B. UN EFFORT DE SIMPLIFICATION ET DE CODIFICATION À POURSUIVRE
1. La montée en puissance de la simplification
Le présent projet de loi de simplification du droit, qui comportait initialement soixante-et-un articles, en compte soixante-cinq après son examen par l'Assemblée nationale, soit deux fois plus que le projet de loi de 2003, et prévoit près de deux cents mesures de simplification . Il s'agit par conséquent d'une véritable montée en puissance de la simplification du droit, qui s'étend désormais aux règles concernant l'urbanisme, le logement, les régimes sociaux agricoles, le sport ou encore le droit de la consommation.
Lors du premier comité d'évaluation des stratégies ministérielles de réforme (SMR), le 14 septembre 2004, son président, M. Francis Mer, a estimé qu'« une très longue marche » restait « à accomplir » en matière de réforme de l'Etat. Si les propositions de réforme examinées à cette occasion concernaient souvent des mesures de rationalisation à l'origine d'économies importantes pour le budget de l'Etat, comme le transfert au secteur concurrentiel du contrôle technique des véhicules poids lourds du ministère des finances, d'autres appellent des mesures législatives ou réglementaires, comme la dématérialisation complète, à terme, du journal officiel.
La réforme de l'Etat embrasse un champ aussi large que celui de l'action administrative , qui touche aujourd'hui la plupart des aspects de la vie courante.
Le projet de loi qui vous est soumis, succédant à la première loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit adoptée l'année dernière, inscrit donc la simplification du droit dans la continuité et en fait un axe essentiel de la réforme de l'Etat. Les améliorations qui devraient en résulter tant pour l'usager et le contribuable que pour le fonctionnaire, seront d'autant plus sensibles que son champ est large. Approfondissant la démarche pragmatique de la première loi, le présent texte comporte à la fois des mesures de simplification de portée générale et des mesures de simplification sectorielles. Le caractère éclectique du projet de loi n'est ainsi que le reflet de la variété des complexités qu'il entend réduire. La continuité, c'est-à-dire la poursuite et l'approfondissement de la réforme dans le temps ainsi que l'universalité des domaines visés apparaissent en effet comme les deux conditions d'une simplification du droit efficace.
Les enjeux de cet approfondissement et de cet élargissement sont la sécurité juridique, l'intelligibilité de notre droit et l'égalité devant la loi. Si, comme l'a résumé le doyen Vedel 5 ( * ) « l'Etat de droit n'est finalement que la dose de juridique que la société peut supporter sans étouffer », le projet de loi de simplification du droit devrait permettre à notre société de mieux respirer. L'amélioration du régime d'accès aux documents administratifs établi en 1978 (article 1 er ) et le développement de l'administration électronique (article 3) seront ainsi, par exemple, de nature à renforcer l'Etat de droit en facilitant les échanges entre l'administration et les usagers, citoyens ou entreprises.
2. La confirmation d'une méthode : l'habilitation
Avec ce deuxième projet de loi, le Gouvernement confirme le recours aux ordonnances de l'article 38 de la Constitution comme instrument privilégié de la simplification du droit. Si ce texte comporte davantage de mesures d'application directe que le précédent, l'essentiel des mesures présentées procèdera en effet d'une habilitation législative. Cette nouvelle utilisation, d'une ampleur inédite , de l'article 38 de la Constitution peut s'appuyer sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la première loi.
a) Le recours aux ordonnances sous la Vème République
A la différence de la Constitution de 1848, des lois constitutionnelles de 1875 et de la Constitution de 1946, la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit explicitement, en son article 38, que « le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». Elle consacre ainsi une pratique acceptée par le Parlement sous les Républiques antérieures, en dehors de tout cadre constitutionnel, notamment avec les décret-lois de la IIIème République, la loi Marie du 17 août 1948 et la loi sur les pouvoirs spéciaux sous la IVème République.
Les ordonnances de l'article 38 procèdent d'une dissociation entre l'organe d'édiction et le domaine dans lequel il intervient : elles sont prises par le Gouvernement mais leur contenu est législatif. La loi d'habilitation doit fixer deux délais : d'une part celui pendant lequel le Gouvernement peut prendre des ordonnances , d'autre part celui avant l'expiration duquel doit être déposé un projet de loi de ratification de ces ordonnances . Celles-ci entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation.
Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat. Elles n'ont, après leur publication et jusqu'à leur ratification, qu'une valeur réglementaire et restent susceptibles de recours devant le juge administratif.
Aux termes de l'article 41 de la Constitution, le Parlement peut se voir opposer par le Gouvernement l'irrecevabilité à l'encontre d'une proposition ou d'un amendement qui serait « contraire à une délégation accordée en vertu de l'article 38 ». A contrario, une loi adoptée avant l'expiration du délai d'habilitation peut modifier et ratifier tacitement les dispositions d'une ordonnance, dès lors que le Gouvernement n'a pas opposé l'irrecevabilité 6 ( * ) .
De même, à l'issue du délai pendant lequel le Gouvernement est habilité à prendre des ordonnances, le Parlement peut amender le contenu des ordonnances, soit au moment de l'examen du projet de loi de ratification, soit de sa propre initiative.
Dans le cas d'une ratification implicite, à l'occasion d'une loi dont ce n'est pas l'objet, le Conseil constitutionnel vérifie « si la loi comporte effectivement ratification de tout ou partie des dispositions de l'ordonnance en cause et, dans l'affirmative, si les dispositions auxquelles la ratification confère valeur législative sont conformes à la Constitution » 7 ( * ) .
Depuis 1995, certains gouvernements ont eu recours aux ordonnances pour mettre en oeuvre des aspects de leur programme au contenu politique très sensible : les privatisations en 1986, le découpage électoral la même année, la réforme de la sécurité sociale en 1995. Si le présent projet de loi comporte avant tout des habilitations relatives à des mesures techniques, son champ et sa forme doivent respecter le cadre progressivement défini par la jurisprudence.
b) Une méthode dont la jurisprudence a confirmé la souplesse
Il ressort de la jurisprudence constitutionnelle que l'article 38 de la Constitution n'exclut de la délégation que les domaines réservés par la Constitution aux lois organiques, aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale 8 ( * ) . Aussi étendu soit-il, le champ des matières traitées dans le présent projet de loi paraît respecter le cadre matériel ainsi défini.
S'agissant des motifs qui peuvent conduire le Gouvernement à recourir aux ordonnances, le Conseil constitutionnel a estimé, dans sa décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003 sur la loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, que « l'urgence est au nombre des justifications que le Gouvernement peut invoquer pour recourir à l'article 38 de la Constitution » 9 ( * ) . Le juge constitutionnel a de plus considéré que la simplification du droit et la codification répondent à « l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi » a fortiori lorsqu'elles ne pouvaient être réalisées « dans des délais raisonnables » compte tenu de « l'encombrement de l'ordre du jour parlementaire ».
Si le Gouvernement doit indiquer avec précision au Parlement la finalité des mesures qu'il souhaite prendre par ordonnances et leur domaine d'intervention, comme l'a estimé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 76-72 DC du 12 janvier 1977, il n'est pas tenu de faire connaître au Parlement la teneur des ordonnances qu'il prendra 10 ( * ) . Il peut même « faire dépendre cette teneur des résultats de travaux et d'études dont il ne connaîtra que plus tard les conclusions ». 11 ( * )
Le juge constitutionnel contrôle par conséquent avec souplesse les lois d'habilitation. Il vérifie en particulier qu'elles ne comportent aucune disposition pouvant autoriser le Gouvernement à s'écarter des règles et principes de valeur constitutionnelle (Décision Privatisations , 26 juin 1986). La loi d'habilitation apparaît ainsi comme une forme de dépossession temporaire et consentie de la compétence parlementaire, susceptible d'intervenir dans toutes les matières législatives autres qu'organiques et financières.
A cet égard, le présent projet de loi paraît élargir encore le champ de l'habilitation à simplifier le droit, l'étendue de certaines propositions de modification justifiant un examen approfondi de votre commission.
Toutefois, si la diversité des matières législatives concernées semble sans précédent , le projet comporte davantage de mesures d'application directe que la première loi d'habilitation à simplifier le droit du 2 juillet 2003.
c) L'hybridation de la méthode : le recours à des mesures d'application directe
Dès son dépôt à l'Assemblée nationale, le 17 mars 2004, le projet de loi comportait des mesures d'application directe. Le recours à l'ordonnance, aussi pertinent soit-il pour mener à bien le travail de simplification et de clarification de notre droit, ne doit ne doit en effet être choisi que lorsqu'il permet d'agir de manière plus efficiente sans priver de son rôle en amont (habilitation) et en aval (ratification).
Certaines mesures d'ordre technique, ou des réformes qui ne requièrent la modification que d'un seul texte, seraient au contraire retardées par une habilitation. L'application directe présente l'avantage d'une mise en oeuvre plus rapide et d'un examen sur le fond en séance publique.
Il en va ainsi dans le présent projet de loi de la création de groupements d'intérêt public pour favoriser l'utilisation des technologies de l'information (article 3, II), de la clarification de l'exercice des compétences pour l'organisation des élections régionales (article 10), de l'accroissement de la durée de validité des passeports délivrés à titre exceptionnel et pour un motif d'urgence (article 18), ou de la révision du taux de compétence en dernier ressort des conseils de prud'hommes (article 40).
* 5 Actes du colloque des 11 et 12 octobre 1993 « L'Etat de droit au quotidien », p. 65.
* 6 Décision n° 86-524-DC du 23 janvier 1987.
* 7 Idem.
* 8 Décisions n° 81-134 DC du 5 janvier 1982 et 99-421 DC du 16 décembre 1999.
* 9 Confirmation de la jurisprudence du 16 décembre 1999.
* 10 Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999.
* 11 Décision n° 86-207 DC du 26 juin 1986, Privatisations.