III. EXAMEN DU RAPPORT
La commission a tout d'abord procédé à l'examen du rapport de M. Alain Gournac sur le projet de loi n° 448 (2007-2008), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.
M. Alain Gournac, rapporteur , a rappelé que ce projet de loi comporte deux volets : l'un consacré à la rénovation de la démocratie sociale, l'autre à la réforme du droit de la durée du travail, dont il a dit approuver globalement le contenu.
Le premier volet est l'aboutissement d'une longue réflexion, engagée dès 2005 à la demande du Premier ministre, sur les règles de représentativité syndicale et de validité des accords collectifs, les modalités du dialogue social au sein des PME et le financement des organisations syndicales. Remis en 2006, le rapport Hadas-Lebel avait alors proposé d'apprécier la représentativité des organisations syndicales en fonction de leur audience électorale, mesurée à l'occasion des élections professionnelles, des élections prud'homales ou d'une élection de représentativité et suggérait de fixer le seuil de représentativité à 10 % afin de limiter la dispersion syndicale.
Consulté sur ce sujet, le Conseil économique et social, dans un avis de novembre 2006, a également recommandé d'apprécier la représentativité syndicale en fonction des résultats recueillis par chaque organisation lors des consultations électorales, en retenant un seuil de représentativité égal ou supérieur à 5 %.
Le 18 juin 2007, le Premier ministre, François Fillon, a adressé un document d'orientation aux partenaires sociaux les invitant à négocier sur la représentativité syndicale, la validité des accords collectifs et sur le développement du dialogue social dans les PME. A la demande du Président de la République, le document d'orientation a été complété, en décembre dernier, afin que les négociations portent aussi sur le temps de travail et sur le financement des organisations syndicales de salariés et d'employeurs.
Ces négociations ont abouti à la signature d'une position commune par deux syndicats de salariés, la CGT et la CFDT, et par deux organisations patronales, le Medef et la CGPME. Cette position commune comprend quatre parties : représentativité des syndicats de salariés, développement du dialogue social, financement des syndicats de salariés et des dispositions finales.
La première partie du projet de loi retranscrit fidèlement les termes de la position commune, à l'exception de la question du financement du dialogue social, et propose de réformer les règles de la représentativité syndicale, anciennes et désormais inadaptées.
En effet, depuis 1966, cinq confédérations syndicales - CGT, CFDT, FO, CFTC et CFE CGC - bénéficient d'une présomption irréfragable de représentativité, qui s'applique à tous les syndicats qui leur sont affiliés, au niveau de la branche ou de l'entreprise, quel que soit leur degré réel d'implantation. Les autres syndicats doivent démontrer qu'ils sont représentatifs en fonction de cinq critères énumérés dans le code du travail : effectifs, indépendance, cotisations, expérience et attitude patriotique pendant l'Occupation. L'enjeu est important car seuls les syndicats représentatifs peuvent négocier des accords collectifs, désigner un délégué syndical et présenter des candidats au premier tour des élections professionnelles (élections des délégués du personnel ou du comité d'entreprise).
Ces règles sont aujourd'hui inadaptées :
- elles sont inéquitables, en conférant un avantage à cinq confédérations sans tenir compte de leur représentativité réelle ;
- elles ont contribué à l'émiettement du paysage syndical, de nouveaux syndicats, comme l'Unsa ou Sud, étant apparus sans que les confédérations plus anciennes ne se soient par ailleurs regroupées ;
- elles sont contestables, lorsqu'on constate le développement de la technique de l'accord dérogatoire qui conduit certaines organisations, dont la représentativité n'est pas certaine, à approuver des dispositions moins favorables pour les salariés que celles figurant dans la loi ou dans les accords collectifs de niveau supérieur.
M. Alain Gournac, rapporteur , a alors indiqué que le projet de loi propose en conséquence de modifier la liste des critères de représentativité :
- l'exigence d'une attitude patriotique pendant l'Occupation est remplacée par celle du respect des valeurs républicaines ;
- un nouveau critère de transparence financière est ajouté en réponse au scandale suscité par l'affaire « UIMM »;
- l'audience électorale devient le critère déterminant de la représentativité syndicale. Ce sont les résultats des élections professionnelles dans les entreprises qui permettront de mesurer l'audience de chaque organisation au niveau du groupe, de la branche et au niveau national interprofessionnel. Pour être reconnu représentatif, un syndicat devra avoir recueilli au moins 10 % des voix dans l'entreprise ou 8 % au niveau de la branche et au niveau national interprofessionnel. Ces seuils devraient favoriser une recomposition du paysage syndical, notamment au travers du rapprochement de certaines organisations telles que la CGC et l'Unsa. Tous les syndicats indépendants, constitués depuis au moins deux ans et respectueux des valeurs républicaines, pourront désormais participer au premier tour des élections professionnelles, et non plus les seules organisations représentatives.
En outre, sera créé un Haut Conseil du dialogue social, chargé d'émettre un avis auprès du ministre concerné avant la publication de la liste des organisations représentatives au niveau de la branche et au niveau national interprofessionnel.
Pendant la période transitoire précédant la détermination de la liste des syndicats représentatifs, les syndicats aujourd'hui reconnus représentatifs conserveront ce statut, le Gouvernement se réservant la possibilité de reconnaître la représentativité d'autres syndicats sur la base des critères actuels.
Ces nouveaux critères de représentativité auront des conséquences sur la vie syndicale dans l'entreprise :
- un salarié ne pourra devenir délégué syndical et être de ce fait habilité à négocier un accord dans l'entreprise que s'il a lui-même recueilli 10 % des voix aux dernières élections professionnelles ;
- tout syndicat, même non représentatif, pourra désormais nommer dans l'entreprise un représentant de la section syndicale bénéficiant des mêmes protections que le délégué syndical et ayant pour mission d'animer la section syndicale et de faire reconnaître, le cas échéant, la représentativité de son syndicat lors des élections professionnelles.
Puis M. Alain Gournac, rapporteur , a indiqué que le projet de loi modifie également les conditions de validité des accords collectifs. Ceux-ci obéissent actuellement à deux régimes différents :
- au niveau interprofessionnel ou au niveau d'une branche, un accord est réputé valide s'il est signé par au moins un syndicat représentatif et si la majorité des autres syndicats ne s'y oppose pas ;
- au niveau de l'entreprise, l'accord entre en vigueur s'il est signé par au moins un syndicat représentatif et si un ou plusieurs autres syndicats ayant obtenu la majorité des suffrages aux dernières élections professionnelles ne s'y opposent pas.
Conformément à la position commune, le projet de loi propose de s'éloigner de cette logique du « droit d'opposition » pour aller vers un système de « majorité d'engagement » : à partir du 1 er janvier 2009, un accord, à tous les niveaux, sera valable s'il est signé par un ou plusieurs syndicats représentatifs ayant obtenu au moins 30 % des suffrages aux dernières élections et s'il n'a pas fait l'objet d'une opposition par des syndicats représentatifs ayant obtenu la majorité des suffrages. La position commune envisageait, à terme, la possibilité de passer à la règle de l'accord majoritaire mais il a semblé raisonnable de ménager d'abord une période de transition.
Par ailleurs, pour favoriser la négociation collective dans les PME, souvent dépourvues de délégué syndical, le texte propose d'autoriser les délégués du personnel dans les entreprises de moins de deux cents salariés ou des salariés mandatés, lorsqu'un procès verbal de carence a été établi, à conclure des accords collectifs. La loi Fillon du 4 mai 2004 avait déjà prévu une telle possibilité mais l'avait conditionnée à la conclusion d'un accord de branche. Comme peu d'accords ont été signés, seize seulement en quatre ans, le projet de loi prévoit de supprimer cette condition à partir du 31 décembre 2009.
Puis M. Alain Gournac, rapporteur , a souligné l'importance des dispositions relatives à l'amélioration de la transparence financière des comptes des organisations syndicales. Reprenant les termes de la position commune, le projet de loi impose aux organisations syndicales de salariés et aux organisations d'employeurs la publication et la certification de leurs comptes et veille à sécuriser juridiquement la mise à disposition de salariés par les entreprises auprès des organisations syndicales.
Allant au-delà de la position commune, le Gouvernement propose également de donner une base légale à « l'accord UPA » sur le financement du dialogue social. Signé le 12 décembre 2001 par l'UPA et les cinq syndicats de salariés, cet accord, qui a fait l'objet de nombreux recours en justice infructueux du Medef et de la CGPME, et dont la régularité a finalement été reconnue par la Cour de cassation dans un arrêt de décembre 2007, impose aux entreprises de l'artisanat de verser une contribution, à hauteur de 0,15 % de leur masse salariale, pour financer le dialogue social au niveau des branches.
Plus généralement, le projet de loi prévoit qu'un accord collectif peut instaurer une contribution destinée au financement de la négociation collective. L'Assemblée nationale en a repoussé l'entrée en vigueur en juin 2009 afin qu'elle coïncide avec l'achèvement des discussions, prévues par la position commune, sur la représentation des salariés et l'amélioration du dialogue social dans les petites entreprises.
M. Alain Gournac, rapporteur , a ensuite présenté la deuxième partie du projet de loi, consacrée à la réforme du temps de travail. Son ajout par le Gouvernement a suscité le mécontentement des organisations syndicales, qui ont estimé qu'il outrepassait les termes de la position commune, laquelle se limitait à prévoir, à titre expérimental, qu'un accord majoritaire conclu dans l'entreprise peut déroger au contingent conventionnel d'heures supplémentaires. Or, cette mesure, ponctuelle et strictement encadrée, préservait en fait le statu quo.
C'est pourquoi le Gouvernement, s'affranchissant des termes de la position commune, a opté pour une réforme de plus grande ampleur qui prévoit :
- la possibilité d'effectuer des heures supplémentaires au-delà du contingent, à condition d'accorder au salarié, en plus de la majoration de son salaire, une contrepartie en repos ;
- le remplacement des dispositifs actuels d'aménagement du temps de travail (travail par cycles, accords de modulation, attribution de jours de RTT sur quatre semaines ou sur l'année) par un dispositif unique d'aménagement du temps de travail par voie d'accord collectif ;
- enfin, la simplification du régime des convention de forfait, les salariés en forfait jours pouvant désormais renoncer à des jours de repos, en échange d'une rémunération majorée, à condition que le nombre de jours travaillés dans l'année n'excède pas un nombre maximal, qui sera déterminé par voie d'accord et fixé, à défaut d'accord, à deux cent trente cinq jours, ainsi que l'a décidé l'Assemblée nationale.
En outre, le projet de loi donne la priorité à l'accord d'entreprise sur l'accord de branche, qui devient supplétif, afin que les règles relatives à la durée du travail puissent être adaptées à l'activité et aux conditions de travail des salariés.
Pour conclure, M. Alain Gournac, rapporteur , a fait observer que le texte maintient la durée légale du travail à trente-cinq heures hebdomadaires, s'inscrivant ainsi dans la logique des dispositions de la loi Tepa du 21 août 2007 relatives à la défiscalisation des heures supplémentaires. L'adoption du projet de loi permettra, à la fois de rompre avec la logique de la réduction du temps de travail, délétère pour la compétitivité du pays et le pouvoir d'achat des ménages, et d'ouvrir une nouvelle page de l'histoire des relations sociales.
La commission a ensuite procédé à l'examen des amendements présentés par le rapporteur.
M. Louis Souvet a souhaité des compléments d'information sur plusieurs points précis du texte. Il a demandé si les nouvelles règles de prise en compte des résultats des élections professionnelles permettront à chacun de pouvoir présenter une liste et constituer un syndicat s'il recueille au moins 10 % des voix aux élections professionnelles dans une entreprise. Ce seuil s'apprécie-t-il en termes de votants ou d'inscrits ?
M. Alain Gournac, rapporteur , a indiqué que ce seuil de 10 % s'applique aux suffrages exprimés.
M. Louis Souvet s'est interrogé sur le choix du rapporteur de ne pas modifier ce seuil de 10 % des suffrages dans l'entreprise et de 8 % au niveau de la branche professionnelle. Par ailleurs, il a voulu comprendre pourquoi, au niveau du futur Haut Conseil du dialogue social, les syndicats aujourd'hui reconnus représentatifs conserveront ce statut, alors que, parallèlement, le Gouvernement se réserve la possibilité de reconnaître la représentativité d'autres syndicats sur la base des critères actuels.
M. Nicolas About, président , a fait valoir que la logique de cette disposition est de combler un vide juridique.
M. Louis Souvet a ensuite constaté que le projet de loi introduit une nouveauté en prévoyant que chaque syndicat, même non représentatif, pourra nommer dans l'entreprise un représentant de section syndicale qui bénéficiera des mêmes protections que le délégué syndical. Ces représentants de sections syndicales disposeront-ils des mêmes moyens que les délégués syndicaux ? Relevant par ailleurs, pour reprendre les propos du rapporteur, que le projet de loi propose d'effectuer un premier pas vers un système de « majorité d'engagement », il a demandé comment on constate, aujourd'hui, l'opposition de certains syndicats à des accords ?
M. Nicolas About, président , a précisé que chaque organisation syndicale fera connaître sa position : elle sera ainsi amenée à s'exprimer. A défaut, on prendra acte de son souhait de ne pas le faire.
M. Alain Gournac, rapporteur , a indiqué qu'en l'espèce, le projet de loi n'introduit aucune modification sur la façon suivant laquelle une organisation syndicale est amenée à s'exprimer.
M. Nicolas About, président , a fait observer que les conditions de validité des accords collectifs vont progressivement changer de façon importante. Le système actuel prévoit qu'au niveau d'une entreprise, un accord entre en vigueur s'il est signé par au moins un syndicat représentatif et si un ou plusieurs autres syndicats ayant obtenu la majorité des suffrages aux dernières élections professionnelles ne s'y opposent pas. Le projet de loi propose, à partir du 1 er janvier 2009, qu'un accord soit désormais valable s'il est signé par un ou plusieurs syndicats représentatifs ayant obtenu au moins 30 % des suffrages aux dernières élections et s'il n'a pas fait l'objet d'une opposition par des syndicats représentatifs ayant obtenu la majorité des suffrages.
M. André Lardeux s'est demandé comment interpréter l'amendement adopté par l'Assemblée nationale ayant pour objet de porter le plafond du forfait de deux cent dix-huit à deux cent trente-cinq jours par an. Ces dispositions s'appliquent en cas d'accord collectif. Mais qu'en est-il en l'absence d'un tel accord ? Par ailleurs, quelles pourraient être les conséquences de ce nouveau plafond pour les salariés concernés ? Cela signifie-t-il que ceux-ci n'auront plus d'autre jour férié que le 1er mai ?
Dans le même souci, M. Alain Vasselle a souhaité savoir si un accord collectif prévoyant de porter ce plafond au-delà de deux cent trente-cinq jours peut amener à la disparition totale des jours de repos compensateur. Il s'est également demandé si les salariés devront formellement souscrire à ces dispositions ou seront obligés d'accepter de faire ces heures supplémentaires.
En ce qui concerne les dispositions du projet de loi ayant pour objet de donner une base légale à l'accord « UPA », il s'est interrogé sur l'idée consistant à donner une valeur législative à ce qui n'est aujourd'hui qu'une simple faculté. L'arrêt rendu par la Cour de cassation soulignant la régularité de cet accord n'est-il pas suffisant ? Pourquoi faut-il le rendre obligatoire ? Il a estimé, par ailleurs, que les ressources dont disposent les syndicats sont sans doute suffisantes pour financer le dialogue social.
M. Guy Fischer a observé que ce projet de loi se compose de deux parties nettement distinctes. En ce qui concerne les dispositions du titre Ier, il a pris acte du fait qu'il s'agit de reprendre la position commune négociée par les partenaires sociaux. Pour autant, la rédaction proposée est d'une nature à susciter certaines interrogations, voire à formuler des nuances. Sur le titre II, il s'est élevé contre la tentative de la majorité de se servir de la législation sur les trente-cinq heures comme d'un véritable bouc émissaire. Au total, le texte proposé constitue un recul considérable et l'on peut même se demander quels sont les véritables objectifs du Gouvernement. Il a douté qu'il s'agisse de créer des emplois ou d'améliorer la compétitivité de l'économie, dans la mesure où les indicateurs de productivité dans le secteur industriel français s'inscrivent au meilleur niveau européen.
Après avoir regretté que la présentation de ce projet de loi n'ait pas été accompagnée par une étude d'impact, il a vivement déploré que le Gouvernement ait décidé d'ajouter un ensemble de dispositions sur le temps de travail très éloignées des dispositions âprement négociées par les partenaires sociaux dans le cadre de la position commune. Cette démarche aboutirait à porter la durée maximum de travail à quarante-huit heures par semaine, à imposer, le cas échéant, dix-sept jours de travail supplémentaire aux salariés - un samedi sur trois - et à mettre fin au repos compensateur lorsque celui-ci subsiste encore. La porte est donc ouverte à tous les abus.
M. Guy Fischer a ensuite critiqué l'inversion de la hiérarchie des normes proposée par ce projet de loi. La pérennisation d'un tel système ne manquera pas de jouer contre les salariés. En ce qui concerne les modalités de fonctionnement de la démocratie sociale, il a regretté que les nouvelles règles du code du travail suppriment l'avis du comité d'entreprise et la consultation de l'inspecteur du travail. Au total, il s'agit d'une véritable lame de fond tendant à aboutir à une individualisation des rapports sociaux. Après avoir constaté que pas moins de soixante articles seront modifiés ou supprimés dans le code du travail, il a considéré qu'il s'agit en définitive d'un texte scélérat et que le rapport qui vient d'être présenté à la commission n'en rend compte qu'a minima.
Estimant à son tour inacceptables les dispositions de ce projet de loi, M. Jean-Pierre Godefroy a jugé singulier que le rapporteur ait choisi de s'appesantir sur les dispositions traitant de la représentativité plutôt que de s'étendre sur celles relatives à la durée du travail. Même la transposition de la position commune signée par les partenaires sociaux est de nature à susciter de grandes inquiétudes. On peut ainsi se demander si les nouvelles règles de représentativité syndicale - 10 % au niveau de l'entreprise et 8 % au niveau de la branche - n'aboutiront pas, dans la réalité, à restreindre l'émergence de nouveaux syndicats. Par comparaison, le seuil correspondant en matière d'élections politiques est de 5 % seulement.
Il a par ailleurs contesté le fait que l'introduction d'une référence nouvelle aux valeurs républicaines parmi les critères de représentativité des organisations syndicales puisse empêcher la création d'une structure proche du Front national. La perspective du développement de nombreux syndicats « maison » dans certaines entreprises ne saurait par ailleurs être écartée. Enfin, l'inversion de la hiérarchie des normes, tendant à donner une valeur supplétive aux accords de branche par rapport aux accords d'entreprise, ne manquera pas de provoquer de graves atteintes aux droits sociaux, notamment si la conjoncture économique s'améliore. La durée de travail deviendra ainsi un facteur de concurrence entre les entreprises, et les salariés seront soumis à un véritable chantage dans la mesure où ils seront quasiment obligés d'accepter des heures supplémentaires. Cette disposition semble d'ailleurs avoir fait l'objet d'un débat au sein même du Medef.
En ce qui concerne l'instauration d'un forfait jours, jusqu'ici limité au personnel d'encadrement, il s'est inquiété de la possibilité d'aller au-delà du seuil de deux cent trente cinq jours. Par ailleurs, l'extension du champ de cette disposition aux salariés autonomes conduit à s'interroger sur la définition de cette notion ainsi que sur l'autorité qui sera amenée à le faire. Certains salariés risquent ainsi de voir jusqu'à 417 heures supplémentaires ne plus être payées au cours d'une année donnée.
En définitive, toutes ces mesures risquent d'aboutir à des résultats contreproductifs, tant en ce qui concerne l'emploi des seniors que celui des jeunes salariés. Les entreprises disposent déjà de la faculté de recourir aux heures supplémentaires jusqu'à deux cent vingt heures par an et n'utilisent cette possibilité qu'à hauteur de cinquante-cinq heures en moyenne. Ce texte conduira finalement à faire travailler les salariés davantage pour gagner moins. Les dispositions du projet de loi s'inscrivent en totale contradiction avec les autres attributions de Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité : la diminution des heures de repos compensateur est de nature à nuire à la santé au travail ; l'inspiration du Gouvernement ne saurait se fonder sur le principe de solidarité ; l'extension des horaires de travail, le samedi par exemple, ne peut que nuire à la stabilité de la cellule familiale. Quel pourrait être l'intérêt, dans ces conditions, d'une majoration salariale s'il faut acquitter des frais supplémentaires pour garder les enfants ?
En ce qui concerne le remplacement du critère de représentativité syndicale fondé sur l'exigence d'une attitude patriotique pendant l'Occupation par celle du respect des valeurs républicaines, M. Jean-Claude Etienne n'a vu aucune contradiction entre ces deux rédactions : la seconde s'inscrit naturellement dans la continuité de la première mais ne la remplace pas.
M. Paul Blanc a fait valoir que la législation sur les trente-cinq heures a manifestement échoué et qu'aucun des pays voisins de la France n'a souhaité s'en inspirer. Puis il a demandé si les dispositions du projet de loi sur la durée du temps de travail concernent la fonction publique, notamment territoriale.
Mme Isabelle Debré a souhaité avoir des précisions sur les modalités de création et sur la composition du Haut Conseil du dialogue social.
M. Alain Gournac, rapporteur , a précisé que la création par l'Assemblée nationale d'un plafond de deux cent trente-cinq jours de travail par an, a pour mérite de créer une référence nationale en l'absence de laquelle le seuil européen de deux cent quatre-vingt-deux jours trouverait à s'appliquer. Il s'est refusé à modifier ce plafond qui, s'il est substantiel, inclut néanmoins cinq semaines de congés payés, le repos hebdomadaire et le respect des jours fériés.
En ce qui concerne le Haut Conseil du dialogue social, des mesures réglementaires interviendront prochainement pour définir sa composition.
M. Nicolas About, président , a précisé que le plafond de deux cent trente-cinq jours annuels ne s'applique qu'en cas d'absence d'accord collectif. Mais un tel accord peut prévoir un plafond inférieur ou supérieur à cette référence, sous réserve toutefois du respect du seuil communautaire de deux cent quatre-vingt-deux jours.
M. Alain Gournac, rapporteur , a souligné que les dispositions d'un tel accord collectif ne seront applicables qu'aux salariés qui l'acceptent. En ce qui concerne la contribution sur le dialogue social, il a rappelé l'opposition du Medef et de CGPME à la perspective d'un accroissement des contributions mises à la charge des employeurs.
Puis il a estimé que les nouvelles règles de représentativité syndicale seront de nature à faciliter l'émergence de nouveaux acteurs au sein du paysage social. Tous les syndicats indépendants, constitués depuis au moins deux ans et respectueux des valeurs républicaines, pourront participer au premier tour des élections professionnelles. Le système de la présomption irréfragable de représentativité sera donc abandonné.
Répondant aux observations formulées par Jean-Claude Etienne, il a rappelé que la commission des affaires sociales du Sénat avait choisi de maintenir la référence à l'attitude patriotique sous l'Occupation lors de l'examen de la loi ratifiant l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail : la décision qui avait été prise alors avait consisté à procéder à une recodification à droit constant, dans l'attente du projet de loi plus global aujourd'hui en discussion.
M. Nicolas About, président , a estimé légitime que le critère de représentativité fondé sur l'attitude patriotique pendant l'Occupation prenne désormais la forme du respect de la loi républicaine. Il s'agit d'ailleurs déjà de l'interprétation que font les tribunaux de ces dispositions et il va de soi que les syndicats nouvellement formés ne peuvent plus satisfaire à ce critère historique.
Après avoir exprimé son attachement viscéral à la notion même de travail, M. Alain Gournac, rapporteur , a indiqué qu'un sondage récent réalisé auprès des personnels d'encadrement fait ressortir un taux d'approbation de 52 % des dispositions du projet de loi. Plutôt que de promouvoir des réglementations contraignantes, il convient désormais, à son sens, d'accompagner le développement du travail dans la liberté.
En ce qui concerne le seuil de représentativité de 10 % dans les entreprises, il a rappelé qu'il est issu directement de la position commune signée par les partenaires sociaux.
En réponse aux craintes formulées par M. Jean-Pierre Godefroy au sujet de l'emploi des seniors, il a estimé qu'il convient de sortir de l'illusion que représente la notion de partage du travail.
Evoquant le cas d'une entreprise de son département disposant d'importants carnets de commande, M. Jean-Pierre Godefroy a considéré que les dispositions du texte en matière de temps de travail sont de nature à inciter les entreprises à développer les heures supplémentaires plutôt que de procéder à de nouvelles embauches.
M. Nicolas About, président , a fait observer que les circuits économiques sont par nature très complexes. Si des salariés tirent un revenu supplémentaire des heures supplémentaires, leur pouvoir d'achat accru suscitera un supplément de consommation, et donc la création d'emplois dans d'autres secteurs de l'économie.
En réponse à Louis Souvet, M. Alain Gournac, rapporteur , a souligné que la situation des représentants de la section syndicale, dont le projet de loi propose la création, ne sera pas identique à celle des délégués syndicaux : les premiers disposeront de quatre heures de délégation, les seconds de dix heures. Il a ensuite relativisé les craintes formulées par plusieurs intervenants au sujet des répercussions éventuelles de l'augmentation du plafond du forfait jours en ce qui concerne la santé des salariés, même s'il s'agit pour lui d'une question essentielle. Par ailleurs, il a estimé que les nouvelles règles de représentativité ne devraient pas aboutir à la création de davantage « de syndicats maison » que cela n'est le cas aujourd'hui.
M. Nicolas About, président , a fait valoir l'importance des nouvelles conditions de validité des accords collectifs. Le système actuel, dominé par le droit d'opposition, sera en effet remplacé par un mécanisme fondé sur la signature par un ou plusieurs syndicats représentatifs ayant obtenu au moins 30 % des suffrages. Cet accord ne devra toutefois pas avoir fait l'objet d'une opposition par des syndicats représentatifs ayant obtenu la majorité des suffrages, ce qui paraît légitime.
Mme Isabelle Debré a estimé que les dispositions de l'article 2 du projet de loi relatives au Haut Conseil du dialogue social restent très imprécises.
Après avoir rappelé que l'Assemblée nationale a prévu qu'un député et un sénateur figureront parmi les membres de cette institution, M. Alain Gournac, rapporteur, a estimé justifié que l'opposition y soit représentée. Cela le conduira à proposer un amendement prévoyant de doubler les effectifs des parlementaires dans cette enceinte.
La commission a ensuite procédé à l'examen des amendements présentés par le rapporteur.
La commission a adopté l'article 1 er (critères de représentativité syndicale) sans modification.
Après l'article 1 er , elle a adopté un article additionnel prévoyant l'organisation, avant le 30 juin 2010, d'une négociation nationale interprofessionnelle sur les critères de représentativité des organisations patronales.
A l'article 2 (règles de détermination de la représentativité des organisations syndicales aux différents niveaux de dialogue social), la commission a adopté six amendements, dont deux rédactionnels ; le troisième prévoit que la négociation nationale interprofessionnelle prévue en matière de représentation des salariés dans les petites entreprises doit aboutir au plus tard le 30 juin 2009 ; le quatrième propose d'élargir la composition du Haut Conseil du dialogue social ; le cinquième a pour objet d'ajouter un dispositif dérogatoire pour les journalistes professionnels et assimilés. Enfin, à la suite d'un débat auquel ont participé MM. Nicolas About, président, Alain Vasselle et Mme Catherine Procaccia , la commission a supprimé la présence de parlementaires au sein du Haut conseil du dialogue social.
A l'article 3 (modalités des élections professionnelles), outre un amendement rédactionnel, elle a adopté un amendement autorisant les salariés des sous-traitants mis à disposition dans une entreprise extérieure à choisir l'entreprise dans laquelle ils votent lors des élections professionnelles. A cette occasion, M. Louis Souvet s'est déclaré dubitatif sur un système qui autorise les salariés à être électeurs sans être éligibles.
La commission a adopté l'article 3 bis (modalités de préparation des élections au sein de l'entreprise) sans modification.
A l'article 4 (conditions de désignation des délégués syndicaux), elle a adopté quatre amendements. Le premier permet de désigner comme délégué syndical un salarié n'ayant pas obtenu plus de 10 % des voix à l'occasion des dernières élections professionnelles, lorsque plus aucun salarié présent dans l'entreprise ne remplit cette condition . M. Nicolas About, président , a souligné qu'il s'agit en l'occurrence de combler un vide juridique. Le deuxième amendement vise à corriger une erreur rédactionnelle. Le troisième permet, dans les entreprises de plus de deux mille salariés, de désigner comme délégué syndical central un salarié, même s'il n'a pas recueilli 10 % des voix aux élections professionnelles. Le quatrième prévoit que le représentant du syndicat au comité d'entreprise doit être choisi parmi les élus de ce syndicat au comité.
A l'article 5 (conditions de constitution des sections syndicales et création d'un représentant de la section syndicale), la commission a adopté quatre amendements. Le premier harmonise la rédaction du texte. Le deuxième vise à préciser les conditions de mise à disposition d'un local par l'employeur au profit des différentes sections syndicales dans les entreprises de mille salariés et plus. Le troisième est de nature rédactionnelle. Le quatrième a pour objet de préciser que la négociation avec un représentant de la section syndicale n'est pas possible dans les entreprises comprises dans le champ d'application des accords prévus par la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.
A l'article 5 bis (carrière syndicale, vie professionnelle et reconnaissance de l'expérience acquise des représentants du personnel), la commission a adopté un amendement reprenant le contenu de l' article 5 ter (validation des acquis de l'expérience des délégués syndicaux). Elle a, en conséquence, supprimé cet article 5 ter par coordination.
A l'article 6 (conditions de validité des accords collectifs de travail), la commission a adopté deux amendements. Le premier prévoit que la dénonciation d'un texte n'est valide que si elle émane d'une ou de plusieurs organisations syndicales ayant recueilli au moins 50 % des suffrages. Le second propose que la perte de la qualité d'organisation représentative de toutes les organisations syndicales signataires d'une convention ou d'un accord collectif n'entraîne pas la remise en cause de cette convention ou de cet accord.
La commission a adopté l'article 7 (négociation collective par les représentants élus du personnel et les salariés mandatés) sans modification.
A l'article 8 (ressources et moyens des organisations syndicales et professionnelles), elle a adopté un premier amendement visant à éviter qu'un accord collectif applicable localement puisse mettre en place une contribution destinée à financer le dialogue social, puis un second amendement tendant à préciser que cette contribution aura pour objet exclusif d'assurer le financement du dialogue social.
A l'article 9 (date limite de première mesure de l'audience au niveau des branches et au niveau national et interprofessionnel et règles transitoires de représentativité aux différents niveaux du dialogue social), elle a adopté quatre amendements. Le premier ouvre une période de quatre ans après la détermination des organisations représentatives dans la branche et maintient, pendant cette période, un mécanisme de présomption pour les organisations syndicales de salariés affiliées à des organisations représentatives au niveau national et interprofessionnel. Les deux suivants apportent une précision rédactionnelle. Le quatrième dispose qu'un syndicat issu de la fusion de syndicats, dont l'un au moins est représentatif, est lui-même représentatif.
La commission a adopté sans modification les articles 10 (règles transitoires en matière de validité des accords collectifs et entrée en vigueur des nouvelles règles) et 11 (règles transitoires en matière de désignation des délégués syndicaux et entrée en vigueur des nouvelles règles).
A l'article 12 (période transitoire pour la validité des accords conclus par les représentants élus du personnel ou les salariés mandatés), elle a adopté un amendement maintenant en vigueur les accords de branche ou professionnels conclus en matière de négociation collective en l'absence de délégué syndical.
La commission a adopté sans modification l'article 13 (conditions de dénonciation des accords collectifs).
A l'article 14 (entrée en vigueur de la procédure de certification et de publicité des comptes des organisations syndicales et professionnelles), à l'issue d'un débat auquel ont participé MM. Nicolas About, président, Alain Gournac, rapporteur, et Mme Catherine Procaccia , la commission a décidé de ne pas reporter de 2010 à 2011 la date d'entrée en vigueur de l'obligation de certification des comptes des syndicats au niveau confédéral, fédéral, régional et départemental. Elle a ensuite adopté cet article sans modification.
La commission a adopté l'article 15 (rapport du Gouvernement au Parlement - propositions du Haut Conseil du dialogue social au ministre chargé du travail) sans modification.
Après l'article 15 , un débat est intervenu sur un amendement portant article additionnel , tendant à prévoir que les critères actuels de représentativité syndicale restent en vigueur pour apprécier la représentativité des syndicats de fonctionnaires. M. Alain Gournac, rapporteur , a expliqué que le Gouvernement vient de conclure un accord avec les syndicats de fonctionnaires afin de réformer les règles de représentativité qui leur sont applicables. Dans l'attente de l'entrée en vigueur de cette réforme, il est souhaitable de conserver la référence à l'article L. 2121-1 du code du travail dans sa rédaction actuelle. Tel est précisément l'objet de l'amendement proposé. M. Alain Vasselle s'est interrogé sur l'opportunité de faire valoir, en ce domaine également, les spécificités de la fonction publique. Mme Catherine Procaccia a jugé qu'il appartient plutôt au Gouvernement de prendre l'initiative d'un amendement de ce type. M. Nicolas About, président , a fait valoir la nature technique de ces dispositions transitoires. M. Jean-Pierre Godefroy s'est prononcé en faveur de l'amendement du rapporteur, considérant qu'il s'agit d'une mesure de cohérence juridique. A l'issue de ce débat, la commission a choisi de ne pas retenir l'amendement.
Elle a adopté conforme l'article 15 bis (périodicité de la rémunération des congés de formation économique et sociale et de formation syndicale).
A l'article 16 (contingent annuel d'heures supplémentaires et repos compensateur de remplacement), la commission, outre un amendement rédactionnel, a adopté deux amendements : le premier opère une coordination à l'article L. 3121 24 du code du travail ; le deuxième maintient en vigueur jusqu'à fin 2009 les accords collectifs relatifs aux heures choisies.
A l'article 17 (conventions de forfait), la commission a adopté un amendement rédactionnel et un amendement proposant une nouvelle rédaction de la section du code du travail consacrée aux conventions de forfait.
A l'article 18 (dispositifs d'aménagement du temps de travail), elle a adopté trois amendements. Le premier a pour objet de préciser qu'un accord de modulation du temps de travail doit mentionner, lorsqu'il s'applique à des salariés à temps partiel, les modalités de communication et de modification de la répartition de leur durée et horaires de travail. Le deuxième prévoit que la rémunération des salariés peut être lissée si leur durée de travail varie, d'un mois sur l'autre, en application d'un accord de modulation du temps de travail. Le troisième modifie les dispositions relatives aux heures complémentaires pour tenir compte du fait que les salariés à temps partiel peuvent être couverts par un accord de modulation du temps de travail.
Après l'article 18 , elle a adopté deux amendements tendant à insérer deux articles additionnels , le premier opérant une coordination entre le code rural et le code du travail, le second ramenant d'un mois à dix jours la durée de travail minimale chez un même employeur requise pour ouvrir droit aux congés annuels.
A l'article 19 (adaptation des dispositions des lois du 8 février 2008 pour le pouvoir d'achat et du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat), la commission a adopté deux amendements de coordination et un amendement corrigeant une erreur de date.
A l'article 20 (coordination), la commission a adopté cinq amendements. Quatre sont des amendements de coordination, dont trois relatifs aux salariés à temps partiel. Le cinquième supprime les paragraphes XI à XI quater de l'article, relatifs à la mise en place du compte épargne-temps, considérant que ces dispositions trouvent plus naturellement leur place à l'article suivant.
A l'article 21 (utilisation du compte épargne-temps), elle a adopté un amendement proposant une nouvelle rédaction globale de l'article, afin d'y réintroduire les dispositions supprimées à l'article précédent, de supprimer la possibilité d'affecter des droits à formation dans le compte épargne-temps et de confirmer l'interdiction de la monétisation de la cinquième semaine de congés payés.
A l'article 22 (régime fiscal et social applicable en cas d'utilisation de droits accumulés sur le compte épargne-temps en vue de la retraite), la commission a adopté un amendement corrigeant trois erreurs rédactionnelles.
La commission a adopté l'article 23 (garantie et liquidation des droits accumulés sur le compte épargne-temps) sans modification.
La commission a ensuite adopté le texte ainsi modifié .