C. LA DIFFICILE MODIFICATION DES ÉQUILIBRES CONCERNANT L'OCM UNIQUE.
1. UNE OCM UNIQUE CONÇUE COMME UN FILET DE SÉCURITÉ.
La négociation européenne sur l'OCM révèle une ligne de fracture entre la sensibilité régulatrice et la sensibilité libérale , qui voit dans les instruments d'intervention sur les marchés un filet de sécurité qui doit être le plus léger possible.
Le rapporteur au Parlement européen de la proposition de règlement relative à l'OCM, l'eurodéputé Michel Dantin a fait de nombreuses préconisations pour resserrer les mailles de ce filet de sécurité , en augmentant les prix de référence de la viande bovine à 200 euros la tonne - ce qui reste encore très inférieur aux prix du marché - en ouvrant la possibilité de réévaluer périodiquement les prix de référence, de prendre en compte l'évolution du coût des intrants et des marges des agriculteurs avant de déclencher des mesures d'intervention ou encore en étendant le stockage privé à des produits non couverts initialement, comme la viande de volaille et le caillé de chèvre.
De même, il a été proposé de rendre l'ensemble des secteurs agricoles éligibles aux dispositions des articles 154 et 155, qui permettent à la Commission européenne de prendre des mesures exceptionnelles en cas de crise. Le rapporteur Michel Dantin suggérait également d'améliorer les mécanismes de retrait sur les marchés.
Il est en effet indispensable de sortir des lourdeurs des mécanismes de l'OCM unique . La crise du lait de 2010 avait mis en évidence cette nécessité de changement des outils à la disposition de la Commission et du Conseil, pour être plus réactifs face aux crises. Le « paquet lait 23 ( * ) » qui en avait résulté marquait le souci de conserver des instruments de régulation des marchés, une fois le système des quotas disparu. Les faits avaient donné raison aux tenants de la régulation. Une intervention, même tardive et modeste sur les marchés, avait alors permis de modifier la tendance dans le secteur laitier et de redresser les prix.
Pour autant, Parlement européen et Conseil ont finalement peu modifié la proposition initiale de la Commission européenne en matière d'intervention. En souhaitant que les niveaux de prix et les limitations quantitatives de production relèvent non pas de la seule Commission à travers des actes d'exécution et des actes délégués, mais du Conseil, en application des prérogatives qui lui sont réservées par l'alinéa 3 de l'article 43 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne 24 ( * ) , le Conseil promeut en réalité le statu quo sur les filets de sécurité.
2. LE RÉTABLISSEMENT D'UN SYSTÈME D'ENCADREMENT DES PLANTATIONS DE VIGNE, SYMBOLE DU RETOUR DE LA RÉGULATION ?
Les dispositifs de contingentement des productions sont l'emblème d'une PAC administrée à laquelle le bilan de santé de 2008 avait mis fin
Les négociations sur la PAC 2014-2020 n'ont pas remis en selle les quotas laitiers. Il n'y avait pas de majorité au Parlement européen et au Conseil pour partir dans une telle direction. D'ores et déjà, la fin programmée des quotas laitiers se fait sentir sur le territoire, avec des abandons de production laitière et des conversions dans d'autres productions . En France, la bordure laitière, où les exploitations sont de plus en plus dispersées et les coûts de collecte élevés, se réduit comme peau de chagrin. Certains départements comme le Cantal voient une baisse du nombre d'exploitations laitières significative en quelques années.
Concernant le sucre, la disparition des quotas à la fin de la campagne 2014-2015 a été vivement critiquée. Car si la demande mondiale est forte et les niveaux de prix élevés, le secteur betteravier a encore besoin d'un peu de temps pour réduire son différentiel de compétitivité avec la filière sucre de canne brésilienne, qui est de l'ordre de 30 %. Or, la filière betteravière augmente sa productivité à hauteur de 2 % par an, grâce à des progrès techniques constants ; elle ne peut rattraper son retard en seulement deux ou trois ans. Le Parlement européen a donc proposé de prolonger le système des quotas jusqu'en 2020, tandis que le Conseil souhaite ne les prolonger que de deux campagnes, jusqu'à celle de 2016/2017, afin de ne pas rouvrir le débat sur l'attribution de quotas de sucre aux États membres (Irlande, Portugal, Slovénie, Bulgarie) qui ont renoncé à cette production et ont été indemnisés en 2006 par le fonds de restructuration pour cet abandon volontaire de production. Il est malheureux qu'un tel marchandage prévale au lieu de considérations d'intérêt général sur l'avenir de la filière de la betterave à sucre en Europe.
Concernant les droits de plantation de la vigne, le groupe de haut niveau (GHN) mis en place par la Commission européenne en janvier 2012 a travaillé toute l'année dernière pour recueillir les avis des parties prenantes et proposer des solutions . La quasi-totalité des États membres producteurs de vin avaient d'ailleurs réclamé le maintien de l'actuel système d'encadrement des plantations, notamment pour éviter les risques de surproduction. Le Parlement européen a proposé la prolongation pure et simple des droits de plantation jusqu'en 2030. Le Conseil, pour sa part, a tenu compte des résultats du GHN en proposant l'introduction d'un nouveau un système d'autorisation de plantation qui s'appliquerait à toutes les catégories de vin et tous les États membres. Il vaudrait pour une période de six ans - de 2019 à 2024 - et ferait l'objet d'une révision à mi-parcours. Il exigerait des États membres qu'ils mettent chaque année à disposition des autorisations de nouvelles plantations correspondant à 1 % de leur superficie totale plantée en vigne, mais leur donnerait également la possibilité d'appliquer, au niveau national ou régional, un pourcentage inférieur pour des superficies particulières. Les autorisations seraient gratuites et auraient une validité de trois ans. Sur le rapport de notre collègue Roland Courteau, notre Commission des affaires économiques avait adopté le 20 février 2013 une proposition de résolution européenne25 ( * ) devenue résolution du Sénat le 26 février 2013 réclamant des garanties de pérennité pour ce nouveau dispositif . La question des droits de plantation est emblématique de ce retour de la régulation. Mais si la bataille est en passe d'être gagnée dans le secteur viticole, n'est-ce pas là une exception dans l'océan de la dérégulation ?
3. DES AVANCÉES TIMIDES POUR RENFORCER LA CAPACITÉ AGRICULTEURS ET DES FILIÈRES À MIEUX S'ORGANISER.
Les avancées de l'OCM portent aussi sur la capacité des producteurs à mieux s'organiser pour avoir collectivement plus de poids sur les marchés agricoles. Le déséquilibre des rapports de force au sein de la chaîne alimentaire est une donnée évidente, mise en exergue de plus en plus dans les rapports de la Commission ou du Parlement européen .
Sur ce point, Parlement européen et Conseil souhaitent conforter les avancées contenues dans les propositions de la Commission européenne, afin de rééquilibrer les rapports entre les agriculteurs et l'aval de la production.
Pour vos rapporteurs, la négociation de la réforme de la PAC pour 2014-2020 doit fournir l'occasion de redéfinir les conditions d'application du droit de la concurrence au secteur de l'agriculture .
Les règles de concurrence, comme par exemple celles prohibant les ententes, s'appliquent au secteur agricole. Mais les spécificités de celui-ci justifient des aménagements. Ceux-ci, prévus par les textes communautaires 26 ( * ) , sont cependant interprétés de manière extrêmement stricte. En outre, les autorités nationales de la concurrence ont développé leur propre jurisprudence, qui n'est pas partout la même.
Eviter de tels écueils dans l'application du droit de la concurrence en matière agricole, permettre aux producteurs de se regrouper en organisations de producteurs, d'intervenir sur les marchés de manière plus collective, suppose donc de faire évoluer le règlement relatif à l'OCM .
Vos rapporteurs saluent au passage la proposition du rapporteur Michel Dantin, acceptée par le Parlement européen, visant à simplifier les conditions de reconnaissance des organisations de producteurs. La commission proposait qu'il ne soit pas possible de les reconnaître lorsqu'elles sont en « position dominante » sur les marchés. Or, seul l'abus de cette position dominante pose problème. Il est d'ailleurs sanctionné par le droit de la concurrence. A juste titre, le rapporteur du Parlement européen demande de s'en tenir là, ce qui permettra la reconnaissance de davantage d'organisations de producteurs de taille importante.
* 23 Règlement n° 261/2012 du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2012 relatif aux relations contractuelles dans le secteur du lait et des produits laitiers.
* 24 Article 43 alinéa 3 du TFUE : « Le Conseil, sur proposition de la Commission, adopte les mesures relatives à la fixation des prix, des prélèvements, des aides et des limitations quantitatives, ainsi qu'à la fixation et à la répartition des possibilités de pêche ».
* 25 Proposition de résolution n° 286 (2012-2013) de MM. Gérard CÉSAR et Simon SUTOUR, déposée au Sénat le 23 janvier 2013, sur le régime des autorisations de plantation de vigne.
* 26 Règlement (CE) n° 1184/2006 du Conseil du 24 juillet 2006 portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles.