ARTICLE ADDITIONNEL APRES L'ARTICLE 9
Création d'un
prélèvement libératoire unique en cas de rapatriement des
avoirs détenus à l'étranger sur lesquels les impôts,
droits et taxes exigibles en France n'ont pas été
perçus
Commentaire : le présent article additionnel tend
à
créer un prélèvement libératoire unique du
1
er
janvier 2004 au 31 décembre 2004 pour les avoirs
placés à l'étranger n'ayant pas fait l'objet d'une
déclaration obligatoire auprès de l'administration et sur
lesquels les impôts, droits et taxes exigibles en France n'ont pas
été perçus.
I. LE CONTEXTE ACTUEL
Selon les éléments communiqués à votre rapporteur
général par le ministère de l'économie, des
finances et de l'industrie, et présentés dans son rapport sur les
prélèvements obligatoires 2004, plus de 11 milliards d'euros
détenus par des redevables à l'impôt de solidarité
sur la fortune ont été délocalisés au cours des
cinq dernières années
. Ces capitaux ont été
délocalisés légalement : leur propriétaire a
satisfait aux obligations déclaratives lui incombant et à
« l'exit tax » sur les plus-values latentes auquel est
assujetti un redevable en vertu de l'article 167
bis
du code
général des impôts
75(
*
)
lorsqu'il transfère son
domicile fiscal hors de France.
Des capitaux sont par ailleurs délocalisés sans avoir fait
l'objet d'une déclaration obligatoire auprès de l'administration
et sans avoir subi les impôts, droits et taxes exigibles en France.
Certains capitaux qui restent en France pour lesquels leur propriétaire
n'acquitte pas l'impôt sont dans une situation similaire. Le volume de
ces capitaux est par définition inconnu. Les pays européens qui
se sont intéressés à cette problématique ont
néanmoins cité des chiffres très importants :
1.000 milliards d'euros détenus par des contribuables allemands
seraient placés dans des places financières
étrangères.
L'évasion fiscale, qui est dans ce cas constitutive de fraude, est
encouragée par deux éléments :
- une fiscalité mal ressentie, surtout en matière de
taxation du patrimoine ;
- l'absence d'harmonisation fiscale européenne que votre rapporteur
général analyse dans son rapport sur les
prélèvements obligatoires et leur évolution
76(
*
)
.
Face à une telle évasion de capitaux, deux attitudes sont
possibles : ne rien faire ou
inciter les capitaux
délocalisés illégalement à rentrer, s'investir dans
l'économie nationale et à acquitter les impôts, droits et
taxes auxquels ils seraient normalement assujettis.
Contrairement aux capitaux délocalisés légalement, qui
n'attendent qu'un cadre fiscal plus favorable pour s'investir de nouveau en
France, le rapatriement des capitaux délocalisés de
manière irrégulière exige un traitement fiscal
adapté, en général par la mise en place, de manière
temporaire, d'un prélèvement libératoire à un taux
significatif, mais non dissuasif.
Une telle mesure est par définition exceptionnelle. Elle ne
répond pas aux mêmes objectifs que les mesures d'amnistie
pénale prises, en vertu d'une tradition républicaine
établie, lors de l'entrée en fonction d'un nouveau
Président de la République, qui s'assimilent à un grand
pardon collectif.
Comme l'indique le projet de loi instaurant une déclaration
libératoire unique déposé le 28 octobre 2003 devant la
Chambre des représentants de Belgique, «
la
déclaration libératoire unique ne constitue pas une mesure
d'amnistie fiscale. Il s'agit d'une mesure réparatrice pour le
Trésor
».
Cette phrase doit s'entendre ainsi : une déclaration
libératoire unique obéit à un but très pragmatique,
celui de recouvrer davantage de recettes fiscales. Elle procède d'un
intérêt bien compris entre les détenteurs de capitaux qui
sortent d'une situation délicate, non sans frais, mais à moindres
frais, et la collectivité nationale qui bénéficie ainsi
sur le plan économique du retour de capitaux expatriés.
En France, de tels dispositifs ont évidemment des
précédents. Sans remonter au plan d'Antoine Pinay au moment de
l'arrivée du nouveau franc, deux mesures d'incitation au rapatriement de
capitaux ont été prises au cours des 25 dernières
années, l'une par un gouvernement de gauche, l'autre par un gouvernement
de droite.
Les précédents en matière d'incitation au rapatriement des capitaux 77( * )
Date |
Gouvernement |
Ministre des finances |
Modalités |
Exclusion des avoirs ayant fait l'objet de procédures administratives ou judiciaires avant rapatriement |
Loi du 2 février 1948 |
R. Schuman |
R. Mayer |
Le rapatriement des avoirs est assorti d'une taxe de 25 % jusqu'au 30 juin 1948, majorée de 1 % ensuite |
oui |
Loi de finances pour 1952 (14 avril 1952) |
A. Pinay |
A. Pinay |
Possibilité de rapatrier sans paiement d'aucune taxe, jusqu'au 1 er janvier 1952 |
oui |
Ordonnance du 24 juin 1958 |
C. de Gaulle |
A. Pinay |
Possibilité de rapatrier sans paiement d'aucune taxe, durant un délai fixé par décret |
oui |
Loi de finances pour 1982 |
P. Mauroy |
J. Delors |
Possibilité de rapatrier les avoirs avec paiement d'une
taxe
de 25 %.
|
Oui |
Loi de finances rectificative pour 1986 |
J. Chirac |
E. Balladur |
Possibilité de rapatrier les avoirs détenus à l'étranger avec paiement d'une taxe spéciale de 10 %. |
oui |
Depuis
bientôt 18 ans, aucune mesure d'incitation au rapatriement des capitaux
n'a été prise. Les pays européens voisins ont pris
conscience de l'opportunité d'une telle mesure. Les
précédents français et les expériences
étrangères permettent de déterminer les conditions de
réussite d'un dispositif de rapatriement des capitaux investis à
l'étranger.
A. LES PRÉCÉDENTS RÉCENTS
L'article 101 de la
loi de finances pour 1982
prévoyait que les
résidents français détenteurs d'avoirs irréguliers
à l'étranger pouvaient les rapatrier en acquittant une taxe
forfaitaire égale à 25 % du montant de ces sommes, à
condition que leur situation ne soit pas en cours de contrôle par les
services des douanes.
La taxe était alors libératoire de tout redressement fiscal et de
pénalité portant sur ces avoirs. Le rapatriement des biens
meubles devait être effectué avant le 1
er
mars 1982.
L'article laissait jusqu'au 31 mai 1982 pour vendre les immeubles
irrégulièrement acquis à l'étranger.
Cette taxe a engendré un produit de 22,87 millions d'euros
(150 millions de francs) pour un montant de 91,47 millions d'euros
(600 millions de francs) rapatriés.
L'article 11 de la
loi de finances rectificative pour 1986
du
31 décembre 1986 disposait que les avoirs
irrégulièrement détenus à l'étranger
rapatriés en France avant le 1
er
février 1987 seraient
considérés comme étant en situation
régulière au regard de la réglementation des changes et ne
pourraient faire l'objet d'aucune réclamation au titre des impôts,
droits et taxes dont le fait générateur était
antérieur à la date d'entrée en vigueur de la loi. La
contre-valeur de ces avoirs était soumise de manière anonyme
à une taxe spéciale de 10 %.
Notre collègue Maurice Blin, alors rapporteur général,
écrivait à ce sujet dans son rapport
78(
*
)
sur le projet de loi de finances
rectificative pour 1986 : «
plus importante encore pour
l'avenir nous paraît l'amnistie douanière et fiscale qui devrait
permettre le rapatriement des avoirs détenus à l'étranger.
L'objectif est clair : créer les conditions techniques qui
permettront de régulariser la situation fiscale et douanière de
ceux qui souhaitent rapatrier leurs capitaux, pourvu qu'aucune enquête ni
vérification ne soit engagée contre eux
».
Cette taxe a engendré un produit de 240 millions d'euros
(1,6 milliard de francs) pour un montant de 2,43 milliards
d'euros (15,93 milliards de francs) rapatriés.
B. LES EXPÉRIENCES ÉTRANGÈRES
La loi du 23 novembre 2001, dont la durée d'application a
été prolongée par la loi du 27 décembre 2002 et la
loi du 1
er
août 2003, a mis en place en Italie un
« bouclier fiscal » (
scudo fiscale
) permettant aux
capitaux illégalement investis à l'étranger d'être
rapatriés en échange d'une « amende
libératoire » de 2,5 %. Selon le gouvernement italien,
54 milliards d'euros, soit 4 % du PIB italien, auraient
été rapatriés en Italie et le produit de l'amende
libératoire s'élèverait à 1,3 milliard d'euros.
En Belgique, le projet de loi instaurant une déclaration
libératoire unique, déposé devant la Chambre des
représentants, prévoit une régularisation des capitaux
investis à l'étranger faisant l'objet d'une déclaration
fiscale et contre le versement d'une contribution unique correspondant à
9 % des sommes déclarées. Toutefois, le taux de cette
contribution serait ramené à 6 % lorsque les sommes
déclarées seraient « investies », pour une
période d'au moins trois ans, selon des modalités qui doivent
encore être définies.
La Belgique estime pouvoir bénéficier de 700 millions
d'euros de recettes fiscales supplémentaires grâce à son
projet de déclaration libératoire unique.
C. LES CONDITIONS D'UN RAPATRIEMENT DE CAPITAUX RÉUSSI
Les expériences étrangères comme les
précédents réalisées en France montrent que le taux
du prélèvement libératoire a un effet direct sur le
succès de la mesure. Le taux de 25 % retenu par la loi de finances
de 1982 était manifestement trop important pour convaincre les
détenteurs d'avoirs placés à l'étranger de les
rapatrier, d'autant que le contexte fiscal était à
l'époque particulièrement défavorable. A l'inverse, le
taux symbolique retenu en Italie est à l'origine d'un afflux de capitaux.
Une telle mesure n'intervient pas indépendamment du cadre fiscal
général. Elle ne doit être prise qu'à partir du
moment où les conditions sont de nouveau créées pour que
les capitaux restent investis sur le territoire et ne soient pas tentés
par une nouvelle évasion fiscale.
Elle est par définition temporaire : le délai durant lequel
elle intervient doit être suffisamment court pour éviter les
effets d'aubaine. Les contribuables qui déclarent leurs capitaux doivent
donc avoir confiance dans la mesure : elle doit leur garantir
l'anonymat ; elle doit les libérer de toute poursuite
ultérieure éventuelle.
Enfin, l'article 56 du Traité de Rome qui met en oeuvre la libre
circulation des capitaux entre les Etats membres de l'Union européenne
restreint les possibilités d'incitation au rapatriement de
capitaux : celle-ci ne doit pas être considérée comme
une « restriction aux mouvements de capitaux ».
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ PAR VOTRE COMMISSION DES FINANCES
Pour amorcer le débat sur l'opportunité d'une incitation au
rapatriement des capitaux en France, votre rapporteur général
vous propose le dispositif suivant.
Les résidents français qui disposeraient d'avoirs n'ayant pas
fait l'objet d'une déclaration obligatoire au titre du code
général des impôt ou du code général des
douanes, sur lesquels les impôts, droits et taxes exigibles en France
n'auraient pas été perçus, et placés auprès
d'un établissement ou d'une société de bourse
étrangers sur un compte ouvert à leur nom ou dont ils sont le
bénéficiaire effectif, pourraient rapatrier ces avoirs jusqu'au
30 décembre 2004 en contrepartie du paiement, auprès du
comptable du trésor, sur présentation des pièces
justificatives du transfert établies par un intermédiaire
agréé, dans les trente jours suivant le rapatriement, d'un
prélèvement libératoire du paiement de tous impôts,
droits et taxes, pénalités et intérêts de retard
dont le fait générateur serait antérieur à la date
d'entrée en vigueur de la loi.
Le taux du prélèvement libératoire unique serait
fixé à 10 %. Le taux du prélèvement
libératoire unique serait réduit à 7,5 % pour les
avoirs réinvestis en numéraire au capital de PME non
cotées durant une durée minimale de cinq ans. Il serait
réduit à 5 % pour les avoirs mis à la disposition
d'une association ou d'une fondation reconnue d'utilité publique durant
une durée minimale de cinq ans.
Les pièces justificatives et les écritures correspondantes de
l'intermédiaire agréé seraient couvertes par l'anonymat.
Le bénéfice de cette opération serait
réservé aux résidents français à l'encontre
desquels aucune procédure administrative ou judiciaire n'a
été engagée avant le 30 juin 2003.
Ne pourraient bénéficier de la disposition les avoirs
résultant des infractions de contrefaçon et de blanchiment tel
que définis par le code monétaire et financier et le code de la
propriété intellectuelle.
Ce dispositif, pragmatique, serait de nature à procurer au budget de
l'Etat un surplus de recettes qui pourrait atteindre plusieurs centaines de
millions d'euros. Le sujet ne peut donc être tabou. Il ne peut se
comprendre que dans le cadre de la politique menée par le présent
gouvernement en matière de prélèvements obligatoires,
assurément plus respectueuse des réalités
économiques que son prédécesseur.
Décision de la commission : votre commission vous demande d'adopter cet
article additionnel.