VI. LES OBJECTIFS DE VOTRE COMMISSION : ACCENTUER LA RESTRUCTURATION DU MARCHÉ DU CRÉDIT À LA CONSOMMATION ET APPROFONDIR LA DÉMARCHE DE RESPONSABILISATION DES ACTEURS
Si ses membres ne s'accordent pas toujours totalement sur l'efficacité de certaine des mesures proposées par le projet de loi, votre commission spéciale, dans son ensemble, approuve cependant pleinement l'objectif du Gouvernement : développer le crédit responsable pour permettre à chaque consommateur de choisir rationnellement le type de crédit correspondant le mieux à ses besoins du moment, et élargir l'accès au crédit à toute une partie de la population qui en est actuellement exclue. Aussi a-t-elle cherché tout à la fois à enrichir le texte proposé par Mme Christine Lagarde et M. Martin Hirsch par des dispositions nouvelles de nature à en renforcer l'impact, et à le compléter pour garantir la pleine effectivité du nouveau droit du crédit à la consommation qui résultera de son adoption.
A. DES DISPOSITIONS NOUVELLES
Votre commission spéciale a tenu à ajouter au projet de loi initial trois réformes qui lui paraissent indispensables pour « boucler » son dispositif en faveur du crédit responsable :
- une rénovation du calcul du taux de l'usure applicable aux crédits à la consommation ;
- la perspective de la transformation du FICP en fichier « positif » accueillant à la fois, sur le modèle belge, des informations de nature négative et positive ;
- un cadre plus favorable au développement du microcrédit garanti par l'Etat depuis la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale.
1. Instituer un nouveau mode de calcul du taux de l'usure
Plusieurs des membres de la commission spéciale ont jugé nécessaire de réformer le taux de l'usure.
Mme Brigitte Bout et M. Claude Biwer ont suggéré de diminuer l'actuel coefficient multiplicateur de 1,33 en le portant, qui à 1,20, qui à 1,10. Pour votre commission, ces modifications sont insuffisantes puisqu'elles ne conduisent pas à la transformation systémique de la structuration du marché du crédit à la consommation nécessaire à une réallocation des offres en faveur du crédit amortissable. Sa seule conséquence de court terme serait d'exclure de l'accès au crédit une partie encore plus importante des ménages, pouvant même conduire certains d'entre eux à se tourner vers des sources de financement illégales où les pratiques usuraires sont hélas courantes. Par ailleurs, à plus long terme, rien n'exclurait qu'après une diminution effective des taux les plus élevés des crédits, en particulier le crédit renouvelable, les forces du marché n'entraînent à nouveau une progression des taux, quand bien même la réduction du coefficient multiplicateur en atténuerait la pente et, par conséquent, la vitesse. En d'autres termes, une telle mesure serait déstabilisatrice tant pour les consommateurs que pour l'économie du secteur du crédit, mais ne constituerait pas la réforme structurelle que semble nécessiter la situation.
Pour leur part, Mme Nicole Bricq et ses collègues ont proposé, pour fixer le taux de l'usure, d'affecter au taux des prêts sur le marché interbancaire à douze mois un coefficient déterminé par décret après avis du Conseil national du crédit et compris entre deux et sept. Cette solution a pour avantage incontestable de lier le coût du crédit à celui de la ressource des établissements bancaires : elle est dès lors compréhensible pour le public qui, aujourd'hui, s'étonne légitimement que les taux d'intérêt du crédit à la consommation demeurent aussi élevés alors même que le prix du refinancement bancaire a atteint des niveaux historiquement bas. Mais elle n'est cependant pas dénuée d'inconvénients, dont le plus important est sans conteste le retour à la fixation administrée d'une norme économique 149 ( * ) . Il convient en effet de rappeler que la réforme du calcul des taux de l'usure réalisée au début des années 90 avait précisément pour objet de délivrer la législation sur l'usure d'arbitrages politiques pouvant s'écarter de la rationalité économique, et de conférer au marché la responsabilité de la régulation grâce au libre jeu de la concurrence 150 ( * ) .
Pour votre rapporteur, cette orientation s'apparente à un recul par rapport à la reconnaissance, affirmée par la loi Neiertz 151 ( * ) , de la capacité du marché à s'autoréguler.
Du reste, ces hésitations idéologiques témoignent, selon lui, de l'inadéquation structurelle du mécanisme légal de l'usure . Pour sa part, il est depuis longtemps convaincu que cette norme n'a pas réellement l'efficacité qu'on lui attribue pour protéger les consommateurs. Au contraire, elle est de nature à brider le dynamisme du crédit, et donc de l'économie, au détriment même desdits ménages. Les statistiques du rapport Athling selon lesquelles environ 40 % de la population est exclue du crédit ne sont contestées par quiconque : or, cette situation paraît bien plus préoccupante que celle du surendettement qui, pour être effectivement un drame personnel pour les personnes qui la subissent, ainsi que leurs familles - et justifier de ce fait même des mesures de lutte appropriées -, ne constitue cependant pas un problème macroéconomique majeur pour notre pays.
Mais il ne l'est pas davantage ailleurs sur le continent, pour des Etats qui ne connaissent pourtant pas de dispositif légal fixant un taux de l'usure. Dans l'Union européenne, seules la France, l'Italie et la Belgique sont organisées ainsi : le montant moyen des crédits à la consommation y est-il substantiellement inférieur à ceux observés en Allemagne, dans les pays du Nord ou dans la péninsule ibérique ? A l'évidence non. La proportion de personnes surendettées y est-elle plus faible ? Pas davantage. Certes, il est incontestable que la crise actuelle va avoir des effets plus ravageurs qu'en France sur certains marchés, outre-Manche ou au-delà des Pyrénées notamment : mais l'analyse économique révèle que les raisons de cette situation résultent en réalité d'autres facteurs structurels que l'inexistence d'une législation sur l'usure 152 ( * ) .
Comme bien d'autres, cette question relève d'un choix de société : la plupart des pays développés assoient leur régulation sur la confiance dans le libre jeu contractuel des acteurs, sous le contrôle du juge qui, par sa jurisprudence, fixe les limites des pratiques usuraires en se référant aux circonstances de l'espèce ; un petit nombre d'Etats seulement continue à estimer que seule la loi est protectrice. Les premiers font en général preuve d'un dynamisme économique enviable qui nourrit leur croissance dans les phases d'expansion, toujours plus longues que celles de stagnation ou de récession ; les seconds figurent souvent parmi ceux qui se font distancer durant ces périodes.
Aussi votre rapporteur est-il profondément convaincu qu'en matière de crédit à la consommation, la meilleure solution consisterait à supprimer le seuil légal du taux de l'usure . Du reste, cette norme a été abrogée pour l'essentiel des prêts de caractère professionnel, d'abord par l'article 32 de la loi n° 2003-721 du 1 er août 2003 pour l'initiative économique, dite loi Dutreil I, s'agissant des crédits consentis aux personnes morales, ensuite par l'article 7 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, dite loi Dutreil II, en ce qui concerne ceux accordés aux personnes physiques. Le coût du crédit professionnel s'en est-il enchéri pour autant ? Bien évidemment pas et, au contraire, un plus grand nombre d'entrepreneurs ont ainsi pu, dans des conditions économiques désormais rationnelles, engager leurs projets, financer leur croissance ou faire face à des difficultés.
Pour autant, votre rapporteur est bien conscient qu'une telle décision serait prématurée au regard de l'état de l'opinion publique et, comme en ont en particulier témoigné les auditions des associations de consommateurs, de sa foi dans les vertus protectrices du seuil légal. Aussi a-t-il cherché, en liaison avec le président de votre commission spéciale et avec le Gouvernement 153 ( * ) , à construire un nouveau dispositif législatif qui s'attaque véritablement aux causes mêmes de la trop grande différence entre les taux moyens pratiqués sur les divers segments du marché du crédit à la consommation . Car c'est là qu'aujourd'hui se trouve le coeur du problème : une structuration par « filières » qui facilite les pratiques échappant aux contraintes du jeu de la concurrence, et qui empêche donc à celui-ci de produire les effets régulateurs sur le niveau des prix qu'on peut légitimement en attendre.
C'est dans cette perspective que, sur sa suggestion à laquelle s'est associé le président Philippe Marini, la commission spéciale a adopté l' article 1 er A qui prévoit, tout à la fois :
- de fondre tous les types de crédit à la consommation, qu'ils soient amortissables ou renouvelables, dans un même ensemble dont la segmentation, fixée par décret, ne résulterait que du montant du prêt sollicité 154 ( * ) ; la concurrence entre prêts amortissables et prêts renouvelables devant de ce fait être plus vive dans chacune de ces catégories, le mécanisme actuel du coefficient multiplicateur devrait de nouveau faire montre de son efficacité pour « tenir » les prix, comme durant les années 90 ;
- de permettre à l'autorité administrative de prendre des mesures temporaire s, pendant un délai maximal de deux ans, pour assurer la transition entre le système actuel et le nouveau, un passage brutal de l'un à l'autre étant impossible à réaliser sans déstabiliser le marché du crédit à la consommation 155 ( * ) ;
- d'organiser un suivi étroit, via un comité ad hoc auquel participeront notamment deux parlementaires, de l' évolution des taux des crédits à la consommation en fonction de la dynamique des taux de l'usure, ainsi que des mécanismes de formation des marges bancaires au regard de l'évolution des conditions de refinancement des établissements de crédit.
Reste que, pour votre rapporteur, cette réforme, menée en concertation avec le Gouvernement, place la France à la croisée des chemins . Soit le nouveau dispositif contribuera à élargir l'accès au crédit tout en mettant effectivement fin aux dérives observées depuis le début de ce siècle en matière de crédit renouvelable, à savoir l'orientation des catégories de nos concitoyens les plus fragiles vers cette seule forme de crédit, qui est pourtant la plus onéreuse et ne devrait servir que pour des périodes limitées. Si ces objectifs, poursuivis par la commission spéciale et le Gouvernement, sont atteints et durables, alors la question de la légitimité même de l'existence d'un seuil légal de l'usure pourra être reléguée au simple rang des controverses idéologiques.
Mais si la réforme s'avère inefficace, immédiatement ou à moyen terme, c'est-à-dire qu'elle conduit soit à une plus grande exclusion du crédit, parce que les taux de l'usure seront trop bas pour financer des clientèles jugées risquées par les établissements, soit au retour de taux de l'usure considérés comme excessifs par une partie de la population, soit enfin à une stagnation relative du crédit affecté par rapport au crédit renouvelable, alors il faudra bien envisager la suppression du dispositif législatif. Tous les mécanismes auront été essayés sans succès : dès lors, pourquoi persévérer à tenter d'en inventer de nouveaux, toujours plus complexes, alors qu'aucun ne permet d'obtenir de meilleurs résultats qu'une régulation fondée sur la liberté des individus, les arbitrages économiques et le contrôle juridictionnel ?
Il n'est pas contradictoire d'espérer que la réforme proposée produira les effets vertueux anticipés et, dans le même temps, de craindre que de nouvelles réalités viennent les contrarier . Si cette législation rénovée s'inscrit dans le temps avec efficacité, votre rapporteur admettra volontiers s'être trompé en estimant qu'en dernière analyse, nulle construction légale ne peut, en matière économique, se substituer aux effets régulateurs d'un marché réellement concurrentiel et contrôlé par des organes de régulation. A l'inverse, il ne tirerait aucune satisfaction intellectuelle d'une évolution qui contraindrait à revenir un jour sur ce chantier. Mais si cette situation advenait, il espère qu'alors les enseignements du passé seraient enfin tirés et que la France, renonçant à essayer une nouvelle fois de modifier sa législation sur le taux de l'usure, admettrait qu'il est préférable de la supprimer, à l'instar de la plupart des autres grands pays développés.
* 149 Les autres objections qui pourraient être soulevées sont d'ordre technique. A titre d'exemples, on peut relever que le législateur ne donne aucune indication sur :
- la distinction entre les catégories de crédit accessibles au ménages : or, on peut supposer que la « fourchette » du coefficient multiplicateur (entre deux et sept) a pour objet d'affecter des coefficients différents aux diverses catégories de prêts ; à défaut, la notion de seuil de l'usure pour le crédit immobilier n'aurait plus de réalité économique (puisque ce seuil serait identique à celui applicable au crédit renouvelable alors que les taux de ces crédits sont structurellement différents) et tous les types de crédits à la consommation, amortissables et renouvelables, seraient soumis à la même norme, ce qui n'est vraisemblablement pas l'intention des auteurs de l'amendement ;
- le ou les faits générateurs susceptibles de nécessiter la fixation de nouveaux coefficients multiplicateurs par l'autorité administrative ; en effet, le principe même d'un coefficient a mathématiquement des conséquences exponentielles en cas d'évolution de l'indice qu'il multiplie, conduisant à des variations du nominal du taux de l'usure d'une ampleur pouvant être jugée excessive ; dans ces hypothèses, une correction dudit coefficient peut apparaître nécessaire pour protéger le consommateur soit de taux excessifs (avec un coefficient multiplicateur de 7, la croissance du taux de référence de 1 à 4 % fait passer le niveau de l'usure de 7 % à 28 %), soit de taux trop bas conduisant à une exclusion du marché du crédit (avec un coefficient multiplicateur de 6, la réduction de moitié du taux de référence de 3 à 1,5 % fait passer le niveau de l'usure de 18 % à 9 %, ce qui « tue » le crédit renouvelable).
* 150 Le mécanisme actuel est puissamment protecteur du consommateur lorsque la concurrence fonctionne correctement, comme en témoigne la faiblesse des taux de l'usure applicables au crédit immobilier (de l'ordre de 8 %) et au crédit personnel affecté (de l'ordre de 10 %). A contrario, il est vrai qu'il est inflationniste en cas d'entente sur les prix du crédit ou, à tout le moins, de spécialisation du marché par « niches » d'activité.
* 151 Loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles.
* 152 Au Royaume-Uni, l'industrie des rachats de crédit fonctionne de manière similaire aux subprimes américaines, et donc totalement déresponsabilisée ; en Espagne, le marché du crédit immobilier, pas plus vertueux, déséquilibre l'ensemble de la sphère financière.
* 153 Dans un dialogue qui aurait toutefois pu être plus précis si le rapport sur les modalités de fixation du taux de l'usure, établi par MM. Jean-Luc Lépine, inspecteur général des finances, et Frédéric Laloue, inspecteur des affaires sociales, avait été communiqué plus tôt aux membres de la commission spéciale, et non le 27 mai seulement.
* 154 Selon les indications fournies par Mme le ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi lors de son audition du 27 mai 2009, trois catégories seraient déterminées selon que le prêt est inférieur à 3 000 euros, supérieur à 6 000 euros ou compris entre ces deux montants (qui pourront ultérieurement être ajustés par voie réglementaire pour tenir compte de l'inflation).
* 155 Il convient à la fois d'organiser la gestion du « stock » des emprunteurs, pour leur permettre de tenir les engagements qu'ils ont pris dans le cadre des règles actuelles, et de laisser aux établissements de crédit le temps d'ajuster leur « business model » à la nouvelle législation.