A. AUDITION DU PROFESSEUR CLAUDE HURIET, PRÉSIDENT DE L'INSTITUT CURIE
Pr.
Claude HURIET - Merci, monsieur le président. Vous comprendrez, j'en
suis sûr, le plaisir que j'éprouve d'être accueilli par
vous, collègues et anciens collègues de la commission des
Affaires sociales, et par le rapporteur, mon ami Francis Giraud. Je vous
remercie de votre gentillesse qui me touche au point que je risque de
bafouiller dans mes propos. J'essaierai cependant de dominer cette
émotion durable et profonde.
Je commencerai mon intervention en évoquant le retard qui atteindra 4
ans pour la révision de la loi et l'incertitude quant à la date
du vote final. Je m'interroge aussi à propos des délais de
publication des décrets d'application en Conseil d'Etat.
Dans la perspective du débat au Sénat, est-il envisagé de
débattre de la convention européenne de biomédecine, dite
convention d'Oviedo, et du protocole additionnel dont la France est parmi les
dernières à envisager la ratification ?
Dans le cadre du débat, la discussion des modifications
éventuelles de la loi du 20 décembre 1988 et de la transposition
de la directive européenne du 4 avril 2001 aura-t-elle lieu ?
Si c'est le cas, je souhaiterais, sans abuser de votre gentillesse, vous faire
connaître certains arguments.
Mon intervention s'appuiera non seulement sur le texte initial de la loi et sur
celui adopté par l'Assemblée nationale en première lecture
mais également sur les deux rapports de l'Office parlementaire
d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPESCT). En
effet, l'un traite de l'évaluation de la loi de 1994 et avait
engagé la procédure de révision, et l'autre du clonage, de
la thérapie cellulaire et de l'utilisation thérapeutique des
cellules embryonnaires.
Je voudrais présenter mon exposé en trois points, en
commençant par « un comparatif ». En effet, je me
suis livré à un exercice, pouvant rendre service au rapporteur,
consistant à voir dans quelle mesure le texte du Gouvernement
adopté en première lecture par l'Assemblée nationale a
tenu compte de l'évaluation, a laquelle nous avions
procédé, Alain Claeys et moi-même, de la loi de 1994. Le
deuxième point de mon exposé comporte des remarques et des
interrogations et dans la troisième partie, plus personnelle, je fais
part de mes réserves et de mes oppositions.
- Etude comparative des textes
Des dispositions nouvelles vont dans le sens d'un élargissement des
possibilités de prélèvement d'organes sur donneur vivant.
Ces mesures sont légitimées par l'évolution des
connaissances scientifiques que je ne détaillerai pas, et permettront
aussi de combler, au moins en partie, l'écart entre le nombre des
malades en attente et les possibilités de transplantation. L'extension
se réfère à des personnes unies par un lien étroit
et stable. Pour la greffe de moelle, le don entre cousins et cousines germains
est justifié par de nombreux motifs que d'autres que moi pourront
développer.
S'agissant du consentement, à distinguer de l'autorisation, dans la
procédure mise en place par la loi, je formulerai quelques remarques sur
les comités d'experts et sur l'utilité d'encadrer dans la loi la
stimulation ovarienne. Ceci correspond aussi à une demande presque
unanime qu'Alain Claeys et moi-même avions reçue lors de nos
auditions.
Pour le transfert d'embryons
post mortem
, les dispositions sont
conformes à notre évaluation. En effet, si les avis
étaient partagés, l'opinion dominante parmi les
obstétriciens et les psychopédiatres, était la
quasi-impossibilité de proposer à une femme, dont le mari
était décédé, l'accueil de
« son » embryon par un autre couple. Je crois d'ailleurs
qu'aucune application de ces dispositions de la loi n'a été
effective. En revanche, le transfert
post mortem
est beaucoup moins
simple qu'on pouvait l'imaginer. Finalement, la sagesse l'a emporté en
l'autorisant, dans certaines conditions, en exigeant un délai minimum de
réflexion et un délai maximum pour la décision. Pour le
don de gamètes, la loi élargit le nombre d'enfants conçus
par le donneur de gamètes de cinq à dix. En effet, les
études génétiques ont montré que le risque de
consanguinité n'existait pas pour un seuil aussi bas.
La portée de la reconnaissance de la Nation ne doit pas être
minimisée. Je suis satisfait de voir que l'article L. 1211-7-1 inscrit
ce principe dans la loi. Il reste à voir comment s'exprimera cette
reconnaissance de la Nation pour ceux qui font don généreusement
d'une partie de leur corps, de leurs tissus ou de leur sang.
- Remarques et interrogations
J'attire votre attention sur des techniques, relativement récentes, et
sur lesquelles mon ami Axel Kahn pourra vous apporter des précisions.
Désormais, on peut disposer de puces à ADN et de kits de
diagnostics déjà largement accessibles aux Etats-Unis. Nous
devons nous interroger, non pas sur le bien fondé des dispositions
législatives encadrant l'utilisation et l'accès aux
données génétiques, mais sur la question de savoir si la
diffusion de ces procédés ne va pas changer fondamentalement
l'application de la loi. En effet, rien n'empêchera des personnes ayant
réalisé leur propre diagnostic génétique et
disposant d'un « profil idéal », de le faire valoir
auprès des assureurs, pour bénéficier d'un bonus, ou des
employeurs, pour obtenir une priorité à l'embauche. Il est
nécessaire, dans le cadre de l'évaluation et de la
révision de la loi, de tenir compte de ces nouvelles possibilités
de diagnostic.
Remarque plus ponctuelle : la loi prévoit la
rémunération des membres des comités d'experts. A propos
de la loi du 20 décembre 1988, les membres des comités
consultatifs de protection des personnes à la recherche
biomédicale, se sont vu refuser le principe d'une
rémunération voire même d'une simple indemnisation. Cela
devrait être revu parce que des conséquences négatives, que
j'avais évoquées dans un rapport de votre commission, se
répercutent sur le pluralisme des comités consultatifs de
protection des personnes dans la recherche biomédicale (CCPPRB).
Un autre élément intéressant est la
référence aux ULTRAS, dénuée de toute signification
politique, mais terme anglais
Un Related Living Transport Regulation
Authority,
mentionnée
par le comité consultatif
national d'éthique dans son avis du 27 mars 1998. Cette
référence permet de relativiser le rôle de ces
comités d'experts en ce qui concerne les autorisations de
prélèvements sur donneur vivant après que le juge ait
recueilli le consentement. Dans l'avis du Comité consultatif national
d'éthique (CCNE), il est indiqué que de 1991 à 1994,
l'ULTRA a été saisi de 450 demandes et a donné
28 autorisations. Ces chiffres intéressants sont toutefois
nécessairement transposables en France.
J'ai beaucoup réfléchi au cas particulier des mineurs. Pour les
prélèvements de moelle osseuse chez des mineurs, frères,
soeurs ou, éventuellement, cousins ou cousines, le consentement,
première phase de la procédure, est exprimé devant le
président du tribunal de grande instance. Un confrère
pédiatre m'a fait part du calvaire vécu par un petit donneur,
lors de sa comparution devant le magistrat. Comment concilier la
nécessité de garantir les conditions d'obtention du consentement
et la sensibilité de l'enfant qui « comparaît devant un
juge ». Dans les dispositions actuelles du texte, l'obligation du
recueil de consentement du mineur par un magistrat n'est pas remis en cause, ce
qui est bien. Mais, le petit donneur devra, en outre, comparaître aussi
devant le comité d'experts, soit deux comparutions successives pour un
enfant dans les conditions de fragilité psychologique que l'on peut
imaginer. Je ne sais pas quelle réponse apporter mais j'attire votre
attention sur des situations que le législateur ne peut ignorer.
La preuve d'une vie commune depuis au moins deux ans est une disposition contre
laquelle les médecins se sont élevés vigoureusement. Ils
considèrent, en effet, qu'ils n'ont ni vocation, ni moyen de s'assurer
de la stabilité d'un couple, alors qu'il s'agit d'un critère
permettant d'autoriser ou de refuser l'AMP. A qui confier une évaluation
aussi subjective que difficile ? La période d'au moins deux ans de
stabilité du couple est, en outre, contestée par les praticiens
de l'AMP, surtout lorsqu'il s'agit de femmes relativement âgées.
Imposer sans raison autre que « l'épreuve de la
stabilité », une période de deux ans
supplémentaires risque, selon eux, d'entraîner des
inconvénients pour le déroulement de la grossesse.
- La médecine régénératrice
La médecine régénératrice comporte des liens
étroits avec la thérapie cellulaire. Laissez moi vous en donner
un exemple frappant concernant des « vessies
artificielles ». On peut désormais fabriquer des vessies en
partant d'un moule réalisé en substance biodégradable sur
laquelle on va mettre en culture, de part et d'autre, des cellules
vésicales. Il s'agit bien de culture, de thérapies cellulaires.
Ces dispositifs « mixtes » sont actuellement
« hors la loi » et n'apparaissent dans aucun texte national
ou européen. On se posera, à l'évidence, la question de
leur commercialisation, qui sera en contradiction avec le principe de la
non-commercialisation du corps humain. En cette matière, le
législateur a intérêt à fournir des réponses
avant que les problèmes ne se posent d'une façon aiguë.
- Définition des thérapies géniques et
cellulaires
Les définitions des thérapies géniques et cellulaires sont
à revoir. Elles manquent de clarté. Je me demande si les articles
L. 5151-1 et L. 5151-2 visent les vecteurs viraux ou autre chose. Il faut
répondre.
- Thérapies géniques germinales
La réflexion doit se poursuivre. La thérapie génique
germinale, selon certains généticiens, ne peut pas être
catégoriquement exclue. En effet, par des manipulations
génétiques, éviter la naissance d'enfants atteints de
maladie génétique est une chose mais si cette technique est
efficace, certains se demandent pourquoi en interdire le bénéfice
aux générations sui suivront.
- Disparition de la consultation de conseils
génétiques
La disparition de la consultation de conseils génétiques me
paraît être une erreur : il faut revenir sur ce point.
- Réserves et oppositions
Les points suscitant réserve ou opposition sont peu nombreux, mais
extrêmement importants à mes yeux. Tout permet de penser que
l'essentiel du travail parlementaire va se développer sur ces
éléments.
- L'APEGH (Agence française de la procréation, de
l'embryologie et de la génétique humaine)
L'APEGH dispose de compétences larges, de compétences très
larges, de compétences trop larges. Je m'étais exprimé
avec Jacques Montagu, membre du Comité consultatif national
d'éthique, dans un article retenu par
le Figaro
en janvier 2002.
Je vous en transmets une copie, monsieur le rapporteur : cela peut vous
aider à mieux comprendre mes propos nécessairement concis.
J'ai cherché dans le texte adopté par l'Assemblée
nationale l'article encadrant le diagnostic préimplantatoire (DPI) que
nous avions eu beaucoup de mal, Jean Chérioux s'en souvient, à
introduire dans le texte de 1994. Nous y étions parvenus avec la
collaboration étroite de quelques-uns de mes collègues
généticiens et obstétriciens. Cette
référence au DPI n'existe pas dans le texte de première
lecture. Il faut chercher dans la liste des compétences de l'APEGH, la
définition du DPI, c'est-à-dire la recherche sur les cellules
embryonnaires. Il est inacceptable de ne pas mentionner le DPI en tant que tel
dans une énumération qui comporte diverses attributions (les
cellules embryonnaires et foetales, les conditions de prescription des examens
des caractéristiques génétiques) qu'on transfère
à l'APEGH. C'est comme si le législateur se désengageait
de domaines cruciaux qui portent sur des valeurs fondamentales telles que la
dignité de la personne humaine et sa place dans la
société. Des champs de compétences aussi sensibles
seraient ainsi transférés à l'APEGH. Certes, l'Agence
devra rendre un rapport annuel, mais ses compétences doivent être
revues, non pour la vider de sa substance mais pour définir
précisément ce qui peut lui être
délégué et ce qui doit impérativement relever de la
responsabilité de la représentation nationale. C'est un point
d'autant plus important que l'agence « autorise » les
protocoles de recherche sur l'embryon et sur les cellules embryonnaires et ne
se limite plus à « donner un avis », selon un
amendement adopté par l'Assemblée nationale. La Haute
Assemblée doit être particulièrement vigilante sur ce
point. Les missions du Haut Conseil seront définies par décret en
Conseil d'Etat. Je n'ai rien contre le Conseil d'Etat mais, dans un domaine
aussi sensible, c'est une autre façon pour le Parlement de se dessaisir
d'une part de ses responsabilités.
- L'assistance médicale à la procréation (AMP)
En cas de désaccord entre les deux membres d'un couple, l'article
L. 2141-4 du projet de loi tranche en optant pour la destruction de
l'embryon surnuméraire. Cela signifie qu'au sein d'un couple qui se
déchire, l'avis le plus négatif, si j'ose dire, l'emporte.
L'article L. 2151-3 porte sur la recherche sur l'embryon et les cellules
embryonnaires et les compétences de l'APEGH. Je voudrais dire pourquoi
je suis très réservé quant à l'évaluation
préalable de toute technique d'AMP. On affirme qu'en aucun cas on ne
peut autoriser de produire des embryons humains pour la recherche, mais une
disposition de la loi précise que toute nouvelle technique d'AMP doit
être précédée d'une évaluation. Or,
évaluer c'est comparer et je ne vois pas comment on peut comparer en
l'absence de lots d'embryons humains témoins qui, ne pouvant être
implantés dans un utérus et devant être détruits,
auraient été conçus pour la recherche. On ne peut pas
affirmer une chose et écrire le contraire. La conception
in vitro
d'embryons humains à des fins de recherche est interdite sans
préjudice de l'évaluation.
« Les embryons sur lesquels une recherche a été
conduite ne peuvent être transférés à des fins de
gestation. »
Je ne comprends pas cette phrase. Signifie-t-elle
que les embryons peuvent être transférés à d'autres
fins ? Cela soulève, en outre, insidieusement l'interrogation sur
le clonage thérapeutique. Les choses ne sont pas claires.
Je relève aussi une phrase qui m'étonne et qui n'est pas
dénuée d'humour :
« Le consentement des deux
membres du couple est révocable à tout moment et sans
motif »
. Que signifie cette disposition si le couple revient sur
sa décision après que l'embryon surnuméraire eût
été utilisé à d'autres fin.
- Le clonage
A plusieurs reprises apparaît la phrase
« gamètes
d'un homme et d'une femme en vue de faire naître un
enfant »
. Mais la mention de l'utilisation possible des cellules
souches adultes n'apparaît nulle part. Ne pas les évoquer d'une
façon ou d'une autre risque de tronquer un débat qui sera
difficile. Il faut éviter d'alimenter l'idée fausse selon
laquelle si la loi interdit l'utilisation des cellules souches embryonnaires,
elle condamne au désespoir les malades atteints de maladies graves et
incurables, qui espèrent en bénéficier.
Je termine, monsieur le président, en évoquant le délai de
réexamen de quatre ans mentionné dans le projet de loi, alors que
nous n'avons déjà pas été capables de respecter le
délai de cinq ans inscrit dans la loi de 1994. Le point important,
l'expérience le montre, porte non seulement sur le délai de la
révision de la loi mais aussi sur le délai de parution des
décrets. Bien sûr, cela ne peut pas être mentionné
dans la loi. Mais, dans le rapport d'évaluation de la l'OPECST, nous
avions souligné que certains textes d'application n'avaient
été publiés que quatre ans après la promulgation de
la loi.
M. Nicolas ABOUT, président - Merci beaucoup. Claude Huriet, chacun s'en
souvient, était l'un des membres les plus illustres et les plus
éminents de notre commission. Il a marqué nos travaux et nous
nous apercevons encore ce matin qu'il le fait toujours. Claude Huriet, vous
avez été, vous le rappeliez tout à l'heure, en 1999 avec
Alain Claeys l'auteur d'un rapport de l'Office parlementaire des choix
scientifiques et technologiques. Ce texte fut très important puisqu'il a
constitué le prélude de la révision de cette loi sur la
bioéthique. Je voulais vous remercier tout particulièrement
d'avoir accepté d'ouvrir cette journée. Nous souhaitions en effet
qu'elle soit ouverte par quelqu'un avec qui nous avons des liens
d'amitié très anciens et profonds.
M. Francis GIRAUD, rapporteur - Merci monsieur le président. Monsieur le
conseiller d'Etat, cher Claude, peu de commentaires sont nécessaires. La
commission a ressenti dans votre exposé toute la réflexion, la
maturation et le travail de très nombreuses années. Nous vous en
remercions beaucoup. Vous avez répondu à nos questions et je ne
reviendrai pas sur le détail. Je vous poserai deux questions, une
générale et une plus particulière. Vous avez
participé en tant que parlementaire aux travaux sur les lois de
bioéthique de juillet 1994. Quel regard portez-vous sur
l'évolution scientifique et des mentalités intervenue depuis
lors ? Cette question, d'ordre sociologique et non pas technique est, de
mon point de vue, assez importante. La deuxième question, plus
précise est la suivante. Quel sort devrait être, selon vous,
réservé aux embryons dits surnuméraires aujourd'hui
conservés et qui n'ont pas ou plus de projet parental ? Sur un plan
pratique, que devons-nous faire ?
M. Nicolas ABOUT, président - Professeur Huriet, quel est votre regard
et quel est votre avis sur le sort des embryons ?
Pr. Claude HURIET - L'évolution scientifique s'est
accélérée, notamment dans le domaine de la
génétique. En 1994, lors des travaux préparatoires, ce
domaine n'avait pas atteint sa maturité. Mais maintenant, je le disais
à propos des puces à ADN, nous sommes face à des
réalités. Le progrès se développe rapidement dans
le domaine des biotechnologies, des sciences de la vie et de leurs applications
à l'homme. Ce progrès suscite bien des espoirs : en ce qui
concerne l'évolution des mentalités, nous constatons par rapport
à 1994 plus qu'une simple curiosité, un souhait d'une large
partie de l'opinion de s'impliquer dans la réflexion et de participer au
débat. Nous sommes quelques uns à être de plus en plus
sollicités pour venir parler de bioéthique devant des auditoires
nombreux et divers. Les mentalités évoluent, nous sortons du
cénacle des chercheurs et des scientifiques, l'opinion
s'intéresse de plus en plus à ces questions difficiles, surtout
quand sa propre santé est concernée. Se manifeste aussi le
sentiment de toute-puissance de la médecine, avec pour corollaire le
refus de la maladie et quelquefois de la fatalité de la mort. Nous
sommes dans le contexte d'une société citoyenne qui
s'intéresse et veut s'impliquer davantage dans ces réflexions. Je
pense que le Parlement s'honorera en en tenant compte.
Au sujet des embryons surnuméraires sans projet parental, ma position
est connue. Je l'évoquais dans la dernière partie de mon
exposé. Le nombre d'embryons surnuméraires doit actuellement
dépasser 100.000, mais nous ne savons pas trop le chiffre exact. Leur
existence pose la question de savoir si la loi doit mettre en place des
dispositions visant à en limiter le nombre si cela est techniquement
possible. L'exemple allemand, cité volontiers il y a quelques
années, est en train d'évoluer puisque le Bundestag s'interroge
pour savoir si la loi protectrice de l'embryon doit être amendée.
Ma position personnelle concernant la reconnaissance de la dignité de
l'embryon humain dès son origine m'amène à
considérer qu'il vaut mieux mettre un terme à sa conservation
plutôt que de l'instrumentaliser quelles que soient les fins pouvant
justifier son utilisation. C'est un des points fondamentaux du débat
à venir.
M. Nicolas ABOUT, président - Je vais donner la parole au rapporteur de
la loi de 1994 sur la bioéthique, Jean Chérioux.
M. Jean CHERIOUX - Je vous en remercie, monsieur le président. Le sujet
est tellement vaste qu'il faut choisir. Mon choix se portera, cela
n'étonnera pas le rapporteur, sur la recherche sur l'embryon. C'est
d'ailleurs dans ce domaine que se posent le plus grand nombre de vos
interrogations, monsieur le conseiller d'Etat. Vous avez dit, très
justement, que nous avions affaire à des citoyens qui
réfléchissaient beaucoup à ces problèmes. Mais, mon
inquiétude est que leur réflexion se situe dans le contexte
particulier de la fascination de la thérapie génique. Au nom de
celle-ci, ne risquons nous pas de nous trouver devant des dérapages
assez graves ? Vous avez vous-même indiqué que l'introduction
dans la loi d'une référence aux cellules souches adultes est
souhaitable. En effet, si elles peuvent avoir et rendre les mêmes effets
que les cellules souches embryonnaires, le problème peut être
réglé. Mais ma question est la suivante. Admettons qu'il soit
possible de faire des recherches sur l'embryon. C'est une porte ouverte. On
commencera par étudier les quatre ou huit cellules de base et
après jusqu'où ira-t-on? Cela ira-t-il jusqu'à une
sorte d'enfantement artificiel de l'embryon comme dans «
Le
meilleur des mondes »
? Sur quoi déboucheront ces
recherches ? Nous pouvons envisager les recherches à partir des
cellules. Mais, après, jusqu'où cela peut-il nous mener ?
N'y a-t-il pas un risque considérable ? Comme vous l'avez
très justement précisé, en définitive, la
décision revient à un organisme chargé de tout
régler à la place du législateur. C'est très
commode pour le législateur mais, aujourd'hui, cela nous pose un
problème déterminant.
Pr. Claude HURIET - Je ne sais pas si nous pouvons parler de fascination de la
thérapie génique. Il y a deux ans, à l'occasion du rapport
de l'OPECST se manifestait, c'est vrai, un certain enthousiasme en faveur de la
thérapie génique. Les premiers désenchantements sont
intervenus aux Etats-Unis quelques mois après. En France, les
succès d'Alain Fischer ont permis d'adopter une vision d'autant plus
mesurée que nous avons vu les applications possibles et les
éventualités de réussite thérapeutique. On a
constaté concrètement les difficultés pour maîtriser
un processus de prolifération cellulaire sur la nature de laquelle on
s'interroge. Des espoirs et des possibilités apparaissent au fur et
à mesure que progresse la connaissance du génome. Raison de plus
pour regretter l'absence de référence explicite au diagnostic
préimplantatoire. Une question grave risque de se poser. Au fur et
à mesure que nous allons découvrir, individualiser, les
gènes responsables ou prédisposant à des maladies,
allons-nous envisager de traiter ces maladies par thérapie
génique ? Prenons l'exemple de certaines formes de cancer du sein
à prédisposition familiale. Ne va-t-on pas être
tentés d'étendre les indications du DPI plutôt que de
recourir, si elle est possible, à la thérapie génique plus
aléatoire et plus coûteuse ? Ne serons-nous pas
confrontés à un choix entre les possibilités des
thérapies géniques et une sélection par le DPI permettant
de caractériser les embryons porteurs d'anomalie génétique
afin de les éliminer plutôt que de chercher à les
traiter ?
M. Nicolas ABOUT, président - Merci beaucoup. Je suppose que nous
reviendrons sur tous ces sujets avec chacun des intervenants tout au long de la
journée.
M. André LARDEUX - Merci, d'abord, de votre exposé qui
était très clair et très passionnant. L'un des arguments
qui va nous être opposé est celui de l'action des autres pays.
Qu'en pensez-vous ? Comment pouvons-nous nous protéger ? Des sectes ou
des personnes très médiatiques comme M. Antinori
prétendent réaliser des choses hors normes. Comment, en France,
à partir de la législation qui est proposée, pouvons-nous
éviter ces dérives ?
Pr. Claude HURIET- - Les références à M. Antinori et
au mouvement raëlien ne sont pas les plus préoccupantes car, dans
l'opinion internationale, il existe un fort rejet du clonage reproductif. Cela
ne signifie pas pour autant qu'il n'interviendra jamais. Mais votre
interrogation concernant la compétition internationale en matière
de recherche est extrêmement importante. Les défenseurs de la
recherche sur l'embryon de l'utilisation des embryons humains
surnuméraires et sans projet parental disent qu'ils ont les moyens de
mener ces recherches mais que la loi leur interdit de participer à la
compétition internationale pour les perspectives d'utilisations
thérapeutiques. Cet argument nécessite une réflexion en
profondeur. Nous n'avons pas le droit d'interdire aux personnes qui refusent
cette possibilité de faire valoir leurs arguments. A vrai dire, la
compétition internationale ne concerne pas seulement l'utilisation de
l'embryon humain. Est-ce parce les Pays-Bas autorisent l'euthanasie que l'on
doit considérer que la France est en retard et qu'elle doit adapter sa
législation ? Cette question est d'autant plus compliquée
qu'elle est souvent assortie de la réflexion suivante. Le jour
où, et ce n'est pas pour demain, les indications thérapeutiques
seront cohérentes, irait-on jusqu'à interdire l'importation des
moyens thérapeutiques pour répondre aux attentes des malades
français ? En cela, les perspectives d'utilisation des cellules
souches adultes seront intéressantes pour autant qu'elles soient elles
aussi confirmées. L'utilisation thérapeutique des cellules
embryonnaires laisse encore de nombreuses incertitudes. Si une solution
alternative apparaît, le dilemme sera moins tragique.
M. Guy FISCHER - D'après votre très grande expérience et
votre connaissance du dossier et pour prolonger les propos de notre
collègue André Lardeux, constatez-vous, en France, de plus en
plus de voix se faisant entendre pour l'utilisation des embryons
surnuméraires sans projet parental ? Sentez-vous une pression au
niveau du monde scientifique et de la part de lobbies qui pourrait avoir des
conséquences sur le débat et le contenu de ce projet ?
Pr. Claude HURIET - Je ne sais pas si les prises de position sont de plus en
plus nombreuses. En tout cas, elles s'expriment de plus en plus fortement. On
comprend pourquoi, dans la mesure où ce qui pouvait apparaître
comme hypothèse incertaine il y a quelques années devient plus
crédible. Le débat dans lequel les scientifiques ont tout
à fait le droit de s'exprimer correspond à une
réalité proche. Nous savons que la science par elle-même
n'est ni morale ni immorale. C'est finalement au niveau de l'éthique et
de la loi qu'il faut réfléchir aux conséquences. Mais, les
chercheurs, surtout dans le domaine des sciences de la vie ont une
responsabilité particulière. Dans le domaine des biosciences, il
peut y avoir conflit quand à la primauté à donner à
l'intérêt de la société sur celui de l'individu. De
tels conflits justifient la réflexion en matière de
bioéthique. Nous n'avions pas tellement besoin d'y
réfléchir il y a vingt ans.
M. Dominique LECLERC - Je voudrais juste demander une précision à
M. Huriet. Il a évoqué tout à l'heure
100.000 embryons surnuméraires. Si j'ai bien compris, dans le cadre
de la loi de 1994, un délai de cinq ans est précisé pour
restituer les embryons dans le cadre de projets parentaux. Ces
100.000 embryons conservés correspondent-ils à ceux qui
n'ont pas eu de projet parental ?
Pr. Claude HURIET - Le chiffre de 100.000 est un ordre de grandeur qui inclut
les embryons qui continuent de faire l'objet de projets parentaux. Il n'est pas
possible et pour cause, de faire la part de ceux qui ne
bénéficient plus d'un projet parental et les autres d'autant
qu'il s'agit de flux avec des entrées et des sorties. Le couple est tenu
par la loi de faire connaître, chaque année, ses intentions. Quand
il ne le fait pas ou ne le fait plus, le projet parental est
considéré comme abandonné.
Pour le délai de cinq ans, Jean Chérioux le confirmera, la loi de
juillet 1994 avait autorisé qu'il soit mis fin à la conservation
d'embryons antérieurs à la promulgation de la loi. Mais elle a,
en outre, interdit la destruction des embryons conçus
postérieurement jusqu'à la révision de la loi. Comme nous
sommes bien au-delà des cinq ans, cela explique l'accroissement
significatif du stock.
M. Jean CHERIOUX - Nous avons supprimé ceux qui existaient à
cause de l'absence de contrôles sanitaires. Pour les autres, nous
espérions que des solutions scientifiques seraient trouvées
pendant ces cinq ans. Malheureusement, nous n'avons pas encore
débouché sur des résultats tangibles. De plus, le
délai s'est révélé beaucoup plus long que
prévu puisque nous en arrivons à huit ou neuf ans.
Pr. Claude HURIET - L'accueil de l'embryon était une possibilité
offerte par la loi. C'est une des dispositions pour laquelle les décrets
d'application n'ont été publiés que près de quatre
ans après la promulgation. Nous savions bien que cette disposition,
défendue avec passion par Jean Chérioux, serait difficile
à mettre en oeuvre et que sa portée serait sans doute
limitée. De plus, le retard de parution des décrets ne permet pas
d'en apprécier le résultat.
M. Nicolas ABOUT, président - Combien d'embryons étaient
concernés en 1994 ?
Pr. Claude HURIET - Je n'en sais rien. Monsieur le rapporteur de 1994 devrait
savoir.
M. Jean CHERIOUX - Je ne me souviens pas exactement. Je crois que c'est plus de
l'ordre de 20.000 ou 30.000 que de 10.000.
M. Nicolas ABOUT, président - Il nous reste à remercier Claude
Huriet de nous avoir fait à la fois le plaisir d'être à
nouveau parmi nous et de nous avoir apporté ses lumières sur ce
sujet si délicat.