B. LE « GRAND EMPRUNT » : DES SOMMES TROP FAIBLES POUR AVOIR UN IMPACT SIGNIFICATIF SUR LA CROISSANCE
Comme la commission des finances le soulignait dans son rapport sur le premier projet de loi de finances rectificative pour 2010, le « grand emprunt » recourt à un procédé analogue, une « tuyauterie » complexe permettant d'afficher des montants élevés, alors que les montants effectivement injectés dans l'économie chaque année sont modestes, voire négligeables.
Il s'agissait pour le Gouvernement de trouver un moyen de se conformer formellement à l'annonce devant le Congrès, par le Président de la République, d'un « grand emprunt national », le 22 juin 2009. Face aux montants très élevés qui avaient pu être évoqués (une centaine de milliards d'euros), il a été décidé que le montant du dispositif serait de « seulement » 35 milliards d'euros, et, surtout, que ces 35 milliards d'euros, immédiatement attribués à divers opérateurs publics (et correspondant par conséquent à autant de dépenses de la part de l'Etat), ne seraient dépensés que très progressivement, d'où une augmentation également progressive du déficit des administrations publiques et de la dette publique .
En effet, sur cette somme 53 ( * ) :
- seulement 10 milliards étaient dits « consomptibles », c'est-à-dire susceptibles d'être directement dépensés au cours des prochaines années ;
- 15 milliards étaient dits « non consomptibles », c'est-à-dire déposés au Trésor, seuls leurs intérêts, d'un montant fixé à 3,413 %, taux de l'OAT à 10 ans le jour de la publication de la première loi de finance rectificative pour 2010, pouvant être consommés ;
- 10 milliards correspondaient à des prises de participations, avances remboursables et prêts, en principe non pris en compte dans le déficit public au sens du traité de Maastricht.
Les sommes effectivement injectées dans l'économie par les administrations publiques seront donc de l'ordre - au mieux - de quelques milliards d'euros par an les premières années (correspondant aux 20 milliards d'euros hors crédits « non consomptibles »), dont seulement la moitié de subventions, le montant annuel et la durée de cette période dépendant du rythme de décaissement.
Ainsi, selon le rapport économique, social et financier annexé au présent projet de loi de finances, « un profil « en bosse » pour les montants décaissés (et donc également pour l'impact sur la dette) a été retenu, avec un décaissement d'environ 2 Md€ en 2011, 3 Md€ en 2012 et d'environ 3 à 4 Md€ par an entre 2013 et 2015. Les prêts et prises de participation effectués n'étant pas comptabilisés en dépenses mais en opérations financières, l'impact sur le déficit public serait plus faible, de 1 Md€ environ en 2011, d'environ 2 Md€ en 2012 et d'environ 3 Md€ entre 2013 et 2015 ».
Une fois les dotations consomptibles utilisées, il ne restera que les intérêts des dotations non consomptibles, soit quelques centaines de millions d'euros par an, ce qui est négligeable, et pourrait être « gommé » par la diminution à due concurrence des crédits budgétaires « de droit commun ».
On conçoit qu'en termes d'affichage, il est plus valorisant d'annoncer un « grand emprunt » de 35 milliards d'euros, plutôt qu'une majoration temporaire des dépenses d'avenir de seulement quelques milliards d'euros par an pendant quelques années...
Ainsi, le « grand emprunt » correspond à des dépenses trop faibles pour avoir un impact significatif sur la croissance potentielle . En effet, la totalité des dépenses de recherche et développement sont chaque année de l'ordre de 2 points de PIB (environ 40 milliards d'euros). L'enjeu est de savoir si la France parvient ou non à se rapprocher des Etats pour lesquels ces dépenses représentent environ 3 points de PIB, comme la Finlande, la Suède ou le Japon. Il s'agirait donc de réaliser un effort pérenne de 20 milliards d'euros, pas de seulement quelques milliards d'euros pendant quelques années.
La crise actuelle de la zone euro montre cependant que, contrairement à ce qui était jusqu'alors souvent affirmé, la monnaie unique ne remet pas en cause la nécessité d'un solde extérieur proche de l'équilibre, bien au contraire. En effet, si la Grèce, le Portugal, et potentiellement l'Espagne, voient la soutenabilité de leurs finances publiques remise en cause, c'est notamment en raison d'un déficit extérieur de l'ordre de 10 points de PIB, qui compte tenu de leurs perspectives de croissance susciterait, s'il se maintenait, une augmentation insoutenable de leur endettement extérieur en points de PIB. L'appartenance à la zone euro rend donc plus que jamais nécessaire de disposer d'une économie compétitive. L'augmentation régulière du déficit extérieur de la France, désormais de l'ordre de 3 points de PIB, et qui s'aggrave continument depuis l'introduction de l'euro, est de ce point de vue préoccupante.
* 53 Les montants sont ceux du « jaune » relatif aux investissements d'avenir annexé au projet de loi de finances pour 2011.