Rapport n° 362 (2014-2015) de M. Antoine LEFÈVRE , fait au nom de la commission des finances, déposé le 25 mars 2015

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N° 362

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 mars 2015

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques ,

Par M. Antoine LEFÈVRE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Jean Germain, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Eblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Alain Houpert, Jean-François Husson, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel, Richard Yung .

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

2285 , 2505 et T.A. 469

Sénat :

269 et 363 (2014-2015)

EXPOSÉ GÉNÉRAL

La présente proposition de loi vise, comme son titre l'indique, à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques . Aussi, les développements suivants s'attachent, tout d'abord, à revenir sur la notion de produit intérieur brut (PIB), qui constitue le principal indicateur du système de comptabilité nationale et détermine, par suite, étroitement nos représentations de la richesse - de même que la manière dont sont menées les politiques publiques . Par ailleurs, ils s'appliquent à identifier les limites du PIB et à présenter les différentes initiatives prises, tant en France qu'à l'étranger, en faveur du développement de nouveaux indicateurs de richesse.

I. LE PIB, UNE REPRÉSENTATION LIMITÉE DE LA RICHESSE CRÉÉE

Il est généralement admis que le produit intérieur brut (PIB) trouve son origine dans les travaux précurseurs menés Simon Kuznets à la demande du Sénat des États-Unis au début des années 1930 1 ( * ) ; il s'agissait, pour cet économiste américain, de développer une mesure nouvelle permettant d'appréhender les évolutions de l'activité économique . Si le PIB s'est rapidement imposé comme le principal indicateur de richesse, notamment au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il a également été, dès l'origine, fortement critiqué en raison de ses limites intrinsèques.

A. UNE MESURE CENTRALE DE LA COMPTABILITÉ NATIONALE

Selon Eurostat, le PIB aux prix du marché 2 ( * ) « représente le résultat final de l'activité de production des unités productrices résidentes » 3 ( * ) ; aussi celui-ci peut-il se définir de trois manières :

- dans une optique de production , le PIB est égal à la somme des valeurs ajoutées brutes 4 ( * ) des différents secteurs institutionnels ou des différentes branches d'activité , augmentée des impôts moins les subventions sur les produits ;

- dans une optique des dépenses , le PIB est égal à la somme des emplois finals de biens et services par les unités institutionnelles résidentes (consommation finale et formation brute de capital), plus les exportations, moins les importations de biens et services ;

- dans une optique des revenus , le PIB est égal à la somme des emplois du compte d'exploitation de l'économie totale (rémunération des salariés, impôts sur la production et les importations moins subventions, excédent brut d'exploitation et revenu mixte de l'économie totale).

En résumé, le PIB est un flux de richesse marchande et monétaire . En raison de l'importance acquise par le PIB dans les différents systèmes de comptabilité nationale sa définition a été « normalisée », en particulier sous l'égide de l'Organisation des Nations unies (ONU), à l'origine du système de comptes nationaux dit « SEC 2008 », qui a été décliné au niveau européen dans le cadre du système de comptes nationaux dit « SEC 2010 » 5 ( * ) , entré en vigueur l'année passée.

La notion de « croissance », quant à elle, renvoie à la variation du PIB au cours d'une période donnée - l'année constituant l'intervalle le plus communément utilisé pour apprécier les variations de l'activité économique.

En tant qu'indicateur central de la comptabilité nationale, le PIB exerce une influence déterminante sur la manière dont sont appréhendées la « richesse » créée, mais également les politiques publiques ; il ne fait guère de doute qu'aujourd'hui, la croissance du PIB constitue un élément déterminant utilisé pour juger de l'efficacité de la politique menée par un gouvernement. À cet égard, certains auteurs considèrent qu'un indicateur de richesse se construit concomitamment aux « conventions d'évaluation du progrès » 6 ( * ) ; en quelque sorte, la manière dont est construit un tel indicateur dépend des valeurs, des jugements, voire de la « vision du monde » qui prévalent dans une société à un moment donné et les influence en retour 7 ( * ) . Ainsi, au PIB serait associée une conception particulière de la richesse d'une société 8 ( * ) . Si ce dernier point est indéniable, il ne peut être conféré au PIB une dimension exclusivement « conventionnelle », sans prises avec la réalité . D'aucuns ont, à ce titre, noté que « s'il est vrai que la croissance ne règle pas tout, elle apparaît comme capable de dégager des marges de manoeuvre et d'améliorer certaines dimensions de la vie quotidienne, de l'emploi, etc. » 9 ( * ) . D'ailleurs, un rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) et du Conseil allemand des experts en économie publié en 2010 note que « de nombreuses mesures du bien-être, fondées sur des enquêtes, révèlent de significatives, mais imparfaites, corrélations avec le PIB » 10 ( * ) . Malgré tout, dès l'origine, le PIB a été fortement critiqué en raison de sa capacité limitée à rendre compte de l'ensemble des aspects de la situation économique, mais aussi sociale et environnementale .

B. LES LIMITES DU PIB

Simon Kuznets lui-même soulignait qu' en l'absence de critères de « productivité sociale », la mesure de la richesse ne pouvait restituer la contribution du système économique aux besoins des individus 11 ( * ) - aussi ce dernier souhaitait-il que la mesure comptable de l'activité économique ne tienne compte que des éléments concourant au bien-être, qui excluent donc, par exemple, les dépenses d'armement 12 ( * ) . De même, l'approche exclusivement économique retenue dans le cadre du PIB inspirait à Bertrand de Jouvenel la remarque suivante : « Selon notre manière de compter nous nous enrichirions en faisant des Tuileries un parking payant et de Notre-Dame un immeuble de bureaux » 13 ( * ) - soulignant ainsi l'absence de prise en compte des contributions non monétaires de ces lieux.

En dépit d'une corrélation non négligeable entre le PIB et les différentes mesures du bien-être qui existent à ce jour (cf. supra ), il n'en demeure pas moins que ces deux notions restent, par construction, distinctes. Tout d'abord, cette mesure intègre l'ensemble des flux économiques résultant de comportements ou d'évènements ne participant aucunement à la progression du bien-être des individus - Kuznets donnant, à cet égard, l'exemple de l'indemnisation des cambriolages, ou encore de la vente de stupéfiants. À l'inverse, le PIB ne décompte pas certaines contributions au bien-être , voire à l'activité économique, à l'instar des activités bénévoles
- qui doivent être entendues dans un sens large, c'est-à-dire en y intégrant, entre autres, le prêt gratuit d'objets, ou la mise à disposition gracieuse d'une production intellectuelle - et des travaux domestiques. À cet égard, l'enquête Emploi du temps 2009-2010 menée par l'Insee fait apparaître que le travail domestique représente près de trois heures par jour en moyenne et par individu. Ensuite, le PIB ne permet pas de distinguer les « résultats » de la croissance économique , en particulier sur les perceptions des individus ; ceci est clairement mis en évidence par le paradoxe d'Easterlin 14 ( * ) , selon lequel une hausse du PIB ne se traduit pas nécessairement par un accroissement du bien-être ressenti par les individus. Enfin, le PIB ne tient pas compte des inégalités et de leurs évolutions , une croissance économique vigoureuse pouvant essentiellement profiter aux classes les plus aisées de la population.

Par ailleurs, dès lors qu'il s'agit d'une mesure des flux économiques, le PIB n'appréhende en rien la variation des « stocks » de capitaux, qu'ils soient économiques et financiers, environnementaux, ou humains et sociaux , pour reprendre la typologie proposée par la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social présidée par Joseph Stiglitz 15 ( * ) - qui permettent de rendre compte de la soutenabilité du bien-être. À titre d'illustration, le PIB ne permet pas de restituer les dégradations portées à l'environnement par les activités économiques.

* * *

Ainsi, si le PIB constitue une mesure utile de la performance économique - qui, elle-même, n'est pas sans lien avec le bien-être des individus -, en particulier pour permettre aux autorités publiques d'évaluer la situation de l'économie et d'adapter leurs politiques en conséquence, cet indicateur n'a pas été conçu pour appréhender la qualité de vie ou encore la soutenabilité du bien-être, autant d'éléments qui présentent, pourtant, un intérêt déterminant. C'est pourquoi, sans remettre en question l'existence même du PIB, il serait opportun que celui-ci puisse être complété de nouveaux indicateurs , qui permettraient, en particulier, de porter un regard différent et complémentaire sur la manière dont sont menées les politiques publiques.

II. À LA RECHERCHE D'INDICATEURS DE RICHESSE ALTERNATIFS

En raison des limites identifiées du produit intérieur brut (PIB), les initiatives en faveur de nouveaux indicateurs de richesse se sont multipliées, en particulier au cours des dernières années . Aussi les développements qui suivent s'attachent-ils à proposer un tour d'horizon des nouveaux indicateurs de richesse, avant de revenir sur les initiatives les plus récentes en ce domaine, puis d'étudier la place accordée à ces nouveaux indicateurs en France.

A. TOUR D'HORIZON DES NOUVEAUX INDICATEURS DE RICHESSE

Dès les années 1970, William Nordhaus et James Tobin ont cherché à « étendre » le PIB à l'aide d'une mesure du bien-être économique (MBE) 16 ( * ) , qui renvoie concrètement à deux indicateurs, le MBE présent et le MBE durable, dont la caractéristique est de remettre en cause le principe d'« objectivation » des comptes nationaux - soit de distinguer les activités ayant une incidence positive sur le bien-être et celles présentant un impact négatif sur celui-ci 17 ( * ) . Ainsi, le MBE actuel 18 ( * ) correspond aux dépenses de consommation finale minorées des dépenses privées en matière de déplacement travail-domicile, ou encore du surcoût du logement urbain, mais majorées de la valeur estimée du temps de loisir, de la valeur estimée du travail domestique, etc. Le MBE durable, quant à lui, repose sur l'évaluation des variations du stock de richesses publiques ou privées, qui comprend le capital productif, le capital non reproductible, le capital d'éducation et le capital de santé - ces deux derniers éléments étant estimés sur la base des dépenses publiques et privées en matière d'éducation et de santé.

Parmi les indicateurs alternatifs au PIB les plus « célèbres », figure l'indice de développement humain (IDH) , créé en 1990 par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) à partir des travaux de l'économiste indien Amartya Sen et de l'économiste pakistanais Mahbub ul Haq. L'IDH est construit sur la base de trois variables qui sont ensuite synthétisées : l'espérance de vie à la naissance associée à l'accès aux soins, l'alphabétisation des adultes associée au taux de scolarisation combiné pour l'enseignement primaire, secondaire et supérieur, et le produit intérieur brut par parité des pouvoirs d'achat en dollars.

Au-delà de ces deux exemples notables, les nouveaux indicateurs de richesse existant à ce jour sont extrêmement nombreux . Par suite, il a semblé utile de procéder à une brève présentation de ces derniers, à partir des travaux de synthèse disponibles réalisés par deux économistes français qui distinguent les indicateurs à dominante sociale et ceux à dominante environnementale 19 ( * ) .

1. Les indicateurs à dominante sociale

S'agissant des indicateurs à dominante sociale , ces derniers ont en commun de se concentrer sur les questions d'inégalités, de pauvreté et les principaux « problèmes » sociaux. Ainsi, dans ce cadre, vient tout d'abord l' indice de santé sociale (ISS) , conçu par Marc et Marque-Luisa Miringoff à la fin des années 1980. Il s'agit d' un indicateur social synthétique calculé à partir de seize variables élémentaires, regroupées en composantes associées à des catégories d'âge ; à titre d'exemple, pour les enfants sont considérées la mortalité infantile, la maltraitance et la pauvreté infantile, alors que pour les adultes, les variables considérées sont le chômage, le salaire hebdomadaire moyen et la couverture par l'assurance maladie. Les travaux réalisés dans ce cadre tendent à indiquer qu'un « décrochage » entre l'évolution du PIB et celle de l'indice de santé sociale serait intervenu au début des années 1970, l'ISS affichant un recul à compter de cette date puis une relative stagnation en dépit de la progression quasi continue du PIB 20 ( * ) .

Suivant une logique proche, le Réseau d'alerte sur les inégalités (RAI) a présenté en 2002 le BIP 40 , un indicateur synthétique mesurant six dimensions des inégalités et de la pauvreté, à savoir l'emploi et le travail, les revenus, la santé, l'éducation, le logement et la justice.

Au milieu des années 1990, le Canadian Council on Social Development (CCSD), une organisation non-gouvernementale canadienne, a mis au point l' indice de sécurité personnelle (ISP) , qui présente l'originalité de tenir compte de la sécurité, considérée comme une dimension majeure du bien-être. La sécurité est entendue dans un sens élargi, intégrant la sécurité économique , liée à la sécurité de l'emploi et à la sécurité financière, la sécurité devant la santé , qui renvoie à la protection contre les risques de maladie, ainsi que la sécurité physique .

Les travaux de Lars Osberg et d'Andrew Sharpe ont, quant à eux, abouti à l'établissement d'un indice de bien-être économique construit à partir de la prise en compte de quatre dimensions : les flux de consommation courante , l' accumulation nette de stocks de ressources productives - qui tient compte de l'accumulation de biens corporels ou encore du capital humain -, la répartition des revenus, la pauvreté et l'inégalité et le degré de sécurité ou d'insécurité économique - associé au chômage, à la pauvreté, etc.

2. Les indicateurs à dominante environnementale

Parmi les indicateurs à dominante environnementale , figure tout d'abord l' indice de bien-être durable (IBED) , qui connaît plusieurs variantes mais peut être calculé, approximativement, en additionnant la consommation marchande des ménages au service du travail domestique , aux dépenses publiques dites « non défensives » 21 ( * ) et à la formation de capital productif , et en soustrayant les dépenses privées dites « défensives » , les coûts des dégradations de l'environnement et la dépréciation du capital naturel .

Il faut également mentionner l' indicateur de progrès véritable (IPV) , variante du « PIB vert » conçue par des chercheurs de Redefining Progress, une organisation à but non lucratif américaine, qui a fait l'objet de nombreuses reprises à travers le monde. Comme l'IBED, l'IPV part de la consommation marchande des ménages, dont il retranche les « coûts » de l' ajustement économique - inégalités de revenus, dette extérieure nette,
etc. -, de l' ajustement social - coût des délits, des accidents de voiture, du chômage, etc. - et de l' ajustement environnemental - coût de la réduction de la pollution domestique, réduction des terres cultivées et des ressources non renouvelables, etc. -, mais auquel sont ajoutés les ajustements bénéfiques , qui intègrent la valeur du travail domestique, du bénévolat, etc.

À la fin des années 1990, la Banque mondiale a conçu l' épargne nette ajustée (ENA) , ou « épargne véritable », afin de rendre compte de la variation du capital économique, humain et naturel d'un pays. Il s'agit d'un indicateur de soutenabilité correspondant à l' épargne nette - soit l'épargne intérieure brute nette de la consommation de capital fixe - à laquelle sont ajoutées les dépenses d'éducation et soustraits les coûts de l'épuisement des ressources énergétiques, minières et des forêts ainsi que les dommages liés aux émissions de CO 2 .

L' empreinte écologique , elle, constitue le seul indicateur portant exclusivement sur l'environnement. Issu des travaux de Mathis Wackernagel et de William Rees 22 ( * ) , cet indicateur permet d'évaluer la « pression » exercée par les individus sur les ressources naturelles disponibles. Ainsi, l'empreinte écologique peut être définie comme « la surface totale nécessaire, d'une part, à la production de la nourriture et de fibres et, d'autre part, à l'absorption des déchets provenant de la consommation d'énergie » ; elle « mesure les besoins d'utilisation de l'espace et des ressources naturelles par les sociétés humaines et confronte ces besoins avec la capacité de ces espaces à supporter l'utilisation humaine et à se renouveler » 23 ( * ) . Par suite, en évaluant ce qui est demandé à l'environnement à l'aune de ce que cet environnement peut offrir sans perdre totalement son potentiel de régénération , l'empreinte écologique se démarque des indicateurs qui ne considèrent que les prélèvements opérés sur l'environnement.

Enfin, les travaux relatifs à l'empreinte écologique ont inspiré la création, en 2006, du Happy Planet Index par le think tank britannique New Economics Foundation (NEF), en collaboration avec l'organisation non gouvernementale Friends of the Earth. Cet indicateur a pour caractéristique d'introduire une variable subjective, à savoir la satisfaction des individus par rapport à la vie qu'ils mènent , aux côtés de l' espérance de vie et de l' empreinte écologique .

B. LES INITIATIVES RÉCENTES

À quelques exceptions près, les indicateurs qui viennent d'être mentionnés n'ont connu qu'un succès limité , conservant une visibilité bien moindre que le PIB. Pour autant, comme le souligne une récente Note d'analyse de France Stratégie, la « crise économique et financière de 2008 a remis à l'ordre du jour les interrogations sur la finalité de la croissance » 24 ( * ) , relançant, par la même occasion, les réflexions relatives aux nouveaux indicateurs de richesse.

Toutefois, il convient de relever que quelques mois avant le déclenchement de la crise, soit en juin 2007, était organisé, à l'initiative de l'OCDE, un forum mondial intitulé « Mesurer et favoriser le progrès des sociétés » . La déclaration d'Istanbul qui en a résulté relevait « un consensus émergeant sur la nécessité de procéder à une mesure du progrès social dans chaque pays, allant au-delà des mesures économiques conventionnelles comme le PIB par tête » 25 ( * ) ; la déclaration appelait également à ce que des actions concrètes soient prises afin de favoriser le développement et la diffusion de mesures du « progrès social ».

Continuant dans cette voie, l'OCDE a engagé, sur le fondement des travaux menés dans le cadre de la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social, mise en place par le Président de la République Nicolas Sarkozy et conduite par Joseph Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Fitoussi (cf. infra ), l'initiative « Vivre mieux » , comprenant la publication d'un rapport Comment va la vie ? Mesurer le bien-être 26 ( * ) et lancé l'outil interactif en ligne « Your Better Life Index » 27 ( * ) , qui permet à chacun de créer son propre indicateur du « mieux vivre ». De même, depuis lors, à intervalles réguliers, l'OCDE publie sous forme de rapports et sur Internet, pour chacun des pays membres, une évaluation des différentes dimensions retenues pour mesurer le bien-être des populations - le revenu et le patrimoine, l'emploi et les salaires, le logement, l'état de santé, l'équilibre vie professionnelle-vie privée, l'éducation et les compétences, les liens sociaux, l'engagement civique et la gouvernance, la qualité de l'environnement, la sécurité personnelle et le bien-être subjectif.

En 2009, la Commission européenne a, elle aussi, publié une communication ayant pour titre « Le PIB et au-delà. Mesurer le progrès dans un monde en mutation » 28 ( * ) , dans laquelle elle identifie cinq actions à réaliser à court et moyen termes : l'ajout d'indicateurs environnementaux et sociaux au PIB , la quasi-instantanéité des informations pour les décideurs , qui consiste à améliorer l'actualité des données environnementales et sociales mises à la disposition de ces derniers, une précision accrue des rapports sur la distribution et les inégalités , le développement d'un tableau de bord européen du développement durable et l'extension des comptes nationaux aux thématiques environnementales et sociales .

Il convient également de relever l'existence d'initiatives nationales en faveur du développement de nouveaux indicateurs de richesse , au-delà du fameux Bonheur national brut (BNB) 29 ( * ) introduit en 1972 au Bhoutan par l'ancien monarque Jigme Singye Wangchuck. Ainsi, au cours des auditions menées par votre rapporteur, son attention a été attirée sur l'exemple du Royaume-Uni, où l'institut de statistique, l'Office for National Statistics (ONS), a lancé à la fin de l'année 2010 le « Measuring National Well-Being (MNW) programme », dans le cadre duquel sont développés de nouveaux indicateurs de bien-être. À ce titre, un vaste débat national, faisant appel à des experts et à des contributions citoyennes - 30 000 réponses ayant alors été récoltées par l'ONS -, a été organisé entre novembre 2010 et avril 2011 . Ainsi, l'ONS s'attache à publier de courtes études qui visent à rendre compte, sur la base des indicateurs de bien-être, de la situation de différentes catégories de la population - comme les personnes âgées -, ou encore d'éléments de la vie sociale - à l'instar des relations amicales et familiales. Par ailleurs, une page Internet dédiée restitue les résultats 30 ( * ) , pour différentes périodes, des enquêtes réalisées dans le cadre du programme « Measuring National Well-Being » sur des domaines comme l'environnement, le bien-être individuel, les relations sociales la gouvernance, l'éduction, l'économie, etc.

C. LES NOUVEAUX INDICATEURS DE RICHESSE EN FRANCE

La France est, sans aucun doute, l'un des pays où les travaux menés sur les nouveaux indicateurs de richesse ont été les plus nombreux au cours des années récentes . Ainsi, les indicateurs à dominante sociale ont fait l'objet d'une analyse approfondie dans le cadre des travaux du groupe de travail « Niveaux de vie et inégalités sociale » du Conseil national de l'information statistique (CNIS), aboutissant à la publication d'un rapport sur ce thème en mars 2007 31 ( * ) .

Dans le domaine du développement durable, il convient de rappeler les travaux du Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui, saisi par le Premier ministre du projet de stratégie nationale de développement durable (SNDD) pour la période 2009-2013, a publié un avis présenté par Philippe Le Clézio 32 ( * ) , considérant que la diffusion régulière d'indicateurs de développement durable constituait la voie privilégiée de l'appropriation de cette stratégie.

Pour autant, l'initiative la plus « médiatisée » a sans doute été la mise en place, à l'initiative du Président de la République Nicolas Sarkozy, de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social présidée par l'économiste américain Joseph Stiglitz, dont les conclusions ont été rendues publiques en septembre 2009. Les analyses et propositions, qui sont au nombre de douze, de la Commission se répartissaient selon trois axes : les questions classiques relatives au PIB , la qualité de vie et le développement durable et l'environnement . Les propositions formulées dans ce cadre sont reprises dans l'encadré ci-après.

Le « rapport Stiglitz » continue, encore à ce jour, à exercer une forte influence sur les travaux relatifs aux indicateurs , en particulier en France. D'ailleurs, l'Insee ainsi que le service de l'observation et des statistiques du Commissariat général au développement durable (CGDD-SOeS) ont entrepris de mettre en oeuvre les recommandations figurant dans ce rapport à travers la création et l'étude de nouveaux indicateurs statistiques. Ainsi, à compter de 2010, les publications de l'Insee ont intégré des analyses relatives aux inégalités entre les ménages selon les revenus et selon la consommation dans les comptes nationaux, la prise en compte des transferts sociaux en nature dans l'évaluation des inégalités, etc.

Les douze recommandations de la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social

Questions classiques relatives au PIB

Recommandation n° 1 : Dans le cadre de l'évaluation du bien-être matériel, se référer aux revenus et à la consommation plutôt qu'à la production.

Recommandation n° 2 : Mettre l'accent sur les perspectives des ménages.

Recommandation n° 3 : Prendre en compte le patrimoine en même temps que les revenus et la consommation.

Recommandation n° 4 : Accorder davantage d'importance à la répartition des revenus, de la consommation et des richesses.

Recommandation n° 5 : Élargir les indicateurs de revenus aux activités non marchandes.

Qualité de vie

Recommandation n° 6 : La qualité de la vie dépend des conditions objectives dans lesquelles se trouvent les personnes et de leur « capabilité » (capacités dynamiques). Il conviendrait d'améliorer les mesures chiffrées de la santé, de l'éducation, des activités personnelles et des conditions environnementales. En outre, un effort particulier devra porter sur la conception et l'application d'outils solides et fiables de mesure des relations sociales, de la participation à la vie politique et de l'insécurité, ensemble d'éléments dont on peut montrer qu'il constitue un bon prédicteur de la satisfaction que les gens tirent de leur vie.

Recommandation n° 7 : Les indicateurs de la qualité de la vie devraient, dans toutes les dimensions qu'ils recouvrent, fournir une évaluation exhaustive et globale des inégalités.

Recommandation n° 8 : Des enquêtes devront être conçues pour évaluer les liens entre les différents aspects de la qualité de la vie de chacun, et les informations obtenues devront être utilisées lors de la définition de politiques dans différents domaines.

Recommandation n° 9 : Les instituts de statistiques devraient fournir les informations nécessaires pour agréger les différentes dimensions de la qualité de la vie, et permettre ainsi la construction de différents indices.

Recommandation n° 10 : Les mesures du bien-être, tant objectif que subjectif, fournissent des informations essentielles sur la qualité de la vie. Les instituts de statistiques devraient intégrer à leurs enquêtes des questions visant à connaître l'évaluation que chacun fait de sa vie, de ses expériences et priorités.

Recommandation n° 11 : L'évaluation de la soutenabilité nécessite un ensemble d'indicateurs bien défini. Les composantes de ce tableau de bord devront avoir pour trait distinctif de pouvoir être interprétées comme des variations de certains « stocks » sous-jacents. Un indice monétaire de soutenabilité a sa place dans un tel tableau de bord ; toutefois, en l'état actuel des connaissances, il devrait demeurer principalement axé sur les aspects économiques de la soutenabilité.

Développement durable et l'environnement

Recommandation n° 12 : Les aspects environnementaux de la soutenabilité méritent un suivi séparé reposant sur une batterie d'indicateurs physiques sélectionnés avec soin. Il est nécessaire, en particulier, que l'un d'eux indique clairement dans quelle mesure nous approchons de niveaux dangereux d'atteinte à l'environnement (du fait, par exemple, du changement climatique ou de l'épuisement des ressources halieutiques).

Toujours dans la continuité des travaux de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, l'Association des régions de France (ARF) a créé trois déclinaisons régionales d'indicateurs de richesse jusqu'alors réservés aux États - l'indice de développement humain (IDH), l'indicateur de santé sociale (ISS) et l'empreinte écologique -, de même que 22 indicateurs de contexte de développement durable 33 ( * ) .

Au cours des derniers mois, les réflexions sur les indicateurs de richesse ont été relancées dans le cadre de l'initiative « La France dans dix ans » portée par France Stratégie . À cet égard, dans le rapport Quelle France dans dix ans ? Les chantiers de la décennie , publié en juin 2014, France Stratégie appelle à « associer au PIB un petit nombre d'indicateurs de la qualité de la croissance pouvant faire l'objet d'un suivi annuel » 34 ( * ) . Aussi, dans une Note d'analyse du mois de septembre dernier, France Stratégie propose-t-elle « sept indicateurs susceptibles d'accompagner le PIB dans un tableau de bord de la qualité de la croissance française » 35 ( * ) , à savoir l'évolution des stocks d'actifs productifs physiques et incorporels rapportés au PIB, la proportion de titulaires d'un diplôme supérieur au brevet des collèges parmi les 25 à 64 ans, la proportion artificialisée du territoire, l'empreinte carbone française annuelle, le rapport entre les revenus détenus par le cinquième le plus riche de la population et ceux détenus par le cinquième le plus pauvre, la dette publique nette rapportée au PIB et la dette extérieure nette rapportée au PIB.

À la suite de cela, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a repris ses travaux relatifs aux indicateurs de richesse, en collaboration avec France Stratégie . Les actions menées dans ce cadre, auxquelles participent de nombreux experts et représentants associatifs, visent à l' élaboration d'un tableau de bord d'indicateurs , dont la publication est attendue pour le mois de septembre de cette année. Toutefois, il ressort de l'entretien de votre rapporteur avec Philippe Le Clézio, membre du CESE, que cette publication n'interviendrait qu'à l'issue d'une large consultation de panels représentatifs de la population française et d'« ateliers citoyens ».

* * *

Au total, les indicateurs de richesse « alternatifs » au PIB existant à ce jour sont nombreux. Aussi l'enjeu est-il essentiellement de rendre ces indicateurs visibles et d'encourager leur appropriation par les acteurs publics et les citoyens . Ceci implique d'éviter deux écueils. Tout d'abord, une trop grande simplicité des indicateurs retenus qui ne permettrait pas de disposer d'une vision « utile » et « opérationnelle » de la situation économique, sociale et environnementale. Ensuite, il convient également d'éviter une complexité extrême qui rendrait les nouveaux indicateurs inaudibles aux publics qu'ils concernent. Comme le faisait remarquer Paul Valéry : « Le simple est toujours faux. Ce qui ne l'est pas est inutilisable » 36 ( * ) . Par suite, afin d'allier exhaustivité et accessibilité, la solution la plus opportune semble résider dans l'élaboration d'un tableau de bord de quelques indicateurs , solution qui a été retenue dans la présente proposition de loi, qui devront néanmoins nécessairement porter sur des domaines qui sont susceptibles de répondre à de réelles préoccupations des citoyens .

III. LA RÉFORME PROPOSÉE PAR LA PROPOSITION DE LOI

A. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : LA REMISE ANNUELLE D'UN RAPPORT SUR LES NOUVEAUX INDICATEURS DE RICHESSE

L'article unique de la présente proposition de loi prévoit que le rapport relatif aux nouveaux indicateurs de richesse est transmis annuellement par le Gouvernement au Parlement « le premier mardi d'octobre » . Il s'agit, de cette manière, de faire coïncider la remise de ce rapport avec le dépôt du projet de loi de finances de l'année ; en effet, en application de l'article 39 de la loi du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) 37 ( * ) , ce dernier, accompagné de certaines de ses annexes, doit être « déposé et distribué au plus tard le premier mardi d'octobre de l'année qui précède celle de l'exécution du budget ».

En cela, la présente initiative retient une logique proche de celle affichée par la proposition de loi organique, déposée par Eva Sas, Barbara Pompili et François de Rugy, examinée par l'Assemblée nationale le 23 janvier 2014 , qui prévoyait d'« introduire, dans l'exposé des motifs des projets de loi de finances initiale, de loi de finances rectificative et de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, les hypothèses sur la base desquelles ils sont établis, au regard de quatre indicateurs de richesse notamment : l'indice d'espérance de vie en bonne santé', l'indicateur de sante' sociale, l'empreinte écologique et les émissions de dioxyde de carbone et autres gaz a` effet de serre » 38 ( * ) . Il convient, néanmoins, de préciser que cette proposition de loi organique avait été retirée par ses auteurs.

En tout état de cause, la présente proposition de loi précise que le rapport remis au Parlement doit présenter « l'évolution, sur les années passées, de nouveaux indicateurs de richesse, tels que des indicateurs d'inégalités, de qualité de vie et de développement durable ». Par suite, celle-ci maintient « ouverte » la liste des indicateurs susceptibles d'être retenus par le Gouvernement , se limitant à l'évocation d'exemple de nouveaux indicateurs de richesse. Quoi qu'il en soit, il ressort clairement de la rédaction choisie que la présente initiative privilégie un ensemble d'indicateurs à un indicateur synthétique unique .

Par ailleurs, la proposition de loi prévoit que le rapport précité comporte « une évaluation qualitative ou quantitative de l'impact des principales réformes engagées l'année précédente et l'année en cours et de celles envisagées pour l'année suivante, notamment dans le cadre des lois de finances, au regard de ces indicateurs et de l'évolution du produit intérieur brut ». Ainsi que l'indiquent les travaux de la rapporteure sur le texte à l'Assemblée nationale, un tel exercice serait distinct des études d'impact jointes aux projets de loi conformément à la loi organique du 15 avril 2009 39 ( * ) .

Enfin, la présente initiative dispose que le « rapport peut faire l'objet d'un débat devant le Parlement ».

B. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES : UNE ADOPTION DU TEXTE SANS MODIFICATION

L'élaboration de nouveaux indicateurs de richesse permettrait de compléter utilement le produit intérieur brut (PIB) , dont les développements qui précèdent ont mis en évidence les principales limites. Toutefois, selon votre rapporteur, dans sa version transmise au Sénat, la proposition de loi examinée présente des caractéristiques de nature à en limiter l'efficacité.

Tout d'abord, la transmission du rapport au Parlement « le premier mardi d'octobre », soit concomitamment au dépôt du projet de loi de finances de l'année, conduit à associer étroitement l'examen éventuel de ce rapport aux débats budgétaires ; pourtant, en dépit de la « visibilité » de ces derniers, force est de constater qu'ils présentent un périmètre relativement étroit, alors même que la proposition de loi a pour ambition d'appréhender l'ensemble des politiques publiques et des réformes menées. En outre, une transmission si tardive du rapport interdirait la pleine prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans l'élaboration des réformes qui seront, le cas échéant, proposées au cours de la session parlementaire concernée.

Aussi votre rapporteur avait-il envisagé que la date de remise du rapport relatif aux nouveaux indicateurs de richesse puisse être avancée au 1 er juin de chaque année . De cette manière, il lui semblait que ce rapport pourrait être utilisé à l'occasion de l'examen du projet de loi de règlement du budget de l'exercice écoulé, du débat d'orientation des finances publiques (DOFP), de même que de la réception des recommandations de la Commission européenne et du Conseil de l'Union européenne portant sur le programme de stabilité et le programme national de réforme (PNR) français, rendues dans le cadre du semestre européen - qui constituent autant d'éléments exerçant une influence forte sur les lois financières et les réformes appelées à être examinées lors de la session parlementaire à venir.

Ensuite, tout en conservant « ouverte » la liste des nouveaux indicateurs de richesse qui pourront être retenus par le Gouvernement - de manière à laisser prospérer les travaux engagés à ce jour, en particulier par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et France Stratégie -, votre rapporteur considérait que la proposition de loi aurait pu être modifiée afin d'y faire figurer les domaines qui, de par leur importance au regard tant de la « qualité » que de la « soutenabilité » de la croissance économique, sont susceptibles de répondre à de réelles préoccupations des citoyens et, par conséquent, de devenir des éléments essentiels du débat public. De même, il estimait qu'il aurait été utile de préciser que les indicateurs qui seront retenus devront nécessairement reposer sur des données objectives et quantifiables - le recours à des indicateurs exclusivement subjectifs étant de nature à nuire à la légitimité et au caractère opérationnel de la mise en place de nouveaux indicateurs de richesse.

Si le principe d'une évaluation rétrospective des principales réformes engagées sur la base des nouveaux indicateurs de richesse se devait d'être maintenu, tel n'était pas cas, selon votre rapporteur, d'une évaluation prospective qui paraît, dans les faits, particulièrement difficile à mettre en oeuvre . Aussi aurait-il semblé préférable à votre rapporteur de privilégier l'introduction de ces nouveaux indicateurs de richesse dans le cadre des études d'impact qui doivent accompagner les projets de loi, permettant ainsi une analyse plus « fine » des incidences des différents dispositifs législatifs proposés.

Enfin, bien que l'inscription du principe d'un débat devant le Parlement ne soit pas utile dans le cadre de la présente proposition de loi, dès lors qu'il est loisible aux assemblées, en application de l'article 48 de la Constitution et de leurs règlements respectifs, d'organiser des débats à tout moment, il n'en demeure pas moins qu'elle permet de souligner l'importance qui devrait être accordée à un tel rapport .

Eu égard aux développements qui précèdent, votre rapporteur avait initialement déposé un amendement tendant à modifier la proposition de loi . Toutefois, si les groupes minoritaires et les groupes d'opposition détiennent, en vertu de l'article 48 du règlement de l'Assemblée nationale, le droit d'inscrire à l'ordre du jour la discussion d'une initiative législative ou d'un débat lors d'une journée mensuelle dédiée, le groupe à l'origine de la proposition de loi ne serait pas en mesure d'en obtenir l'inscription à l'ordre du jour avant une année au moins. C'est pourquoi, dès lors qu'il partage l'intention du texte, votre rapporteur a décidé de retirer son amendement et d'inviter la commission des finances à adopter la présente initiative sans modification.

*

* *

Votre commission a adopté la proposition de loi sans modification.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 25 mars 2015, sous la président de Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Antoine Lefèvre et à l'élaboration du texte de la commission sur la proposition de loi n° 269 (2014-2015) visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques.

M. Antoine Lefèvre , rapporteur . - La commission des finances a été saisie de la proposition de loi visant à la prise en comptes des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques. Celle-ci a été adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture le 29 janvier dernier, à l'initiative d'Eva Sas et de plusieurs de ses collègues du groupe écologiste. Cette proposition de loi fait suite à une proposition de loi organique portant modification de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques visant à la prise en compte de nouveaux indicateurs de richesse, également déposée par le groupe écologiste de l'Assemblée nationale. Toutefois, cette dernière initiative, après avoir été rejetée par la commission des lois, avait été retirée par ses auteurs, le recours à un texte de nature organique ayant été jugé peu opportun par nos collègues députés.

Quoi qu'il en soit, la proposition de loi dont nous sommes saisis vise à ce que le Gouvernement remette annuellement au Parlement, le premier mardi d'octobre, un rapport « présentant l'évolution, sur les années passées, de nouveaux indicateurs de richesse, tels que des indicateurs d'inégalités, de qualité de vie et de développement durable » ; de même, elle prévoit une évaluation des politiques publiques engagées et à venir sur la base de ces nouveaux indicateurs de richesse. Enfin, la proposition de loi dispose que « ce rapport peut faire l'objet d'un débat devant le Parlement ».

Force est de constater que la proposition de loi répond à une véritable préoccupation. En effet, elle tend à ce que soient pris en compte de nouveaux indicateurs de richesse venant compléter, sans le remplacer, le produit intérieur brut (PIB) dont les limites sont connues de tous. Le PIB constitue indéniablement une mesure utile de l'évolution des performances économiques, puisqu'elle n'est pas sans lien avec le bien-être des individus, dès lors qu'elle influe, par exemple, sur le niveau de chômage, et qu'elle permet aux autorités publiques d'adapter leurs politiques en conséquence ; pour autant, cet indicateur ne permet pas d'appréhender la « qualité » de la croissance, ou encore sa « soutenabilité ». En particulier, en application du principe d'« objectivation » des comptes, le PIB ne distingue pas les activités ayant une incidence positive et celles ayant un impact négatif sur le bien-être des individus ; à titre d'exemple, le trafic de stupéfiants est comptabilisé comme toute autre activité de nature commerciale.

Cette « limite » du PIB a été perçue dès l'origine, notamment par l'économiste Simon Kuznets, qui est considéré comme le père de la comptabilité nationale. Dans ces conditions, de nombreuses initiatives se sont succédées pour étendre ou compléter le PIB, dont je ne citerai que les principales : l'indice de développement humain (IDH), développé dans le cadre du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) au début des années 1990, la mesure du bien-être économique, conçue par William Nordhaus et James Tobin, au cours des années 1970, l'indicateur de santé sociale (ISS), ou encore l'empreinte écologique.

À quelques exceptions près, les indicateurs de richesse apparus dans la seconde moitié du XX e siècle n'ont connu qu'un succès limité, conservant une visibilité bien moindre que le PIB. Néanmoins, la crise économique et financière a remis à l'ordre du jour les interrogations sur la finalité de la croissance, relançant, par la même occasion, les réflexions relatives aux nouveaux indicateurs de richesse.

À cet égard, il convient de citer les initiatives prises par les organisations internationales et européennes. Ainsi, quelques mois avant la crise, soit en juin 2007, l'OCDE organisait un forum intitulé « Mesurer et favoriser le progrès des sociétés ». La déclaration d'Istanbul qui en a résulté a relevé « un consensus émergeant sur la nécessité de procéder à une mesure du progrès social dans chaque pays, allant au-delà des mesures économiques conventionnelles comme le PIB par tête » et appelé à ce que des mesures concrètes soient prises afin de favoriser le développement et la diffusion de mesures nouvelles du « progrès social ».

Continuant dans cette voie, l'OCDE a engagé, sur le fondement des travaux menés dans le cadre de la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social, mise en place par le Président de la République Nicolas Sarkozy et conduite par Joseph Stiglitz, l'initiative « Vivre mieux ». Cette initiative a reposé sur la publication d'un rapport sur la mesure du bien-être et le lancement d'un outil interactif en ligne, qui permet à chacun de créer son propre indicateur du « mieux vivre » ; en outre, à intervalles réguliers, l'OCDE publie sous forme de rapports et sur Internet, pour chacun des pays membres, une évaluation des différentes dimensions retenues pour mesurer le bien-être des populations.

En 2009, la Commission européenne a, elle aussi, publié une communication ayant pour titre « Le PIB et au-delà. Mesurer le progrès dans un monde en mutation », dans laquelle elle identifie cinq actions à réaliser à court et moyen termes, tendant notamment à l'ajout d'indicateurs environnementaux et sociaux au PIB, à une précision accrue des rapports sur la distribution et les inégalités et au développement d'un tableau de bord européen du développement durable.

À ces initiatives internationales et européennes s'ajoutent les mesures prises au niveau national. À ce titre, je souhaiterais citer l'exemple britannique. L'institut de statistiques du Royaume-Uni a lancé, à la fin de l'année 2010, un « programme de mesure du bien-être national » qui a débuté par un vaste débat à l'échelle du pays, faisant appel à des experts et à des contributions citoyennes - 30 000 réponses ayant alors été récoltées par l'office statistique. Dans ce cadre, des indicateurs du bien-être ont été identifiés et font, depuis lors, l'objet d'une attention accrue dans les analyses de l'institut de statistiques.

La France est, sans aucun doute, l'un des pays où les travaux menés sur les nouveaux indicateurs de richesse ont été les plus nombreux au cours des années récentes. Ainsi, en 2005, le Conseil national de l'information statistique (CNIS) a mis en place un groupe de travail sur le niveau de vie et les inégalités sociales, dont les conclusions accordent une large place aux indicateurs sociaux. De même, saisi par le Premier ministre du projet de stratégie nationale de développement durable (SNDD) pour la période 2009-2013, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a rendu un avis en novembre 2009, présenté par Philippe Le Clézio, considérant que la diffusion régulière d'indicateurs de développement durable constituait la voie privilégiée de l'appropriation de cette stratégie.

Comme je l'indiquais précédemment, une Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social a été mise en place par le Président de la République Nicolas Sarkozy ; conduite par Joseph Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi, celle-ci a rendu son rapport en septembre 2009. Ses conclusions ont eu une influence déterminante sur les travaux relatifs aux nouveaux indicateurs de richesse menés par les organisations internationales, mais aussi par l'Insee et le Commissariat général au développement durable.

S'inspirant aussi du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi, l'Association des régions de France (ARF) a créé en 2012 trois déclinaisons régionales d'indicateurs de richesse jusqu'alors réservés aux États - l'indice de développement humain (IDH), l'indicateur de santé sociale (ISS) et l'empreinte écologique -, de même que 22 indicateurs de contexte de développement durable.

En outre, dans son rapport « Quelle France dans dix ans ? Les chantiers de la décennie », rendu public en juin 2014, France Stratégie appelle à « associer au PIB un petit nombre d'indicateurs de la qualité de la croissance pouvant faire l'objet d'un suivi annuel ». En septembre 2014, France stratégie a publié une note d'analyse dans laquelle elle propose sept indicateurs susceptibles d'accompagner le PIB dans un tableau de bord de la qualité de la croissance française.

Plus récemment, sous l'égide du Conseil économique, social et environnemental (CESE), en collaboration avec France Stratégie, des travaux ont été engagés afin de développer un tableau de bord d'indicateurs venant compléter le PIB. Ces travaux sont encore en cours et devraient s'achever, après la consultation d'experts et de panels de citoyens, au mois de septembre de cette année.

Il apparaît donc que les nouveaux indicateurs de richesse ne manquent pas. Toutefois, ces derniers ont pour principal faiblesse de présenter une visibilité limitée et ne sont, par conséquent, pas en mesure de « modifier » la perception qu'ont les acteurs publics et les citoyens des politiques qui sont menées. Aussi, la finalité de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est de renforcer la saillance de ces nouveaux indicateurs de richesse et de prévoir que ces derniers soient régulièrement actualisés et suivis.

Ces nouveaux indicateurs de richesse permettraient de compléter utilement le PIB, dont j'ai rappelé brièvement les lacunes. Néanmoins, dans sa version transmise au Sénat, il me semble que la proposition de loi présente des caractéristiques de nature à en limiter l'efficacité.

Tout d'abord, la transmission d'un rapport relatif aux nouveaux indicateurs de richesse au Parlement « le premier mardi d'octobre », soit concomitamment au dépôt du projet de loi de finances de l'année, conduit à associer étroitement l'examen de ce rapport aux débats budgétaires ; pourtant, en dépit de leur « visibilité », ces débats présentent un périmètre relativement étroit, alors même que la proposition de loi a pour ambition d'appréhender l'ensemble des politiques publiques et des réformes menées. En outre, une transmission si tardive du rapport limiterait la pleine prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans l'élaboration des réformes qui seront, le cas échéant, proposées au cours de la session parlementaire concernée.

Dans ces conditions, je vous suggérerai d'avancer la date de remise du rapport au 1 er juin de chaque année. De cette manière, celui-ci pourrait être utilisé à l'occasion du projet de loi de règlement du budget de l'exercice écoulé, du débat d'orientation des finances publiques (DOFP), de même que de la réception des recommandations de la Commission et du Conseil de l'Union européenne sur le programme de stabilité et le programme national de réforme français. Ces trois étapes exercent, en effet, une influence forte sur les lois financières et les réformes appelées à être examinées lors de la session parlementaire à venir.

Ensuite, tout en conservant « ouverte » la liste des nouveaux indicateurs de richesse qui pourront être retenus par le Gouvernement, je pense que la proposition de loi devrait être modifiée afin d'y faire figurer les domaines qui, de par leur importance au regard de la « qualité » et de la « soutenabilité » de la croissance économique, sont susceptibles de répondre à de réelles préoccupations des citoyens et, donc, de devenir des éléments essentiels du débat public. Par ailleurs, il me semble qu'il devrait être précisé que les indicateurs qui seront retenus devront nécessairement reposer sur des données objectives et quantifiables ; en effet, le recours à des indicateurs exclusivement subjectifs serait de nature à nuire à la légitimité et au caractère opérationnel de la mise en place de nouveaux indicateurs de richesse.

Afin de rester fidèle à l'objectif de la proposition de loi, consistant à la prise en compte de nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques, je considère que le principe d'une évaluation rétrospective des principales réformes engagées sur la base des nouveaux indicateurs de richesse devrait être maintenu. À l'inverse, une évaluation à partir de ces indicateurs des réformes futures me paraît particulièrement difficile à mettre en oeuvre ; c'est pourquoi, je considère qu'il serait préférable de privilégier l'introduction de ces nouveaux indicateurs de richesse dans le cadre des études d'impact qui doivent accompagner les projets de loi, permettant une analyse plus « fine » des incidences des différents dispositifs législatifs proposés. À cet égard, le représentant de France Stratégie que j'ai entendu m'a indiqué que des travaux avaient été engagés sur ce point précis.

Enfin, le principe d'un débat devant le Parlement sur le rapport transmis me semble devoir être également préservé. Si une telle mention n'est pas utile dans le cadre de la présente proposition de loi, dès lors qu'il est loisible aux assemblées, en application de la Constitution et de leurs règlements, d'organiser des débats à tout moment, il n'en demeure pas moins qu'elle permet de souligner l'importance qui devrait être accordée à un tel rapport.

Pour clore mon propos, eu égard aux limites identifiées de la proposition de loi, j'ai suggéré des modifications qui figurent dans l'amendement qui vous a été distribué.

Toutefois, une modification de la proposition de loi conduirait à prolonger significativement la « navette », ce qui pourrait être regrettable dans la mesure où les objectifs de cette initiative sont partagés par tous. Par conséquent, faut-il ou non modifier cette proposition de loi ; je m'en remets à votre sagesse.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Encore un rapport ! Je ne suis pas, à titre personnel, favorable à une proposition de loi dont l'unique objet est de prévoir la remise d'un rapport au Parlement. Pour autant, la question abordée est intéressante. Faut-il compléter le PIB d'autres indicateurs de richesse ? Pourquoi pas. Toutefois, j'émettrai deux réserves sur le dispositif qui nous est proposé. Tout d'abord, les indicateurs demandés par la proposition de loi ne permettent pas de faire des comparaisons internationales - au moins au niveau de l'Union européenne ou de l'OCDE -, ce qui serait néanmoins utile. Ensuite, il est absolument nécessaire que les indicateurs retenus reposent sur des données objectives et quantifiables, et non sur des données subjectives - tel est d'ailleurs le sens de l'amendement proposé par le rapporteur. Or, les « pistes » d'indicateurs suggérées par la proposition de loi interrogent ; comment quantifier la qualité de vie ? Dans ces conditions, je ne peux souscrire à la proposition de loi qui nous est soumise ; sa rédaction actuelle demeure trop vague et peu opérationnelle. Pour finir, j'estime que la date de remise du rapport prévue par la proposition de loi est trop tardive, en particulier en ce qui concerne la préparation de l'examen du projet de loi de finances de l'année.

M. Roger Karoutchi . - Je ne voterai ni la proposition de loi, ni l'amendement qui nous est suggéré. Un travail a été engagé sous la conduite de notre collègue Alain Richard et de moi-même afin de réformer et de clarifier le travail parlementaire. Dans ce cadre, un consensus s'est établi en faveur d'un renforcement du travail législatif - qui passe par un plus grand respect des frontières entre les domaines législatif et réglementaire. Le dispositif prévu par la proposition de loi relève, au mieux, du travail de l'Insee ou encore de l'Institut national d'études démographiques (Ined). Je propose, quant à moi, de faire comme le Bhoutan et de nous doter d'un indicateur de Bonheur national brut dont l'évolution serait commentée chaque année par le Gouvernement dans un rapport ! Je pense que tout cela n'a aucun sens... Il est important que le Parlement se concentre sur les tâches qui sont les siennes.

Comme l'a noté le rapporteur, il existe un risque que le rapport prévu par la proposition de loi comporte des indicateurs subjectifs, difficilement quantifiables. Au moins l'amendement proposé par celui-ci permettrait une amélioration du dispositif.

M. André Gattolin . - Je pense que l'exposé du rapporteur était de nature à convaincre Roger Karoutchi de l'importance des questions abordées par la proposition de loi - ce que soulignent, d'ailleurs, les travaux engagés à l'initiative du Président de la République Nicolas Sarkozy dans le cadre de la « Commission Stiglitz ». Il ne s'agit aucunement d'« inventer » de nouveaux indicateurs ! Il existe déjà, dans les annexes au projet de loi de finances de l'année, des indicateurs de développement durable reposant sur des données quantifiées. Toutefois, ces derniers ne sont ni présentés de manière synthétiques ni hiérarchisés. L'objectif est seulement de créer un document plus bref et ramassé que ceux qui existent aujourd'hui, comportant des indicateurs quantifiés mais dont la liste n'a pas été arrêtée, notamment afin de laisser prospérer l'initiative du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et de France Stratégie, tendant à la mise en place d'un tableau de bord d'indicateurs complémentaires au PIB dont les limites sont connues de tous. La date de remise du rapport prévue par la proposition de loi, fixée au premier mardi d'octobre, vise, d'une part, à ne pas entrer en concurrence avec cette initiative et, d'autre part, à donner de la « visibilité » aux indicateurs qui seront retenus. Par ailleurs, il me semble que certaines données utiles à l'établissement de ces indicateurs, en particulier les statistiques relatives à l'éducation, seraient difficiles à produire et à analyser avant la date proposée. Il fait peu de doute que la rédaction de la proposition de loi est perfectible, notamment en raison du fait qu'elle résulte d'un compromis intervenu à l'Assemblée nationale ; toutefois, il ne s'agit pas de « faire la loi », mais seulement de prévoir la remise d'un rapport. En outre, le groupe écologiste de l'Assemblée nationale ne dispose que d'un seul « espace réservé » par an ; par conséquent, une modification de la proposition de loi au Sénat conduirait à ce que son adoption définitive soit reportée d'une année au moins. C'est pourquoi je pense qu'il est nécessaire que notre assemblée adopte la proposition de loi en l'état.

M. Michel Bouvard . - Faut-il un débat au Parlement sur le rapport prévu par la proposition de loi ? Il me semble que les temps de débats dans les assemblées doivent, avant tout, être consacrés à des sujets concrets. J'ai, quant à moi, contribué il y a quelques années à ce que la possibilité d'un débat en séance sur le rapport annuel de la Cour des comptes soit inscrite dans la loi organique relative aux lois de finances ; un tel débat me paraîtrait plus utile qu'une discussion sur de nouveaux indicateurs de richesse, qui présente une utilité opérationnelle moindre.

Si l'on souhaite développer de nouveaux indicateurs, encore faudrait-il s'interroger sur leur finalité. S'il s'agit de modifier les critères de distribution des fonds de cohésion européens, ou encore de modifier la répartition des contributions nationales au budget de l'Union européenne, l'initiative que nous examinons aujourd'hui intervient soit trop tard, par rapport au vote du cadre financier pluriannuel 2014-2020, soit trop tôt, par rapport au prochain cadre financier pluriannuel. S'il s'agit d'influer sur l'attribution des crédits dans le cadre le cadre des contrats de plan État-région (CPER) ou sur les dispositifs de péréquation, il est nécessaire que les informations figurant dans le rapport soient beaucoup plus précises que celles demandées par la proposition de loi.

Il est essentiel que la dimension opérationnelle des indicateurs dont nous nous dotons soit sans cesse examinée ; telle était la démarche retenue lors de l'élaboration de la loi organique relative aux lois de finances.

M. Marc Laménie . - Je me montre réservé quant à l'adoption d'une proposition de loi dont l'objet est, encore, de demander la remise d'un rapport au Parlement. Les rapports dont nous disposons sont déjà nombreux. Dès lors, je ne suis pas convaincu de la pertinence d'une telle initiative, alors même que la priorité est aujourd'hui donnée à la simplification. Malgré cela, je souligne l'intérêt de l'amendement proposé par le rapporteur.

M. Philippe Adnot . - Pas plus que Roger Karoutchi, je ne voterai la proposition de loi et l'amendement déposé par le rapporteur. Au lendemain d'un premier tour des élections départementales qui me semble révélateur des évolutions politiques de notre pays, il me paraît peu opportun de saisir le Parlement d'une question qui ne constitue en rien une préoccupation des citoyens. N'avons-nous rien appris ? Alors que le taux de chômage est élevé, que les difficultés économiques se multiplient, nous nous préoccuperions de nouveaux indicateurs de richesse ? Je pense que cette proposition de loi doit être écartée au plus vite.

M. Jacques Genest . - Selon moi, l'examen de cette proposition de loi constitue une perte de temps pour le Parlement. Les citoyens sont las de constater que leurs élus se préoccupent insuffisamment de leurs problèmes véritables. Le vote des électeurs représente indubitablement le meilleur indicateur qui soit ! Des rapports sont produits continuellement sans rien changer à la situation de notre pays. Aussi voterai-je contre cette proposition de loi et contre l'amendement du rapporteur.

Mme Michèle André , présidente . - Je rappelle, à toutes fins utiles, que la proposition de loi sera examinée en séance car la Conférence des présidents en a décidé ainsi.

M. Maurice Vincent . - Le rapport livré par Antoine Lefèvre était à la fois mesuré et détaillé. Il a dressé un état des lieux des débats relatifs aux nouveaux indicateurs de richesse exhaustif, tout en s'attachant à éviter les caricatures. Quels sont les apports de la proposition de loi que nous examinons ? Elle crée un temps de discussion, au moment de l'examen du budget, consacré à ces nouveaux indicateurs - dont je tiens à souligner que la liste n'a aucunement été arrêtée. Il s'agit, lors des débats budgétaires, de tenir compte d'indicateurs qui viennent seulement compléter le PIB sans le remettre en cause. Aussi, une telle proposition me paraît être des plus raisonnables.

Je note, d'ailleurs, un paradoxe ; alors que la recherche française montre une certaine avance dans le développement de nouveaux indicateurs de richesse, c'est essentiellement dans les autres pays que ces indicateurs sont mis en oeuvre.

Eu égard à l'utilité de la démarche suggérée par la proposition de loi, je considère que nous devrions l'adopter sans modification.

M. Alain Houpert . - Je souhaiterais partager avec vous une citation du général de Gaulle, datée du 25 septembre 1963 : « L'essentiel pour moi, ce n'est pas ce que peuvent penser le comité Gustave, le comité Théodule ou le comité Hippolyte, c'est ce que veut le pays. J'ai conscience de l'avoir discerné depuis vingt-cinq ans. Je suis résolu, puisque j'en ai encore la force, à continuer de le faire ». Il me semble qu'avec cette proposition de loi nous ne faisons guère mieux que créer un nouveau comité Théodule ! Le Gouvernement a-t-il encore, à ce jour, la capacité d'avancer, de réformer ? A-t-il pris la pleine mesure du message envoyé par les urnes dimanche dernier ?

Mme Marie-France Beaufils . - J'appuie la demande d'André Gattolin tendant à ce que la proposition de loi soit adoptée par notre commission sans modification. Je souhaiterais rappeler à mes collègues que je les ai souvent entendus se plaindre de l'insuffisance des informations et des données qui étaient mises à leur disposition. L'initiative qui nous est soumise, dès lors qu'elle prévoit d'inscrire dans un même rapport des éléments sur l'évolution de nouveaux indicateurs de richesse ainsi que des éléments d'évaluation des réformes engagées, institue un outil qui nous serait utile.

M. Antoine Lefèvre , rapporteur . - En réponse aux différentes interventions et, en particulier, à celles des membres de mon groupe, je tiens à souligner qu'en tant qu'élu de l'Aisne, je fais sans doute partie de ceux qui ont le plus clairement entendu la révolte qui s'est exprimée dimanche dernier. Pour autant, il me semble que la commission des finances est parfaitement légitime à discuter d'un sujet qui me paraît important, à savoir les nouveaux indicateurs de richesse.

En tout état de cause, l'examen de cette proposition de loi intervient dans le cadre des « espaces réservés » accordés aux groupes d'opposition et aux groupes minoritaires par le règlement de notre assemblée, qui sont donc en droit d'attendre que leurs initiatives soient traitées avec autant d'égards que les autres projets et propositions de loi.

Il est vrai que les documents et rapports qui nous sont transmis sont nombreux ; les Français attendent aujourd'hui que nous en fassions quelque chose et c'est la raison pour laquelle l'organisation d'un débat sur les nouveaux indicateurs de richesse me paraît de nature à inspirer le travail du législateur.

Eu égard aux contraintes inhérentes à l'inscription, à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, des textes à l'initiative des groupes d'opposition et aux groupes minoritaires, je retirerai mon amendement à la proposition de loi afin de ne pas retarder plus que de raison l'adoption définitive de celle-ci, tout en appelant notre commission à se prononcer favorablement sur ce texte.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur . - Dans ces conditions, je m'abstiendrai car j'aurais, à titre personnel, voté en faveur de l'amendement du rapporteur.

La proposition de loi a été adoptée sans modification.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

M. Philippe Le Clézio , membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE), ancien Président de la commission de concertation sur les indicateurs de la Stratégie nationale de développement durable 2009-2013.

M. Vincent Aussilloux , chef du département Économie et Finance du Commissariat général la stratégie et à la prospective (France Stratégie).


* 1 Cf. Congrès des États-Unis, Sénat, National Income, 1929-1932 , 73 e Congrès, 2 e session, 1934.

* 2 Afin d'évaluer le PIB en volume, soit en termes réels, il convient de neutraliser les variations de prix.

* 3 Eurostat, Système européen des comptes. SEC 2010, Luxembourg, Office des publications de l'Union européenne, 2013, p. 305.

* 4 La valeur ajoutée brute (VAB) est calculée à partir de la valeur des biens et services produits dont est déduite la valeur des biens et services intermédiaires détruits en cours de production - désignés comme les consommations intermédiaires.

* 5 Eurostat, op. cit.

* 6 J. Gadrey et F. Jany-Catrice, Les nouveaux indicateurs de richesse , Paris, La Découverte, 2012.

* 7 Pour autant, il convient de souligner qu'en application du principe d'« objectivation » des comptes, les systèmes de comptabilité nationale se veulent détachés de toute considération de nature éthique ; c'est d'ailleurs la raison pour laquelle les systèmes « SEC 2008 » et « SEC 2010 » comptabilisent, en principe, les activités illégales à l'instar de la vente de stupéfiants.

* 8 Cf. D. Méda, « Comment le PIB a pris le pouvoir », Revue projet , 2012/6, n° 331, 2012, p. 14-21.

* 9 J. Gadrey et F. Jany-Catrice, op. cit. , p. 3.

* 10 Conseil d'analyse économique (CAE) et Conseil allemand des experts en économie, Évaluer la performance économique, le bien-être et la soutenabilité , Paris, Direction de l'information légale et administrative, 2010, p. 16.

* 11 S. Kuznets, cité par K. Stewart, « National Income Accounting and Economic Welfare: The Concepts of GNP and MEW », Federal Reserve Bank of St. Louis Review , 1974, p. 18-24.

* 12 D. Pilling, « Has GDP outgrowth its use? », Financial Times , 4 juillet 2014.

* 13 B. de Jouvenel, Arcadie : Essais sur le mieux-vivre , Paris, SEDEIS, 1968, p. 267-268.

* 14 R. Easterlin, « Does Economic Growth Improve the Human Lot? », in P.A. David et M.W. Reder, Nations and Households in Economic Growth : Essays in Honor of Moses Abramovitz , New York, Academic Press, 1974, p. 89-125.

* 15 Cf. rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, conduite par J.E. Stigliz, président, A. Sen, conseiller, et Jean-Paul Fitoussi, coordinateur, septembre 2009.

* 16 W.D. Nordhaus et J. Tobin, « Is Growth Obsolete? », in NBER (éd.) The Measurement of Economic and Social Performance , 1973, p. 509-564.

* 17 La remise en question du principe d'« objectivation » constitue l'un des traits distinctifs de la plupart des nouveaux indicateurs de richesse, comme le montrent les développements infra .

* 18 La mesure du bien-être économique actuel correspond aux dépenses de consommation finale moins les dépenses privées en matière de déplacement travail-domicile, de services bancaires et juridiques, de santé et d'éducation (appréhendées comme des investissements), les achats de biens durables et le surcoût du logement urbain, plus la valeur estimée des services rendus par le stock de biens durables des ménages, du travail domestique et du travail bénévole, une partie des dépenses publiques contribuant au bien-être présent - comme certains services publics - et la valeur estimée des services rendus aux personnes par le stock de capital public.

* 19 J. Gadrey et F. Jany-Catrice, op. cit.

* 20 M. Miringoff, M.-L. Miringoff et S. Opdycke, « The Growing Gap between Standard Economic Indicators and the Nation's Social Health », Challenge , juillet-août 1996.

* 21 Dans de nombreux travaux relatifs aux nouveaux indicateurs de richesse, il est jugé nécessaire d'exclure les éléments ne contribuant à une véritable amélioration du bien-être ; aussi, dans ce cadre, les dépenses dites « défensives » désignent les dépenses engagées afin de réparer les « dommages » résultant du modèle de croissance retenu et des modes de vie des individus.

* 22 M. Wackernagel et W. Rees, Our Ecological Footprint. Reducing Human Impact on the Earth , New Haven, New Society Publishers, 1996.

* 23 Moïse Tsayem Demaze, « Le protocole de Kyoto, le clivage Nord-Sud et le défi du développement durable », L'Espace géographique , 2009/2, vol. 38, p. 147-148.

* 24 G. Ducos, « Quels indicateurs pour mesurer la qualité de la croissance ? », Note d'analyse de France Stratégie , septembre 2014, p. 1.

* 25 Déclaration d'Istanbul, 30 juin 2007, p. 1 [traduction de la commission des finances du Sénat].

* 26 OCDE, Comment va la vie ? Mesurer le bien-être , Paris, Éditions OCDE, 2011.

* 27 Cf. site Internet de l'initiative « Vivre mieux » (http://www.oecdbetterlifeindex.org/fr/).

* 28 Communication de la Commission européenne du 20 août 2009, « Le PIB et au-delà. Mesurer le progrès dans un monde en mutation », COM(2009) 433 final.

* 29 Le bonheur national brut (BNB) est calculé à partir d'indicateurs portant sur la croissance et le développement économique, la conservation de l'environnement et l'utilisation des ressources, la sauvegarde de l'environnement et l'utilisation durable des ressources, ainsi que sur la bonne gouvernance responsable.

* 30 Cf. site Internet « Neighbourhood Statistics » de l'Office for National Statistics (ONS) (http://www.neighbourhood.statistics.gov.uk/HTMLDocs/dvc146/wrapper.html).

* 31 Rapport du groupe de travail « Niveaux de vie et inégalités sociales » du Conseil national de l'information statistique (CNIS), conduit par J. Freyssinet, président, et P. Chevalier et M. Dollé, rapporteurs, mars 2007.

* 32 Avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE), présenté par Philippe Le Clézio, La stratégie nationale de développement durable 2009-2013 , 2010.

* 33 Association des régions de France (ARF), Développement durable : la révolution des nouveaux indicateurs , janvier 2012.

* 34 France Stratégie, Quelle France dans dix ans ? Les chantiers de la décennie , 2014, p. 34.

* 35 G. Ducos, op. cit. , p. 1.

* 36 P. Valéry, OEuvres , tome II, Paris, Gallimard, 1960, p. 864.

* 37 Loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances.

* 38 Rapport n° 1707 (XIV e législature) sur la proposition de loi organique (n° 1608) portant modification de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse, fait par Eva Sas au nom de la commission des Lois, p. 35.

* 39 Loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

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