II. LE PROJET DE LOI PROROGEANT L'ETAT D'URGENCE
A. LE BILAN DE 19 JOURS DE VIOLENCES URBAINES ET DE 7 JOURS D'ETAT D'URGENCE
Depuis le 27 octobre dernier et les premiers affrontements entre forces de l'ordre et émeutiers à Clichy-sous-bois (Seine-Saint-Denis) à la suite du décès accidentel de deux adolescents, le bilan de ces violences urbaines ne cesse de s'alourdir.
Lorsque le Gouvernement a déclaré l'état d'urgence le 9 novembre 2005, les violences semblaient devoir s'amplifier et s'étendre à l'ensemble du territoire.
Dans la nuit du dimanche 6 novembre au lundi 7 novembre précédant l'intervention télévisée du premier ministre, M. Dominique de Villepin, annonçant le recours à la loi instituant un état d'urgence, 1 408 véhicules avaient été incendiés et 395 personnes interpellées. 36 policiers étaient blessés, notamment à la suite de tirs avec des armes à feu. Des églises, des entreprises, des services publics et des locaux de police avaient été également les cibles des incendiaires. En outre, pour la première fois depuis le début des violences, les incendies avaient été plus nombreux en province qu'en région parisienne.
Au total, depuis le 27 octobre, près de 6000 véhicules avaient été incendiés et plus de 300 communes touchées. Pour répondre à ces violences urbaines, 1500 réservistes de la police et de la gendarmerie nationales étaient appelés en renfort pour épauler les 8000 hommes déjà engagés sur le terrain.
Cette situation exceptionnelle par son ampleur et son intensité pouvait justifier la mise en oeuvre de la loi du 3 avril 1955 en raison « de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public ».
D'une part, l'état d'urgence offre des outils supplémentaires aux forces de l'ordre et à la justice. Ainsi, le non-respect du couvre-feu constitue un délit permettant l'interpellation et le placement en garde à vue. Les perquisitions de jour et de nuit, autorisées dans les seules zones fixées en annexe du décret n° 2005-1387 du 8 novembre 2005, peuvent faciliter la récupération d'armes ayant servi à tirer sur des policiers ou des gendarmes.
Certes, chaque maire peut prendre un arrêté municipal instituant un couvre-feu dans le cadre de ses pouvoirs de police générale. Mais leur non respect ne saurait être constitutif d'un délit.
D'autre part, l'état d'urgence doit faire prendre conscience de la gravité de la situation et du caractère inacceptable des violences commises. L'instauration du couvre-feu peut ainsi aider certains parents à réaffirmer leur autorité sur leurs enfants. Les interpellations ont prouvé que de nombreux émeutiers étaient de jeunes mineurs.
Le bien-fondé du recours à l'état d'urgence a été démontré à la fois par la décrue des violences depuis le 9 novembre et par la modération avec laquelle il a été fait usage de ces pouvoirs exceptionnels par les autorités administratives.
Ainsi, dans la nuit du lundi 14 novembre au mardi 15 novembre, 162 véhicules ont été incendiés contre 271 la veille ; 42 personnes ont été interpellées et un seul policier blessé. Bien que ce bilan reste inacceptable, une nette amélioration est perceptible, aussi bien en région parisienne qu'en province 4 ( * ) .
La déclaration de l'état d'urgence n'a pas été suivie d'une application généralisée et indifférenciée des pouvoirs exceptionnels dévolus temporairement aux autorités administratives. Ainsi, le 9 novembre, aucun préfet d'Ile-de-France n'avait décidé de faire usage du couvre-feu. A l'issue d'une semaine d'état d'urgence, l'état d'urgence a été mis en oeuvre dans environ quarante communes 5 ( * ) .
A titre d'exemple, l'article 2 de l'arrêté pris en application de la loi du 3 avril 1955 sur l'état d'urgence par le préfet de l'Eure impose un couvre-feu à l'ensemble des personnes dans le quartier de la Madeleine à Évreux. Cet arrêté est généralisé à toute la population mais ne s'applique qu'à une fraction de commune. Un autre arrêté pris par le préfet de la Seine-Maritime limite, en revanche, le couvre-feu aux seuls mineurs de moins de seize ans non accompagnés par une personne ayant autorité légale, mais cet arrêté fait porter cette interdiction sur l'ensemble du territoire des communes du Havre et des communautés d'agglomération de Rouen et d'Elbeuf et des boucles de la Seine. Ces deux exemples d'arrêtés préfectoraux témoignent d'une utilisation circonstanciée et raisonnable des interdictions générales. On peut y voir le signe d'un souci de restreindre au maximum, au regard des risques de troubles à l'ordre public, les dispositions dérogatoires au droit commun.
De la même façon, il n'a été fait usage qu'à deux reprises de la faculté de procéder à des perquisitions à domicile de jour et de nuit.
Parmi les autres applications qui ont pu être faites de l'état d'urgence, on citera l'arrêté du préfet du Rhône interdisant dimanche 13 novembre dans le centre-ville de Lyon tout rassemblement susceptible de troubler l'ordre public. Cette décision faisait suite à des affrontements la veille dans ce secteur.
Conséquence directe ou non de l'état d'urgence, cette décrue de la violence est en tout cas concomitante. L'état d'urgence l'a accompagnée et a renforcé l'efficacité de l'action des forces de l'ordre sans entraîner une escalade de la violence.
A cet égard, il convient de saluer le sang-froid et la remarquable maîtrise dont ont su faire preuve jusqu'à présent les forces de police et de gendarmerie dans des conditions très dangereuses. Cela illustre autant que le respect formel des textes la force de notre Etat de droit et la capacité de notre démocratie à maîtriser le recours à la force.
* 4 A cette date après dix-neuf jours de violences urbaines, le bilan s'établit ainsi : près de 2800 interpellations, 375 personnes condamnées à de la prison ferme et plus de 8000 véhicules brûlés.
* 5 Au cours des débats à l'Assemblée nationale, le ministre de l'intérieur a indiqué que les maires étaient toujours consultés par le préfet avant toute décision établissant un couvre-feu sur le territoire de leur commune.