B. LE RECOURS EN MANQUEMENT CONTRE LA FRANCE POUR MAUVAISE APPLICATION DU PREMIER PAQUET FERROVIAIRE
Le 29 décembre dernier, la Commission européenne a saisi la Cour de justice de l'Union européenne afin de faire constater l'insuffisance des mesures prises par notre pays pour mettre en oeuvre le premier paquet ferroviaire. En effet, en vertu de l'article 258 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, si la Commission estime qu'un État-membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, elle émet un avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations. Si l'État en cause ne se conforme pas à cet avis dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice de l'Union européenne. Pour l'heure, la Commission n'a pas demandé à la Cour de prononcer des sanctions financières contre la France. Toutefois, si d'aventure la France était condamnée et refusait de respecter le jugement de la juridiction européenne, la Commission aurait la possibilité, conformément à l'article 260 du traité précité, de saisir à nouveau la Cour pour qu'elle lui inflige le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte.
Cette saisine de la Cour intervient après une longue procédure. En effet, la Commission avait adressé une mise en demeure à la France par lettre du 27 juin 2008, un courrier complémentaire le 14 juillet 2009 et un avis motivé le 9 octobre 2009. Le Gouvernement a fourni des explications à chaque étape de cette procédure, qui n'ont pas mis un terme au différend avec la Commission, sauf sur un point : elle reconnaît désormais que la France a institué un organe de régulation indépendant et doté des pouvoirs nécessaires.
Le Parlement européen a joué un rôle non négligeable dans le durcissement des relations entre la Commission et certains États-membres . Il a en effet adopté, le 17 juin 2010, une résolution sur la mise en oeuvre des directives du premier paquet ferroviaire. Cette résolution n'hésitait d'ailleurs pas à l'enjoindre d'entamer une procédure en justice à l'encontre des 22 États-membres n'ayant pas correctement mis en oeuvre le premier paquet ferroviaire. Depuis lors, la Commission a finalement traduit treize États-membres devant la Cour de justice.
Concrètement, la Commission a retenu deux griefs contre la France, le premier a trait à l'indépendance des « fonctions essentielles » 4 ( * ) , le second concerne la tarification de l'accès à l'infrastructure ferroviaire.
S'agissant du premier grief, la Commission estime que la Direction de la circulation ferroviaire exerce des « fonctions essentielles » mais qu'elle n'est pas suffisamment indépendante « sur le plan juridique, organisationnel et décisionnel » par rapport à la SNCF. La DCF est certes chargée de certaines fonctions en matière d'attributions de sillons, mais les autorités françaises estiment que les « missions confiées à la DCF ne peuvent en aucun cas en faire un organisme de répartition indépendant tel que prévu à l'article 14 [de la directive 2001/14/CE], puisqu'elle n'a pas de compétence pour attribuer les capacités » 5 ( * ) . La DCF, service spécialisé de la SNCF, ne serait donc qu'un prestataire de service, agissant pour le compte et sous le contrôle de RFF. La Commission affirme pour sa part que « les études dont est chargée la SNCF font partie des fonctions essentielles : elles permettent à celui qui en est chargé d'influencer la répartition des sillons et de prendre connaissance d'informations confidentielles » 6 ( * ) . Ce « vice originel » est aggravé par l'absence d'indépendance de la DCF par rapport à la SNCF. Sur le plan juridique, ce qui pose problème avec le statut de la DCF selon la Commission, « ce n'est pas tant l'absence d'un personnalité juridique que son intégration juridique dans la personne juridique SNCF ». La théorie de « l'approche fonctionnelle », selon laquelle seul compte le résultat obtenu et non les moyens utilisés, est défendue par la France : l'indépendance juridique de RFF par rapport à la SNCF la protège contre toute influence de la part de l'opérateur historique. Mais la Commission rejette ce raisonnement, jugé « totalement erroné », car « tout l'effet utile de l'exigence d'indépendance serait ainsi perdu !» 7 ( * ) . Sur le plan organisationnel et décisionnel, quatre critiques précises sont formulées :
- aucun droit de se plaindre n'est accordé aux parties prenantes sur une éventuelle violation de l'indépendance de la DCF ;
- le directeur de la DCF peut être nommé contre l'avis de l'ARAF, qui ne donne un avis conforme qu'en cas de révocation de ce dernier ;
- les transferts de personnel de la DCF vers les autres services de la SNCF ne sont pas suffisamment contrôlés ;
- la DCF ne dispose pas pour l'heure d'un personnel propre, de locaux séparés et d'un système d'information protégé.
Quant au second grief, il est reproché au système français de tarification de l'accès à l'infrastructure de ne pas intégrer de mécanismes encourageant les opérateurs et le gestionnaire de l'infrastructure à minimiser les défaillances et à améliorer les performances du réseau. En outre, la tarification ne comprend pas, selon la Commission, de mécanismes récompensant le gestionnaire d'infrastructure s'il parvient à réduire les coûts et les charges d'utilisation de l'infrastructure (redevances d'accès). Ces deux reproches recouvrent une réalité assez proche mais le premier concerne surtout les opérateurs, tandis que le second vise exclusivement les gestionnaires.
Par conséquent, les négociations en cours sur la proposition de refonte du premier paquet ferroviaire se déroulent dans un climat particulièrement tendu entre de nombreux États-membres et la Commission européenne, suite à la saisine de la Cour pour mauvaise application du premier paquet ferroviaire.
* 4 En règle générale, on appelle « fonctions essentielles » des activités telles que la répartition des capacités ferroviaires, la perception des redevances d'usage de l'infrastructure ou encore la délivrance des licences par des organismes indépendants.
* 5 Cf. la requête de la Commission européenne contre la République française, affaire C-625/10, déposée au greffe de la Cour de justice de l'Union européenne, le 29 décembre 2010, page 13.
* 6 Op. cit , page 14.
* 7 Op. cit , p. 15.