ARTICLE 6
Mesures fiscales en faveur des jeunes entreprises innovantes
réalisant des projets de recherche et
développement
Commentaire : le présent article accorde, sous
conditions, des exonérations fiscales au titre de différents
impôts (impôts sur les sociétés et sur les
plus-values de cessions de valeurs mobilières, impôts locaux), aux
jeunes entreprises innovantes qui mènent des projets de recherche et
développement et à ceux qui ont souscrit, directement ou
indirectement, à leur capital.
I. UN DISPOSITIF COMPLEXE
Lors de l'examen du présent article par la commission des finances de
l'Assemblée nationale, notre collègue député
François Goulard, a estimé que le dispositif proposé par
le présent article était «
d'une rare
complexité
». Le rapporteur général du
budget, notre collègue député Gilles Carrez, a
déclaré partager cette appréciation.
Tous deux ont regretté qu'un système plus simple et plus lisible
n'ait pas été mis en place.
De fait, quatre nouveaux articles sont introduits dans le code
général des impôts et un autre se trouve
complété. D'innombrables articles dudit code sont visés
par ces nouvelles dispositions. Des modifications sont également
apportées au code de la sécurité sociale et au livre des
procédures fiscales.
Une telle complexité résulte :
- de l'étendue du champ des exonérations, qui ne saurait
être regrettée ;
- de la volonté d'empêcher qu'elles puissent être
cumulées avec d'autres mesures fiscales, fort nombreuses, de soutien
à des PME existantes ou créées (par exemple en Corse, ou
dans des zones sensibles rurales ou des zones franches urbaines, etc.) ;
- enfin, et surtout, du souci d'éviter toute évasion fiscale par
la filialisation ou l'externalisation d'activités liées à
l'innovation et à la recherche, mais déjà lucratives,
d'entreprises ou de groupes de dimensions importantes.
A. DES EXONÉRATIONS NOMBREUSES
Le champ des exonérations accordées par le présent article
englobe :
- les impôts directs nationaux sur les revenus (y compris les plus
values de cession de parts ou actions d'entreprises) ou sur les
sociétés (en y incluant l'imposition forfaitaire annuelle
prévue par l'article 223
septies
du code général
des impôts) ;
- les impôts locaux (taxe foncière sur les
propriétés bâties et taxe professionnelle), sur
délibération des collectivités concernées ou des
établissements publics de coopération intercommunale (EPCI)
dotés d'une fiscalité propre.
1. Les exonérations d'impôts nationaux
a) En ce qui concerne l'imposition des revenus ou des
sociétés
Une jeune entreprise innovante (JEI), au sens défini par le
présent article et aux conditions qu'il fixe (voir plus loin), peut
bénéficier d'une
exonération totale d'impôt sur
le revenu ou sur les sociétés
au titre de ses trois premiers
exercices ou périodes d'imposition bénéficiaires (la
durée totale de ces exonérations - les périodes
bénéficiaires pouvant ne pas être consécutives- ne
saurait excéder trente-six mois).
En outre, il est prévu que l'imposition de la même entreprise
puisse être réduite de moitié au titre des deux exercices,
non nécessairement successifs, ou périodes d'imposition
bénéficiaires suivant les trois années
d'exonération totale susvisées, pour une durée maximum de
vingt-quatre mois (à condition qu'elle continue à satisfaire aux
critères exigés).
L'exonération prévue semble donc, à première
vue, large et généreuse
dans la mesure où elle est
totale ou significative (réduction de moitié) et
s'échelonne, dans le temps, d'une façon qui tient compte des
difficultés de la JEI à réaliser durablement des
bénéfices au cours de ses premières années
d'existence.
Toutefois, pour en bénéficier, la JEI doit nécessairement
avoir été créée
depuis moins de huit ans,
s'agissant de l'exonération totale, durée pendant laquelle il est
peu probable qu'elle connaisse trois exercices
bénéficiaires ; au-delà, il faut qu'elle continue
à satisfaire à toutes les autres conditions exigées
(d'effectifs, de chiffre d'affaires ou de résultat du bilan) pour
prétendre bénéficier, durant un seul exercice, de
l'abattement de 50 % prévu.
Au total, compte tenu de ces contraintes chronologiques, le dispositif est
donc beaucoup moins favorable qu'il n'y paraît
.
Cependant, les JEI concernées sont par ailleurs exemptées, en
vertu des dispositions d'un nouvel article 223
nonies
A,
inséré dans le code général des impôts, de
l'imposition forfaitaire annuelle
, prévue par
l'article 223
septies
du même code (selon le chiffre
d'affaires, majoré des produits financiers, cette contribution varie
entre 750 et 30.000 euros).
b) S'agissant des plus values
S'agissant du régime
d'imposition des plus values de cession de
valeurs mobilières et de droits sociaux,
les exonérations
d'impôt sur le revenu, prévues par le III de l'article 150-0-A en
ce qui concerne certains fonds communs de placement ou les
sociétés de capital risque, sont étendues aux
détenteurs de parts ou actions des JEI considérées, sous
des conditions spécifiques (conservation des titres pendant au moins
trois ans, participation se situant en-dessous de 25 %...).
Les délais accordés dans ce domaine sont moins restreints que
ceux évoqués précédemment puisque
l'intéressé peut encore opter pendant cinq ans pour le
régime de faveur en question, lorsque l'entreprise ne remplit plus les
conditions requises pour continuer à être considérée
comme une JEI au sens du présent article.
2. Les exonérations d'impôts locaux
Sur délibération expresse
49(
*
)
, les collectivités
territoriales et les établissements publics de coopération
intercommunale dotés d'une fiscalité propre ont la
faculté, pour une durée de sept ans, d'accorder aux JEI
concernés, selon les échéanciers propres à la
fiscalité locale, des exonérations :
- de taxe foncière sur les propriétés bâties ;
- de taxe professionnelle.
B. DES FAVEURS SOUMISES À CERTAINES CONDITIONS
1. Des avantages réservés à des PME indépendantes
dont l'effort de recherche est significatif
Le dispositif du présent article vise des petites et moyennes
entreprises, indépendantes, dont l'effort de recherche et
développement est significatif.
a) Les entreprises exonérées doivent être petites ou
moyennes ...
Pour pouvoir bénéficier des avantages fiscaux prévus par
le présent article, la jeune entreprise innovante (JEI) doit, tout
d'abord, être une petite ou moyenne entreprise, au sens où
l'entend la Commission européenne
50(
*
)
, c'est-à-dire :
- employer moins de 250 personnes (effectifs appréciés
par référence au nombre moyen de salariés au cours de
l'exercice considéré) ;
- réaliser un chiffre d'affaires annuel inférieur à
40 millions d'euros ou présenter un bilan d'un total de moins de
27 millions d'euros.
b) ... indépendantes
Il est exigé que le capital des entreprises visées par le
présent article (et par le nouvel article 44
sexies
-0A qu'il
introduit dans le code général des impôts) soit
détenu dans une proportion d'au moins 75 % par :
- des personnes physiques ;
- ou une autre PME elle aussi contrôlée, dans la même
proportion, par ce type de personnes ;
- ou par diverses structures de financement de capital risque
51(
*
)
ou d'innovation, sans qu'aucune ne
détienne la majorité du capital social de la
société cible ou n'y exerce, en fait, le pouvoir de
décision (absence de lien de dépendance au sein de
l'article 39 du code général des impôts).
L'objectif de ces restrictions relatives à la composition du capital
des entreprises visées paraît être d'empêcher toute
tentative d'évasion fiscale de grands groupes
qui filialiseraient
certaines de leurs activités, déjà
bénéficiaires, orientées vers la recherche et
développement, de façon à profiter des exonérations
prévues par le présent article.
Ce risque, toutefois, ne doit pas être exagéré
car
une grande entreprise a peu d'intérêt, dans la plupart des cas,
à perdre le contrôle des activités
considérées (tout lien de dépendance étant exclu,
on l'a vu, par la règle des 75 %, entre la JEI et une
société importante).
De toute façon, la création de la nouvelle entreprise ne doit pas
résulter d'une restructuration ni d'une reprise ou d'une extension
d'activités préexistantes.
c)... orientées vers la recherche
L'un des critères permettant de définir une jeune entreprise
innovante
52(
*
)
est la part de
ses charges totales (au moins 15 %) que doivent représenter ses
propres dépenses de recherche
53(
*
)
.
Ces dernières doivent rentrer dans les catégories
éligibles au crédit d'impôt recherche,
énumérées par les alinéas
a
à
e
de l'article 244
quater
B du code général des
impôts.
Les dépenses de veille technologique ou liées à
l'élaboration de nouvelles collections du secteur
textile-habillement-cuir, visées par les alinéas
g
à
i
de l'article précité, ne sont donc pas prises
en compte.
Les dépenses retenues sont effectuées, soit directement par
l'entreprise (amortissement d'équipements, y compris la
réalisation de prototypes ; dépenses de personnel et de
fonctionnement), soit, pour son compte, par des organismes de recherche
privés ou publics ou des universités. S'y ajoutent des
opérations de prises, de maintenance ou d'acquisition de brevets.
2. Les contraintes de temps
La plupart des conditions de durée auxquelles sont soumises les
exonérations accordées ont été
évoquées plus haut :
- la JEI doit avoir été créée depuis moins de
huit ans ;
- les périodes bénéficiaires totales, non
consécutives d'exonérations ne peuvent excéder :
• trente-six mois pour l'exonération totale durant les huit ans
précités ;
• vingt-quatre mois pour l'abattement de 50 %, avec la
possibilité d'en bénéficier, au-delà
des 8 ans, si toutes les conditions requises, sauf celle de la
durée d'existence, pour bénéficier d'un statut de JEI,
continuent d'être réunies par ailleurs.
Les dispositions de l'article s'appliquent :
- à compter du 1
er
janvier 2004, et jusqu'au
31 décembre 2013, s'agissant des impôts sur les revenus et
les sociétés, et de l'imposition forfaitaire annuelle ;
- à compte de la même date, mais jusqu'à cinq ans
après que la société ne soit plus une JEI, concernant les
plus-values de cession de ses titres.
Pour les impôts locaux, la situation est plus complexe.
S'agissant de la taxe foncière sur les propriétés
bâties, il est fait ainsi référence aux
délais
54(
*
)
prévus par l'article 1467 A du code général des
impôts relatif à la détermination des bases de taxe
professionnelle. L'exonération s'applique pour une durée de 7
ans, s'agissant d'immeubles appartenant à une société,
soit déjà existante, créée depuis moins de 8 ans au
1
er
janvier de l'année d'imposition, soit créée
entre le 1
er
janvier 2004 et le 31 décembre 2013.
Le III du présent article précise que l'entreprise
exonérée de taxe professionnelle doit avoir été
créée, comme c'est le cas pour la taxe foncière, soit
depuis moins de huit ans avant le 1
er
janvier 2004, soit entre
cette date et le 31 décembre 2013.
Les contribuables intéressés par cet avantage doivent demander
à en bénéficier dans les délais prévus par
l'article 1477 du code général des impôts,
c'est-à-dire avant le 1
er
mai pour une entreprise existante,
ou avant le 1
er
janvier de l'année suivant sa
création, pour une entreprise nouvelle.
Pour bénéficier, dès 2004, de l'exonération de taxe
professionnelle instaurée, les contribuables doivent en faire la demande
au plus tard le 15 février 2004.
Les délibérations correspondantes des collectivités
territoriales ou des établissements publics de coopération
intercommunale auront, de leur côté, été prises
avant le 31 janvier 2004.
Enfin, le V du présent article complète l'article 280 B du livre
des procédures fiscales, en précisant qu'aucun redressement
d'imposition antérieures ne pourra être effectué sur la
base d'une erreur éventuelle, si l'administration n'a pas
répondu, dans un délai de 6 mois, ( rescrit fiscal),
à une question posée par un contribuable de bonne foi, au sujet
de la qualification de JEI de son entreprise, à partir d'une
présentation précise et complète de la situation de
celle-ci.
3. Des montants plafonnés
A l'exception des exonérations d'imposition des plus-values, qui ne
concernent pas les entreprises elles-mêmes, mais les détenteurs de
leur capital, les autres avantages prévus par le présent article
sont accordés «
dans les limites prévues par le
règlement (CE) n° 69/2001 de la commission du 12 janvier 2001
concernant l'application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides
de minimis
»
qu'il s'agisse de fiscalité nationale
ou locale.
L'objet du règlement précité du 12 janvier 2001 est de
définir un plafond en dessous duquel les aides publiques
accordées aux entreprises dans un Etat membre n'ont pas besoin
d'être notifiées à la Commission européenne.
Une entreprise est ainsi considérée comme aidée
de
minimis
si le total des aides dont elle bénéficie, quels que
soient leur forme et leur objectif, ne dépasse pas, en montants bruts,
avant impôts directs, 100.000 euros sur trois ans.
L'Etat membre est, au regard du droit communautaire, comptable des aides
versées par toutes les autres collectivités publiques, notamment
locales. Mais le contrôle du caractère
de minimis
du total
des aides ne peut être effectué qu'en collaboration avec
l'entreprise bénéficiaire.
4. Les autres limites du champ des exonérations
En dehors des conditions liées au statut des JEI visées
(durée d'existence, nature des activités, etc...) ou à
l'application du droit communautaire (aides
de minimis
), le
présent article prévoit d'autres limitations du champ des
exonérations qu'il instaure.
C'est ainsi que restent imposables, dans les conditions de droit commun :
- les dividendes sur les parts détenues dans les
sociétés soumises à l'impôt sur les
sociétés ou imposées à l'impôt sur le
revenu
55(
*
)
;
- les produits sans contrepartie commerciale (subventions,
libéralités, abandons de créances détenues sur la
jeune entreprise innovante) ;
- la part de créances recouvrées et des produits financiers
qui excèdent le montant des frais engagés de même nature,
au titre de l'exercice ou de la période d'imposition
considérée.
Par ailleurs, les plus values, exonérées, de cessions de titres
de JEI visées par le présent article, sont assujetties aux
prélèvements sociaux (CSG et CRDS), comme tous les produits
patrimoniaux, s'agissant de personnes fiscalement domiciliées en France.
Celles-ci sont obligatoirement mentionnées dans la déclaration de
revenus du contribuable et incluses dans le revenu fiscal de
référence tel qu'il est défini par l'article 1417 du code
général des impôts (afin de permettre le calcul des taxes
foncières et d'habitation et de déterminer, hypothèse peu
plausible en l'occurrence, le droit à certains avantages sociaux :
prime pour l'emploi, allocations diverses...).
5. Des avantages non cumulables
Le dispositif prévu, analysé ci avant, se superpose à des
régimes dérogatoires concernant les PME dont le Conseil des
impôts a dénoncé le nombre excessif dans son récent
XXI
è
rapport.
Ces différents avantages ne doivent pas pouvoir être
cumulés.
Ce sont les dispositions prises à cet effet, en plus des restrictions
relatives à la composition du capital des sociétés
visées et à la durée des avantages accordés, qui
expliquent, principalement, la complexité et la difficile
lisibilité du présent article.
Les JEI concernées doivent exercer une option irrévocable
entre le droit aux nouvelles exonérations d'impôts sur le revenu
ou sur les sociétés, de taxes foncières sur les
propriétés bâties ou de taxe professionnelle, qui sont ici
proposées, et d'autres avantages, prévus par d'autres
régimes particuliers, auxquels elles pourraient également
prétendre.
Ces régimes particuliers sont mentionnés ci-après, en ce
qui concerne les exonérations temporaires d'impôt sur le revenu ou
sur les sociétés (dont les modalités ne peuvent être
détaillées ici) tendant à favoriser la création
d'entreprises dans certaines zones.
Articles du code général des impôts |
Exonérations temporaires d'impôt sur le revenu
ou
d'impôt
|
44 sexies |
Zones de
revitalisation rurale, d'aménagement du territoire, de redynamisation
urbaine
|
44 octies |
Zones franches urbaines |
44 decies |
Corse |
244 quater E |
Corse (crédits d'impôt pour certains investissements) |
Dans les
mêmes zones, ainsi que dans d'autres (zones urbaines sensibles), ou sur
tout le territoire et sans date butoir (reprise d'entreprise industrielle en
difficulté visée par l'article 44
septies
du code
général des impôts) peuvent être, par ailleurs,
consenties des exonérations d'impôts locaux (foncier bâti ou
taxe professionnelle).
De nombreuses d'entre elles sont compensées par l'Etat et
accordées sauf délibération contraire (pour ce qui
concerne les immeubles en zone franche urbaine compris dans les bases de la
taxe professionnelle, l'investissement en Corse, les créations,
reconversion et reprises d'activités dans les zones de redynamisation
urbaine ou les zones franches urbaines).
Ce n'est pas le cas de celles prévues par le présent article
octroyées sur délibération des collectivités ou
établissements intéressés, sans compensation de l'Etat.
Par la possibilité d'être attribuées sur tout le
territoire, les exonérations accordées par le présent
article aux JEI ayant des activités de recherche seront pour elles, plus
intéressantes que celles de la plupart des autres régimes
dérogatoires, de durée, en outre, souvent beaucoup plus
brève (2 à 5 ans) et correspondant à d'autres objectifs
(par exemple les reprises d'activités dont elles ne doivent pas
être issues...).
II. UN DISPOSITIF TRÈS ENCADRÉ
A. UN RÉGIME ATTRACTIF
Le dispositif proposé par le présent article possède de
nombreux atouts pour séduire des créateurs d'entreprises et les
investisseurs privés disposés à les aider
financièrement, dans le domaine, très important pour
l'amélioration de la situation de l'emploi, des activités
innovantes et de recherche.
1. Une large prise en compte de l'effort de recherche
L'effort de recherche exigé d'une jeune entreprise pour être
qualifiée d'innovante et pouvoir bénéficier des
exonérations prévues par le présent article est à
la fois :
- pertinent dans sa proportion (15 % des charges totales
engagées par l'entreprise pour la réalisation de ses propres
projets) ;
- large en ce qui concerne les investissements pris en
considération puisque ce sont les mêmes que pour le crédit
d'impôt recherche dont le mécanisme se trouve renforcé par
l'article 62 du projet de loi de finances pour 2004 ; à
l'exclusion des dépenses de veille technologique (qui ne sont pas
indispensables à une PME réactive et très
spécialisée) et de celles exposées par des entreprises du
secteur textile-habillement-cuir pour l'élaboration de nouvelles
collections (qui relève plutôt de la création artistique).
La prise en compte des dépenses relatives aux brevets (prix,
maintenance, défense, acquisition) paraît, notamment, une mesure
très positive, étant donné le retard de la France en la
matière.
2. Un éventail d'exonérations ouvert
L'éventail des exonérations prévu est, on l'a vu,
très ouvert puisque ces avantages peuvent concerner à la
fois :
- l'entreprise, au titre, à la fois, des impôts nationaux sur
le revenu et les sociétés, et locaux (taxe professionnelle et sur
le foncier bâti) ;
- les détenteurs de parts ou actions de la société
concernée (plus-values de cessions) qui peuvent être
56(
*
)
des structures de capital risque ou
des
Business Angels
(SUIR).
3. Des taux généreux
Les taux des exonérations d'impôts sur le revenu et les
sociétés semblent particulièrement généreux
puisqu'ils atteignent 100 % pendant les trois premiers exercices
bénéficiaires non consécutifs et 50 % durant les deux
suivants (dans les limites toutefois des aides communautaires
de minimis
déjà évoquées).
L'exonération est également totale pour les plus-values de
cessions de parts ou actions de JEI souscrites à compter du
1
er
janvier 2004 et gardées pendant 3 ans à
condition que la société conserve ce statut pendant la même
période et qu'il ne s'agisse pas d'une participation dépassant
25 % des droits.
Si la société a cessé d'être une JEI au sens du
présent article, la plus-value peut ne pas être imposée
pendant les cinq années qui suivent, sur option de
l'intéressé.
4. Le droit au crédit d'impôt recherche
L'une des largesses du nouveau dispositif réside dans la
possibilité offerte aux jeunes entreprises innovantes de cumuler les
avantages liés à leur statut avec ceux du crédit
d'impôt recherche, renforcés par l'article 62 du
présent projet de loi de finances.
Considéré comme une mesure fiscale générale et non
pas comme une aide de l'Etat, ce crédit, qui s'impute sur l'impôt
sur le revenu dû par le contribuable au titre de l'année de
réalisation des dépenses éligibles, n'est pas soumis
à la limitation communautaire
de minimis
.
Le plafond en est ainsi, actuellement, de 6.100.000 euros et doit en
être porté à 8.000.000 euros en 2004.
Mais il faut naturellement, pour bénéficier d'un tel
crédit, être assujetti à l'impôt correspondant et
dégager des résultats qui soient imposables, ce qui ne serait pas
le cas à l'issue des exercices déficitaires de la JEI ni de ses
trois premiers exercices bénéficiaires où elle se
trouverait exonérée de toute imposition de ses revenus ou de ses
bénéfices.
Une fois encore, les dispositions du présent article (qui font
exception, au non cumul, prévu par ailleurs, avec d'autres avantages
fiscaux) risquent de se révéler moins favorables dans la pratique
que sur le plan théorique.
Au total, le régime prévu par cet article serait donc assez
attractif et efficace, s'il n'était pas très encadré en ce
qui concerne les conditions de durée d'existence et de détention
du capital des entreprises visées.
B. DES CONDITIONS D'ÉLIGIBILITÉ STRICTES
1. Une durée trop courte d'existence
Comme l'ont fait valoir à votre rapporteur général le
conseil stratégique de l'innovation (CSI) et les associations croissance
plus et France Biotech (qui regroupe la majorité des entreprises
françaises de biotechnologie et de leurs partenaires), il faut, dans de
nombreux domaines
57(
*
)
, de dix
à vingt ans pour qu'une entreprise innovante nouvellement
créée devienne viable.
Une étude, très intéressante, réalisée par
des économistes des universités Paris I (Pierre Kopp) et Paris
XII (Rémy Prud'homme) a analysé l'impact de divers
allégements de charges d'impôts et de charges sociales sur des
jeunes entreprises innovantes de moins de 18 ans (voir encadré).
Il en résulte :
- tout d'abord, que le coût pour l'Etat des divers
allégements fiscaux envisagés (5 millions d'euros, en 2004,
pour l'ensemble du dispositif du présent article) est minime en
comparaison de celui des compensations de charges sociales (25 millions
d'euros ont été inscrits, à ce titre, pour 2004, à
un nouveau chapitre du budget de l'industrie) ;
- ensuite, que sept ans après le début d'application des
mesures, leur impact budgétaire total serait encore
légèrement négatif (- 2 millions d'euros).
Cependant, s'agissant des charges sociales, l'effet de l'élargissement
de l'assiette (+ 60 % d'emplois créés par rapport
à un scénario sans allégement) commence à
l'emporter sur la baisse du taux de prélèvement (- 50 %
pendant 10 ans).
En 2020, 500 entreprises et 15.000 emplois auraient été
créés grâce aux allégements dégressifs
consentis : le supplément de cotisations sociales perçu est
bien supérieur au coût des avantages fiscaux qui subsistent et les
finances publiques sont, au total, largement bénéficiaires
(+ 1,170 milliard d'euros).
Résumé des principaux résultats
d'une
étude sur les effets d'allégements fiscaux pour
JEM 18
(jeunes entreprises de moins de 18 ans)
L'étude a été réalisée
à
partir de données fournies par l'ANVAR (agence nationale de valorisation
de la recherche). Ne sont prises en considération que les entreprises
qui survivent au moins 18 ans.
Les résultats de deux scénarios sont comparés, avec (A) et
sans (S) allégements fiscaux.
Les allégements fiscaux envisagés sont les suivants :
- charges sociales (- 50 % les dix premières
années, - 30 % les 8 suivantes) ;
- imposition des bénéfices (- 100 % durant les
cinq premiers exercices, - 50 % puis - 30 % les cinq puis
dix années postérieures) ;
- IRPP (déduction de 75 % des investissements
réalisés par les salariés dans l'entreprise) ;
- ISF (actions, bons de souscription d'action ou de parts de
créations d'entreprises, patrimoine des impatriés).
Ces différents avantages sont censés (hypothèse assez
conservatrice) faire passer :
- de 10 % à 20 % l'accroissement du nombre de JEI
créées chaque année ;
- de 10 % à 15 % celui de leurs salariés.
En première année, le coût de l'exonération d'IS
(7 millions d'euros) est minime en comparaison de celui de
l'allégement des charges sociales (100 millions d'euros).
La dépense fiscale considérée n'est jamais
considérable (- 8,5 millions d'euros en 2010 avec un
abattement de 50%). Pour l'ISF, elle est minime (- 1,9 million
d'euros en 2020). C'est, finalement, les réductions d'IRPP qui sont les
plus coûteuses (20 % de la masse salariale étant
supposés investis dans l'entreprise et pouvant être
déduits, à 75 %, du revenu imposable).
En 2020, le supplément de cotisations sociales et l'élargissement
de l'assiette de l'IS (15.000 emplois et 500 entreprises
créés) compensent largement les déductions d'IRPP
(- 178 millions d'euros) et le solde des finances publiques est
amélioré de plus d'un milliard d'euros (1.170 millions
d'euros).
Cette simulation, prudente dans ses hypothèses, montre les vertus de la
constance, de la persévérance et de la
générosité, en matière d'aide aux jeunes
entreprises innovantes : le coût fiscal n'est pas très
important, celui des allégements de charges sociales l'est beaucoup plus
au départ (les cotisations sociales sur les salaires étant
particulièrement élevées en France).
Mais, à moyen terme, les retours des incitations mises en place sont
très bénéfiques pour l'emploi et, finalement, pour les
finances publiques.
La durée de 8 ans qu'une nouvelle entreprise ne soit pas
dépasser pour relever du statut de JEI et bénéficier des
avantages du régime fiscal correspondant, paraît trop
brève. Cette limitation risque de compromettre la consolidation des
résultats de la JEI et la poursuite de son développement. Elle
l'empêchera, dans la pratique, de profiter pleinement des avantages
prévus (exonération d'imposition des bénéfices de
100 % pendant trente-six mois et de 50 % pendant vingt-quatre mois),
car le délai exigé sera expiré avant qu'elle ait connu
suffisamment de périodes d'activités bénéficiaires.
Cette restriction sera, au total, contreproductive, à terme, pour les
finances publiques, par rapport à l'amélioration potentielle de
leur solde qui résulterait d'un allongement de la durée des
avantages prévus.
2. Des conditions restrictives relatives à la composition du
capital
a) Un statut réservé à des PME entièrement
nouvelles et indépendantes
Pour pouvoir bénéficier des avantages fiscaux prévus par
le présent article, la JEI doit être, on l'a vu,
indépendante.
Cette exigence tient à la préoccupation d'éviter une
évasion fiscale provoquée par la filialisation ou
l'externalisation, par des sociétés ou des groupes, de certaines
de leurs activités (comportant une part de dépenses
consacrées à la recherche et développement d'au moins
15 %). Les raisons pour lesquelles ce risque ne doit pas être
exagéré ont déjà, également,
été évoquées (perte des avantages liés au
crédit d'impôt recherche et du contrôle des activités
concernées).
Pour parer néanmoins à toute diminution éventuelle de
matière imposable, dont bénéficieraient des entreprises
préexistantes, de nombreuses précautions sont prises.
La JEI :
- doit être entièrement nouvelle : sa création ne
saurait résulter d'une concentration, d'une restructuration, d'une
extension ou d'une reprise d'activités préexistantes ;
- son capital, entièrement libéré, doit être
détenu, de manière continue, à 75 % au moins par des
personnes physiques, une autre PME satisfaisant le même critère,
ou des structures de capital risque
58(
*
)
dont elle est indépendante
(c'est-à-dire qui ne possèdent pas la majorité de son
capital social ou y n'exercent pas le pouvoir de décision).
b) Des exigences critiquables
Le « verrouillage », ci-avant analysé, du dispositif
du présent article, encourt plusieurs critiques :
- il le rend, apparemment, inapplicable aux créations de jeunes
entreprises issues d'un
essaimage
à partir de
sociétés privées ou même d'organismes publics
(établissements publics d'enseignement supérieur à
caractère scientifique et technique ou industriel et commercial).
- il ignore les situations, signalées à votre rapporteur
général, dans lesquelles une nouvelle entreprise peut être
contrôlée, dans ses toutes premières années
d'existence, par une des structures de financement visées par le
troisième tiret du
d
du texte proposé pour
l'article 44
sexies
OA introduit dans le code
général des impôts (une société
financière d'innovation peut ainsi très bien détenir,
initialement, le capital d'une jeune entreprise biotechnologique, ce qui ne
satisfait pas à la condition d'
absence de lien de
dépendance
exigée pour bénéficier des avantages
fiscaux réservés aux JEI).
On remarquera que les fondations de recherche ne figurent pas parmi les
structures de financement susmentionnées.
- s'agissant enfin de l'exonération d'imposition des plus-values de
cessions instaurées par le IV du présent article (à
l'article 150-O A du code général des impôts),
elle est subordonnée à la condition que le cédant et sa
famille ne détiennent pas ensemble, directement ou indirectement,
25 % des droits financiers (et des droits de vote en conséquence
d'un amendement de l'Assemblée nationale) dans les
bénéfices de la société, depuis la souscription des
titres cédés.
Or, il a été fait observer à votre rapporteur
général que la création des JEI est très souvent
effectuée par une ou deux personnes, détentrices d'un savoir
technique spécifique, qui entendent contrôler leur entreprise,
tout en bénéficiant de financements extérieurs.
Dans ce cas, il leur est impossible de détenir à la fois, dans la
JEI :
- moins de 25 % des droits financiers ou des droits de vote, comme cela est
exigé pour être exonéré d'impôt sur les plus
values ;
- et au moins 75 % du capital (si elles sont les seules personnes
physiques propriétaires) pour satisfaire aux conditions dont
dépend l'octroi des exonérations d'impôt sur les revenus et
les sociétés prévues par ailleurs
59(
*
)
3. Les autres contraintes
Il peut sembler sévère qu'une PME perde
définitivement
le statut de JEI dès lorsqu'elle ne
satisfait plus
l'une
des conditions requises pour en
bénéficier, en particulier lorsqu'elle franchit, grâce
à son dynamisme, les seuils d'effectifs ou de chiffre d'affaires
précisés au
a
du texte proposé pour le nouvel
article 44
sexies
OA du code général des
impôts.
4. Une omission
Le présent article définit le statut fiscal des jeunes
entreprises innovantes. Il laisse cependant de côté la question
des investisseurs et des personnalités susceptibles d'accompagner et
d'encourager leur développement.
Pourtant, il pourrait être envisageable de permettre aux JEI d'attribuer
des bons de souscription de parts de créateurs d'entreprises (BSPCE) aux
personnes particulièrement efficaces et compétentes,
françaises et étrangères, qu'elles ont besoin d'attirer
dans leurs instances dirigeantes ou de conseil (conseil d'administration ou de
surveillance, conseil scientifique...).
En outre, si l'on suit le rapporteur général du budget de
l'Assemblée nationale, notre collègue député Gilles
Carrez, qui a estimé, dans son commentaire du présent article,
que les effets incitatifs recherchés par ce dernier, s'adressaient
à des investisseurs avisés, indépendants, susceptibles
d'injecter massivement des fonds, dans une intention spéculative, dans
le capital des primes entreprises innovantes concernées, il pourrait
être utile d'envisager des incitations fiscales en faveur des
investisseurs potentiels. La voie de l'impôt de solidarité sur la
fortune est parfois évoquée. Cela permettrait sans aucun doute
d'attirer des investisseurs dans le capital de ces entreprises. Mais cela
reviendrait également à créer une niche fiscale de
plus ...
III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES
Le gouvernement a fait le choix de proposer la création d'une nouvelle
catégorie juridique, les jeunes entreprises innovantes, et de
créer en leur faveur un régime fiscal
ad hoc
.
Pour que ce régime puisse engendrer les effets positifs
escomptés, des améliorations, tendant à un
élargissement raisonnable, sont sans doute nécessaires.
Il n'en reste pas moins que les dispositions du présent article ont
pour objet de créer une nouvelle niche fiscale. Elles illustrent
à merveille les travers de la fiscalité à la
française tels que les a décrits les Conseil des impôts
dans son XXI
è
rapport :
- le dispositif proposé s'ajoute aux 18 systèmes d'aides fiscales
à la création et à la transmission d'entreprises
déjà en vigueur, et n'en remplace aucun ;
- il est particulièrement complexe et confine à
l'ésotérisme. Pour limiter à la fois les abus et
l'incidence budgétaire, de multiples conditions
d'éligibilité sont exigées pour bénéficier
du nouveau régime fiscal ;
- malgré, et sans doute à cause de, ces précautions, la
qualification juridique de JEI reste floue, profitera essentiellement aux
initiés et donnera probablement lieu à de nombreux
contentieux ;
- ce dispositif, qui s'apparente à une usine à gaz,
nécessitera une gestion administrative lourde ;
- cette lourdeur est à mettre en relation avec la portée
limitée du dispositif, qui s'adresse à un petit nombre
d'entreprises, pour lesquelles les avantages seront plafonnés au seuil
maximal autorisé par la règle communautaire
de minimis
(100.000 euros sur trois ans).
Décision de la commission : votre commission a décidé
de réserver sa position sur cet article.