs, visent à l' élaboration d'un tableau de bord d'indicateurs , dont la publication est attendue pour le mois de septembre de cette année. Toutefois, il ressort de l'entretien de votre rapporteur avec Philippe Le Clézio, membre du CESE, que cette publication n'interviendrait qu'à l'issue d'une large consultation de panels représentatifs de la population française et d'« ateliers citoyens ».
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Au total, les indicateurs de richesse « alternatifs » au PIB existant à ce jour sont nombreux. Aussi l'enjeu est-il essentiellement de rendre ces indicateurs visibles et d'encourager leur appropriation par les acteurs publics et les citoyens . Ceci implique d'éviter deux écueils. Tout d'abord, une trop grande simplicité des indicateurs retenus qui ne permettrait pas de disposer d'une vision « utile » et « opérationnelle » de la situation économique, sociale et environnementale. Ensuite, il convient également d'éviter une complexité extrême qui rendrait les nouveaux indicateurs inaudibles aux publics qu'ils concernent. Comme le faisait remarquer Paul Valéry : « Le simple est toujours faux. Ce qui ne l'est pas est inutilisable » 36 ( * ) . Par suite, afin d'allier exhaustivité et accessibilité, la solution la plus opportune semble résider dans l'élaboration d'un tableau de bord de quelques indicateurs , solution qui a été retenue dans la présente proposition de loi, qui devront néanmoins nécessairement porter sur des domaines qui sont susceptibles de répondre à de réelles préoccupations des citoyens .
* 31 Rapport du groupe de travail « Niveaux de vie et inégalités sociales » du Conseil national de l'information statistique (CNIS), conduit par J. Freyssinet, président, et P. Chevalier et M. Dollé, rapporteurs, mars 2007.
* 32 Avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE), présenté par Philippe Le Clézio, La stratégie nationale de développement durable 2009-2013 , 2010.
* 33 Association des régions de France (ARF), Développement durable : la révolution des nouveaux indicateurs , janvier 2012.
* 34 France Stratégie, Quelle France dans dix ans ? Les chantiers de la décennie , 2014, p. 34.
* 35 G. Ducos, op. cit. , p. 1.
* 36 P. Valéry, OEuvres , tome II, Paris, Gallimard, 1960, p. 864.