B. LES QUESTIONS DE STRUCTURES ET DE MODES DE FINANCEMENT
De manière concomitante au présent projet de loi de finances rectificative, ont été créés, dans le cas de la société ayant pour objet de souscrire à des titres émis par des organismes financiers, désormais intitulée « S ociété de prises de participations de l'Etat (SPPE) » ou vont être créés, dans le cas de la société de refinancement des établissements de crédits, deux sociétés amenées à jouer un rôle déterminant dans le retour de la confiance sur les marchés financiers.
1. Le statut des deux sociétés : structure publique ou privée, dette publique ou privée ?
Si les deux sociétés sont des entités de droit privé, leur rôle particulier dans le refinancement des établissements financiers, les conditions de leur création, leur gouvernance conduisent à s'interroger sur leur inclusion ou non dans le périmètre des administrations publiques .
Dans un souci de transparence, leur inclusion peut se justifier, mais elle devrait faire l'objet d'une décision harmonisée à l'échelle de l'Union européenne par Eurostat , compte tenu de la création de structures de nature semblable dans les principaux pays européens.
Dans tous les cas, la création de ces structures n'a pas d'impact sur le déficit public, mais leur endettement pourrait ou non être intégré au sein de la dette publique. De toute manière, cet endettement important, mais ponctuel, doit être distingué - puisqu'il serait issu d'opérations financières, notamment en capital - du niveau actuel de l'endettement public, résultant principalement de déficits récurrents en fonctionnement. Surtout, ces opérations comportent des contreparties économiques (détentions d'actifs financiers ou de contre-garanties).
a) Les opérations des structures publiques sont sans impact sur le déficit, et marginales en ce qui concerne la dette publique
En comptabilité maastrichtienne, est qualifié par Eurostat d'opération financière tout apport de capitaux à une société par un Etat membre si l'Etat reçoit en échange un actif financier de même valeur . L'apport de capitaux doit avoir trois caractéristiques : libre disposition par la société des capitaux mis à disposition, habilitation des actionnaires à recevoir des dividendes et émission d'actions pour un montant équivalent aux fonds placés. Dans ce cas, l'opération financière n'est pas considérée comme ayant un impact sur le besoin de financement des administrations publiques, c'est-à-dire sur le déficit . La même analyse peut être faite s'agissant des prêts par des structures publiques, dès lors qu'elles reçoivent en contrepartie un titre de créance, ou une participation en capital.
En comptabilité budgétaire, afin de tenir compte de cette « ouverture » de la comptabilité maastrichtienne, les opérations financières passent habituellement par des comptes dédiés . Ceci est le cas des comptes de prêts et d'avances prévus à l'article 24 de la LOLF. Pour les prises de participation, il s'agit du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'Etat » : celui-ci permet de prendre des participations dans des entreprises privées 9 ( * ) et peut bénéficier de versements du budget général. En aucun cas, il ne peut « s'endetter en propre », dès lors qu'il ne dispose pas de la personne morale.
Dans ces conditions, et c'est encore le cas dans le contexte actuel, il est parfois nécessaire pour certaines opérations financières , de créer une structure de portage ad hoc . Lorsque celle-ci est publique, l'emprunt qui couvre l'opération financière est, lui, bien enregistré dans la dette publique.
Ainsi, dans le passé, lorsque le compte d'affectation spéciale précité ne disposait pas d'assez de liquidités pour financer une opération de recapitalisation, la solution employée a consisté communément à trouver un établissement public (classé dans la catégorie des ODAC), portant la dette, a priori garantie par l'Etat, et recevant en échange les titres de la société concernée. Il n'y avait pas d'impact en dépense et en déficit, ni du point de vue de la comptabilité budgétaire, ni du point de vue de la comptabilité maastrichtienne. En revanche, il y avait, bien évidemment, un impact sur la dette publique car il s'agissait d'un ODAC. Il faut, en effet, prendre en considération le fait que la dette maastrichtienne est une dette brute et non une dette nette , qui tiendrait compte en regard des engagements financiers des administrations financiers de la valeur de leurs actifs ou de leurs créances.
b) Le statut public ou privé des deux sociétés devra être précisé
Il reviendra en définitive à Eurostat de décider de l'inclusion des deux sociétés de refinancement et de recapitalisation des banques dans le champ des administrations publiques. Il conviendra d'harmoniser le traitement comptable de l'ensemble des entités nouvellement créées par les différents pays européens. Dans une logique de transparence, une décision d'inclusion peut paraître justifiée . Il y aurait comme un paradoxe à annoncer sur l'initiative des pouvoirs publics, et sur décision des plus hautes autorités de l'Etat, la constitution de ces deux sociétés, qui apparaissent comme la traduction de sa stratégie face à la crise financière, et sur un plan comptable, à considérer que ces entités ne constituent pas une administration publique.
En ce qui concerne la société ayant pour objet de souscrire à des titres émis par des organismes financiers, le doute apparaît faible. Elle est détenue par un actionnaire unique, l'Etat, qui nomme ses dirigeants. Elle bénéficie d'une garantie à titre gratuit de celui-ci. Elle a, certes, vocation à se comporter comme un « investisseur avisé ». Mais son rôle, sur le plan économique, se différencie peu, sinon par son ampleur, du rôle qu'a tenu l'ERAP, classé au sein des administrations publiques, au moment de la recapitalisation de France Télécom en 2003 . La garantie de l'Etat vise expressément, selon l'article 6 du présent projet de loi de finances rectificative, à « garantir la stabilité du système financier français ». Selon l'INSEE, on peut être amené à classer une société holding publique dans le secteur des administrations publiques lorsque « le holding a été mis en place par l'État « à des fins de politique générale » (développement d'investissements publics pour lesquels les capitaux privés ne sont pas nécessairement disponibles), et / ou avec un objectif précis et limité dans le temps : en général réorganiser des entreprises publiques et les privatiser, ou encore vendre des actifs douteux (cas de défaisance notamment) » .
Le cas du reclassement de la dette du consortium de réalisation (CDR) : rappels du rapport d'information de votre rapporteur général sur l'évolution de la dette publique de 2002 « Dans le cadre de la crise du Crédit Lyonnais, l'Etat est intervenu afin d'aider cette société à se défaire de certains de ses actifs. Une double structure a été mise en place : une structure de financement (EPFR), et des structures de cantonnement et de gestion des actifs (regroupées dans le groupe CDR). Dans le cadre de ce dispositif, l'Etat a apporté sa garantie à un prêt effectué par la banque à la structure de financement. Un temps, on considéra que les organismes de défaisance étaient engagés dans une forme d'intermédiation financière, empruntant pour financer l'achat d'actifs qu'ils revendaient ensuite sur le marché. Ils furent exclus du champ des administrations publiques et leur dette ne fut dès lors pas considérée comme une composante de la dette publique, solution qui favorisa le respect du critère de dette publique posé comme exigence à l'adoption de l'euro. Le SEC 95 (§ 2.34) devait estimer que le fait de s'exposer réellement au risque est une caractéristique essentielle de l'intermédiation financière. On dut alors considérer que ces structures agissaient au nom des administrations publiques, lesquelles prenaient de fait à leur charge la majeure partie du coût final de la défaisance. Pour la structure de financement (l'EPFR), on considéra que, mise en place par l'État, contrôlée et in fine largement financée par lui, elle avait naturellement vocation à être classée dans le secteur des administrations publiques. Pour la structure de cantonnement et de gestion des actifs (le CDR), son statut et la réalité de son activité financière sur le marché, qui auraient pu conduire à la classer formellement dans la catégorie des institutions financières, cédèrent devant le critère essentiel de l'exposition au risque ; celui-ci n'étant pas respecté, le dispositif de défaisance a été considéré dans sa globalité, et dans sa signification économique, par-delà l'apparence juridique. Les deux structures (à l'exception d'une filiale du CDR) ont donc été reclassées en ODAC et furent ainsi, tardivement, réintégrées dans les administrations publiques. Considérées finalement comme des gestionnaires publics de biens, ayant une activité non marchande, leur dette fut intégrée dans la dette publique ». Source : rapport d'information n° 361 (2001-2002) |
S'agissant de la société de refinancement des établissements de crédits, le diagnostic peut paraître plus délicat, au moins sur un plan formel. Société de droit privé, la composition de son actionnariat n'est pas connue à ce jour. Mais ce capital devrait être mixte, avec une participation conjointe des établissements bancaires et de la puissance publique.
La société bénéficie d'une garantie de l'Etat, mais à titre onéreux. Un commissaire du gouvernement assiste aux séances de l'organe d'administration de la société avec un droit de veto sur les décisions de nature à affecter les intérêts de l'Etat au titre de sa garantie. Ses dirigeants seraient agréés par l'Etat, mais non nommés par lui. Elle constitue une institution financière. Il existe évidemment des institutions financières publiques, Banque de France ou Caisse des dépôts et consignations : elles ne sont pas classées au sein des administrations publiques, mais dans le champ des institutions financières.
Pour le traitement en comptabilité nationale de la société de refinancement des établissements de crédits, tout dépendra dès lors de son autonomie de décision par rapport à l'Etat , et des conditions d'exercice de son activité « d'intermédiaire financier ». En l'espèce, le critère important sera de savoir si la société s'expose réellement par elle-même au risque , comme un intermédiaire financier de marché, ou si elle agit au nom de l'Etat. Elle pourrait se définir comme une « structure de place ». Mais son intervention sera en pratique étroitement liée , puisqu'elle conditionne la garantie à des conventions que l'Etat passera avec les banques .
Tout dépendra, dans les deux cas d'espèce, de la pratique, c'est-à-dire de la vie des deux entités concernées, et de la nature réelle, sur le plan économique, de leur activité. Quoiqu'il en soit, et si l'endettement d'une ou des deux entités ne devait pas figurer au sein de la dette publique, le Parlement devra être informé du niveau de leurs emprunts.
2. Les modalités de financement des deux sociétés
L'octroi de la garantie de l'Etat a pour effet de réduire le coût des émissions des emprunts obligataires des structures qui en font l'objet, ou au moins de leur faciliter l'accès aux marchés financiers . Moyennant un écart de taux de quelques dizaines de points de base, comme cela a déjà été constaté pour l'ERAP 10 ( * ) , et à condition qu'elles bénéficient du soutien technique de l'Agence France Trésor, elles devraient obtenir des conditions de financement privilégiées. Ce privilège est évidemment équilibré, dans le dispositif du présent projet de loi de finances rectificative par la rémunération de la garantie de l'Etat.
Dans le contexte actuel, où les débiteurs les plus fragiles voient leurs conditions de crédit se durcir, la situation de la dette française apparaît relativement favorable, et permet un financement aux meilleures conditions des deux sociétés nouvellement créées. Elles seront sur les marchés de la zone euro en concurrence avec la pluralité des nouveaux émetteurs garantis par les différents Etats européens.
L'évolution du taux du titre d'Etat français à maturité de 10 ans apparaît maîtrisée depuis le début de l'année 2008. En nominal, ce taux n'est pas supérieur au taux constaté au début de l'année 2008, et inférieur au pic constaté entre juin et août 2008.
Evolution du taux des titres d'Etat à 10 ans
(en %)
Source : Agence France Trésor
La situation relative de la France sur le marché obligataire de la zone euro apparaît particulièrement favorable par rapport aux autres Etats européens . Certes, c'est l'Allemagne qui bénéficie au sein de la zone euro des meilleures conditions de financement, alors que l'Espagne et la France bénéficiaient encore avant le mois de septembre 2008 de taux quasi identiques. Depuis la crise financière, les écarts de taux se sont accrus. Il existe un phénomène de « fuite vers la qualité » , caractérisée par une préférence croissante des investisseurs pour les titres liquides, dont bénéficie au premier chef la dette allemande, considérée comme offrant de meilleures garanties en la matière. Mais la France bénéficie de conditions de financement de plus en plus favorables au regard des autres pays de la zone euro et de la moyenne des pays concernés.
L'indicateur de « spreads » (écart de taux) calculé par l'agence France Trésor au 13 octobre 2008
Source : Agence France Trésor
Pays par pays, les situations sont de plus en plus contrastées. L'Espagne, qui bénéficiait de conditions de financement aussi favorables que la France supporte désormais des taux supérieurs à la moyenne de la zone euro . La dégradation apparaît également très nette dans le cadre de l'Irlande, de l'ordre de 40 points de base, et dans une moindre mesure de la Grèce et de l'Italie.
Ecart de taux des émissions d'emprunt au sein de la zone euro par rapport à la moyenne
26/09/08 |
02/10/08 |
03/10/08 |
10/10/08 |
13/10/08 |
|
Allemagne |
-0,28% |
-0,33% |
-0,34% |
-0,36% |
-0,34% |
France |
-0,15% |
-0,17% |
-0,17% |
-0,20% |
-0,19% |
Espagne |
0,06% |
0,07% |
0,07% |
0,11% |
0,12% |
Italie |
0,25% |
0,29% |
0,30% |
0,34% |
0,32% |
Grèce |
0,36% |
0,39% |
0,40% |
0,44% |
0,41% |
Irlande |
0,01% |
0,05% |
-0,01% |
0,07% |
0,37% |
Belgique |
0,01% |
0,02% |
-0,01% |
-0,01% |
0,01% |
Pays-Bas |
-0,17% |
-0,19% |
-0,19% |
-0,24% |
-0,22% |
Source : Agence France Trésor
* 9 C'est par ce biais que la société Alstom a pu bénéficier d'un apport de capitaux de l'Etat français.
* 10 Un établissement public bénéficiant de la garantie de l'Etat ayant émis sur le marché euro est la CADES : son émission à 5 ans, le 28 août 2008, a été réalisée à un taux supérieur de 34 points de base à celui des taux d'Etat de même maturité. Ceci n'a toutefois qu'une très faible valeur prédictive concernant des émissions des deux nouvelles sociétés compte tenu de l'extrême volatilité des marchés ainsi que des différences entre émetteurs.