III. LES MODALITÉS DE LA GARANTIE DE L'ETAT AU SECTEUR BANCAIRE
Le présent projet de loi de finances rectificative répond à la nécessité « d'adopter, en étroite coordination avec nos partenaires du G 7, de la zone euro et de l'Union européenne, les mesures propres à restaurer la confiance et à créer les conditions d'un fonctionnement normal du système de financement de l'économie ». Il vise, pour l'essentiel, à demander au Parlement d'autoriser l'octroi de la garantie de l'Etat, dans la limite de 360 milliards d'euros, soit 19 % du PIB :
- à titre onéreux, aux créances émises avant le 31 décembre 2009, et d'une durée maximale de cinq ans, par une société de refinancement des établissements de crédits ;
- à titre onéreux, aux financements levés jusqu'au 31 octobre 2009 par les sociétés Dexia SA, Dexia Banque Internationale Luxembourg, Dexia Banque Belgique, Dexia Crédit Local de France ;
- à titre gratuit, aux financements levés par une société ayant pour objet de souscrire à des titres émis par des organismes financiers et qui constituent des fonds propres règlementaires.
Ce plan s'inscrit dans le cadre d'une initiative concertée des pays de l'Union européenne . Comme l'a souligné M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, « si on tient compte des différences de PNB, il est comparable à celui de l'Allemagne (400 milliards d'euros pour la garantie interbancaire et 80 milliards d'euros pour la recapitalisation) et du Royaume-Uni (318 milliards d'euros pour la garantie interbancaire et 64 milliards d'euros pour la recapitalisation) ».
La société de refinancement des établissements de crédit, ainsi que la société dont l'Etat est l'unique actionnaire ayant pour objet de souscrire des titres émis par des organismes financiers, vraisemblablement dénommée « Société de prises de participations de l'Etat (SPPE) », ne sont pas créées par le présent projet de loi de finances rectificative : nonobstant la garantie de l'Etat, elles constituent juridiquement des sociétés de droit privé .
A. LE RÉGIME DES GARANTIES DE L'ETAT : UN ENGAGEMENT INSCRIT AU HORS BILAN
Une garantie de l'Etat est un engagement par lequel celui-ci accorde sa caution à un organisme dont il veut faciliter les opérations d'emprunt, en garantissant au prêteur le remboursement en cas de défaillance du débiteur. Dans ce cadre, l'Etat supporte un risque de défaut de l'emprunteur qui aurait donc un impact potentiel sur les comptes publics.
En application de l'article 34 de la LOLF, une garantie doit être autorisée en loi de finances. Le caractère urgent des mesures de refinancement du secteur bancaire ont donc conduit le gouvernement à déposer dans les meilleurs délais un projet de loi de finances rectificative, avant même le dépôt du traditionnel « collectif » de fin d'année.
1. Le régime juridique : une autorisation donnée par le Parlement en loi de finances
Les conditions de l'octroi de la garantie de l'Etat sont fixées par l'article 34 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) qui dispose que « la loi de finances de l'année (...) autorise l'octroi des garanties et fixe leur régime ». Les garanties nouvelles de l'Etat ne peuvent ainsi être octroyées que sur le fondement d'une disposition de loi de finances. Elles font l'objet dans les dispositions des lois de finances d'un plafond par opération. Il s'agit de bien mesurer la portée de la garantie dès son octroi, en la rattachant à une opération financière précise, en précisant un montant maximum et en la limitant dans le temps.
a) Le montant des garanties octroyées aujourd'hui par l'Etat serait de 60 milliards d'euros
Au 31 décembre 2007, le montant de la dette garantie par l'Etat s'établissait à 60,5 milliards d'euros , auxquels s'ajoutent 900 millions d'euros libellés en devises 7 ( * ) .
S'agissant des versements effectués au titre des appels en garantie de l'Etat, ceux-ci se sont établis en 2007 à 363 millions d'euros contre 185 millions d'euros en 2006.
Evolution de l'encours des garanties de l'Etat
(en milliards d'euros)
31 décembre 2005 |
31 décembre 2006 |
31 décembre 2007 |
|
Dette garantie (euros) |
24,6 |
55,8 |
60,5 |
Dette garantie (devises) |
0,4 |
0,5 |
0,9 |
Source : compte général de l'Etat 2007 annexé au projet de loi de règlement pour 2007
Avant l'intervention du présent projet de loi de finances rectificative, le champ des garanties de l'Etat apparaissait plus limité que par le passé , en raison d'une restriction du champ d'application de l'article 1 er de la loi n° 59-914 du 1 er août 1959, qui permettait l'octroi de la garantie de l'Etat aux emprunts contractés par les entreprises publiques. Celles-ci (EDF, SNCF...) se sont trouvées en situation de se procurer des financements sur les marchés sous leur propre signature et l'octroi de garanties avait pu fortement se restreindre depuis le milieu des années 1980.
Au titre des autorisations récentes, on compte néanmoins des garanties octroyées à l'ERAP, dans le cadre de la recapitalisation de France Télécom, à hauteur de 10 milliards d'euros, la garantie des emprunts de l'UNEDIC, pour 2003 et 2004, à hauteur de 6,2 milliards d'euros, et des dispositions au bénéfice de l'Agence française de développement pour de l'ordre de 2 milliards d'euros.
b) Le plafond de 360 milliards d'euros n'implique pas que l'Etat sera amené à octroyer un tel montant de garantie
Le montant maximal de la garantie de l'Etat de 360 milliards d'euros conduirait, si ce montant était complètement mobilisé par les sociétés concernées, à multiplier le montant des garanties de l'Etat par sept, et donc les porter de 3 % du PIB à environ 22 % du PIB . Le montant de 360 milliards d'euros se décompose entre 320 milliards d'euros au titre des créances émises par la société de refinancement des établissements de crédits et 40 milliards d'euros au titre des financements levés par la société ayant pour objet de souscrire à des titres émis par des organismes financiers. Rien n'indique cependant, à ce stade, que l'autorisation de garantie devra être utilisée « à plein ».
Dans son intervention après le Conseil des ministres, le 13 octobre 2008, M. Nicolas Sarkozy, Président de la République a ainsi déclaré : « ce chiffre est un maximum qui ne sera sans doute jamais atteint. Il ne représente en aucun cas un coût pour le contribuable puisqu'il s'agit seulement d'une garantie qui ne jouera qu'en cas de défaillance d'un établissement. En l'absence de défaillance, le contribuable sera gagnant du montant des commissions encaissées sur les garanties souscrites ».
S'agissant de la garantie accordée à la société de refinancement des établissements de crédits, son application est conditionnée, au II de l'article 6 du présent projet de loi de finances rectificative, à la conclusion d'une convention entre chacun des établissements éventuellement concernés et l'Etat , qui fixe les contreparties de la garantie.
S'agissant de la garantie octroyée à la société ayant pour objet de souscrire à des titres émis par des organismes financiers, elle sera en réalité délivrée au cas par cas, opération par opération, sur décision du ministre chargé de l'économie . Cette décision précisera, à chaque fois, pour chaque financement accordé, la durée et le plafond de la garantie.
2. Le régime budgétaire et comptable des garanties de l'Etat
En comptabilité nationale comme en comptabilité budgétaire, les garanties, tant qu'elles ne sont pas appelées, n'ont pas vocation à être intégrées à la dette publique . Le principe général, défini par Eurostat, est que la dette garantie reste celle de l'émetteur, aussi longtemps que celui-ci n'appelle pas la garantie. Il s'agit selon cet organisme d'un engagement « contingent », ou « conditionnel ». Il n'y a pas de traduction budgétaire réelle pour les administrations publiques. En revanche, les garanties doivent figurer, pour l'information du Parlement, au « hors bilan » de l'Etat. Leur évaluation figure au sein du compte général de l'Etat annexé au projet de loi de règlement de chaque exercice.
Ainsi, le risque est réel, mais le coût budgétaire est éventuel.
L'appel de la garantie représente par contre un transfert de l'engagement financier vers l'Etat. Dans une perspective maastrichtienne, l'exercice de la garantie revient à une reprise de dette par l'Etat. Sont donc affectés le besoin de financement de l'Etat, et la dette publique. Dès lors qu'il y a mise en jeu de la garantie, la dette devient dette de l'Etat , pour le montant total de la garantie appelée, quel que soit le calendrier de remboursement. Pour le solde budgétaire, en comptabilité nationale, l'appel en garantie a un double effet : transfert en capital au bénéfice de l'entreprise concernée, pour la totalité de la dette concernée , et après la reprise de la dette, paiement de la charge d'intérêt de la dette. L'appel de la garantie a donc de lourdes conséquences en comptabilité maastrichtienne.
3. Quelle rémunération pour la garantie de l'Etat ?
Toutes les garanties octroyées par l'Etat ne font pas l'objet d'une rémunération. La LOLF ne prévoit pas, contrairement au régime des prêts et avances de l'Etat qui sont consentis par le biais des comptes de concours financiers, définis à l'article 24 8 ( * ) de la LOLF, de rémunération systématique des garanties de l'Etat.
Ainsi, dans le présent projet de loi de finances rectificative, l'article 6 propose un octroi à titre gratuit de la garantie de l'Etat à la société ayant pour objet de souscrire à des titres émis par des organismes financiers. Mais l'Etat en étant l'unique actionnaire, il devrait pouvoir escompter en contrepartie des dividendes et des plus-values de cession, qui dépendront bien évidemment de l'évolution des participations prises. Il y aura donc rémunération de l'Etat actionnaire à défaut de rémunération de l'Etat garant. L'Etat est ainsi rémunéré pour les risques qu'il prend.
En effet, dans le champ économique, il peut apparaître souhaitable que l'intervention de l'Etat, sous la forme d'une garantie auprès d'acteurs économiques, qui pourraient apparaître en difficulté ponctuelle, puisse faire l'objet d'une rémunération. C'est une simple exigence de bonne gestion des deniers publics .
Il y a là aussi une réponse à une contrainte européenne, et à la prise en compte des règles relatives aux aides d'Etat. Aux termes des articles 87 et 88 du traité CE relatifs aux aides d'Etat, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. Tel pourrait être le cas des garanties, si elles étaient octroyées à titre gratuit, dont bénéficierait la société de refinancement des établissements de crédits.
La garantie présente l'avantage de faire supporter par l'Etat le risque qui y est associé. Cette prise de risque a vocation à être rémunérée par une prime appropriée . Si l'Etat renonçait à tout ou partie de cette prime, il y aurait à la fois avantage pour l'entreprise et ponction sur les ressources publiques. La qualification éventuelle d'aide d'Etat serait retenue au moment où la garantie est offerte, et non au moment où elle est mobilisée ou à celui où elle entraîne des paiements.
La rémunération de la garantie proposée dans le présent projet de loi de finances rectificative devrait être proche des conditions de marché auxquelles pourrait être offerte une source de financement alternative. La rémunération normale de cette garantie qui intègre une prime de risque, correspond au coût du service rendu par la puissance publique.
* 7 Le compte général de l'Etat, annexé au projet de loi de règlement, ne recense pas au titre des garanties de l'Etat de garantie des dépôts des épargnants (hormis des développements sur les livrets A et les livrets d'épargne populaire dont la garantie se traduit par la constitution de fonds de garantie sur les dépôts centralisés à la Caisse des dépôts et consignations). La garantie générale des épargnants est assurée par le fonds de garantie des dépôts, créé par la loi du 25 juin 1999 sur l'épargne et la sécurité financière. Celui-ci a pour mission d'indemniser aussi rapidement que possible les déposants, dans la limite d'un plafond de 70.000 euros, lorsque l'établissement auquel ils ont confié leurs avoirs ne peut plus faire face à ses engagements. Financé par les établissements bancaires, il disposait au 31 décembre 2006 d'un bilan de 1,7 milliard d'euros, dont 91 % dévolus à la « garantie espèces ». Ce fonds ne bénéficie d'aucune garantie de l'Etat.
* 8 « Les prêts et avances sont accordés pour une durée déterminée. Ils sont assortis d'un taux d'intérêt qui ne peut être inférieur à celui des obligations ou bons du Trésor de même échéance ou, à défaut, d'échéance la plus proche. Il ne peut être dérogé à cette disposition que par décret en Conseil d'Etat ».