D. AUDITION DU PROFESSEUR ISRAËL NISAND, CHEF DE SERVICE DE GYNÉCOLOGIE-OBSTÉTRIQUE AU SIHCUS-CMCO DE STRASBOURG
M.
Francis GIRAUD, rapporteur - Monsieur le président, mes chers
collègues, tout le monde connaît le Professeur Israël Nisand
qui a joué un rôle très important dans différents
dispositifs législatifs. Il possède, lui aussi, une
expérience de praticien dans le domaine de la PMA et de tous les sujets
s'y attachant. Ayant assisté ce matin à nos débats, il
connaît les questions qui nous intéressent. Il y répondra
à la lumière de son expérience.
M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le professeur, je vous accueille
aussi avec grand plaisir.
Pr. Israël NISAND - Monsieur le président, Monsieur le rapporteur,
je vais également faire usage de modestie. En effet, j'ai dû
remanier totalement mon propos au fur et à mesure de l'écoute des
orateurs précédents. Je souscris en effet totalement aux discours
tenus par les Professeurs Huriet, Kahn et Munnich. Je tenterai cependant
d'apporter quelques réponses personnelles aux questions que vous me
posez, Monsieur le rapporteur.
D'entrée de jeu, il me semble indispensable de rappeler qu'un expert
n'est jamais neutre, surtout dans le domaine de la bioéthique. Je
n'échappe pas à cette contamination par mes propres valeurs. Ce
serait en effet prétentieux de ma part que de dire que les propos que je
vais tenir émanent exclusivement d'une analyse d'expert. Personne ne
peut sortir de l'ambiguïté qui provient de l'éclairage que
l'on obtient à la lueur de ses propres valeurs. Mes valeurs, ma culture
et mon histoire interfèrent donc avec la position que je vais exprimer
devant vous.
La deuxième difficulté à laquelle toute la
société française est confrontée, est le
problème de la contemporanéité (ici imposée) entre
l'avancement du droit et l'avancement de la science. Jamais la situation n'a
été aussi critique de ce point de vue. En effet, habituellement
le droit peut prendre de la distance par rapport aux événements
et éviter la difficulté qu'il y a à dire le droit trop
tôt. Mais ici le sujet est difficile car il touche à la
définition de l'humain. Les chercheurs des biotechnologies pourraient
remettre en cause la définition de l'être humain et ceci de
manière assez grave. Ces recherches sensibles imposent donc un exercice
de style délicat pour les juristes et les élus, celui de limiter
la recherche. Ce travail est dangereux car le fait de pouvoir chercher
appartient à la liberté de l'homme par nature curieux. Mais pour
la première fois dans notre histoire, et pour des raisons
éthiques, nous sommes tenus à tout le moins d'encadrer cette
recherche.
La première solution pourrait consister à dire que, cette
recherche étant dangereuse, il faut l'interdire. Cette attitude est bien
sûr impossible et le serait même si nous étions
isolés dans le monde. Nous avons des frontières et d'autres pays
existent qui pourraient constituer à l'avenir des paradis
génétiques. Nos chercheurs seraient obligés de s'expatrier
pour ne pas perdre pied dans les domaines de la biologie de la reproduction ;
cas de figure à éviter bien sûr.
De plus, l'homme est particulier dans la mesure où il a toujours fait le
meilleur et le pire de ses découvertes. Quelles que soient les lois que
la France se donnera, nous savons bien qu'ailleurs, tout ce qu'il sera possible
de faire sera fait. Ceci ne dispense absolument pas de légiférer.
Ce n'est pas parce qu'ailleurs le pire pourrait être commis qu'il faut
l'admettre chez nous.
La révision des lois dites bioéthiques de 1994 devait intervenir
en 1999. Le retard apporté à cette révision de la loi nous
rassure, car la lenteur du législateur ici montre sa pondération,
son angoisse et ses difficultés face à une science qui cavale
tant sur le plan qualitatif que quantitatif.
Il existe un réel contraste entre les vitesses d'accomplissement de ces
deux modèles, le modèle légal et le modèle
scientifique. Cette différence de vitesse justifie totalement de confier
à une agence une antenne de surveillance de la recherche et des
pratiques, en quelque sorte un pôle avancé du législateur
pour évaluer, en temps réel, les activités de recherche
dans ce domaine.
Cette Agence (APEGH) pourrait avoir, monsieur le rapporteur, une composition
différente de celle qui se trouve dans le projet de loi voté par
l'Assemblée nationale. Je suggère qu'il y ait plus de
représentants de la société civile, du monde de la
pensée (des philosophes par exemple mais aussi des juristes et des
élus) et moins de représentants du corps médical qui sont
souvent juges et parties. Les médecins doivent être invités
à donner leur avis en tant qu'experts sur l'opportunité des
recherches et sur leurs limitations. Cette Agence pourrait avoir la
mobilité nécessaire à l'évaluation des dossiers, ce
que ne peut faire le législateur qui se doit de prendre du recul. Nous
ne savons pas quelles seront les avancées scientifiques de demain.
Même avec la plus grande précision dans l'élaboration d'un
texte, celui-ci serait dépassé dès sa publication.
Même une cadence de révision de la loi de cinq ans deviendra
insuffisante pour les réactions rapides que ne nécessiteront les
progrès à venir.
Une telle agence relève donc d'une précaution du
législateur devant un problème inédit et ne le dessaisit
pas, bien au contraire, de son pouvoir régalien. La Commission nationale
de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal avait des
pouvoirs limités puisque, par exemple, elle ne pouvait se rendre dans
les hôpitaux pour évaluer sur place les actions engagées.
Ses moyens financiers étaient insuffisants et sa rapidité de
prise en compte des dossiers en souffrait.
Augmenter les attributions de l'Agence par rapport à cette Commission
nationale de biologie de la reproduction me semble légitime et de
surcroît astucieux. Si la France participe au travail de recherche sur
l'embryon, il est nécessaire qu'un comité de sages puisse
encadrer ce travail, le limiter après l'avoir autorisé et enfin
en vérifier les résultats.
Le projet d'agence me semble donc bon, à l'exception de sa composition,
qui doit subir quelques modifications dans le sens d'une plus grande ouverture
à des personnes étrangères aux intérêts
scientifiques proprement dits.
Avant de répondre très précisément aux questions
que vous me posez, monsieur le rapporteur, je voudrais faire deux autres
remarques préliminaires : l'une concerne la définition de
l'eugénisme et l'autre concerne les problèmes éthiques
soulevés respectivement par le diagnostic préimplantatoire (DPI)
et le diagnostic prénatal (DPN).
En ce qui concerne l'eugénisme, un des sénateurs de la commission
faisait remarquer que le diagnostic prénatal ne constitue pas de
l'eugénisme puisqu'il est librement consenti par tout le monde. Il y a
là un réel problème de définition du mot
eugénisme. En effet, l'eugénisme est, pour une partie du concept,
la sélection des enfants à naître. L'autre partie du
concept traite des moyens divers d'améliorer l'espèce humaine.
Lorsqu'une femme par exemple choisit comme compagnon un bel homme dans le but
de faire avec lui de beaux enfants, son choix entre parfaitement dans la
définition de l'eugénisme.
On peut donc se poser la question de savoir s'il y aurait un bon et un mauvais
eugénisme ou plutôt un eugénisme acceptable et un
eugénisme non acceptable et quelle serait dans cette hypothèse la
ligne de démarcation ? C'est un philosophe américain, Philip
Kitcher, qui, par l'analyse du concept, peut nous aider dans la
compréhension de ce mot complexe. Selon lui, un programme
eugénique peut être envisagé et analysé selon quatre
angles différents et dans chacune de ces catégories le programme
peut être plus ou moins acceptable. Ces catégories sont :
- l'aspect coercitif ou non du programme ;
- l'aspect discriminatoire ou non du programme ;
- la qualité des fondements génétiques du
programme ;
- le but et l'enjeu du programme.
En effet, lorsque l'on parle d'eugénisme, le grand public effectue
souvent un rapprochement avec la médecine qu'exerçaient les
médecins nazis (qui ont fait l'objet du procès de Nuremberg bis,
un des fondements modernes de la bioéthique). On ne peut bien sûr
pas comparer cette médecine là au diagnostic prénatal en
les rangeant toutes deux sous la même bannière de
l'eugénisme. Si l'on compare ces deux programmes (la médecine
nazie et le diagnostic prénatal) sous chacun des angles d'analyse de
Philip Kitcher, on peut dire que la médecine nazie était
coercitive alors que le diagnostic prénatal ne l'est pas, qu'elle
était discriminatoire, ce qui n'est pas le cas pour le diagnostic
prénatal, qu'elle reposait sur un fondement génétique
erroné alors que le diagnostic prénatal a des fondements
génétiques scientifiquement élaborés et corrects et
enfin que le but de la médecine nazie était d'obtenir une
amélioration de la race aryenne alors que le propos du diagnostic
prénatal est d'avoir des enfants en bonne santé. Les deux
programmes sont eugéniques mais l'un est inacceptable, alors que l'autre
(qui répond bel et bien à la définition philosophique de
l'eugénisme) est parfaitement accepté par une large
majorité de la société française.
On peut donc dire à mon sens qu'il y a un eugénisme acceptable et
un eugénisme non acceptable et la difficulté est
précisément de définir les limites que notre
société accepte et de poser les valeurs qu'elle ne souhaite pas
franchir ou profaner.
Le deuxième point qui me semble important concerne les pudeurs et les
difficultés éprouvées par la société
française au moment de l'institution dans notre pays des centres
réalisant le DPI. Le DPI au bout de trois ans de fonctionnement dans
notre pays a permis la naissance à ce jour d'une trentaine d'enfants et
concerne tout au plus 150 à 200 couples par an, au maximum, dans notre
pays. Il consiste à rechercher une anomalie génétique
transmise par les parents sur un embryon et à réimplanter les
embryons qui ne sont pas porteurs de l'anomalie héréditaire de la
famille. Il me semble beaucoup moins porter préjudice à la
dignité humaine que le DPN où l'on recherche, et ceci de
manière industrielle, sur la totalité des grossesses
françaises, des anomalies embryonnaires et foetales, pour le cas
échéant, interrompre les grossesses.
Il est intéressant et révélateur de se préoccuper
avec tant de force du DPI dont la marginalité est extrême en
oubliant totalement le DPN quasiment généralisé, aux
enjeux éthiques bien plus lourds. Il y a tout lieu de penser que cette
préoccupation extrême sur le DPI et l'absence de
préoccupation sur le diagnostic prénatal sont symptomatiques d'un
état d'esprit de notre société.
Et je voulais donc rappeler que si des problèmes éthiques
importants se posent c'est bien dans le DPN et pas dans le DPI où la loi
française est parfaitement bien écrite et mesurée. Le
poids de la société française qui souhaite être
rassurée sur la qualité des enfants à naître pousse,
à l'instar d'une demande de soins, les médecins à proposer
des tests de DPN de plus en plus sophistiqués.
Et si demain l'on était capable de détecter chez l'enfant
à naître, par un moyen ou par un autre, l'existence d'une
agressivité excessive, il y aurait fort à parier que nous serions
sollicités par des demandes d'avortement comme cela s'est produit
récemment dans le centre où j'exerce à propos de la
détection fortuite d'un caryotype comportant un double Y.
On peut donc dire que notre société a, à
l'évidence, un véritable penchant eugénique qui
actuellement se renforce, compte tenu de la difficulté
qu'éprouvent les parents d'enfants handicapés au quotidien. La
boucle d'un eugénisme institutionnel a d'ailleurs failli être
bouclée totalement lorsque l'on a tenu pour responsable au plan
médico-légal des médecins n'ayant pas
détecté une anomalie, permettant ainsi aux parents de ces enfants
d'être «indemnisés» de l'absence de diagnostic
prénatal. Nous étions de ce point de vue en train de faire fausse
route collectivement puisque là où la solidarité nationale
doit prendre en charge l'enfant différent, c'est au contraire que l'on
assistait, avec les actions récursoires des caisses de
sécurité sociale.
Vous m'avez demandé, monsieur le rapporteur, de donner mon opinion sur
la recherche sur l'embryon.
Je pense que la France ne pourra pas éviter de mettre en oeuvre des
programmes de recherche sur l'embryon, même si, pour l'instant les
possibilités thérapeutiques qui peuvent résulter d'une
telle recherche sont plus que douteuses. On pourrait même avancer
l'hypothèse qu'une telle recherche n'aboutira peut-être jamais
à rien. Mais a-t-on pour autant le droit de l'interdire ou de ne pas y
participer ? Le chercheur qui a découvert la pénicilline ne
faisait pas de la recherche sur les antibiotiques. Toutes les
découvertes sont le fruit du hasard et d'une rencontre
épistémologique entre deux types de discours et de langage. Si,
demain, la loi de la France interdisait de mener des recherches sur l'embryon,
ce serait, de manière certaine, une grosse erreur pour l'avenir que nous
serions sûrement amenés à regretter.
Comment donc concilier la dignité de l'embryon humain (fut-il
microscopique) et cette obligation d'autoriser la recherche sur l'embryon.
Comment concilier le conflit d'intérêt entre le respect de la
dignité de l'être humain et la quasi obligation de continuer
à avancer dans les domaines de la connaissance pour ne pas risquer qu'un
jour des recherches auxquelles nous n'aurions pas participé
s'avèrent profitables et que notre pays profite des résultats de
ces recherches sans avoir consenti d'y participer. En effet, si demain nous
avons les moyens de soigner une pathologie grave grâce à des
techniques issues de la recherche sur l'embryon, il sera impossible d'expliquer
aux français que ces thérapeutiques ne seront pas disponibles
sous prétexte qu'elles ont été obtenues grâce
à la recherche sur l'embryon. Même si nous ne savons pas à
quoi vont aboutir ces recherches (ce qui est une règle quasi constante
dans le domaine de la recherche) je crois qu'il faut y participer.
Mais notre participation peut s'accompagner d'une immense prudence dont la
première et sûrement la plus efficace est l'établissement
d'un comité des sages qui, selon la loi, pourrait comporter des
scientifiques extérieurs à la communauté nationale (le
monde des chercheurs en biologie de la reproduction dans notre pays est petit
et il serait nécessaire de se protéger d'un éventuel
copinage entre des équipes très liées entre elles).
En s'assurant d'une analyse méticuleuse de la qualité des projets
de recherche, en vérifiant la qualité des chercheurs qui les
soutiennent, en analysant correctement les résultats de la recherche
animale sur les mêmes sujets, on pourrait faire en sorte que le travail
de recherche français sur l'embryon humain soit réduit à
sa plus simple expression mais également à sa plus
nécessaire légitimation.
Si une recherche est encore possible sur l'animal, elle ne devrait pas pouvoir
prendre en compte des embryons humains. Une telle recherche devrait pouvoir
être limitée dans le temps et dans le nombre d'embryons
nécessaires et être suivie en temps réel par un
contrôle spécifique.
J'irai même plus loin sur ce point de la recherche sur l'embryon. Si la
France signe le texte de la convention d'Oviedo, il ne sera plus possible de
créer des embryons spécifiquement pour la recherche. Or il y a au
moins un exemple où il semble légitime de créer des
embryons pour la recherche. C'est celui des jeunes filles traitées par
chimiothérapie pour une maladie de Hodgkin ou une leucémie. Nous
serons probablement capables d'ici quelques années de cultiver
in
vitro
le tissu ovarien de ces jeunes femmes prélevé et
congelé avant leur traitement et maturer
in vitro
leurs ovocytes.
Ceci pourrait nous permettre, après guérison, d'obtenir des
grossesses par procréation médicalement assistée chez des
femmes qui actuellement sont condamnées à n'avoir pas d'enfant
alors que nous sommes capables de les guérir de leur maladie.
Mais ne peut-on décemment réimplanter les premiers embryons
obtenus par de telles techniques sans avoir vérifié
préalablement la qualité de ces embryons ? Ce ne serait
à l'évidence pas raisonnable ou ressemblerait à une
expérimentation sur du « matériel humain »
bien plus critiquable que de tester préalablement la qualité des
embryons. Ma réponse est donc double. Non seulement je pense qu'il faut
que notre pays se ménage une possibilité étroite et
très encadrée de recherche sur l'embryon, mais il faut
également avoir la possibilité de créer des embryons pour
la recherche dans des situations très strictes et très
encadrées. C'est de la qualité de cet encadrement que
dépend la dignité que l'on accorde à ces embryons humains,
c'est-à-dire la différence par rapport à un simple
matériel biologique.
Je voudrais simplement rappeler qu'il y a quatre ans lorsqu'il s'est agi de
créer des centres de DPI en France, seuls les centres qui avaient
envoyé un chercheur à l'étranger pour se former au travail
sur l'embryon humain ont pu avoir un agrément. Il y a là quelque
chose d'un peu malsain d'envoyer des chercheurs se former à
l'étranger sur les embryons des autres pour ensuite
récupérer leurs compétences dans notre pays. Plutôt
que de conserver ce type d'hypocrisie, ayons le courage de mettre en place chez
nous les contrôles nécessaires pour éviter une
dérive qui dans ce domaine serait inacceptable.
En ce qui concerne la brevetabilité du corps humain. Il nous faut faire
face actuellement à une pression utilitariste car aucun industriel
n'acceptera de consacrer d'importantes sommes d'argent à une recherche
dans le domaine des biotechnologies s'il n'a pas une certaine assurance
d'obtenir un retour sur son investissement. Par conséquent, il ne faut
pas tarir les possibilités qu'offre la recherche en supprimant
l'investissement émanant des structures privées.
Il y a bien sûr une différence entre une invention et une
découverte et une solution pourrait être de limiter la
durée de la propriété industrielle dans le domaine des
biotechnologies. Le délai au-delà duquel les découvertes
tomberaient dans le domaine public pourrait être plus court. Une position
médiane en tous les cas pourrait éviter le tarissement du
financement privé dans la recherche en génétique qui
serait à mon sens catastrophique car l'argent serait alors investi, mais
dans d'autres pays.
En ce qui concerne le transfert d'embryon
post mortem
. J'ai
été confronté, à titre personnel et de
manière très vive, par deux fois, à des demandes de femme
qui disaient en substance : «dans l'état actuel de la loi, vous me
dites que je peux donner mes embryons à une autre femme ou les jeter
mais que je ne suis pas autorisée à les réimplanter dans
mon propre utérus. Si c'est ce que dit la loi de la France, ceci n'est
pas entendable».
Dans cette question du transfert d'embryon
post mortem
, l'analyse
pourrait se faire en terme de cas particuliers. En effet, la meilleure
manière inventée par l'espèce humaine pour résoudre
un conflit d'intérêt, c'est la négociation, un chemin
mené avec la patiente pour essayer de lui faire comprendre où est
son réel intérêt et quels sont exactement les enjeux de sa
demande.
Qui peut dire à une patiente confrontée à la perte d'un
compagnon ce qu'elle a à faire dans ce domaine ? Qui peut savoir ce
qui s'était dit à l'intérieur du couple avant la mort du
compagnon ? Il est rigoureusement impossible de jeter la pierre à
une femme qui accomplit une démarche d'aboutissement d'un projet
débuté initialement avec un homme depuis
décédé. Il ne s'agit pas là d'encourager la
constitution de familles monoparentales mais tout simplement de traiter de
manière humaine de situations exceptionnelles et toutes
différentes les unes des autres.
Ici aussi un comité des sages pourrait intervenir au cas par cas (il
doit y avoir 5 à 10 cas par an en totalité pour toute la France).
Il me semble que cette option serait meilleure que de régler cette
question par la loi, avec toute la rigidité que cela sous-entend, et
qui, ici, ne me semble pas justifiée.
Le dernier point que je souhaite aborder concerne les maladies à
révélation tardive dont l'exemple le plus connu est celui de la
maladie de Huntington. Cette maladie dont le diagnostic prénatal est
possible se transmet à 50 % des enfants d'un sujet malade. La
maladie commence entre 40 et 50 ans et se termine dans une
déchéance psychiatrique difficilement tolérable.
80 % des enfants ayant un de ses parents atteint de la maladie de
Huntington ne veulent pas connaître leur propre statut
génétique. Cette attitude est légitime car il n'y a aucun
traitement préventif disponible. La situation se complique bien
sûr lorsque ces personnes, en pleine santé, décident de
concevoir un enfant. Le diagnostic prénatal, pour un couple dont le mari
ou la femme ne veut pas connaître sa situation génétique
personnelle, pourrait aboutir, en cas d'atteinte de l'enfant, à ce que
la révélation du statut génétique se passe contre
la volonté de l'individu de manière indirecte : si l'enfant est
atteint, c'est qu'à coup sûr son parent transmet la maladie. Il
est donc aussi un futur malade lui-même. Le diagnostic prénatal ne
peut donc pas servir à protéger ces couples de la naissance d'un
enfant malade lorsque l'un des membres du couple ne souhaite pas
connaître son statut génétique personnel par rapport
à cette maladie.
Le DPI permet de repérer chez les embryons les chromosomes issus des
grands-parents porteurs de la maladie et permet d'éviter de
réaliser l'analyse au niveau parental.
Cette situation se retrouve dans beaucoup de maladies à
révélation tardive. La loi votée par l'Assemblée
nationale, dans son article L. 2131-4, comporte dans son troisième
alinéa les mots «chez l'un des parents» à la suite
desquels est insérée la mention «ou l'un de ses ascendants
immédiats dans le cas de la maladie de Huntington». Je vous propose
de supprimer la restriction à la maladie de Huntington car d'autres
maladies à révélation tardive nous placeront dans le
besoin d'analyser les chromosomes des grands-parents pour savoir ceux que
l'embryon a hérité. La situation de la maladie de Huntington
devrait se produire pour d'autres maladies à révélation
tardive et ne pas alors nécessiter une modification du texte de loi.
Je rappelle à ce propos que toutes les demandes de DPI sont
analysées préalablement par les centres pluridisciplinaires de
diagnostic prénatal qui doivent donner leur accord après analyse
du dossier. Si la maladie de Huntington est pour l'instant la seule maladie
à révélation tardive, elle ne restera pas la seule et il
n'y a pas de risque à laisser simplement la mention de « l'un
des ascendants immédiats » sans préciser le type de
maladie que l'on recherche.
A la question posée au départ de cette intervention du
«faut-il légiférer ?», ma réponse est
désormais tout à fait claire et positive. Bien que le sujet soit
difficile, du fait de son évolutivité exponentielle, il faut
légiférer de manière très générale,
en déléguant à une agence le soin d'une analyse de
détail en temps réel.
Je ne vois pas d'autre dispositif qui permette d'allier la
nécessité de légiférer et la rapidité des
évolutions dans ce domaine.
Voici, monsieur le président, monsieur le rapporteur les quelques
éléments de réflexion que m'inspire le texte de loi que
nous analysons.
M. Francis GIRAUD, rapporteur - Je crois que le Professeur Nisand a
parfaitement répondu à notre attente. En effet, il a
complété très heureusement cette matinée en nous
apportant, élément capital, le poids de son expérience et
de sa réflexion sur tous ces problèmes. Sur beaucoup de points,
la commission des Affaires sociales devra réfléchir et se
prononcer en tenant compte de ce qu'il nous a livré ce matin. Nous le
remercions beaucoup.
M. Jean Louis LORRAIN - Si vous le permettez, monsieur le professeur, je
voudrais vous poser une question brève. Lors de votre approche, nous
nous sommes bien rendu compte que nous vivions une période de profonde
tension. Il semble que nous nous écartons de plus en plus de la morale
kantienne qui nous aidait jusqu'ici et dont la finalité était
l'intérêt de l'être et, nous avons l'impression que toutes
ces idées sont en train de se diluer.
En ce qui concerne la pression que nous ressentons, croyez-vous vraiment que
les lois éthiques et non pas celles du législateur freinent la
science ? Par ailleurs, j'ai vu tout l'intérêt que vous portez
à la création d'une agence particulière. Nous sommes un
petit peu mesurés parce que nous avons l'expérience des conseils
d'éthique qui nous semblent remplir leur tâche, en particulier sur
le plan national et notamment pour les maladies de Huntington ou de Franconi.
Vous savez bien que des avis très récents sont parus sur le
sujet. Nous partageons avec vous l'idée d'une Agence plus
spécialisée.
Ma question, à laquelle, je sais, vous ne répondrez pas, se
rapporte au statut de l'embryon. Faut-il, dans le cadre du prolongement de
cette loi, s'atteler à la tâche de définir le statut de
l'embryon ? Loin de nous l'idée de vouloir sacraliser des cellules
débutantes mais cette question est liée à la notion de
développement. Devons-nous aborder le problème de la personne
lorsque nous parlons de l'embryon ?
En précisant et en menant une réflexion de fond sur le statut de
l'embryon, nous pourrions apporter un éclairage, des comportements voire
des choix scientifiques différents, même si nous craignons ce qui
peut se passer ailleurs.
Pr. Israël NISAND - Je pense tout à fait, monsieur le
président, monsieur le sénateur, que les parlementaires ne
pourront pas faire l'économie d'une discussion difficile et très
contradictoire (car les valeurs sont très différentes) sur le
statut de l'embryon et du foetus. Un événement récent
où une femme a perdu son foetus à la suite d'un accident de la
voie publique à la veille de son accouchement a laissé l'opinion
publique sans voix lorsqu'il a été dit que le foetus
n'était pas une personne.
Le débat sera en effet difficile car l'opinion publique est favorable
à 90 % au maintien du droit à I'IVG. Il faut donc trouver
une solution pour créer un statut de l'embryon tout en maintenant le
droit des femmes à accéder, lorsqu'elles le souhaitent, à
une interruption volontaire de la grossesse.
Je ne partage pas par exemple l'opinion qui consiste à dire qu'il vaut
mieux jeter un embryon plutôt que de mener une recherche très
encadrée sur lui avant de le jeter. Je n'arrive pas à comprendre
où est la différence de dignité entre ces deux
démarches. La démarche du don qui concerne les embryons aussi
bien que les organes ne porte pas non plus atteinte à la dignité
humaine. En effectuant une analyse génétique sur un embryon avant
de la détruire, nous n'attentons pas à la dignité humaine.
En revanche, je nourris une opposition personnelle au clonage reproductif. Les
forces du marché sont telles que des équipes de recherche peuvent
être amenées à le réussir et à le proposer.
Or il porte atteinte à la liberté individuelle et ceci de
manière grave et n'a aucun intérêt médical ni
même aucun intérêt scientifique.
L'interdire en France ne suffit pas et il me semble qu'à cette occasion
la France devrait demander, même si elle est isolée dans cette
démarche, de faire du clonage reproductif un crime contre
l'humanité. Celui-ci pourrait dès lors être poursuivi, sans
prescription, par un tribunal pénal international.
C'est le seul moyen d'éviter une issue inéluctable et
caractéristique de l'espèce humaine «l'homme a toujours fait
le meilleur et le pire de ses découvertes». Être comptable
devant nos enfants du monde que nous leur laisserons, c'est s'être
opposé avec la plus grande véhémence au clonage
reproductif, même si d'autres nations, subverties par les forces du
marché, n'ont pas la même analyse que nous. Ce ne serait pas la
première fois que la France fait entendre seule sa voix. C'est alors
qu'elle a le plus de poids.