N° 301
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 21 février 2002 Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 mai 2002 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur la proposition de résolution, présentée par M. Francis GRIGNON en application de l'article 73 bis du Règlement, sur le projet de règlement (CE) n° / de la Commission concernant l' application de l' article 81 , paragraphe 3 , du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans l'industrie automobile (E-1974),
Par M. Francis GRIGNON,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Gérard Larcher, président ; MM. Jean-Paul Emorine, Marcel Deneux, Gérard César, Pierre Hérisson, Jean-Marc Pastor, Mme Odette Terrade, vice-présidents ; MM. Bernard Joly, Jean-Paul Émin, Patrick Lassourd, Bernard Piras, secrétaires ; MM. Jean-Paul Alduy, Pierre André, Philippe Arnaud, Gérard Bailly, Bernard Barraux, Mme Marie-France Beaufils, MM. Michel Bécot, Jean-Pierre Bel, Jacques Bellanger, Jean Besson, Claude Biwer, Jean Bizet, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Dominique Braye, Marcel-Pierre Cleach, Yves Coquelle, Gérard Cornu, Roland Courtaud, Philippe Darniche, Gérard Delfau, Rodolphe Désiré, Yves Detraigne, Mme Evelyne Didier, MM. Michel Doublet, Paul Dubrule, Bernard Dussaut, André Ferrand, Hilaire Flandre, François Fortassin, Christian Gaudin, Mme Gisèle Gautier, MM. Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Charles Guené, Mme Odette Herviaux, MM. Alain Journet, Joseph Kerguéris, Gérard Le Cam, Jean-François Le Grand, André Lejeune, Philippe Leroy, Jean-Yves Mano, Max Marest, René Monory, Paul Natali, Jean Pépin, Daniel Percheron, Ladislas Poniatowski, Jean-Pierre Raffarin, Daniel Raoul, Paul Raoult, Daniel Reiner, Charles Revet, Henri Revol, Roger Rinchet, Claude Saunier, Bruno Sido, Daniel Soulage, Michel Teston, Pierre-Yvon Trémel, André Trillard, Jean-Pierre Vial.
Voir le numéro :
Sénat : 297 (2001-2002)
Union européenne. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
La Commission des Affaires économiques est saisie d'une proposition de résolution relative au projet de règlement de la Commission européenne concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité instituant la Communauté européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans l'industrie automobile.
Ce projet de règlement, présenté par la Commission de Bruxelles le 5 février dernier et publié au Journal Officiel des Communautés Européennes (JOCE) du 16 mars 2002, doit remplacer le règlement n° 1475/95 qui arrive à expiration le 30 septembre 2002. Ce règlement doit réorganiser le système de la distribution automobile en Europe. S'il était adopté tel que proposé, il modifierait profondément le fonctionnement de la vente des véhicules neufs, des marchés de pièces de rechange et de services de réparation et d'entretien des véhicules.
Dans cette hypothèse, les constructeurs automobiles ne pourraient plus opter pour le système actuel de commercialisation qui leur permet de sélectionner leurs distributeurs sur des critères qualitatifs, d'en maîtriser le nombre et de leur accorder un territoire exclusif de vente.
Par ailleurs, le projet de règlement interdit l'usage des clauses dites de localisation qui permettent aux constructeurs d'obliger les distributeurs à opérer à partir d'un établissement précis. Ces dispositions pourraient permettre aux concessionnaires de s'installer en tout point de l'Union européenne.
Plus largement, avec ces nouvelles dispositions, les grandes surfaces pourraient avoir accès au marché de la distribution automobile.
La Commission européenne propose également de redéfinir le lien entre la vente et le service après-vente (SAV) des véhicules. Les distributeurs pourraient décider de se charger eux-mêmes du SAV ou de le déléguer à un réparateur agréé par le constructeur.
Enfin, ce projet offrirait aux concessionnaires la possibilité de proposer des véhicules de marques différentes (multimarquisme) sans que les entités juridiques de vente soient séparées.
En définitive, ce texte propose une ouverture encore plus forte à la concurrence du secteur de la distribution automobile et des prestations qui y sont attachées (réparation et entretien).
Le projet de réforme est guidé par la volonté, clairement exprimée par le Commissaire européen chargé de la Concurrence, M. Mario Monti, de « mettre le consommateur dans le siège du conducteur » . La Commission estime que les écarts de prix pour un même véhicule- parfois très prononcés, il est vrai- sont encore trop importants entre les différents Etats membres. Elle impute ces écarts au système de distribution que les constructeurs automobiles peuvent imposer à leurs distributeurs et elle entend en conséquence le changer.
Cette position de la Commission, certes appuyée sur plusieurs études, peut toutefois prêter à discussion. D'abord, les acteurs de la branche et les autorités chargées de la régulation de la concurrence s'accordent pour dire que la concurrence entre les différents constructeurs européens et mondiaux est vive. Surtout, les écarts de prix des véhicules peuvent trouver, notamment dans l'existence de distorsions fiscales entre les différents pays de l'Union, d'autres explications que celles avancées.
Sans nécessairement être à même d'atteindre l'objectif fixé, la réforme préconisée par la Commission risque donc d'affaiblir un système qui, globalement, a fait ses preuves même si les associations de consommateurs peuvent être amenées à formuler quelques observations critiques à son encontre. Tendant à exacerber la guerre des prix dans le secteur de la construction automobile, elle est en outre porteuse de menaces sur l'emploi, avec les conséquences néfastes qui s'y rattacheraient (désindustrialisation de certains bassins d'emplois déjà fortement touchés par le chômage, déstabilisation d'un secteur clé pour l'Europe) et pourrait porter atteinte à l'aménagement du territoire en affaiblissant le maillage des régions par les concessionnaires automobiles.
C'est le souci de pallier ces inconvénients qui a guidé les travaux de votre rapporteur.
I. LES JUSTIFICATIONS JURIDIQUES DE LA RÉFORME
A. LES RÈGLES GÉNÉRALES DE LA CONCURRENCE PEUVENT ÊTRE AMENAGÉES PAR LA COMMISSION DANS CERTAINS SECTEURS ÉCONOMIQUES
L'article 81 du Traité instituant la Communauté européenne interdit « tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun » .
Néanmoins, de telles pratiques sont admises si elles « contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux consommateurs une partie équitable du profit qui en résulte » (article 81-3 du traité).
Certains secteurs peuvent ainsi faire l'objet de règlement d'exemption par catégorie (REC), qui permettent notamment des accords verticaux entre entreprises (c'est à dire entre le producteur et le distributeur). C'est le cas de la distribution automobile qui a fait l'objet d'un premier REC en 1985 (123/85), remplacé par le règlement n° 1475/95 du 28 juin 1995. C'est ce règlement qui arrive à expiration, le 30 septembre 2002, et que la Commission devait proroger ou remplacer.
Pour unifier le marché intérieur, la Commission européenne dispose de pouvoirs importants en matière de concurrence. A preuve, ces règlements d'exemption sont des règlements autonomes : ils sont adoptés sans être votés par les Etats membres .
Cependant tous les secteurs économiques particuliers ne font pas l'objet d'un règlement spécifique. Ainsi il existe un règlement général d'exemption, n° 2790/1999, qui concerne tous les accords de distribution.
Il aurait donc été possible de ne pas remplacer le règlement 1475/95 afin que le secteur de la distribution automobile tombe dans le champ du règlement 2790/99. La Commission n'a pas jugé ce choix opportun dans la mesure où, conformément à sa nouvelle philosophie, elle préfère se référer à une approche « plus économique ». De plus, les acteurs du secteur automobile se déclarent plus favorables à une réglementation spécifique à leur branche 1 ( * ) .
Le règlement 2790/99 n'est pas, selon la Commission, adapté à la distribution automobile. En effet, le bénéfice de cette législation peut être refusé à certains opérateurs si l'accès au marché ou la concurrence qui y prévaut est restreint par les effets cumulatifs de réseaux parallèles d'accords verticaux similaires couvrant plus de 50% du marché en cause. Or, dans le secteur de la distribution automobile, les constructeurs ont opté pour des modalités de vente de leurs véhicules similaires et l'effet cumulatif dépasse largement ce seuil de 50%, ce qui, dans la logique des textes, exclurait la branche automobile du bénéfice de cette législation.
Le règlement 2790/99 ne comporte pas non plus de clause dite de « disponibilité » qui oblige les concessionnaires à commander une voiture pour la vente à un consommateur étranger avec les spécifications techniques identiques aux véhicules vendus dans ce pays étranger (cas de la conduite à droite pour les véhicules britanniques par exemple).
Ces raisons ont donc poussé la Commission à maintenir une législation qui soit propre à la distribution automobile. Votre rapporteur approuve ce maintien d'un régime spécifique à l'automobile car les véhicules automobiles ne sont pas des biens comme les autres. Ils engagent la sécurité des utilisateurs et nécessitent un niveau élevé de qualification pour les réparer et les entretenir.
* 1 « Le présent projet est ainsi fondé sur une approche plus économique, et sur le principe qu'il appartient aux opérateurs économiques eux-mêmes d'organiser la distribution selon leur propre besoin » Commission européenne, Note explicative sur le projet de règlement, JOCE du 16 mars 2002.