3. Le risque d'une nouvelle forme déguisée de préretraite
La question de la pénibilité étant intimement liée à celle du maintien dans l'emploi des seniors, le principal risque qu'elle fait peser est celui de la création d'une nouvelle forme de préretraite.
A l'heure actuelle, la santé et les conditions de travail sont déjà prises en compte dans les dispositifs de sortie précoce de l'activité :
- dans le secteur privé, deux dispositifs existent pour compenser les expositions à des travaux pénibles et/ou dangereux par des cessations anticipées d'activité : la cessation anticipée de certains travailleurs salariés (CATS pénibilité) et la cessation anticipée des travailleurs de l'amiante. Des dispositifs comme l'invalidité, les pensions de vieillesse pour inaptitude au travail, les arrêts de maladie de longue durée, les pensions pour accidents du travail ou maladies professionnelles, les départs anticipés pour carrière longue ou la dispense de recherche d'emploi constituent également des modes alternatifs de sortie anticipée particulièrement utilisés en France par les seniors ayant des problèmes de santé ;
- dans les régimes de retraite des fonctionnaires, la pénibilité est également prise en compte, notamment par le classement de certains corps en services dits actifs - classement qui repose historiquement sur l'appréciation de la pénibilité, la dangerosité ou l'insalubrité du métier de l'agent.
Alors que les pouvoirs publics tentent depuis plusieurs années de maintenir les seniors dans l'emploi, prendre en compte la pénibilité de façon systématique reviendrait à cautionner une nouvelle forme de préretraite et à donner un coup d'arrêt aux efforts réalisés jusqu'à présent.
En outre, la création d'un nouveau dispositif de sortie anticipée de l'activité -via la pénibilité- contribuerait à alourdir les comptes de la branche vieillesse, déjà fortement déficitaires. A ce titre, la montée en charge, plus forte que prévu, du mécanisme de départ anticipé pour carrière longue depuis 2004 et le coût qu'il fait peser sur le système de retraite français devraient inciter à la plus grande prudence.
Enfin, le débat sur la pénibilité constitue manifestement une spécificité française : aucun pays européen n'a songé à mettre en oeuvre pareil dispositif sur un plan national. Les rapports consacrés aux systèmes sociaux allemand et suédois par la Mecss l'ont montré 17 ( * ) . En Suède notamment, les responsables de l'assurance vieillesse ont unanimement fait part de leur refus de principe de prendre en compte la pénibilité en invoquant trois principaux arguments :
- des métiers autrefois pénibles ne le sont plus aujourd'hui ;
- le refus de distinguer les assurés sociaux entre eux, au nom du principe même de solidarité ;
- le risque de pénaliser les femmes, si l'on en venait à utiliser comme critère d'évaluation l'espérance de vie à soixante ans ou soixante cinq ans en fonction des sexes.
* 17 Rapport d'information de la Mecss n° 377 (2006-2007) - « Réformer la protection sociale : les leçons du modèle suédois » - Alain Vasselle et Bernard Cazeau ; Rapport d'information de la Mecss n° 439 (2005-2006) - « Préserver la compétitivité du site Allemagne : les mutations de la protection sociale outre-Rhin » - Alain Vasselle et Bernard Cazeau.