B. LE DÉVELOPPEMENT RURAL : UNE BOITE À OUTILS LAISSÉE LARGEMENT À L'APPRÉCIATION DES ÉTATS MEMBRES.
1. UNE DEMANDE GÉNÉRALE DE FLEXIBILITÉ DANS LA MISE EN oeUVRE DU DEUXIÈME PILIER.
Traditionnellement, la politique de développement durable laisse aux États membres de grandes libertés pour déterminer les mesures qu'ils souhaitent mettre en place.
La logique de cofinancement amène nécessairement les États membres à avoir leur mot à dire. La politique de développement rural a aussi pour but de s'adapter à la diversité des territoires ruraux en Europe. Cette déclinaison prend aussi la forme d'une régionalisation du deuxième pilier, à travers les programmes régionaux de développement rural.
La réforme de la PAC pour 2014-2020 maintien cette souplesse, prévoyant un cadre national, à travers un programme national de développement rural, et des programmes à l'échelle régionale.
La négociation communautaire a mis en évidence un désir des États membres de voir évoluer le taux de cofinancement communautaire des mesures inscrites au titre du développement rural . Le Conseil soutient ainsi la possibilité pour les régions en transition 20 ( * ) de bénéficier, comme les régions moins développées, de taux de cofinancement européen de 75 %. Le Parlement européen a également réclamé d'augmenter le taux de cofinancement européen sur les mesures agro-environnementales à 60 %.
La France a aussi soutenu dans la négociation l'idée d'une plus grande ouverture des aides à l'investissement , la proposition de la Commission étant trop restrictive. Il convient en effet que les aides à l'investissement distribuées dans le cadre du deuxième pilier puissent concerner des mises aux normes réglementaires , en particulier pour les bâtiments d'élevage.
Dans le même sens, le Parlement européen et le Conseil ont fait évoluer le texte de la Commission concernant le soutien aux infrastructures hydrauliques . La condition de réduction d'au moins 25 % de la consommation d'eau a été supprimée.
D'une manière générale, le deuxième pilier doit offrir un large éventail de mesures possibles pour favoriser la modernisation des agricultures et des milieux ruraux d'Europe.
2. LE DEUXIÈME PILIER A-T-IL UN OBJECTIF ENVIRONNEMENTAL OU ÉCONOMIQUE : UNE QUESTION NON TRANCHÉE.
Cette logique de catalogue contribue cependant à obscurcir la logique de ce deuxième pilier, qui semble hésiter entre une vocation environnementale et une ambition économique.
• Du côté de la vocation
environnementale se situent les mesures agro-environnementales
. Elles
pourront continuer à être soutenues au titre du deuxième
pilier. Pour autant, le Parlement européen a souhaité, comme le
Conseil, par souci de cohérence, que les mesures obligatoires au titre
du verdissement du premier pilier ne puissent pas faire l'objet d'un soutien
également par le FEADER.
Il s'agira donc de venir en appui de
mesures plus exigeantes.
Alors que la Commission avait souhaité qu'au moins 25 % de l'enveloppe du deuxième pilier soit consacrée à des mesures « en vue de l'atténuation des changements climatiques et de l'adaptation à ces changements et de la gestion des terres, au moyen des paiements agroenvironnementaux et climatiques, des paiements en faveur de l'agriculture biologique et des paiements en faveur des zones soumises à des contraintes naturelles ou à d'autres contraintes spécifiques », elle n'en avait pas fait une condition de recevabilité des programmes de développement ruraux. Le Parlement européen est allé plus loin en demandant que cette part soit obligatoire.
•
Du côté de l'ambition
économique du deuxième pilier, on trouve les instruments de
gestion des risques
. Actuellement financés dans le cadre dit
« de l'article 68 »
21
(
*
)
, ces instruments sont appelés à encore
se développer.
Toutefois, leur montée en puissance est
lente
. L'assurance climatique se diffuse en grandes cultures et en
viticulture mais demeure faible en cultures maraîchères et
fruitières et inexistante en cultures fourragères. Au final, la
progression des outils de soutien aux assurances se heurte à un triple
obstacle : les réticences des assureurs à s'engager sur des
risques systémiques sans réassurance publique, celles des
agriculteurs pour qui les assurances n'interviennent qu'au-delà d'un
seuil de 30 % de pertes et avec une franchise de 25 % et ne sont
peut-être pas si intéressantes, même avec une prime
subventionnée aux deux tiers, et enfin le coût pour les finances
publiques de tels dispositifs : la baisse du taux de cofinancement
communautaire de 75 % (dans le cadre de l'article 68) à 50 %
(dans le cadre du développement rural 2014-2020) va en effet
nécessiter, pour maintenir la même enveloppe d'aide aux
agriculteurs, de mobiliser 25 millions d'euros supplémentaires de
crédits nationaux.
Au final, balançant entre objectifs environnementaux et objectifs économiques, la politique de développement rural sera probablement ce qu'en feront les États membres, qui pencheront d'un côté ou de l'autre. L'ambition française de développer l'agro-écologie dans le cadre du projet de loi d'avenir de l'agriculture devrait marquer la prochaine période de programmation du développement rural.
Le deuxième pilier pourrait aussi contribuer au développement de l'agroforesterie, qui constitue une piste extrêmement intéressante.
3. LA DÉLIMITATION DES ZONES DÉFAVORISÉES : UNE QUESTION SENSIBLE POUR LA FRANCE.
La révision de la carte des zones défavorisées est un difficile exercice qui doit être réalisé à l'occasion de la réforme de la PAC pour 2014-2020. La Cour des comptes européenne, dans un rapport du 27 juin 2003, avait estimé que les critères de délimitation de ces zones utilisés par les États membres manquaient de cohérence et conduisaient à un classement d'un trop grand nombre de territoires en zone défavorisée, nuisant au ciblage des aides.
Or, ce classement donne droit à l'attribution de l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN). Il permet aussi de bénéficier de majorations des aides à d'autres titres, comme par exemple les aides à l'installation ou encore les aides au titre du plan de performance énergétique (PPE). L'enjeu est donc sensible. L'ICHN représente pas moins de 558 millions d'euros distribués en 2012, dont 55 % en provenance du FEADER et 45 % en provenance du budget national.
Les articles 34 et 35 de la proposition de règlement sur les aides directes pour 2014-2020 prévoient même la possibilité pour les États membres de réserver 5 % de leur enveloppe au titre des aides du premier pilier au soutien aux agriculteurs situés dans des zones soumises à des contraintes naturelles, telles que définies par le règlement relatif au développement rural. Les zones défavorisées pourraient ainsi être soutenues à la fois au titre du premier et du deuxième pilier.
Les zones de montagne, qui représentent au plan national près de 80 % des montants perçus au titre de l'ICHN, ainsi que les zones affectées de handicaps spécifiques, ne sont pas concernées par la révision du zonage, à l'inverse des zones défavorisées simples (ZDS). La communication de la Commission européenne de 2009 22 ( * ) avait posé les bases d'une révision des zones défavorisées simples à partir de critères essentiellement biophysiques. Elle avait alors suscité de vives critiques, car en ne prenant plus en compte les aspects économiques et socio-démographiques des territoires ruraux, de nombreuses zones de piémont ne devraient plus être éligibles à l'ICHN.
La révision des ZDS a été incluse dans la réforme du règlement relatif au développement rural. Durant la négociation au sein du Conseil, plusieurs avancées ont été enregistrées pour atténuer la rigueur des effets de la nouvelle délimitation des ZDS :
- La réduction des paiements dans les zones sortant du dispositif ne sera pas brutale mais progressive, à partir de 2016, avec une baisse de 20 % chaque année.
- Le seuil de déclenchement à partir duquel est établie l'existence d'une contrainte importante a été fixé à 60 % du territoire d'une commune. Les États membres pourront tenir compte de la productivité des terres et des méthodes de production pour exclure les zones dans lesquelles des contraintes naturelles importantes auront été surmontées.
- Les États membres auront la faculté de classer jusqu'à 10 % du territoire en zones soumises à des contraintes spécifiques.
- Dans les zones actuellement admissibles, les États membres pourront définir des seuils réduits pour l'application de critères biophysiques.
Au final, ces souplesses devraient permettre de continuer à faire bénéficier les zones de piémont caractérisées par des systèmes d'élevage à l'herbe des aides aux zones défavorisées du deuxième pilier. Une vigilance s'impose cependant sur les avancées des négociations sur ce point.
* 20 Régions dont le PIB par habitant pour la période 2007-2013 était inférieur à 75 % de la moyenne de l'UE-25, mais dont le PIB par habitant pour la prochaine période de programmation est supérieur à 75 % de la moyenne de l'UE-27.
* 21 Souplesse mise en place lors du bilan de santé de la PAC, qui permet de prélever jusqu'à 10 % de l'enveloppe nationale des paiements directs pour aider des secteurs rencontrant des difficultés spécifiques.
* 22 Vers un meilleur ciblage de l'aide aux agriculteurs établis dans les zones à handicaps naturels - COM(2009) 161 final.