ARTICLE 8
Revalorisation du barème de l'usufruit et extension
aux mutations à titre
onéreux
Commentaire : le présent article vise à
actualiser le barème de l'usufruit et de la nue-propriété
pour les mutations à titre gratuit et étend ce barème aux
mutations à titre onéreux. Il limite les réductions de
droits sur les donations en nue-propriété.
I. LE DROIT EXISTANT
Le droit de propriété d'un bien se caractérise par
l'addition, d'une part, du droit de jouir du bien, lui-même
constitué par le droit d'usage (
usus
) et du droit de recevoir les
revenus (
fructus
) et d'autre part, du droit de disposer du bien
(
abusus
). Le démembrement du droit de propriété
consiste à attribuer le droit de jouissance du bien à une
personne, l'usufruitier, et le droit d'en disposer à une autre, le
nu-propriétaire. Le démembrement résulte tantôt
d'une cession à titre onéreux (le propriétaire cède
l'usufruit à un tiers), tantôt d'une transmission à titre
gratuit à la suite d'une donation ou d'une succession.
La distinction est souvent utilisée pour préparer une succession
dans la mesure où, lors de la donation d'un bien avec réserve
d'usufruit, l'assiette des droits de succession, acquittés au moment de
la donation, est réduite à la valeur de la
nue-propriété.
Les biens démembrés peuvent tout aussi bien être des
valeurs mobilières qu'immobilières.
A. UN BARÈME DE L'USUFRUIT QUI DATE DE 1901
L'utilisation du démembrement du droit de propriété dans
ses stratégies patrimoniales nécessite une évaluation
précise des droits démembrés. Cette évaluation peut
être réalisée de manière forfaitaire, à
l'aide d'un barème qui détermine la valeur respective de
l'usufruit et de la nue-propriété en fonction de l'âge de
l'usufruitier et du rendement des biens détenus en usufruit.
L'article 762 du code général des impôts,
créé par l'article 13 de la loi du 25 février 1901 portant
fixation du budget général des dépenses et des recettes de
l'exercice 1901 et jamais modifié depuis, définit un
barème fondé sur les tables d'espérance de vie de
1898-1903 et évalue le taux d'actualisation des biens détenus en
usufruit à 1,5 %, alors qu'actuellement le taux retenu
habituellement est de 3 %.
Barème de l'usufruit de l'actuel article 762 du code
général des impôts
Age de l'usufruitier |
Valeur de l'usufruit |
Valeur de la nue-propriété |
Moins
de :
|
70 %
|
30 %
|
Les
hypothèses d'espérance de vie qui sous-tendent ce barème
datent de la fin du XIX
e
siècle : 46 ans pour
les hommes ; 49 ans pour les femmes.
En cas d'usufruit à durée fixe, celui-ci est évalué
forfaitairement, à deux dixièmes de la valeur de la
pleine-propriété par période de dix ans sans égard
à l'âge de l'usufruitier. Selon les analyses actuarielles, cette
règle correspond à taux d'actualisation de 2,3 %.
B. LE CAS PARTICULIER DES MUTATIONS À TITRE ONÉREUX
Le barème de l'article 762 du code général des
impôts ne s'applique pas aux mutations démembrées
réalisées à titre onéreux (vente, apport).
Pour ces opérations, conformément à l'article 669 du code
général des impôts qui considère que la valeur de la
nue-propriété et de l'usufruit «
est
déterminée par le prix exprimé, en y ajoutant les charges
en capital
», les professionnels calculent une valeur
économique de l'usufruit, qui diffère fréquemment de
l'évaluation des services fiscaux. Ceux-ci en effet, en vertu de
l'article 17 du livre des procédures fiscales, peuvent
«
rectifier le prix ou l'évaluation d'un bien ayant servi
de base à la perception d'une évaluation lorsque ce prix ou cette
évaluation paraît inférieur à la valeur
vénale réelle des biens transmis
».
La situation actuelle est facteur de contentieux et renchérit les
coûts de conseil juridique. La responsabilité des
professionnels peut d'ailleurs être mise en cause à cette occasion.
C. LES RÉDUCTIONS DE DROIT SOUS CONDITION D'ÂGE
L'article 790 du code général des impôts dispose que,
après application des abattements et des droits de mutation, les
donations bénéficient d'une réduction de droit
supplémentaires de 50 % lorsque le donateur est âgé de
moins de soixante-cinq ans et de 30 % lorsque le donateur a soixante-cinq
ans révolus et moins de soixante-quinze ans.
Ce dispositif constitue une incitation à la transmission
anticipée de patrimoine qui vient compléter les
possibilités offertes en cas de donations démembrées.
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ PAR LE PRÉSENT ARTICLE
Votre rapporteur général a proposé à de multiples
reprises l'actualisation du barème au cours des débats sur les
projets de loi de finances de la précédente législature. A
l'occasion du débat de l'un de ces amendements, le secrétaire
d'État au budget
62(
*
)
avait reconnu en 1999 qu'il était «
légitime de
s'interroger sur l'adéquation de ce barème instauré au
début de ce siècle au regard de deux évidences : le
rendement des actifs patrimoniaux a changé et l'allongement de la
durée de vie humaine a modifié les tables de
mortalité : nous gagnons un trimestre d'espérance de vie par
an. Les données ne sont donc plus ce qu'elles étaient en 1903, et
c'est la raison pour laquelle je suis favorable à engager une
réflexion de fond afin d'examiner dans leur globalité les
difficultés que pose l'application de l'article 762 du code
général des impôts
».
Dans son rapport d'information sur les successions et donations de
décembre 2002
63(
*
)
,
votre rapporteur général estimait qu'il convenait de
«
régler un problème objectif qui perturbe les
transmissions tant des entreprises que des patrimoines non
professionnels
».
La surestimation artificielle de l'assiette des droits de mutation à
titre gratuit (en l'occurrence la nue-propriété) entraîne
une sur-imposition des transmissions de patrimoine avec réserve
d'usufruit par rapport à la valeur économique du bien transmis.
Il en est de même de l'usufruit à durée fixe, mais la
sur-estimation de la nue-propriété par rapport à sa valeur
économique est toutefois moins significative.
A. UN BARÈME ACTUALISÉ ET COMMUN AUX MUTATIONS À
TITRE GRATUIT ET ONÉREUX
Le barème proposé par le présent article est issu des
réflexions d'un spécialiste d'évaluation des biens
viagers, M. Daubry. Il est fondé sur la table de mortalité
de l'INSEE de 1996/1998 et repose sur l'hypothèse d'un taux
d'actualisation de 3 % qui constitue l'hypothèse médiane
généralement retenue par les économistes. Il va ainsi dans
le sens d'une plus grande neutralité fiscale en matière de
donations et de successions en rapprochant la valeur légale de
l'usufruit de sa valeur économique. Son évolution est
linéaire par tranches de dix ans.
Nouveau barème de l'usufruit
Age de l'usufruitier |
Valeur |
|
USUFRUIT |
NUE-PROPRIÉTÉ |
|
moins
de :
|
|
|
Le
présent article propose également l'unification de la valeur de
l'usufruit, qu'il soit transmis à titre gratuit ou à titre
onéreux. Cette mesure de simplification, qui est rendue possible par
l'application d'un barème conforme aux réalités
économiques, évitera à l'avenir les différends avec
les services des impôts.
L'actualisation du barème représente un coût annuel de
135 millions d'euros.
B. LA LIMITATION DE L'AVANTAGE PROCURÉ PAR UNE TRANSMISSION
ANTICIPÉE DE PATRIMOINE POUR LES DONATIONS
DÉMEMBRÉES
Le présent article propose une nouvelle rédaction de l'article
790 du code général des impôts qui distingue, pour les
transmissions anticipées de patrimoine avant soixante-quinze ans, les
donations en pleine propriété des donations
démembrées.
Les donations en pleine propriété bénéficieraient
toujours de la réduction de droit supplémentaires de 50 %
lorsque le donateur est âgé de moins de soixante-cinq ans et de 30
% lorsque le donateur a soixante-cinq ans révolus et moins de
soixante-quinze ans.
En revanche, les donations démembrées verraient leurs
réductions de droits ramenées à 35 % lorsque le
donateur est âgé de moins de soixante-cinq ans et à
10 % lorsque le donateur a soixante-cinq ans révolus et moins de
soixante-quinze ans.
Cette diminution des avantages consentis aux donations
démembrées, conforme à la politique du gouvernement de
favoriser les donations en pleine-propriété qui, seules
correspondent à un véritable dessaisissement de
propriété et à une réelle transmission de
patrimoine, permet de réduire le coût global de la réforme
de 35 millions d'euros. Compte-tenu de la modernisation du barème de
l'usufruit, elle n'a pas pour effet d'augmenter la pression fiscale sur les
donations démembrées.
Le coût net de la réforme s'établirait à 100
millions d'euros.
III. LES MODIFICATIONS INTRODUITES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
L'Assemblée nationale a adopté, sur l'initiative de notre
collègue député Gilles Carrez, rapporteur
général du budget, avec l'avis favorable du gouvernement, un
amendement de précision qui rend applicable la disposition de l'article
790 du code général des impôts modifié (limitation
des réductions de droits pour les donations en
nue-propriété) aux donations consenties avec réserve du
droit d'usage, ou d'habilitation.
IV. LA POSITION VOTRE COMMISSION DES FINANCES
A. LA RÉVISION DU BARÈME
Dans son rapport précité sur les droits de mutation, votre
rapporteur général avait déjà proposé un
nouveau barème de l'usufruit. Ce barème variait par tranches de
cinq ans, contre des tranches de dix ans dans le dispositif
proposé. En proposant des tranches de cinq ans, ce barème
avait le mérite de fixer de manière plus fine les valeurs.
Selon les analyses de la direction de la prévision du ministère
de l'économie, des finances et de l'industrie, le taux d'actualisation
implicite sur lequel repose ce barème est de 2,6 %,
légèrement en deçà des hypothèses
médianes habituellement retenues par les économistes. Le taux est
donc légèrement moins favorable que celui proposé dans le
présent article.
Votre rapporteur général en prend acte
et salue l'actualisation d'un barème intouché durant plus de cent
ans, dans une matière où les données démographiques
sont pourtant primordiales.
Le
barème de l'usufruit proposé par le rapport d'information
de
la commission des finances sur les droits de mutation
Age de l'usufruitier |
Valeur |
|
USUFRUIT |
NUE-PROPRIÉTÉ |
|
moins de 25 ans |
80 |
20 |
de 25 ans à moins de 30 |
75 |
25 |
de 30 ans à moins de 35 |
70 |
30 |
de 35 ans à moins de 40 |
65 |
35 |
de 40 ans à moins de 45 |
60 |
40 |
de 45 ans à moins de 50 |
55 |
45 |
de 50 ans à moins de 55 |
50 |
50 |
de 55 ans à moins de 60 |
45 |
55 |
de 60 ans à moins de 65 |
40 |
60 |
de 65 ans à moins de 70 |
35 |
65 |
de 70 ans à moins de 75 |
30 |
70 |
de 75 ans à moins de 80 |
25 |
75 |
de 80 ans à moins de 85 |
20 |
80 |
de 85 ans à moins de 90 |
15 |
85 |
de 90 ans à moins de 95 |
10 |
90 |
plus de 95 ans révolus |
5 |
95 |
Source : « Successions et donations :
des
mutations nécessaires ; rapport d'information n° 65,
Sénat (2002-2003)
B. LA LIMITATION DE L'AVANTAGE PROCURÉ PAR UNE TRANSMISSION
ANTICIPÉE DE PATRIMOINE POUR LES DONATIONS
DÉMEMBRÉES
Votre rapporteur général a par ailleurs étudié les
conséquences résultant, pour les donations en
nue-propriété, de la limitation de la réduction de droits
pour les biens transmis avant l'âge de soixante-quinze ans
. Dans son
rapport d'information précité, il écrivait que
«
le régime fiscal propre au démembrement doit
être maintenu. Il n'est ainsi pas question de revenir sur la non-taxation
de la réunion de l'usufruit à la nue-propriété. En
revanche, il parait effectivement légitime de donner des avantages plus
importants aux donations portant sur l'ensemble des droits de
propriété attachés aux biens
».
Par ailleurs, dans sa décision n° 2003-477 sur le projet de
loi pour l'initiative économique, le Conseil constitutionnel a
conforté cette analyse : sur l'article 43 relatif à la
transmission d'entreprise qui étend aux seules donations en
pleine-propriété le dispositif d'exonération de 50 % des
droits qui existe en matière des droits de succession (dispositif
Gattaz-Migaud), il rejette les arguments des députés
requérants sur le fondement de plusieurs critères, dont le fait
que le législateur «
a subordonné l'extension aux
donations de l'avantage fiscal prévu en cas de succession à une
transmission en pleine propriété des actions ou des biens de
l'entreprise
».
Il constate surtout que les contribuables concernés ne seront pas
lésés.
Age du
donateur = 59 ans
Taux effectif d'imposition (en %)
Valeur en pleine propriété du bien transmis |
Situation actuelle |
Situation nouvelle |
|
Pleine
propriété = réduction d'impôt
|
Nue propriété = 762 + réduction d'impôt 50 % |
Nue propriété = |
|
Barème Daubry + réduction d'impôt 35 % |
|||
50.000 |
8.30 |
5.30 |
4.29 |
100.000 |
9.15 |
6.15 |
5.40 |
500.000 |
9.83 |
6.83 |
6.28 |
1.000.000 |
12.69 |
7.82 |
6.39 |
5.000.000 |
18.19 |
12.19 |
10.64 |
15.000.000 |
19.40 |
13.40 |
12.21 |
Age du
donateur = 64 ans
Taux effectif d'imposition (en %)
Valeur en pleine propriété du bien transmis |
Situation actuelle |
Situation nouvelle |
|
Pleine
propriété = réduction d'impôt
|
Nue propriété = 762 + réduction d'impôt 50 % |
Nue propriété = |
|
Barème Daubry + réduction d'impôt 35 % |
|||
50.000 |
8.30 |
6.30 |
5.59 |
100.000 |
9.15 |
7.15 |
6.70 |
500.000 |
9.83 |
7.83 |
7.58 |
1.000.000 |
12.69 |
9.32 |
8.21 |
5.000.000 |
18.19 |
14.19 |
13.24 |
15.000.000 |
19.40 |
15.40 |
14.81 |
Age du
donateur = 69 ans
Taux effectif d'imposition (en %)
Valeur en pleine propriété du bien transmis |
Situation actuelle |
Situation nouvelle |
|
Pleine
propriété = réduction d'impôt
|
Nue propriété = 762 + réduction d'impôt 30 % |
Nue
propriété =
|
|
50.000 |
11.62 |
8.82 |
7.74 |
100.000 |
12.81 |
10.01 |
9.27 |
500.000 |
13.76 |
10.96 |
10.49 |
1.000.000 |
17.77 |
13.04 |
11.37 |
5.000.000 |
25.46 |
19.86 |
18.34 |
15.000.000 |
27.15 |
21.55 |
20.51 |
Age du
donateur = 74 ans
Taux effectif d'imposition (en %)
Valeur en pleine propriété du bien transmis |
Situation actuelle |
Situation nouvelle |
|
Pleine
propriété = réduction d'impôt
|
Nue propriété = 762 + réduction d'impôt 30 % |
Nue
propriété =
|
|
50.000 |
11.62 |
10.22 |
9.54 |
100.000 |
12.81 |
11.41 |
11.07 |
500.000 |
13.76 |
12.36 |
12.29 |
1.000.000 |
17.77 |
15.32 |
14.07 |
5.000.000 |
25.46 |
22.66 |
21.94 |
15.000.000 |
27.15 |
24.35 |
24.11 |
Dans
tous les cas, la situation nouvelle créée par le présent
article sera plus favorable que la situation actuelle pour les donations
démembrées
. Les droits acquittés en cas de donation en
nue-propriété restent sensiblement inférieurs à
ceux acquittés pour une donation en pleine-propriété.
C. LES CONSÉQUENCES DE LA RÉFORME POUR LE CONJOINT
SURVIVANT
En revanche, votre rapporteur général soulignait dans son rapport
d'information précité que la mesure augmentait le patrimoine
taxable des conjoints survivants et envisageait de doubler en
conséquence l'abattement consenti au conjoint survivant. Pour les
patrimoines les plus importants, l'impact peut en effet être sensible.
Incidence sur la taxation du conjoint survivant qui, en présence d'enfants, a opté pour la totalité de la succession en usufruit (nouveau barème) 64( * )
(en euros )
Patrimoine commun du couple |
506.600 |
900.000 |
1.520.000 |
2.000.0000 |
Législation actuelle : montant de l'impôt acquitté |
Néant |
Néant |
Seuil de taxation |
2.470 |
Présent article : montant de l'impôt acquitté |
Seuil de taxation |
9.170 |
27.700 |
42.170 |
Il
paraît donc impossible de réaliser la réforme du
barème de l'usufruit sans prendre en considération les
difficultés aujourd'hui rencontrées par le conjoint
survivant.
Pour initier le mouvement d'une revalorisation franche des
abattements consentis en matière de succession, avant une
révision profonde des barèmes
, plus soucieuse des
perspectives économiques liées au vieillissement de la population
et qui seule serait susceptible de limiter réellement l'incidence de la
réforme de l'usufruit sur les conjoints survivants dont le patrimoine
est le plus élevé, votre rapporteur général vous
propose un
amendement
ajoutant au présent article un nouveau
paragraphe, modifiant l'article 779 du code général des
impôts et
portant l'abattement du conjoint survivant de 76.000 euros
à 100.000 euros
65(
*
)
.
Le coût de cette mesure
est inférieur à 80 millions d'euros.
Décision de la commission : votre commission vous propose
d'adopter cet article ainsi modifié.