II. LES ENJEUX FRANÇAIS AU REGARD DE CETTE REFONTE

A. LA DCF, TRAIT D'UNION ENTRE RFF ET LA SNCF ?

Le législateur national n'a pas souhaité aller trop loin en 1997 dans la séparation effective entre le gestionnaire du réseau ferré et l'opérateur historique . La transposition de la directive 91/440 a été assurée par la loi n° 97-135 du 13 février 1997 portant création de l'établissement public « Réseau ferré de France » (RFF) en vue du renouveau du transport ferroviaire. RFF se voit confier la gestion de l'infrastructure ferroviaire, qui était jusqu'à alors attribuée à la SNCF. Formellement, la France est allée au-delà de l'obligation d'une séparation seulement comptable imposée par cette directive en créant une entité nouvelle séparée juridiquement de l'entreprise historique. Mais dans le détail, les choses sont plus complexes. En effet, l'article 1 er de la loi précitée indique que, compte tenu des impératifs de sécurité et de continuité du service public, la SNCF est le gestionnaire délégué du réseau , en charge de la gestion du trafic et de l' entretien de l'infrastructure pour le compte de RFF. Le nouveau gestionnaire a donc pour mission d'attribuer les sillons 1 ( * ) aux entreprises ferroviaires souhaitant circuler sur le réseau ferré national. En définitive, derrière le jardin à la française, se cache un jardin à l'anglaise pour le moins baroque. RFF est formellement séparé de la SNCF, mais dans les faits l'entreprise historique conserve des missions essentielles. Comme le dit justement Hubert Haenel dans son rapport au Premier ministre en 2009, « la principale ambition des auteurs de la loi était de réussir une sorte de ` carré magique ' répondant à deux doubles contraintes :

- d'une part, réaliser la séparation fonctionnelle exigée par la directive 91/440 tout en préservant l'unité de la SNCF ;

- d'autre part, créer les conditions d'un nouveau départ de la société nationale en la désendettant, sans pour autant alourdir la dette publique, passage à l'euro oblige. » 2 ( * )

Face aux critiques constantes de la Commission européenne, la législation française a cependant évolué à travers l'adoption de la loi dite ORTF du 9 décembre 2009 3 ( * ) , en instituant un service gestionnaire des trafics et des circulations, baptisé Direction de la circulation ferroviaire (DCF) . Ce service spécialisé, interne à la SNCF, exerce depuis le 1 er janvier 2010 les missions de gestion du trafic et des circulations sur le réseau ferré national, pour le compte et selon les objectifs et principes de gestion définis par RFF. La DCF exerce ses missions dans des conditions assurant l'indépendance des « fonctions essentielles » afin de garantir une concurrence libre et loyale et l'absence de toute discrimination entre les opérateurs ferroviaires.

Bien que ce service ne possède pas la personnalité juridique , la loi indique que le directeur du service gestionnaire des trafics et des circulations ne reçoit aucune instruction de nature à remettre en cause ou à fausser l'indépendance de ses décisions. Nommé par décret du Premier ministre sur proposition du ministre chargé des transports pour une période de cinq ans et après avis de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), il ne peut être mis fin de manière anticipée à ses fonctions que dans l'intérêt du service, là encore par décret du Premier ministre, mais après avis conforme cette fois-ci de l'Autorité. Le directeur du service gestionnaire des trafics et des circulations ne peut être membre du conseil d'administration de la SNCF. Il est seul responsable de la gestion administrative et budgétaire du service. Il a également autorité sur les personnels employés par le service.

Par ailleurs, la loi impose des règles strictes aux agents du service en matière de secret professionnel et institue une commission de déontologie pour autoriser ces agents à travailler ensuite dans des entreprises ferroviaires. Enfin, ce texte impose à RFF de financer ce service au travers d'une convention.

En pratique, la DCF compte 14 000 cheminots environ . Ils exercent des missions méconnues du grand public, mais qui sont essentielles pour le secteur ferroviaire. Ces agents sont en quelque sorte les « aiguilleurs du ciel » dans le domaine ferroviaire. Schématiquement, la DCF comprend :

- des horairistes , chargés d'établir le graphique des horaires de tous les trains circulant sur l'ensemble du réseau ferré national, à la fois pour les trains de voyageurs et de marchandises. Les quelque 500 horairistes de la DCF étudient 1 à 2 ans à l'avance les demandes de sillons qui sont déposées auprès des horairistes de RFF, en tenant compte notamment  de la nature des trains, de leur composition et des caractéristiques de la ligne ;

- des régulateurs , qui veillent à la régularité des trains en « temps réel » ;

- des aiguilleurs , assurant physiquement la manoeuvre de signaux ou d'appareils de voie (on compte 2 000 postes d'aiguillage sur les quelque 30 000 kilomètres du réseau ferré français) ;

- et des agents de circulation , en charge de la sécurité et de la protection des agents SNCF (ou d'entreprises extérieures) qui réalisent des interventions sur les voies.

En définitive, et pour reprendre l'expression d'une personne auditionnée par votre rapporteur, le législateur a souhaité placer la DCF « dans une cage de Faraday » afin d'assurer son isolement au sein de la SNCF. Toutefois, la Commission européenne n'a pas été convaincue par le dispositif législatif français.


* 1 Un sillon désigne la capacité d'infrastructure requise pour faire circuler un train donné d'un point à un autre à un moment donné.

* 2 Cf . le rapport de M. Hubert Haenel au Premier ministre, « Des régions à l'Europe : les nouveaux défis du chemin de fer français », la Documentation française, octobre 2008, p. 16.

* 3 Cf. la loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports.

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