CHAPITRE IV
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RECHERCHE SUR L'EMBRYON ET LES CELLULES EMBRYONNAIRES ET FoeTALES

Sur proposition de M. Nicolas About, président, votre commission a adopté un amendement proposant qu'à l'actuel intitulé proposé pour le chapitre IV soit substitué un intitulé plus large :

« Recherche sur l'embryon et les cellules souches humaines ».

Article 19
Recherche sur l'embryon et les cellules embryonnaires

Objet : Cet article détermine les conditions dans lesquelles pourraient être menées des recherches sur l'embryon humain.

I - Le dispositif proposé

Le I du présent article procède, selon le syndrome dit « du pont de la rivière Kwaï » , diagnostiqué par votre rapporteur 84 ( * ) , à un déplacement du titre V (dispositions pénales) du livre premier de la deuxième partie du code de la sécurité sociale, qui devient un titre VI (cf. article 21 du présent projet de loi) avant que le II (cf. ci-après) ne le rétablisse avec un contenu différent.

Le II consacre ce nouveau titre V à la recherche sur l'embryon et les cellules embryonnaires .

Le chapitre unique proposé pour ce titre prévoit quatre articles :

L'article L. 2151-1 reproduit le troisième alinéa de l'article L. 16-4 du code civil résultant de l'article 15 du présent projet de loi portant interdiction du clonage reproductif ;

L'article L. 2151-2 prévoit l'interdiction de créer des embryons à des fins de recherche ;

L'article L. 2151-3 définit les conditions dans lesquelles peuvent être menées des recherches sur l'embryon.

Le premier alinéa de l'article L. 2151-3 prévoit que ces recherches doivent avoir une finalité médicale et ne pouvoir être menées par une « méthode alternative d'efficacité comparable en l'état des connaissances scientifiques » .

Le deuxième alinéa prévoit que cette recherche ne peut avoir lieu que sur des embryons « surnuméraires », c'est-à-dire ne faisant plus l'objet d'un projet parental, après que les membres du couple, informés des alternatives pour cet embryon -accueil ou arrêt de leur conservation-, aient consenti à cette recherche. Ce consentement préalable est exprimé par écrit, après un délai de réflexion. L'embryon sur lequel une recherche a été conduite ne peut plus faire l'objet d'un transfert.

Le troisième alinéa impose la nécessité d'un protocole agréé par l'APEGH pour toute recherche sur l'embryon. L'Agence se prononce au regard de la pertinence scientifique, médicale et éthique du projet de recherche.

Le quatrième alinéa prévoit la suspension ou le retrait de l'agrément par les ministres compétents (santé et recherche) en cas de non-respect des dispositions législatives en vigueur.

L'article L. 2151-4 prévoit que les modalités d'application du présent article seront prises par décret en Conseil d'Etat, après avis de l'APEGH.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a modifié cet article à sept reprises.

A l'initiative de sa commission spéciale, elle a adopté :

- un amendement de coordination de l'amendement adopté à l'article 18 pour l'article L. 2141-1-1du code de la santé publique qui prévoit une évaluation des nouvelles techniques d'AMP. Cette dernière proposition suppose la création d'embryons à des fins de recherche. Il fallait donc prévoir une exception à l'interdiction de principe posée par l'article L. 2151-2 ;

- un amendement fixant à « trois mois » le délai de réflexion à l'issue duquel le couple peut consentir à la recherche sur l'embryon ;

- un amendement prévoyant une double précision : la première indique que le « transfert » « à des fins de gestation » de l'embryon est rendu impossible par la recherche dont il a été l'objet, (la précision tient à l'ajout des termes « à des fins de gestation ») ; la seconde prévoit que le consentement à ces recherches par le couple est révocable sans forme et à tout moment ;

- un amendement rédactionnel et un amendement de conséquence.

L'Assemblée nationale a, en outre, adopté, sur proposition de Mme Marie-Thérèse Boisseau et de sa commission spéciale, deux amendements visant à :

- supprimer dans la deuxième phrase du deuxième alinéa du texte proposé pour l'article L. 2151-3 les mots « des deux membres », les membres d'un couple étant en effet rarement trois ;

- insérer dans la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article L. 2151-3 les mots « par ailleurs dûment » afin de préciser la portée de l'information reçue par le couple avant qu'il puisse consentir à une recherche sur l'embryon.

III - La position de votre commission

Le droit en vigueur

Votre rapporteur ne commentera pas longuement les motifs du législateur de 1994 qui a choisi de ne pas autoriser la recherche sur l'embryon. L'étude réalisée par le Conseil d'Etat en 1999, présentée dans l'exposé général, commente les tenants et les aboutissants dudit choix.

Aujourd'hui, la recherche en France sur l'embryon ou les cellules qui en sont issues est interdite. Le pouvoir réglementaire a fait une stricte interprétation de ces dispositions. Ainsi la tentative en 2002 de M. Roger-Gérard Schwarzenberg, alors ministre de la recherche, d'importer des cellules souches embryonnaires à des fins de recherche, n'a pu aboutir.


L'échec d'une tentative d'importation de cellules
embryonnaires à des fins de recherche

1° Les faits

Fin mars 2002, le ministre de la recherche, M. Roger-Gérard Schwarzenberg annonce son intention d'autoriser l'importation de cellules souches pluripotentes d'origine embryonnaire en provenance d'Australie à des fins de recherche, en s'appuyant sur les dispositions du décret du 23 février 2000 relatif à l'importation ou l'exportation de produits et éléments du corps humain. Le 30 avril 2002, à la veille de quitter ses fonctions, il autorisait le CNRS à importer lesdites cellules pour effectuer des recherches scientifiques.

Fin juin, une association a saisi le Conseil d'Etat pour obtenir la suspension de l'exécution de la décision ministérielle autorisant le CNRS à pratiquer des recherches sur des cellules souches embryonnaires importées.

2° L'arrêt du Conseil d'Etat

Le Conseil d'Etat a formulé un « doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée » , le ministre ne pouvant prendre à l'époque une décision sans méconnaître les dispositions de l'article L. 2141-8 du code de la santé publique qui interdisent la conception in vitro d'embryon à des fins de recherche, ainsi que l'expérimentation sur ce dernier.

Le 13 novembre 2002, le Conseil d'Etat a ordonné la suspension de l'exécution ministérielle attaquée jusqu'à l'expiration d'un délai de quatre mois (13 mars 2003), délai devant permettre au tribunal administratif de Paris d'instruire la décision contestée.

Votre rapporteur formulera à ce stade deux remarques :

- il n'était sans aucun doute impossible d'arguer que le présent projet de loi, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, permettait, en effet, que soit remise en cause la volonté du législateur de 1994. Jusqu'à la promulgation du présent projet, la loi du 29 juillet 1994 demeure le droit en vigueur ;

- la question de l'importation de cellules souches pour effectuer des recherches scientifiques ou thérapeutiques pose en soit une difficulté d'ordre éthique : peut-on s'autoriser à « prélever à l'étranger », ce en quoi consistait l'importation, au motif que, pour des raisons éthiques, le prélèvement sur des embryons en France est interdit ? Votre rapporteur ne le pense pas.

Les perspectives de la recherche

Des expériences menées sur des rongeurs ont mis en évidence, voilà une dizaine d'années, la possibilité de cultiver des cellules souches embryonnaires , dites « cellules E.S » qui, au contact d'un certain milieu, ont le pouvoir de se transdifférencier en cellules potentiellement donneuses de tissus nerveux, sanguin, osseux, musculaire, etc. Une expérience plus récente, conduite sur le rat, a montré que l'injection directe de cellules cultivées pouvait provoquer une réparation de lésions dans la zone où elles étaient inoculées.

La question de la transposition de ces cellules à l'homme s'est donc naturellement posée, en ce qu'elle pourrait représenter un prémisse de piste thérapeutique contre des pathologies diverses telles que la maladie de Parkinson ou le diabète.

En outre, certaines des caractéristiques des cellules pluripotentes s'apparentent aux caractéristiques des cellules précancéreuses. Leur état instable offre un modèle d'étude pour, éventuellement un jour, mieux comprendre les mécanismes qui transforment une cellule vers un état cancéreux.

Mais les perspectives suscitées par les recherches sur les cellules embryonnaires ne sont pas uniques. Certaines cellules souches chez l'adulte sont capables de se multiplier, de générer des copies de ces cellules ainsi que de se « transdifférencier », telles les cellules souches hématopoïétiques (moelle osseuse) qui pourraient donner des cellules spécialisées (chondrocytes cartilagineux, globules rouges, blancs, plaquettes, etc.).

A Milan (Italie), les travaux de l'équipe du professeur Vescovi ont démontré, sur des souris, l'étonnante capacité de certaines cellules souches nerveuses adultes à se transformer in vivo en précurseurs médullaires hématopoïétiques et d'engendrer les lignées des cellules sanguines. Cette découverte montre la vitesse à laquelle les perspectives offertes par l'une ou l'autre voie évoluent et interdisent véritablement de trancher.

Or, l'utilisation de telles cellules ne pose pas, à la différence des cellules embryonnaires, de difficultés éthiques.

Doit-on et peut-on en limiter le champ de la recherche sur les seules cellules souches adultes ?

Pour sa part, le Conseil d'Etat 85 ( * ) , estime que « les expérimentations viennent poser sous un jour nouveau la question de la recherche sur l'embryon. En effet, bien que des expériences récentes montrent que les cellules souches présentes dans tous les tissus dont elles assurent le renouvellement sont capables de se comporter plus ou moins efficacement comme des cellules souches d'autres tissus, les cellules embryonnaires issues du blastocyste ou les cellules germinales primordiales par leur pluripotence sont les meilleurs modèles pour comprendre le processus de différenciation cellulaire et servir de base à l'élaboration de lignées cellulaires différenciées. Cela ne veut pas dire que les thérapies cellulaires auront nécessairement comme base dans l'avenir, des cellules souches embryonnaires mais que, sans l'étude de ces cellules, il est probablement illusoire d'espérer que ces thérapies cellulaires puissent voir le jour à partir d'autres cellules souches existant dans les organismes adultes » .

De même, la Commission nationale de bioéthique américaine, en remettant son rapport au président Clinton, avait en 1999 déclaré qu' « en raison des importantes différences biologiques qui séparent les cellules souches adultes et embryonnaires, cette source de cellules souches ne devrait pas être considérée comme une alternative à la recherche sur les cellules ES et EG » .

MM. Alain Claeys et Claude Huriet 86 ( * ) , qui commentent ces propos, déclarent ne pas souscrire « à ce point de vue et (pensent) que ces deux voies doivent être explorées avec la même détermination. L'un des éminents scientifiques que nous avons entendus, américain de surcroît, ne professe pas une opinion opposée : « il n'existe pas tant une compétition entre cellules qu'une compétition entre chercheurs qui utilisent différentes sources de cellules. Elle permettra de déterminer les cellules qui se prêtent le mieux aux applications cliniques. Exclure l'une ou l'autre approche ne serait pas bénéfique à long terme ».

Au stade actuel de la science, chacune des deux techniques doit être développée. Mais cette question, votre rapporteur l'a déjà dit, doit être traitée avec une grande prudence, notamment vis-à-vis des malades et de leurs familles, car ces techniques n'en sont qu'à des balbutiements et ne laissent pas entrevoir de perspectives thérapeutiques concrètes à court terme.


Quel potentiel pour les cellules souches adultes ?

Les avancées récentes de la recherche fondées sur l'expérimentation animale laissent entrevoir la possibilité de progrès médicaux décisifs à partir de ces cellules souches adultes.

Si les propriétés des cellules souches adultes mises récemment en évidence chez l'animal et, principalement, leur pouvoir élevé de transdifférenciation, sont transposables à l'homme, on perçoit aisément les importantes ressources qu'elles peuvent offrir à la thérapie cellulaire.

Deux avantages doivent être soulignés :

- prélevées sur l'organisme adulte, elles ne soulèvent, au plan éthique, aucune objection dès lors que seront respectées par ailleurs les règles générales touchant le recueil du consentement et l'évaluation du bénéfice-risque ;

- si l'on parvient à isoler les cellules d'un patient puis à conduire in vitro leur division et leur spécialisation, on pourra pratiquer des greffes autologues permettant de résoudre les problèmes d'immunocompatibilité sans passer par le clonage thérapeutique, méthode dont nous avons pu souligner le caractère coûteux, complexe et controversé.

Pour autant, on ne doit pas sous-estimer les limites importantes auxquelles se heurte pour l'instant l'utilisation des cellules souches adultes :

- s'il est bien établi que ces cellules peuvent se multiplier en culture en conservant leur caractère propre, leur division n'est pas infinie, contrairement à celle des cellules souches embryonnaires, de sorte que leur développement en culture tissulaire est, lui-même, nécessairement limité ;

- elles n'ont pas été isolées dans tous les tissus du corps humain : ainsi n'a-t-on pas pu localiser des cellules souches cardiaques ou pancréatiques ;

- l'utilisation de ces cellules en greffe autologue requiert au préalable qu'elles soient isolées et mises en culture en nombre suffisant pour obtenir les quantités nécessaires au traitement. En cas de trouble aigu nécessitant une intervention rapide, le délai risque d'être trop court pour parvenir à ce résultat ;

- d'après les études menées sur les animaux, les cellules souches dérivées du système nerveux central n'ont pas le profil génétique des cellules souches « normales » observées au cours de l'embryogenèse. John Gearhart se déclare « préoccupé » par leur évolution après la greffe, certains résultats tendant à prouver qu'elles pourraient ne pas se différencier ;

- le recours à la greffe autologue pour le traitement des maladies génétiques peut poser problème si l'anomalie affecte les cellules souches destinées à la transplantation.

Rapport de l'OPESCT sur le clonage, la thérapie cellulaire
et l'utilisation thérapeutique des cellules embryonnaires, p.65

La proposition de votre commission

Votre commission n'ignore rien des perspectives ouvertes par la science de même que les difficultés éthiques qu'engendre l'utilisation des embryons humains ou des cellules qui en sont issus à des fins de recherche médicales ou thérapeutiques.

Il a souvent été affirmé que de telles recherches devaient être autorisées pour des raisons de compétition internationale. Cet argument est sans doute le moins pertinent. De nombreux pays n'autorisent pas ces recherches. Cela ne présume en rien de la qualité de leur recherche médicale.

Le Conseil d'Etat avait, pour sa part, formulé trois pistes d'ouverture pour la recherche sur l'embryon :

- la possibilité de mener des recherches larges, sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires ;

- la possibilité de mener des recherches sur les seules cellules embryonnaires ;

- l'opportunité de prévoir un caractère transitoire pour cette recherche.

Votre commission ne souhaite pas remettre en cause les principes affirmés par le législateur de 1994.

Aussi, propose-t-elle un amendement pour le premier alinéa de l'article L. 2151-3 du code de la santé publique afin d'affirmer que la recherche sur l'embryon humain est interdite .

Le législateur de 1994 avait ouvert la faculté de procéder à des études qui ne remettent pas en cause l'intégrité de l'embryon. Cette faculté a donné lieu à une dizaine de demandes de protocoles et cinq recherches seraient conduites. Cette faculté, qui a été implicitement supprimée par le 3° de l'article 18, ne doit pas être abrogée. Il doit perdurer une distinction entre la recherche sur l'embryon, qui, in fine , porte atteinte à son intégrité et l'étude qui ne l'affecte pas. Votre commission vous propose donc un amendement insérant un nouvel alinéa qui prévoit le maintien de cette faculté de conduire des études qui ne portent pas atteinte à l'embryon.

Votre commission ne souhaite pas fermer une porte à la recherche de manière définitive mais constate qu'une telle recherche est une transgression du principe de protection de la vie dès son commencement. Elle souhaite aussi que l'autorisation soit strictement encadrée. Aussi, propose-t-elle un amendement introduisant un nouvel alinéa afin que la recherche sur l'embryon et les cellules embryonnaires soit assortie de toutes les garanties possibles :

- cette transgression doit être transitoire. Un délai de cinq ans permettra peut-être de vérifier que l'utilisation des cellules souches adultes rend inutile le recours à l'embryon. Aussi, cette dérogation est prévue pour une durée de cinq ans ;

- cette transgression ne saurait concerner que des embryons surnuméraires, c'est-à-dire créés dans le cadre d'une AMP mais ne faisant plus l'objet d'un projet parental, la création d'embryons pour la recherche devant demeurer un tabou absolu ;

- le recours à une recherche sur l'embryon doit constituer un dernier ressort, dans le cas où aucune autre technique n'a pu s'y substituer. Il faudra donc apporter la preuve que des essais réalisés notamment sur les primates ont justifié de l'intérêt d'une telle recherche sur l'embryon. Il serait insupportable que, pour des raisons de coûts, l'utilisation de l'embryon humain soit préférée à toute autre technique d'expérimentation sur les animaux ;

- la pertinence des recherches devra en outre être démontrée en regard de ses perspectives thérapeutiques. Il ne saurait être question de poursuivre des recherches à des fins industrielles ou commerciales. L'APEGH ou la nouvelle agence de biomédecine sera ici sollicitée pour viser le contenu des protocoles et s'assurer, notamment via son conseil d'orientation médical et scientifique, de la conformité éthique et scientifique de ces derniers à la volonté exprimée par le législateur ;

- votre rapporteur préconise enfin de faire figurer les termes embryons et cellules souches embryonnaires mais pour des finalités différentes. Il doit être entendu que des recherches sur l'embryon doivent pouvoir être menées sur ce dernier afin de faire progresser la médecine embryonnaire. La recherche thérapeutique doit porter, pour sa part, sur les seules cellules souches embryonnaires. M. Jean-François Mattei l'a rappelé devant votre commission 87 ( * ) :

« La recherche sur l'embryon qui profite à l'embryon lui-même ou d'ailleurs à d'autres embryons, me paraît une ouverture indispensable, sauf à rester dans une espèce de statut assez invraisemblable où l'on dirait : «On le respecte tellement qu'on ne veut pas lui venir en aide le cas échéant !». La recherche sur l'embryon, malgré la difficulté et malgré le fait que, dans un certain nombre de situations, cet embryon ne survivra probablement pas -mais d'autres pourront bénéficier de ces recherches- me paraît donc devoir être désormais ouverte, dans des conditions très strictes, très fermement encadrées, car la médecine en est arrivée à l'embryon, qu'elle considère comme accessible à son diagnostic et à son éventuelle thérapeutique. La recherche sur l'embryon dans des conditions précises doit donc être à mon sens désormais autorisée. On passe insensiblement de l'étude à la recherche, et je ne vois pas comment nous pourrions l'éviter ».

Il appartiendra à l'APEGH de veiller au respect de la distinction entre la recherche sur les cellules souches embryonnaires, à des fins thérapeutiques et la recherche sur l'embryon dans un but d'amélioration de la médecine de l'embryon.

Par amendement au troisième alinéa de l'article L. 2151-3, votre commission prévoit, en outre, que chacun des ministres chargés de la santé et de la recherche dispose d'un droit de veto à l'encontre des décisions d'autorisation des protocoles de recherche par l'APEGH. En clair, cela veut dire que le ministre de la santé pourra s'opposer à une recherche quand bien même son collègue chargé de la recherche serait favorable à l'autorisation accordée par l'Agence.

En outre, votre commission précise que les avis du Conseil d'orientation médical et scientifique sont communiqués « en temps réel » aux ministres afin d'éclairer l'exercice de leur droit de veto sur les décisions de l'Agence.

La question du clonage thérapeutique

Votre commission tient à affirmer deux interdits : la création d'embryon à des fins de recherche et le clonage thérapeutique.

Il a été précisé, dans l'exposé général ainsi qu'au cours du commentaire de l'article précédent, les raisons pour lesquelles ces recherches ne sauraient, sous aucun motif, être autorisées.

Votre rapporteur détaillera en revanche les raisons qui l'amènent à refuser le principe du clonage thérapeutique.

Le principe du clonage thérapeutique est le transfert au sein d'un ovocyte énucléé d'une cellule souche adulte qui, du fait de son milieu, développe la potentialité d'un embryon. Devant votre commission, M. Axel Kahn, en mettant des « guillemets », a défini « le clonage thérapeutique, comme la fabrication d'embryons humains par transfert de noyau à partir d'une cellule somatique » . Ces dernières cellules, que l'on tenterait de transdifférencier pour produire les cellules recherchées (sanguines, musculaires, organiques, etc.) auraient l'avantage d'être immunocompatibles avec le receveur puisqu'elles en dériveraient.

En l'état actuel des choses, trois risques décisifs incitent votre commission à repousser cette pratique.

Le premier de ces risques est d'ordre éthique . Les risques pris sous cet aspect sont importants. Il s'agit de permettre le développement d'une technique en tout point identique avec le clonage reproductif. Votre rapporteur l'a dit dans son avant-propos. M. Axel Kahn l'a rappelé devant votre commission 88 ( * ) :

« Le premier scientifique qui, soi-disant pour les besoins d'un clonage thérapeutique dont l'utilité thérapeutique n'est pas claire, publiera dans une grande revue scientifique la technique « clés en main » pour fabriquer des embryons humains, donnera rapidement et très simplement à M. Antinori et aux raëliens la technique qui leur manque peut-être aujourd'hui pour passer à l'acte. Finalement, l'utilité thérapeutique paraît incertaine et celle pour la recherche possible. Les éléments négatifs me semblent donc, aujourd'hui, l'emporter de loin sur les éléments positifs » .

Le second de ces risques est d'ordre technique . Pour réaliser ce clonage thérapeutique -certains disent cellulaire- il faut disposer d'un grand nombre d'ovocytes. Le don d'ovules féminins ne va pas de soi. Il en résulterait les risques des pires trafics conduisant à une marchandisation du corps humain dont seraient victimes, comme souvent, les plus faibles. Des scientifiques préconisent le recours à des ovocytes d'origine animale. Une expérience a même pu être menée à partir d'ovocytes bovins. MM. Claude Huriet et Alain Claeys rappellent dans leur rapport 89 ( * ) :

« De nombreux scientifiques expriment leur scepticisme face à cette annonce spectaculaire . Pour le professeur Thibault, l'expérience visant à fusionner un noyau humain et un ovocyte de bovin est « hérétique du point de vue du fonctionnement cellulaire : la température de l'ovocyte bovin est de 39°5, celle de l'ovocyte humain de 37°, et tout donne à penser que cette différence perturbe les mécanismes moléculaires, biochimiques et enzymologiques ». John Gearhart rappelle que, chez les espèces animales, les gènes situés dans le noyau et les gènes situés dans le cytoplasme ont connu une évolution qui n'est pas seulement génétique mais cytoplasmique. « On sait, grâce à des études de laboratoire, que le noyau et le cytoplasme ne peuvent pas être échangés entre espèces. Lorsqu'ils le sont, le métabolisme ne peut pas se mettre en place. Il est donc difficile de concevoir qu'une expérience consistant à implanter des noyaux humains dans des ovocytes bovins puisse aboutir ».

Le dernier risque est d'ordre médical . Les tentatives menées sur les animaux font apparaître des risques d'effets pathologiques durables, qui justifient que des expérimentations sur les animaux soient menées sérieusement avant d'envisager tout recours à l'homme. Ainsi le rapport de l'OPECST précité 90 ( * ) évoque les commentaires du professeur Samarut :

« Certains chercheurs, tel Jacques Samarut, se déclarent défavorables au clonage thérapeutique qui présente, à leur point de vue, d'énormes risques : à partir du moment où l'on prélève un noyau sur une cellule déjà engagée dans une voie de différenciation, on ne peut être certain de l'intégrité de son patrimoine génétique. On sait que dans un tissu somatique, la proportion de cellules qui renferment des anomalies génétiques est très importante. On pourra détecter un réarrangement chromosomique mais non des anomalies ponctuelles et ce risque paraît trop élevé pour une utilisation thérapeutique » .

Ainsi votre commission préconise-t-elle, pour ces trois raisons, de prévoir l'interdiction de création d'embryons par FIV comme par clonage à des fins de recherches.

Sous le bénéfice de ces observations, elle vous propose d'adopter cet article ainsi amendé.

Article 20
Cellules embryonnaires ou foetales issues
d'interruptions de grossesse

Objet : Cet article précise le régime des cellules embryonnaires ou foetales issues d'interruptions de grossesse, s'agissant de leur prélèvement, de leur conservation et de leur utilisation.

I - Le dispositif proposé

Le présent article propose d'insérer un nouvel article L. 1241-5 dans le code de la santé publique au sein du chapitre relatif au prélèvement et à la collecte des tissus, cellules et produits issus du corps humain.

Le texte proposé pour l'article L. 1241-5 précise le statut juridique des tissus et cellules embryonnaires ou foetaux prélevés à la suite d'une interruption de grossesse. Il est composé de cinq alinéas :

- le premier prévoit que ces tissus ou cellules ne peuvent être prélevés qu'à des fins scientifiques ou thérapeutiques, et que la personne ayant subi l'interruption de grossesse, après avoir reçu une information appropriée sur les finalités du prélèvement, dispose de la faculté de s'y opposer ;

- le deuxième alinéa prohibe tout prélèvement sur mineure ou majeure protégée sauf afin de rechercher les causes de l'interruption de grossesse ;

- le troisième alinéa dispose que lorsque ces produits sont conservés, ils sont soumis aux principes généraux du code de la santé publique relatifs aux don et utilisation des produits du corps humain, tels que modifiés par le présent projet de loi à son article 5 ;

- le quatrième alinéa prévoit l'obligation d'établir un protocole pour les prélèvements à des fins scientifiques, protocole soumis à l'APEGH qui en communique la liste à l'EFG et au ministre en charge de la recherche ;

- le cinquième alinéa prévoit, enfin, que ce ministre peut suspendre ou interdire ces protocoles lorsque leur nécessité ou leur pertinence scientifique n'est pas établie.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a modifié à quatre reprises la rédaction proposée pour l'article L. 1241-5 du code de la santé publique :

- à l'initiative de sa commission spéciale, elle a adopté un amendement ajoutant à la liste des finalités possibles de ces prélèvements, scientifiques ou thérapeutiques, la finalité diagnostique afin de permettre de déterminer les causes d'une interruption non volontaire de grossesse ;

- à l'initiative de sa commission spéciale et de M. Jean-François Mattei et plusieurs de ses collègues, elle a adopté un amendement disposant que l'information relative à la finalité du prélèvement doit être postérieure à la décision prise par la femme d'interrompre sa grossesse ;

- à l'initiative de sa commission spéciale, elle a adopté un amendement rédactionnel précisant que la pertinence des protocoles est appréciée d'un point de vue « scientifique ».

III - La position de votre commission

Une carence législative ancienne

Les interrogations relatives à l'utilisation des tissus et cellules foetaux issus d'une interruption de grossesse sont anciennes. Elles ont fait l'objet du premier avis rendu par le Comité consultatif national d'éthique, le 22 mai 1984. A cette occasion, ce Comité a formulé quatre principes :

- « l'embryon ou le foetus doit être reconnu comme une personne humaine potentielle qui est ou a été vivante et dont le respect s'impose à tous » . De ce principe, il déduit deux interdits : la recherche in utero ou le maintien artificiel de la vie du foetus à des fins de recherche, et l'utilisation commerciale ou industrielle de ces derniers ;

- « les principales objections d'ordre éthique élevées contre la légitimité des prélèvements de tissus d'embryons ou de foetus morts ont pour cause la provenance de ceux-ci lorsque leur mort est due à une interruption volontaire de grossesse » . Le comité prévoit à ce titre la nécessité d'une clause de conscience pour les praticiens ne souhaitant pas se livrer à de tels prélèvements et pour les autres, deux catégories de directives à suivre.

Les premières sont d'ordre éthique et visent à limiter les finalités de ces recherches. Ainsi le prélèvement à des fins thérapeutiques « doit avoir un caractère exceptionnel justifié, en l'état actuel des connaissances, à la fois par la rareté des maladies traitées, l'absence de toute autre thérapeutique également efficace, et l'avantage manifeste, tel que la survie, que retirera le bénéficiaire du traitement ». Les prélèvements à des fins de recherche, quant à eux, doivent « poursuivre un but spécialement important et spécialement utile au progrès des thérapeutiques ». Dans tous les cas, le comité prévoit le recours à un comité d'éthique qui apprécie la conformité des prélèvements aux principes susmentionnés.

Les directives déontologiques et médicales visent d'une part à préserver les intérêts de la femme, et pour cela, que « la décision et les conditions de l'interruption de grossesse ne doivent en aucun cas être influencées par l'utilisation ultérieure possible ou souhaitée de l'embryon ou du foetus ». Le Comité a en outre insisté pour qu'« une totale indépendance soit établie et garantie, sous le contrôle du Comité d'éthique, entre l'équipe médicale qui procède à l'IVG et l'équipe susceptible d'utiliser les embryons ou les foetus » ;

- il a précisé que « seuls peuvent être utilisés les embryons ou foetus n'ayant pas atteint le seuil de la viabilité et dont la mort a été préalablement constatée » ;

- enfin, « les prélèvements de tissus embryonnaires ou foetaux à des fins thérapeutiques ou scientifiques peuvent être interdits par la mère ou le père qui disposent de la faculté de s'y opposer. »

Pour autant, ces directives nombreuses et précises n'ont pas fait l'objet d'une traduction législative, la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 restant silencieuse sur la question du prélèvement de tissus et cellules foetaux et embryonnaires.

Dans leur rapport relatif à l'application de cette loi, MM. Claude Huriet et Alain Claeys 91 ( * ) ont rappelé les enjeux de cette question :

« Cette question, déjà posée sous l'empire de la loi Caillavet, n'a pas été davantage tranchée par le législateur de 1994 qui ne l'a même pas évoquée dans les travaux préparatoires.

« La finalité de ces prélèvements, en dehors des visées diagnostiques qui ne posent pas de problème, peut être thérapeutique ou scientifique.

« Sur le plan thérapeutique, la transplantation de cellules souches hépatiques embryonnaires a été réalisée pour traiter les déficits immunitaires héréditaires. Plus récemment, se sont développées des recherches sur l'intérêt des transplantations de cellules nerveuses embryonnaires pour le traitement de certaines maladies neurovégétatives : maladie de Parkinson, chorée de Huntington.

« Dans le silence de la loi, certains juristes ont cru pouvoir considérer que le régime des résidus opératoires s'appliquait de plano aux prélèvements et à l'utilisation des tissus, cellules ou produits d'embryons ou de foetus humains morts des suites d'une intervention médicale et, notamment, d'une interruption volontaire de grossesse. Rien, dans les travaux préparatoires, ne permet de l'affirmer et ceux-ci autorisent même une argumentation inverse : en effet, si la notion de déchet opératoire a pu être jugée insuffisante pour inclure le placenta (celui-ci ayant été rajouté au cours de la navette), il est difficilement admissible qu'elle s'applique, sans disposition expresse, aux prélèvements sur foetus et embryons morts . »

Certes les auteurs de l'évaluation soulignent que « face à la carence de la loi, les professionnels se réfèrent, pour guider leur pratique, aux avis du Comité consultatif national d'éthique » .

Mais, c'est à juste titre qu'ils concluent que « la multiplication vraisemblable de ces types de greffes à partir de prélèvements embryonnaires et foetaux nécessitera sans doute une intervention du législateur , les lacunes des textes ne pouvant être comblées par les seuls avis d'une instance consultative, si éminente qu'elle soit ». C'est en partie chose faite par les dispositions du présent article 20.

Des difficultés en suspens ?

Le présent article résout sans nul doute la plupart des difficultés qu'entraînait l'absence de régime juridique pour les tissus et cellules prélevés au cours d'une interruption de grossesse. Il est aujourd'hui bien établi qu'en aucun cas ces tissus peuvent être assimilés à des résidus ou déchets opératoires.

Cela étant, un certain nombre de questions restent posées.

Il s'agit en premier lieu de la nature du consentement de la femme subissant l'interruption de grossesse. La règle du consentement présumé est-elle en elle-même satisfaisante ? A cet égard, M. Jean-François Mattei, député, a proposé à la commission spéciale de l'Assemblée nationale « que la personne consente expressément au prélèvement. [Estimant que] le choix visant à lui reconnaître qu'un droit de s'y opposer relève d'une conception contestable des modes d'expression du consentement » 92 ( * ) .

La séparation des activités de prélèvement des activités médicales d'interruption n'est pas consacrée alors même que le comité consultatif d'éthique la faisait figurer parmi les principes déontologiques essentiels.

La place du père est, là encore, une des difficultés suscitées par le présent texte. Doit-on, ainsi que l'envisage le comité d'éthique, prévoir la faculté d'opposition de ce dernier ? Votre rapporteur, qui n'ignore pas que la présence du père est hasardeuse dans le processus d'une interruption de grossesse dont la décision in fine appartient à la mère, ne voit pas en l'état comment assurer la conciliation de ces principes.

Votre commission vous propose néanmoins d'adopter un amendement précisant que le droit de veto du ministre de la recherche sur les protocoles prévus par cet article s'exerce également au regard du respect des « principes éthiques» , c'est-à-dire, selon une formule similaire à celle prévue par l'article L. 2151-3 du code de la santé publique (article 19 du présent projet de loi) pour autoriser la recherche sur l'embryon. Il sera bien évidemment compris que cette référence est constituée des principes éthiques susmentionnés, formulés par le Comité consultatif national d'éthique.

Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi amendé.

* 84 Cf. ci-dessus commentaire de l'article 6.

* 85 Etude précitée, p. 17.

* 86 Rapport précité p. 69.

* 87 Cf. compte rendu des auditions annexé au présent rapport.

* 88 Cf. compte rendu des auditions annexé au présent rapport. Cette audition s'est déroulée le 4 décembre 2002, soit avant les « annonces » qui ont défrayé la chronique de la fin de l'année.

* 89 rapport précité p. 58

* 90 Rapport précité p. 59.

* 91 Rapport précité, p. 57.

* 92 Alain Claeys, rapport de l'Assemblée nationale précité, p. 232.

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