TRAVAUX DE LA COMMISSION
Réunie le mercredi 8 juin 2011 , sous la présidence de Muguette Dini, présidente , la commission procède à l'examen du rapport de Jean-Louis Lorrain sur le projet de loi n° 566 (2010-2011), relatif à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge , adopté par l'Assemblée nationale en deuxième lecture.
Jean-Louis Lorrain, rapporteur . - Ce texte depuis longtemps attendu, qui nous revient en deuxième lecture, apporte des modifications essentielles aux règles actuelles de l'hospitalisation sous contrainte.
Il tend à dissocier l'obligation de soin et les modalités des soins en prévoyant la possibilité pour des patients de faire l'objet de soins sans leur consentement sous une autre forme que l'hospitalisation complète. Après une période d'observation d'une durée maximale de soixante-douze heures, le directeur de l'établissement ou le préfet, selon le régime sous lequel la personne a été admise en soins sans consentement, décidera de la forme de la prise en charge.
Les soins revêtant une autre forme que l'hospitalisation complète incluront des soins ambulatoires et pourront comporter des soins à domicile et, le cas échéant, des séjours effectués dans un établissement habilité à recevoir des personnes hospitalisées sans leur consentement.
Pour répondre aux exigences formulées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 26 novembre 2010, le projet de loi introduit une saisine obligatoire du juge des libertés et de la détention sur toutes les mesures d'hospitalisation sans consentement. Le juge devra se prononcer dans les quinze jours de l'admission puis tous les six mois.
Le texte prévoit en outre une procédure renforcée pour la levée des soins sans consentement lorsqu'elle concerne des personnes ayant séjourné en unité pour malades difficiles (UMD) ou ayant fait l'objet d'une déclaration d'irresponsabilité pénale. Le préfet et le juge, lorsqu'ils statueront sur le sort de ces personnes, devront recueillir l'avis d'un collège composé de deux psychiatres et d'un membre de l'équipe pluridisciplinaire, ainsi que deux expertises psychiatriques.
Pour prendre en compte la situation des personnes isolées, le projet de loi crée une nouvelle procédure d'admission en soins sans consentement en cas de péril imminent. Cette procédure permettra une hospitalisation en l'absence de tiers demandeur sur la base d'un seul certificat médical.
Les travaux parlementaires ont permis de préciser de nombreux points et d'apporter des compléments utiles au projet de loi. Ainsi, en première lecture, l'Assemblée nationale a prévu un « droit à l'oubli » pour les personnes ayant séjourné en UMD ou ayant fait l'objet d'une déclaration d'irresponsabilité pénale, afin que la procédure renforcée ne leur soit plus applicable après une certaine durée. Elle a aussi prévu une saisine du juge des libertés et de la détention en cas de désaccord entre le médecin et le préfet sur la levée d'une mesure d'hospitalisation complète.
De son côté, le Sénat a souhaité apporter des précisions à la notion de soins hors de l'hôpital sans le consentement du patient. Il a notamment remplacé la notion de « protocole » de soins par celle de « programme » de soins. Il a en outre prévu de faire référence à des lieux de soins plutôt qu'à des formes de soins. Il a précisé les conditions d'élaboration et de modification du programme de soins en prévoyant un entretien entre le psychiatre et le patient.
Notre assemblée a par ailleurs substantiellement amélioré les règles relatives à l'audience du juge des libertés et de la détention, en prévoyant la faculté de tenir l'audience au sein de l'établissement d'accueil, en encadrant le recours à la visioconférence et en permettant la tenue d'une audience non publique pour protéger le malade. Elle a également donné faculté au juge, en cas de levée d'une mesure d'hospitalisation complète, d'ordonner que cette mainlevée prenne effet dans un délai maximal de vingt-quatre heures pour permettre, éventuellement, l'élaboration d'un programme de soins.
Enfin, le Sénat a fixé à dix ans la durée de la période à l'issue de laquelle s'appliquera le « doit à l'oubli ».
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale est revenue sur certaines modifications apportées par le Sénat sur les soins hors de l'hôpital mais a conservé les précisions sur le programme de soins et son élaboration. Elle a aussi prévu que les personnes susceptibles d'être admises en soins psychiatriques sans consentement et prises en charge en urgence devront être transférées vers un établissement psychiatrique dans un délai maximal de quarante-huit heures, mais que la période initiale d'observation et de soins commence dès le début de la prise en charge. Elle a enfin adopté un amendement réécrivant l'article du code de la santé publique sur l'organisation territoriale de la mission de service public de prise en charge des personnes en soins psychiatriques sans consentement.
Compte tenu des clarifications et des améliorations qu'a apportées la navette sur ce texte, qui doit impérativement entrer en vigueur dès le 1 er août prochain, et dont certaines dispositions, comme le contrôle du juge des libertés sur les mesures d'hospitalisation, sont particulièrement attendues, je vous propose de l'adopter dans la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale.
Au cours des prochains mois, nous devrons être très vigilants sur les conditions de mise en oeuvre de la loi, afin de vérifier qu'elle s'applique dans de bonnes conditions.
J'estime également que notre commission devra examiner avec grande attention le contenu du plan de santé mentale que présentera le Gouvernement à l'automne prochain, lequel devra être véritablement ambitieux pour que les nouvelles procédures prévues par la loi soient réellement applicables. Peut-être sera-t-il bon, dans ce cadre, d'entendre la ministre, dès la rentrée.
Guy Fischer . - Inutile de rappeler notre opposition de principe à un texte d'affichage qui, du reste, sera inapplicable au 1 er août. Sur le fond, il ignore totalement ce qu'est le fonctionnement de la psychiatrie. J'ai reçu le président d'un des syndicats représentatifs de la profession les plus importants : il partage totalement notre analyse. Quant à sa mise en pratique, n'en parlons pas. Pour respecter les délais et les conditions, le juge, dans le Rhône, où la seule agglomération lyonnaise compte trois grands hôpitaux psychiatriques, aura à se déplacer dans chaque hôpital.
Nous avons affaire à un texte aberrant, sur lequel nous maintenons notre opposition.
Jean Desessard . - Le désaccord des écologistes sur ce texte demeure. Mais les positions du rapporteur n'ont-elles pas évolué, sachant qu'une grande association semble avoir changé les siennes, que le Gouvernement, et lui-même, présentaient comme un argument fort, sur les soins sans consentement hors établissement ?
André Lardeux . - Ce texte me laisse perplexe. Sans être spécialiste de la question, on peut, à constater que l'article premier ne comporte pas moins de 116 paragraphes, et le reste, à l'avenant, s'interroger sur la clarté de ses dispositions.
Je doute, moi aussi, qu'il soit applicable au 1 er août, si j'en crois les échos qui me viennent de mon département, où le préfet est dans le brouillard, de même que les juges et le procureur, tandis que les administrations de santé se demandent avec angoisse qui payera la facture.
Je reste dubitatif sur les soins sous contrainte hors hôpital. Je vois mal comment cela peut fonctionner. Sera-ce à la famille de vérifier que les soins sont bien suivis ? Ce serait proprement invivable. « C'est une disposition moderne », nous a-t-on doctement expliqué. Et bien précisément, au vu des âneries qui se sont faites, ces dernières années, au nom de la modernité, je m'inquiète.
Jacky Le Menn . - Je partage largement l'analyse d'André Lardeux. Si un texte est bien attendu, monsieur le rapporteur, ce n'est nullement celui-là, mais une grande loi de santé publique. Le travail parlementaire, mené tambour battant, n'a pas levé les inquiétudes : ni les nôtres, ni celles de tous ceux qui auront à appliquer - et au 1 er août de surcroît ! - un texte dont nous ne pouvons, au-delà, partager l'économie d'ensemble. Sur les soins sans consentement, nous attendons toujours que l'on nous explique comment soigner les gens malgré eux.
C'est là un texte de circonstance, qui répond à l'événement médiatique sans prendre en considération les problèmes que pose la prise en charge de la maladie mentale. De la grande loi que nous appelions de nos voeux, la ministre Nora Berra se demandait, devant l'Assemblée nationale, ce que l'on pourrait bien mettre dedans. Qu'il suffise de lui suggérer de lire les conclusions du récent rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), dont beaucoup mériteraient d'être reprises. Pour l'heure, à ce texte de circonstance, nous répondrons de manière circonstancielle.
Christiane Demontès . - En entendant le rapporteur, j'ai eu le sentiment que l'on souhaiterait en finir au plus vite avec ce texte, qui nous revient pourtant de l'Assemblée nationale en recul sur les dispositions que le Sénat y avait introduites.
Pour nous, nous continuerons à nous y opposer fermement en séance, et à relayer la contestation des psychiatres et des personnels de santé mais aussi des représentants des patients. Nous défendrons donc nos amendements en séance. Il n'est pas acceptable que vous nous dirigiez ainsi tout droit vers un vote conforme, d'ailleurs déjà annoncé par le Gouvernement !
Muguette Dini, présidente . - La commission se réunira la semaine prochaine pour l'examen des amendements extérieurs.
Jean-Louis Lorrain, rapporteur . - Je comprends, monsieur Fischer, votre volonté de stimuler le débat, mais vous avez eu des mots bien forts. Pour moi, les dispositions qui concernent le domaine clinique sont parfaitement acceptables.
Je n'ai pas récemment rencontré, monsieur Desessard, les représentants de l'Unafam. Mais j'ai vécu d'autres épisodes législatifs en ce domaine douloureux de la psychiatrie, et je sais combien les acteurs y sont sensibles, combien aussi le pouvoir médical est jaloux de ses prérogatives, combien enfin les établissements diffèrent selon les régions et n'offrent pas partout la même qualité de service.
Jean Desessard . - La position de l'association a pourtant changé au niveau national.
Jean-Louis Lorrain, rapporteur . - Je n'ai pas eu de contact.
La polyvalence du lieu, monsieur Lardeux, est utile pour les cas de grande exclusion, pour les personnes isolées. J'y tiens. Les soins à domicile ont connu de profondes évolutions, pour les personnes âgées, pour les handicapés, pourquoi n'évolueraient-ils pas dans le domaine du handicap psychiatrique ?
Je n'en reste pas moins très vigilant. Et c'est pourquoi j'ai demandé que le Sénat puisse examiner de près le plan santé mentale à venir. Les inquiétudes persistent, m'objectez-vous ? C'est que nous avons affaire, je l'ai dit, à un univers douloureux.
J'admets, madame Demontès, que l'on peut ressentir quelque précipitation dans la volonté d'aboutir, mais c'est que nous avons l'impératif de répondre à l'exigence posée par le Conseil constitutionnel. Je regrette que l'Assemblée nationale ait touché aux dispositions relatives au programme de soin mais la notion de programme demeure : aux professionnels associés de travailler à établir les procédures.
Jean Desessard . - Le rapporteur nous dit tout à la fois qu'il n'est pas totalement satisfait, mais qu'il faut adopter le texte conforme, en ajoutant qu'il sera vigilant à la rentrée : c'est admettre qu'il ne l'est pas aujourd'hui. Je comprends mal ce qui l'empêche d'adopter dès à présent des amendements qui le rendraient mieux satisfait.
Jean-Louis Lorrain, rapporteur . - Je puis comprendre votre approche perfectionniste : il faut toujours aller vers le mieux. Mais l'immensité de la tâche ne saurait s'embrasser par les quelques amendements cosmétiques du rapporteur que je suis. C'est pourquoi j'ai demandé au ministre de mettre en oeuvre, dans le cadre du plan national, un groupe de liaison par lequel nous pourrons exprimer toutes nos réflexions. J'en ai fait l'expérience avec le plan Alzheimer, elle fut très fructueuse. Il peut en être de même pour la psychiatrie.
Muguette Dini, présidente . - En l'absence d'amendements du rapporteur ou d'autres sénateurs, je mets aux voix le texte du projet de loi tel qu'il nous revient de l'Assemblée nationale.
La commission adopte le projet de loi sans modification.