2. L'impossibilité pratique de l'encellulement individuel

La capacité opérationnelle d'un établissement n'équivaut pas au nombre des cellules. Elle lui est supérieure.

Elle sous-estime, par conséquent, la réalité de la densité carcérale. D'après les données communiquées par l'administration pénitentiaire, sur un parc de 41.658 cellules collectives et individuelles, 35.367 cellules sont des cellules individuelles, soit 85 %. Le nombre de cellules individuelles en maisons d'arrêt est de 20.481 et, en établissements pour peines, de 14.776. Cependant, l'administration pénitentiaire n'est pas en mesure aujourd'hui de déterminer la part des détenus occupant une cellule individuelle. Selon une réponse apportée à une question écrite de notre collègue député, M. Simon Renucci, une « nouvelle application informatique sera prochainement mise en application. Elle permettra de faciliter l'identification du nombre de cellules effectivement occupées par un seul détenu » 14 ( * ) .

Mode de calcul des capacités d'un établissement pénitentiaire

La capacité théorique d'un établissement se calcule en places, par référence à la surface au plancher. La circulaire AP 88G05G du 16 mars 1988 a fixé un barème :

- jusqu'à 11 m 2 : 1 place

- plus de 11 m 2 à 14 m 2 inclus : 2 places

- plus de 14 m 2 à 19 m 2 inclus : 3 places

- plus de 19 m 2 à 24 m 2 inclus : 4 places

- plus de 24 m 2 à 29 m 2 inclus : 5 places

- plus de 29 m 2 : + 5 places

La capacité opérationnelle correspond au nombre de places effectivement disponibles.

Le mode d'évaluation du taux d'occupation prend acte ainsi du renoncement de fait au principe de l'encellulement individuel.

Posé depuis 1875 (articles 716 et 716-2 du code de procédure pénale), il n'a jamais pu être respecté dans les maisons d'arrêt. Le législateur a tout d'abord autorisé des dérogations au titre de la distribution intérieure des locaux de détention et de leur « encombrement temporaire ». Quand il a souhaité, en 2000, supprimer ces dérogations de l'article 716 du code de procédure pénale, il les a réintroduites sous la forme d'un moratoire jusqu'au 12 juin 2008, destiné à différencier l'application de l'encellulement individuel. Le décret pris à l'expiration du moratoire fixe des conditions si dissuasives à l'obtention d'un placement en cellule individuelle que le nombre de demandes adressées à l'administration pénitentiaire est resté très limité 15 ( * ) .

Si l'obligation posée par le code de procédure pénale n'est pas respectée, il demeure toutefois difficile d'apprécier précisément le nombre de détenus qui partagent une cellule.

La surpopulation des maisons d'arrêt est un facteur majeur de la dégradation des conditions de détention et, pour les personnels, des conditions de travail. Une cellule de 12 m 2 partagée par trois détenus avec un cabinet d'aisance non ventilé, dépourvu de cloisonnement, telle est la réalité dans de nombreuses maisons d'arrêt en attente de rénovation. Cette situation a conduit pour la première fois le juge administratif à condamner l'Etat à verser 3.000 € de dommages et intérêts pour des conditions de détention contraires à la dignité humaine. Les constats du juge administratif reflètent la réalité d'une partie des cellules des maisons d'arrêt les plus anciennes 16 ( * ) .

Au cours de ses visites, votre rapporteur a pu constater qu'avec un taux d'occupation de 198 %, la maison d'arrêt de Valenciennes avait été contrainte de placer 35 matelas au sol pour accueillir un troisième détenu dans des cellules prévues pour en héberger deux. Dans la maison d'arrêt de Béthune, dont le taux d'occupation est de 260%, les cellules de 9,20 m 2 accueillaient en majorité trois détenus. A Dunkerque, il a fallu rouvrir un dortoir pour 20 détenus.

Au-delà de la dégradation des conditions matérielles de détention, la surpopulation est aussi génératrice de violences -violences contre les personnels, violences contre les détenus.

Les violences en prison

Les prisons demeurent un univers violent. Cette situation est encore aggravée par la surpopulation pénale. Ces violences se manifestent de trois manières :

- les agressions contre les personnels (480 agressions graves commises par les détenus en 2007 contre 463 en 2003 et 550 en 2006). Elles donnent lieu systématiquement à une sanction disciplinaire et au déclenchement de poursuites par le parquet ;

- les agressions entre détenus : les violences au quotidien constituent une « zone grise » ; mal appréhendées par l'administration pénitentiaire elles sont attestées par de multiples témoignages. C'est d'abord la violence exercée sur les plus faibles, ceux qui, faute de ressources suffisantes, n'ont d'autre choix que d'accepter l'autorité abusive d'un co-détenu en contrepartie d'une cantine plus généreuse. Ce sont les agressions dans les lieux collectifs : fréquentes dans les cours de promenade, comme l'ont souligné chacun des aumôniers nationaux rencontrés par votre rapporteur, elles sont souvent commises au vu et au su des surveillants qui n'interviennent parfois qu'à la dernière extrémité.

Dans certains cas, la peur est telle que les détenus refusent de se rendre dans la cour de promenade ou les douches. Les violences se produisent enfin dans les cellules et peuvent connaître un dénouement tragique -comme à la maison d'arrêt de Rouen, à deux reprises en 2007 et 2008, du fait d'une cohabitation avec un détenu dangereux 17 ( * ) .

- les suicides : avec 15 suicides pour 10.000 personnes détenues en 2005 (17,6 suicides pour 100.000 habitants dans l'ensemble de la population), les prisons françaises présentent l'un des taux de suicides le plus élevé d'Europe.

Les efforts engagés par l'administration pénitentiaire à la suite du rapport Terra en 2003 ont permis de réduire de 20 % le nombre de suicides par rapport à 2002. Cependant, avec 107 suicides ou morts suspectes à la date du 10 décembre, l'année 2008 marque une nette recrudescence par rapport aux deux années passées (93 en 2006, 96 en 2007).

Le professeur Jean-Louis Terra a indiqué à votre rapporteur qu'une politique de prévention du suicide doit être inspirée par le respect de la dignité de la personne et la nécessité de nouer avec le détenu présentant un risque suicidaire une relation de confiance. Il s'est montré réservé, comme d'autres interlocuteurs de votre rapporteur, sur l'organisation systématique, depuis octobre dernier, de rondes de nuit toutes les deux heures, avec éclairage systématique de la cellule du détenu « à risque » lors du passage du surveillant. Par ailleurs, comme l'a souligné le professeur Jean-Jacques Dupeyroux lors de son audition, l'accueil et l'accompagnement de la famille du détenu qui s'est donné la mort restent encore trop négligés.

Sans doute, à plusieurs reprises, des détenus rencontrés par votre rapporteur se sont montrés plutôt satisfaits de partager leur cellule avec un codétenu -en revanche, la présence d'un troisième détenu est très généralement facteur de tensions.

Il n'en reste pas moins que l'aspiration à une cellule individuelle reste forte ne serait-ce que parce que les maisons d'arrêt accueillent désormais une majorité de condamnés dont une partie est déjà passée par des établissements pour peine. Or, après avoir bénéficié d'une cellule individuelle, un condamné supporte très difficilement le retour à un encellulement partagé. Ainsi, à la maison d'arrêt de Rouen, des détenus souhaitent être placés à l'isolement au seul motif qu'il leur garantit un encellulement individuel -pour des raisons identiques, certains provoquent même des procédures disciplinaires (refus d'intégrer leur cellule par exemple) pour obtenir une cellule individuelle au quartier disciplinaire malgré les lourdes contraintes associées à ce régime.

L'encellulement individuel n'est pas seulement un moyen de garantir des conditions de détention correctes. Il permet aussi de ménager des temps de solitude propice à une réflexion sur soi même, condition de cette « vie responsable », désignée par les règles pénitentiaires européennes comme l'un des objectifs du régime de détention.

• Quelles réponses ?

Faut-il instaurer un numerus clausus dans les maisons d'arrêt ?

Certains interlocuteurs de votre rapporteur ont plaidé pour l'instauration d'un numerus clausus dans les maisons d'arrêt tel qu'il est déjà pratiqué de fait dans les établissements pour peines. Selon M. Pierre-Victor Tournier, trois solutions pourraient être envisagées : mettre à exécution la peine d'emprisonnement mais libérer le condamné détenu dans l'établissement dont le reliquat de peine est le plus faible ; surseoir à la mise à exécution ; en cas de détention provisoire antérieure, aménager la peine restant à subir en milieu ouvert.

Pour votre rapporteur, cependant, l'application du numerus clausus serait susceptible de conduire à de très fortes inégalités dans l'exécution des décisions de justice selon un taux de densité carcérale très variable d'un établissement à l'autre sur le territoire national. Un tel risque lui paraît devoir écarter une idée sans doute séduisante mais dont le caractère systématique pourrait emporter pour le justiciable des effets plus nocifs que ceux qu'il entend combattre.

La construction des nouvelles places de prison est l'une des solutions privilégiées par l'Etat. Au cours des trois dernières décennies, trois programmes ont été successivement mis en oeuvre : le programme « Chalandon » (1989) de 13.000 places avec la construction de 25 établissements, le programme « Méhaignerie » (1994) de 4.000 places avec la construction de 6 établissements et, enfin, la création de 13.200 places, décidée par la loi d'orientation et de programmation pour la justice de 2002, avec la construction d'une quinzaine d'établissements pénitentiaires et de 7 établissements pour mineurs 18 ( * ) . Parallèlement, au sein des établissements existant, un programme d'accroissement des capacités a permis de créer entre 2003 et juin 2008 près de 1.600 places de détention.

Cet effort s'est accompagné de la fermeture de places dans les établissements les plus vétustes. Ainsi le solde des ouvertures-fermetures en 2009 s'élève à 4.588 places compte tenu de la fermeture de 1.646 places.

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Total

Places créées dans le cadre de l'ouverture des établissements du programme 13200

0

0

0

300

2 674

5 130

1 230

2 036

2 405

13 775

Autres créations de places

1 867

1 771

350

271

217

1 104

1 090

877

0

7 547

Total des créations de place

1 867

1 771

350

571

2 891

6 234

2 320

2 913

2 405

21 322

Suppression de places liées à des fermetures d'établissements

154

850

0

0

207

1 646

864

952

183

4 856

Créations nettes de places

1 713

921

350

571

2 684

4 588

1 456

1 961

2 222

16 466

Il faut toutefois souligner, comme l'a indiqué Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, lors de son audition par votre commission le 26 novembre dernier à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2009 que 31,2 % des cellules des maisons d'arrêt et quartiers de maisons d'arrêt du programme « 13.200 » seront des cellules doubles .

S'il est certes indispensable de prévoir des cellules collectives pour les détenus qui le souhaitent ou en raison de certaines nécessités (prévention du suicide, organisation du travail...), la part qui leur est dévolue dans le cadre des nouveaux établissements va peut-être au-delà de la mesure souhaitable.

En outre, l'accroissement des capacités des établissements pénitentiaires a vocation à répondre à la surpopulation actuelle. Il est impératif qu'il ne s'accompagne pas d'une nouvelle augmentation de la population pénale. Déjà en 1830, le ministre de l'intérieur constatait, dans son rapport à la Société Royale des prisons qu' « à mesure que les constructions s'étendent, le nombre de prisonniers augmente ». A cet égard, les prévisions de l'administration pénitentiaire selon lesquelles l'effectif de détenus pourrait atteindre 80.000 dès 2012 ne laissent pas d'inquiéter. Les commissions d'enquête parlementaires du Sénat et de l'Assemblée nationale avaient précisément souhaité « rompre le cercle vicieux entre l'accroissement du nombre de détenus et l'augmentation des capacités d'accueil en prison » 19 ( * ) .

L'une des clefs de cette rupture se trouve dans l'évolution des politiques pénales. Le volet du projet de loi consacré aux aménagements de peines apparaît ainsi comme le complément indispensable de la réforme pénitentiaire.

* 14 Journal officiel, 18 novembre 2008, Assemblée nationale, p. 997, Question écrite n° 27201.

* 15 Voir commentaire de l'article 59 du projet de loi.

* 16 Arrêt du tribunal administratif de Rouen du 27 mars 2008 confirmé par la Cour administrative de Douai le 24 juin dernier. Le médecin hygiéniste, qui avait expertisé les sept cellules litigieuses, avait relevé que celles-ci présentaient une double série de risques sur le plan sanitaire, d'une part, la transmission de germes d'origine fécale, d'autre part, la transmission de pathogènes broncho pulmonaires par voie aérienne. Il faisait également état de dangers d'intoxication au monoxyde de carbone en raison de l'utilisation d'appareils chauffants non contrôlés sans évacuation du gaz et sans que la cellule puisse être efficacement aérée.

* 17 Voir l'avis de votre rapport sur le projet de loi de finances pour 2009, p. 24 et 25.

* 18 Les différents programmes sont inscrits dans l'avis présenté par votre rapporteur au projet de loi de finances pour 2009, tome III, Justice - Administration pénitentiaire.

* 19 Rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, p. 25.

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