E. AUDITION DU PROFESSEUR LAURENT DEGOS, CHEF DU SERVICE D'HÉMATOLOGIE DE L'HÔPITAL SAINT-LOUIS, DIRECTEUR DE L'INSTITUT UNIVERSITAIRE D'HÉMATOLOGIE
M.
Nicolas ABOUT, président - Monsieur le rapporteur, nous avons maintenant
le plaisir d'accueillir le professeur Laurent Degos. Souhaitez-vous le
présenter et rappeler vos questions ?
M. Francis GIRAUD, rapporteur - Merci, monsieur le président, chers
collègues, nous avons le grand plaisir de recevoir le Professeur Laurent
Degos. Je vous le présenterai en indiquant qu'il est, d'abord et avant
tout, un soignant et un médecin, avec une carrière très
prestigieuse dans la recherche médicale. Il est chef de service
d'hématologie et porte assistance et secours à ses patients.
Cette tâche ne l'empêche pas, et au contraire, l'amène
à réfléchir de manière très importante, aux
problèmes de la bioéthique, tout en dépassant le cadre de
sa spécialité. Dans la lignée des auditions de ce matin,
il nous fera part de ses réflexions sur le texte de loi voté par
l'Assemblée nationale en janvier 2002, notamment sur l'organisation de
l'APEGH. Nous lui demanderons également son avis sur la
non-brevetabilité du corps humain, les transferts d'embryons
post
mortem
et sur les dons d'organes qu'il connaît
particulièrement. Enfin, sachant qu'il a saisi le comité national
d'éthique de ce sujet, il pourra évoquer les problèmes
éthiques soulevés par les essais de médicaments
anticancéreux.
Pr. Laurent DEGOS - Merci beaucoup, monsieur le président, monsieur le
rapporteur, mesdames et messieurs les commissaires et tous ceux qui vous
entourent.
L'homme est un sujet et non un objet. Ce postulat pose deux questions :
quand devient-on homme ? et quand l'homme n'est pas encore homme ou n'est
plus homme qu'est-il ? Il n'est sûrement pas un objet. Si la mort,
recaractérisée récemment dans nos sociétés
occidentales selon le critère de mort cérébrale et non
plus d'arrêt du coeur, est bien définie, ce n'est pas le cas pour
le début de l'homme. De même que la mort a été
redéfinie sous la pression de la pratique médicale de greffes
d'organes, nous sentons, actuellement, une demande de signification du
début de l'homme dans la perspective médicale du clonage
thérapeutique. Nous pouvons certes définir des moments
biologiques de la mise en place de l'individualité ou du cerveau, mais
la question de savoir quand débute la personne se posera toujours.
Même si une date est fixée pour le début de la personne, il
faudra statuer sur la nature de l'organisme entre la fécondation et ce
commencement de personne.
L'embryon avant d'être homme est-il une chose ? Sûrement pas.
A-t-il des valeurs humaines ? Peu avant la mort, l'homme est-il une
chose ? Sûrement pas. Après la mort, l'homme n'est pas non
plus une chose. Alors, avant d'être homme, quelles sont les valeurs
humaines qui appartiennent à l'embryon ?
La première valeur humaine est celle de la finalité. L'homme est
dans la nature parce qu'il apporte ses compétences et hors nature car,
lorsqu'il n'en dispose plus, on ne le jette pas comme un mouchoir
utilisé. Cette valeur de finalité n'est pas remise en question au
moment de la mort puisqu'un homme décédé est
respecté et sa destinée, en tant qu'organisme, n'est autre qu'une
sépulture que l'on ne peut profaner. Il ne devient pas matière
première pour des transformations, même si ses organes peuvent
être prélevés à des fins thérapeutiques. Mais
qu'en est-il de l'embryon ? Cette question reste sans réponse.
Parallèlement, nous devons nous prononcer sur
l'éventualité, à mon avis dangereuse, de dresser des
catégories d'embryons. Existe-t-il des embryons utilitaires, et d'autres
dont le destin est de créer un enfant ? Le racisme appliqué
aux embryons potentiellement humains selon lequel nous disons que nous nous
servirons uniquement des embryons surnuméraires est une notion
dangereuse, d'autant que la société n'a pas défini le
début de la vie humaine. Pareillement, nous ne pouvons pas affirmer que
l'embryon surnuméraire possède plus d'humanité en servant
la recherche qu'en mourant naturellement. Ici, nous ne pouvons pas faire valoir
une notion de hiérarchie d'humanité, ce qui conduirait à
des débordements en fin de vie.
La deuxième valeur mentionne la protection de l'homme dans son
intégrité. Nous pouvons alors nous demander à qui
appartient l'embryon : aux parents, à la société, aux
chercheurs, à Dieu ou à lui-même ? Tant que nous ne
pouvons répondre à cette question, je ne vois pas comment on peut
utiliser des embryons.
La troisième valeur morale est la gratuité, l'homme et ses
éléments ne peuvent pas faire l'objet de profits. L'article 6 de
la directive européenne de 1998 spécifie que l'exploitation
industrielle et commerciale des embryons humains est exclue et que tout brevet
est interdit. Cependant, certains chercheurs, dans d'autres pays
européens, affirment que les embryons non viables ou créés
par parthénogénèse ou transfert de noyau ne sont pas
concernés. En Espagne, le terme
nucleovulo
sert pour
définir l'embryon par transfert de noyau. En modifiant le nom,
l'intention est de changer de concept. Un embryon est un embryon,
c'est-à-dire qu'il est potentiellement humain s'il est
transféré dans un utérus. L'industrie privée est
entrée dans le domaine des traitements cellulaires embryonnaires avec un
but affiché : le profit. Jamais les éléments de
l'homme (le sang, le sperme, les organes, les tissus et même les cellules
souches du cordon ombilical) n'ont fait l'objet de profit en France. Ils sont
donnés, distribués et utilisés sans profit, même
après tri ou modification. Pourquoi, et au nom de quoi, l'embryon et, en
général, le traitement cellulaire ferait-il l'objet de
profit ? D'où viendrait cette dérogation ? Le
prétexte donné est la rapidité de la découverte
lorsque les sociétés privées prennent en charge une
étude, mais cet argument n'est-il pas une injure à la recherche
publique ? Nous devons nous souvenir que la découverte des groupes
d'histocompatibilité, c'est-à-dire des marqueurs qui permettent
de réaliser des greffes d'organes, s'est effectuée en peu de
temps grâce à une collaboration internationale de laboratoires
publics. Il est impératif de garder cette valeur humaine de
gratuité en considérant, au moins, que l'embryon est un
élément de l'homme et que ni lui, ni ses cellules
transformées, triées, modulées ne peuvent faire l'objet de
profit.
La quatrième valeur morale se rapporte non pas à l'embryon
lui-même mais à la vision de fins thérapeutiques où
il est toujours demandé d'évaluer le rapport
bénéfice-risque. Or, actuellement, la thérapie cellulaire
embryonnaire, clonée ou non, n'a jamais prouvé son
efficacité. Aucun traitement de maladie
dégénérative n'a été démontré
chez l'animal. Tout au plus, il a été rapporté
récemment que des cellules transférées restent
fonctionnelles mais ne sont pas réparatrices. Si aucun
bénéfice n'a encore été démontré par
le traitement des cellules embryonnaires, celles-ci provoquent, même
très fortement différenciées, après transfert, un
risque important de cancer appelé tératocarcinome. La
dernière étude sur la souris a montré que, sur dix-neuf
transferts de cellules très différenciées et
fonctionnelles, cinq animaux ont développé un cancer. Avant de
faire croire au rêve, comme pour bon nombre d'autres concepts en
médecine, il serait préférable d'avoir une preuve
thérapeutique sans risque.
Après ce préambule, je commenterai le projet de loi.
Premièrement, l'homme en fin de vie, reste toujours un sujet et ne
constitue pas un objet d'expérimentation. Je vous proposerai un
amendement afin de bien le spécifier et modifier les recommandations
actuelles de l'Agence française de sécurité sanitaire des
produits de santé reprenant les « guide lines » de
décembre 1996 de l'Agence européenne du médicament
(EMEA). Lorsqu'un médicament anticancéreux est donné pour
la première fois chez l'homme, essai de phase 1, ces agences demandent
de rechercher la dose maximum tolérée sans avoir aucun objectif
d'efficacité. Pour cette raison, il est proposé d'entreprendre
ces essais uniquement chez les malades atteints de cancer en fin de vie en
excluant tout malade ayant une chance raisonnable de vie prolongée. Il
est recommandé d'élaborer des cohortes de trois patients par
dose, et de l'échelonner jusqu'au maximum toléré. Nous
savons ce que ce mal maximum induit signifie chez un malade atteint de cancer
en fin de vie. En outre, non seulement l'Agence demande de tester sur trois
patients cette dose maximum tolérée, mais encore prescrit-elle de
la donner à six patients pour acquérir la certitude que c'est
bien la dose maximum tolérée. Ceci est en total désaccord
avec la directive européenne, se référant à la
déclaration d'Helsinki selon laquelle un essai clinique peut être
entrepris uniquement si les risques et inconvénients
imprévisibles ont été pesés au regard du
bénéfice attendu pour le sujet participant à l'essai. Or,
dans ce cas, les risques et les inconvénients ne sont pas
imprévisibles mais bien provoqués ; en outre, un
bénéfice attendu n'est pas exigé. Le
bénéfice collectif ne se substitue pas au bénéfice
individuel si la personne est malade. Suivant cette recommandation nous pouvons
tout à fait essayer un médicament contre le cancer de la prostate
chez une femme ou contre un cancer du rein chez quelqu'un avec une tumeur du
cerveau. Pourquoi rechercher, dans le cas du cancer, une dose maximum
tolérée alors que la personne est fragile et sa mort
prochaine ? Nous devrions, au contraire, avoir pour elle le plus
d'attention, de précaution et de compassion. Cette directive est
basée sur un faux raisonnement selon lequel plus un produit est toxique,
plus il est efficace. Actuellement, ce n'est pas en recherchant la dose la plus
toxique que nous obtiendrons la meilleure efficacité, bon nombre
d'exemples le prouvent. C'est pourquoi je vous demanderais de spécifier
par amendement que, dans tout essai thérapeutique même
appliqué au cancer et même en phase 1, il soit obligatoire de
mêler le double objectif d'efficacité, parfois
présumée, et de description des effets adverses, et, par
ailleurs, de ne pas rechercher la dose maximum tolérée si la dose
efficace est déjà connue. Le comité consultatif national
d'éthique a émis récemment dans ce sens l'avis n°73.
Deuxièmement, je commenterai quelques articles du projet de loi au sujet
du début de la vie.
La première interrogation vise à savoir si nous pouvons mener des
recherches en vue du clonage thérapeutique. Selon l'article 16-4 du code
civil, toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant ou de
développer un embryon humain, non directement issu de gamètes
d'un homme et d'une femme, est interdite. Mais, alors, comment
définissez-vous le mot développer ? Le passage d'une
à deux cellules est-il un développement ? Dans ce cas, toute
recherche sur le clonage thérapeutique serait exclue. Dans l'article L.
1251-3, il est mentionné : « Est autorisée la
recherche menée sur l'embryon humain et les cellules embryonnaires qui
s'inscrivent dans une finalité médicale. » La seule
finalité médicale du traitement par cellule embryonnaire
étant bien le clonage thérapeutique, il faudra choisir entre ces
deux articles ou être plus précis. Est ajouté « La
condition d'une méthode alternative d'efficacité comparable, en
l'état des connaissances scientifiques, supprime cette
autorisation ». Or, rien n'est plus difficile que de définir
une efficacité comparable d'autant plus dans la perspective d'une
recherche où le produit fini ne peut pas être connu à
l'avance. Ce flou risque d'aboutir à un non-respect de l'esprit de la
loi.
Deuxièmement : pouvons-nous dresser des catégories
d'embryons ? L'article L. 2141-1-1 pose : « Aucune nouvelle
technique d'assistance médicale à la procréation ne peut
être mise en oeuvre avant une évaluation
préalable. ». Quelle est la signification du terme
« nouvelle » technique puisque interviennent toujours un
nouveau geste, un nouvel instrument, même dans les pratiques
déjà connues ? C'est le principe même de
l'évolution des pratiques. Selon cet article, toute pratique
effectuée à partir de ce jour doit suivre ce nouveau texte. Or,
il est précisé : « A l'issue du processus
d'évaluation, les embryons dont la conception résulterait de
cette évaluation ne peuvent être conservés, ni entrer dans
le cadre d'un projet de recherche. « Il n'y aurait alors plus d'embryons
surnuméraires, même pour la recherche dans le futur. Alors
pourquoi permettrions-nous une recherche sur les embryons déjà
existants alors que ce serait impossible sur les embryons futurs ? Si
l'autorisation de conservation ou de projet de recherche sur quelques embryons
issus de ces thérapeutiques est supprimée, pourquoi ceux-ci
auraient-ils un destin différent des autres ? Un embryon est un
embryon et il ne peut y avoir des catégories d'embryons. Il est
ajouté au point 4 de ce même article « S'ils n'ont plus de
projet parental, les membres du couple peuvent consentir à ce que les
embryons fassent l'objet d'une recherche. » Cette disposition semble
en contradiction avec la mesure précédente.
L'ambiguïté perçue entre la permission, ou non, de la
recherche sur des embryons surnuméraires sous-tend la difficulté
de se prononcer sur leur statut particulier. A mon avis, il n'existe pas
plusieurs types d'embryons potentiellement humains, certains utilitaires et
d'autres avec un projet parental, certains avec plus d'humanité que
d'autres.
La dernière question se rapporte à la possibilité de faire
du profit avec des éléments humains. J'ai, peut-être, mal
lu le projet de loi mais je n'ai pas trouvé de mention sur la
commercialisation des cellules embryonnaires à des fins de recherche ou
thérapeutique en dehors de l'article 12 bis ne mentionnant que le
brevet. L'interdit de brevet et de commercialisation devrait englober toute
cellule humaine, qu'elle soit l'embryon lui-même, prélevée
sur ce dernier ou transformée en un autre type cellulaire,
modulée ou ayant une fonction particulière. Nous respectons cet
interdit pour des éléments du sang. Pourquoi y aurait-il une
dérogation de ce principe que l'homme et ses éléments ne
peuvent faire l'objet de profit, lorsqu'il s'agit de thérapie cellulaire
utilisant certaines cellules et non d'autres ?
Je conclurai par trois principes fondamentaux : l'interdiction de
catégoriser les hommes durant, avant et après leur vie en raison
de finalités différentes, la limite de prendre de la vie pour en
donner et le fait que l'homme et ses éléments ne peuvent faire
l'objet de profit. Je n'ai peut-être pas répondu à toutes
vos questions ne les ayant reçues que ce matin, mais je peux le faire
oralement.
M. Francis GIRAUD, rapporteur - Vous avez déjà
évoqué dans votre propos préliminaire le problème
de la recherche sur l'embryon. Votre position est d'une clarté limpide
et sous-tendue par des arguments assez forts. D'autres sénateurs
voudront peut-être vous interroger à ce propos.
Quelle est votre réflexion sur l'APEGH qui est inscrite dans la loi et
dont les compétences et pouvoirs sont étendus ? Cela vous
paraît-il convenable et quel rôle assigneriez-vous à cette
agence ?
Pr. Laurent DEGOS - D'abord, préalablement à l'installation d'une
agence, nous devons tous être d'accord à propos de la recherche
sur l'embryon. Ensuite, nous devons savoir quelles valeurs dites humaines
garderait l'embryon par rapport à l'homme en tant qu'homme. Nous devons
nous accorder pour savoir s'il peut perdre la valeur de finalité et donc
être à la fois utilitaire et un homme potentiel. La
deuxième valeur se réfère à qui appartient
l'embryon, c'est-à-dire s'il bénéficie d'une protection ou
non. Tant que nous n'aurons pas répondu à ces questions, l'Agence
rencontrera des difficultés pour gérer ces embryons. Enfin, si
nous ne pouvions garder qu'une valeur, je conserverai la troisième qui
est la non-profitabilité. En effet, l'embryon, modifié ou non, ne
peut être commercialisé à aucun stade, que ce soit au
moment du prélèvement, de la transformation ou de la
distribution. Une firme privée ne peut pas distribuer des cellules
humaines au public. Une réflexion, ici, est à mener sur les
valeurs que garderait l'embryon. Mais, si nous admettons qu'il est totalement
dépourvu de valeur humaine, une telle Agence serait utile. La
décision de sa création doit, à mon avis, être
discutée en parallèle de votre décision sur le statut
d'embryon et ses valeurs qui permettraient de pouvoir s'en servir ou non. Ma
réponse n'est pas directe mais elle sous-tend une condition, celle de
mieux définir ce qu'est l'embryon. Afin de réunir les
compétences, ne faudrait-il pas regrouper les agences en une seule
Agence de biothérapie (greffe, sang, cellule tissu, embryon...) ?
M. Francis GIRAUD, rapporteur - Nous souhaiterions connaître votre avis
sur la non-brevetabilité du corps humain, notamment en rapport avec la
directive européenne de 1998. En effet, l'Assemblée nationale a
introduit un amendement qui pose problème.
Pr. Laurent DEGOS - A cette question, on répond souvent
non-brevetabilité assortie de la référence à la
distinction entre découverte et invention. Ce distinguo est un premier
élément très fort qui doit être respecté.
Mais la donnée supplémentaire en ce qui concerne le corps humain
est que c'est l'homme lui-même qui est concerné ici. Le monde
vivant suit bien la différenciation entre invention et découverte
mais l'homme est homme. Nous ne pouvons ni breveter, ni acheter, ni vendre un
homme. Vous êtes tous d'accord avec moi. Nous n'avons pas le droit de
breveter, acheter ou vendre un organe. Nous avons encore tous le même
avis sur ce sujet. Il est interdit de breveter, d'acheter ou de vendre du sang
ou des cellules du sang. Nous partageons la même opinion
là-dessus. Finalement, nous en arrivons, progressivement, à nous
demander si une limite nous donnant une permission existe ou non. A mon avis,
l'embryon dispose de plus de valeur qu'un globule rouge. Il est potentiellement
humain. Maintenant, nous allons aussi nous poser la question à propos du
gène. En ce qui me concerne, je suivrai jusqu'au bout la trajectoire
humaine en interdisant tout brevet pour tout ce qui touche l'homme
jusqu'à ses gènes. Toutefois, une commercialisation à
partir du gène après modification est éventuellement
envisageable. Le gène diffère peut-être d'une cellule. Pour
celle-ci, même après modification, à mon avis, nous ne
pouvons pas tirer de profit. J'ai vu que l'Assemblée nationale avait
rajouté le gène spécifiquement, en tant que tel, non
modifié. Personnellement, je suivrai ce texte.
M. Francis GIRAUD, rapporteur - Que pensez-vous du transfert d'embryons
post
mortem
?
Pr. Laurent DEGOS - Sur ce sujet, je n'ai pas beaucoup d'idées et je ne
peux décemment vous répondre, n'en étant pas un
spécialiste. La réaction consisterait plutôt à
demander si nous ne perturbons pas beaucoup d'éléments familiaux
en l'autorisant. La réponse ne relève pas vraiment d'un interdit
biologique. L'Espagne le pratique déjà depuis longtemps, en tout
cas pour la fécondation par sperme. C'est plus, comme vous l'avez bien
mentionné, un problème juridique.
M. Francis GIRAUD, rapporteur - Quelles réflexions vous inspirent les
dispositions de la loi sur les dons d'organes, à propos de
l'élargissement du cercle des donneurs vivants à toute personne
ayant avec le receveur une relation étroite et stable ?
Pr. Laurent DEGOS - Le problème ne réside pas tant dans la
personne en relation étroite et stable parce que nous avons tous une vie
privée qui est respectable mais plutôt dans la possibilité
même de réaliser des greffes d'organes à partir de donneurs
vivants. J'y suis tout à fait favorable pour le rein, mais ces pratiques
doivent être très encadrées lorsque des techniques
chirurgicales difficiles se révèlent nécessaires, comme
pour le foie. En effet, quand un foie est prélevé sur un donneur
vivant, la moitié de son organe est transféré à un
receveur en très mauvais état. Prélever un demi-foie sur
une personne vivante ne se révèle pas une opération
simple, d'autant que toutes les précautions sont prises pour recueillir
les vaisseaux et conduits en bon état et de bons calibres afin de
pouvoir les « rabouter » sur le receveur. A mon avis, ces
procédures devraient relever de la recherche et non pas de la pratique
médicale. Nous devons, peut-être, réfléchir sur la
limite entre ce qui relève de la pratique médicale, comme la
greffe de rein par exemple, et ce qui concerne la recherche, comme la greffe
d'un lobe de foie. Nous ne pouvons peut-être pas aller aussi loin dans la
loi, mais en tant que médecin, je vois une très nette
différence entre un prélèvement d'une partie de foie et
d'un rein.
M. Nicolas ABOUT, président - Auriez-vous tenu le même
raisonnement face au Professeur Hamburger lors des premières
transplantations de rein ?
Pr. Laurent DEGOS - Je n'aurais pas eu cette réflexion parce que nous
disposons de deux reins et que si nous en enlevons un, l'autre continue de
fonctionner. Par contre, nous ne possédons qu'un foie, qui est, de plus,
un organe très fragile. Certaines équipes peuvent réaliser
ces opérations et je respecte leurs prouesses qui en sont de
réelles. Mais nous ne pouvons pas dire que de telles opérations
peuvent se pratiquer dans tout centre. Par contre, une greffe de rein à
partir de donneur vivant peut avoir lieu dans tout CHU français.
M. Nicolas ABOUT, président - C'est peut-être, encore, une
technique insuffisamment contrôlée.
Pr. Laurent DEGOS - Pour l'instant, seulement quelques centres en Europe la
pratiquent. Cependant, il ne faudrait pas, que certains, à ce propos, se
disent capables de l'utiliser, sans précautions et évaluations
préalables.
M. Francis GIRAUD, rapporteur - J'ai une dernière question à vous
poser. Vous nous avez déjà répondu sur les cellules
embryonnaires et les espoirs possibles de leur utilisation thérapeutique.
Quelle est votre opinion et quelle idée avez-vous de la recherche en
France sur les cellules souches adultes ? De nombreuses équipes
travaillent-elles dessus ? Sont-elles encouragées et
aidées ? Quels sont les espoirs et à quel terme pouvons-nous
envisager que ces cellules souches apportent un résultat positif
à des souffrances humaines ?
Pr. Laurent DEGOS - Cela paraît être l'alternative proposée
dans la loi. La présence des cellules souches adultes provoquent encore
des doutes. En effet, certains disent qu'elles n'existent pas et qu'elles sont
le résultat des fusions entre deux cellules. Mais, pratiquement, pour un
médecin, l'idée qu'une cellule du foie résulte d'une
fusion entre une cellule médullaire et une autre hépatique ne
dérange pas si elle peut servir à la fabrication du foie.
En ce qui concerne les recherches, nous disposons de beaucoup plus de
résultats avec les cellules souches adultes qu'avec les cellules
embryonnaires. Vous connaissez les résultats de Philippe
Ménasché avec des cellules musculaires adultes. Il existe
d'autres exemples pour traiter des sphincters.
Bien sûr, on va vous faire remarquer que les cellules
thérapeutiques et les cellules traitées sont des cellules
apparentées. Mais cette contestation est plus scientifique que pratique
car, finalement, le but est bien médical. Les cellules de muscle
strié peuvent aider les cellules cardiaques. Donc, si des cellules de
muscle strié cultivées et donc modifiées peuvent
réparer le muscle cardiaque, cela est déjà un
résultat médical important. Ce n'est certes pas la prouesse
consistant à transformer une cellule hépatique en cellule
musculaire. Petit à petit, les chercheurs trouveront et manipuleront ces
cellules. Une autre voie de recherche s'ouvrira, à mon avis, celle de la
différenciation.
Toutes les cellules de notre corps sont fonctionnelles et leur
spécialisation n'existe que par la fermeture de programmes. Un embryon
peut tout fabriquer, par contre, une cellule de la peau ne produit plus que de
la kératine et les cellules de globules rouges que de
l'hémoglobine. Avec le temps, les cellules ferment progressivement des
programmes et arrivent à devenir des cellules très
spécialisées. Nous essayons, c'est le but de ma recherche,
d'ouvrir à nouveau les programmes fermés. Cependant, nous
essayons de le faire progressivement en faisant revenir la cellule à un
état plus flexible, plus « embryonnaire ». Nous
connaissons mieux la mécanique dans le noyau de la cellule, qui permet
de rouvrir les programmes.
A mon avis, nous y arriverons dans le futur. La preuve en est que, lorsque vous
mettez un noyau adulte très mûr dans un ovule, comme pour la
création de Dolly, nous ouvrons tous les programmes. Toutes sortes de
tissus ont pu être fabriqués et cela a donné un être
entier. L'ouverture de programmes est donc possible, à nous
scientifiques de la trouver. Il est préférable d'utiliser une
cellule adulte et de lui faire rouvrir progressivement des programmes qu'une
cellule très embryonnaire et très jeune risquant de provoquer un
cancer. Il vaut peut-être mieux aller de la maturité vers
l'immaturité et maîtriser ce processus plutôt que l'inverse,
bien que la facilité soit de prendre des cellules embryonnaires
pluripotentes. En effet, le scientifique peut cultiver, conserver et modifier
autant qu'il veut des cellules souches embryonnaires. Cette voie est certes la
plus facile actuellement mais avec beaucoup de risques et de rêves.
M. Jean CHERIOUX - Monsieur le professeur, merci de cet exposé qui nous
a ouvert bien des perspectives et qui en a fermé certaines, d'ailleurs.
Nous avons pu constater votre attachement au respect de la finalité pour
l'embryon.
N'estimez-vous pas que la loi de 1994 et le projet actuel ont le grand
défaut de mélanger les problèmes de la procréation
médicalement assistée et de la recherche sur l'embryon ?
J'étais rapporteur du texte de 1994 et, à l'époque, nous
nous intéressions plus à la procréation
médicalement assistée. Puis, nous nous sommes trouvés
devant les problèmes du stock d'embryons, de leur devenir et du
diagnostic préimplantatoire. Dès lors, nous avons
dérivé sur les problèmes de recherche. Deux règles
éthiques existent ici, dont je ne dirai pas qu'elles s'opposent mais
qu'elles sont en parallèle. La première relevant de la PMA
proprement dite, consiste à poser la question de mettre fin ou non
à un embryon non transféré. La deuxième
considère l'embryon comme une chose. Elle envisage le fait de pouvoir le
donner. Ne pensez-vous pas qu'il faille régler les deux
problèmes, l'un sans tenir compte de l'autre, d'autant plus que, comme
vous l'avez dit, la science évolue et peut très bien conduire au
tarissement du seul réservoir d'embryons pour la recherche,
constitué par la PMA ?
Pr. Laurent DEGOS - Cette question est difficile. L'embryon existe pour
lui-même et la réalisation d'une PMA a bien pour but la vie de
l'embryon. Dans ce cas, nous conservons donc cette finalité de vie pour
l'embryon, nous agissons pour lui. Or, la thérapeutique à partir
de l'embryon ne poursuit pas son intérêt mais celui de quelqu'un
d'autre. Le point, ici, se révèle alors différent.
Avec la PMA ou le DPI, ce que nous recherchons est de tout mettre en oeuvre
pour que l'embryon vive et bien. La permission de son accueil ou de son
adoption poursuit le même but de vie de l'embryon. Par conséquent,
pour moi, toutes ces procédures vont dans le même sens.
L'idée est différente quand il s'agit de fabriquer un embryon
pour réaliser un traitement. C'est ici qu'il doit y avoir un consensus,
à mon sens citoyen, pour savoir si nous admettons, ou pas, que l'embryon
change de finalité. Je ne veux pas intervenir ici, chacun a ses propres
idées mais il doit y avoir un consensus. En effet, on a vu au Japon que
l'absence de consensus sur la mort cérébrale a été
très mal ressentie. Il faut donc adopter une position en
parallèle de l'opinion de la population.
Pour l'instant, la population ne conçoit pas l'embryon comme une chose
qui soit possiblement malléable, etc. Parallèlement, comme j'ai
déjà dit, si nous changeons sa finalité,
c'est-à-dire que nous admettons qu'il est à la fois
potentiellement humain et utilitaire, je vous demanderai de ne pas
établir de catégorisation de l'embryon. Nous ne devons pas
déduire des embryons surnuméraires qu'ils sont utilitaires et que
les autres sont différents. En effet, si nous commençons à
catégoriser des organismes potentiellement humains, je ne vois pas
où nous nous arrêterons dans l'humain.
Quant à le laisser mourir, cela est le propre de nous tous puisque nous
naissons et nous mourons. Il suffit de supprimer l'azote liquide, comme on
arrête les machines en cas d'acharnement thérapeutique, pour qu'il
meure.
M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le professeur, souhaitez-vous
donner un dernier message ?
Pr. Laurent DEGOS - Je vous ai apporté certains points vous paraissant,
peut-être, un peu trop rigides. Cependant, il faut rester conscient que
la médecine peut faire rêver sans aboutir.
Un vrai modèle pertinent chez l'animal nous montrant la
possibilité d'une guérison d'une maladie
dégénérative sans risque de transmission de
tératocarcinome (cancer embryonnaire) nous amènerait
peut-être à avoir une réflexion différente
aujourd'hui.
M. Nicolas ABOUT, président - Je vous remercie infiniment pour ce
dernier message. En vous remerciant, je vais accueillir le professeur Didier
Sicard, président du comité consultatif national d'éthique
pour les sciences de la vie et de la santé.