II. LE BOULEVERSEMENT POSTAL EUROPÉEN : UN ENJEU SOUS-ESTIMÉ
Votre
commission pour avis est frappée par l'insuffisante prise de conscience
de l'ampleur des bouleversements à l'oeuvre dans le secteur postal
européen.
Sans doute est-ce cette difficulté d'analyse -faut-il aller
jusqu'à dire qu'elle atteint même la tutelle de l'opérateur
public ?- qui explique que notre poste soit laissée, à
l'heure de la concurrence mondiale, dans une posture que ne justifiait que le
règne du monopole. On pense notamment aux charges d'intérêt
général non compensées par la collectivité qui lui
incombent.
Votre rapporteur souhaite évoquer succinctement les offensives des
postes européennes, avant de rappeler les handicaps concurrentiels que
représente le financement par l'opérateur de l'exercice de ses
missions d'intérêt général.
A. LES OFFENSIVES DES POSTES EUROPÉENNES
Les
postes européennes se sont engagées dans une course à la
croissance externe. Dans un marché libéralisé, l'effet de
taille est déterminant pour réaliser des économies
d'échelle en matière d'acheminement, d'infrastructure
d'exploitation, de systèmes d'information et de livraison.
Sur la période 1996-1998, les postes allemande, néerlandaise
et anglaise ont réalisé près de 25 acquisitions dans
le secteur du colis, pour un montant global de plus de 34 milliards de
francs.
Cette évolution est si frappante et si rapide que votre rapporteur pour
avis a souhaité annexer au présent rapport le compte-rendu des
auditions par votre commission de responsables européen et
américain de la poste et de messagerie, qui sont particulièrement
révélatrices de l'ampleur des " grandes manoeuvres " en
cours.
L'exemple le plus marquant de ce mouvement est celui de la
Deutsche Post
AG
qui, depuis un an, a multiplié les opérations de
croissance externe. DPAG, qui dispose de capacités d'investissements
très élevées, s'est lancé dans une ambitieuse
politique de croissance externe dans les secteurs du colis et de la logistique
en déboursant environ 40 milliards de francs ces derniers
mois
. L'objectif affiché de la poste allemande est de
s'internationaliser rapidement, fut-ce à un coût
élevé, pour réussir son introduction en bourse
prévue fin 2000.
En Europe du Nord tout d'abord, DPAG a renforcé ses positions par
plusieurs acquisitions. D'une part, la bataille opposant DPAG à la poste
suédoise dans le rachat de la société de transport
suédoise ASG (CA :9 milliards de francs) s'est finalement
terminée en juillet dernier par une victoire de la Deutsche Post, suite
à une décision de la Commission européenne qui a
considéré que cette acquisition n'engendrait pas la
création ou le renforcement d'une position dominante. Cette
opération devrait permettre à la Deutsche Post d'étendre
sa couverture géographique en Scandinavie. DPAG a pris le contrôle
de
ASG
, via sa filiale
DANZAS
, un des leaders du transport et de
la logistique en Europe. Parallèlement, la Deutsche Post a acquis les
divisions européennes de transport, distribution et logistique de la
société néerlandaise
Nedlloyd
, la
société néerlandaise de transport de paquets
Van Gend
Loos
et une participation de 50 % dans l'anglais
Securicor
Distribution
dont les activités s'étendent jusqu'en Irlande.
Dans le secteur de la messagerie, DPAG a étendu son réseau en
Espagne en acquérant 49 % de
Guipuzcoana
, leader espagnol
dans la distribution de colis d'entreprise, et en Suisse avec
Qualipac
,
numéro trois sur le marché helvétique des colis. Elle a
également racheté 90 % del'italien
MIT,
de 68 %
du Français
Ducros Services Rapides
. L'acquisition par DHL de
51 % de
Colitel
, entreprise spécialisée dans le
transport urgent et la logistique personnalisée, a également
permis à DPAG, liée à cette entreprise, de renforcer sa
présence en France.
Par ailleurs, sur le marché américain, DPAG a acquis
Global
Mail
, société de services de courrier international, ainsi
que
YellowStone International Corporation
, une des plus grandes
sociétés de distribution internationale de la presse aux
Etats-Unis.
Enfin, la Deutsche Post a renforcé ses activités dans
différents domaines, notamment dans le secteur du commerce
électronique en prenant une participation de 15 % dans le capital
de
GFT Technologies
, conformément au souhait du Président
de la Deutsche Post de développer rapidement les activités de son
entreprise dans ce domaine. Dans le secteur des services financiers, elle a
racheté pour 14,5 milliards de francs
Deutsche Postbank AG
dont elle avait été séparée lors de la
réforme postale. DPAG a par ailleurs annoncé le rachat de
80 % du groupe munichois
ITG Internationale Spedition
, leader sur
le marché allemand de la livraison de vêtements.
L'autre grand acteur des stratégies d'acquisitions est le
néerlandais TNT Post Group (TPG), qui a également renforcé
sa position en Europe. La poste néerlandaise a en effet mobilisé
490,6 millions de francs pour reprendre le groupe italien de stockage et
de transport
Tecnologistica
présent en Italie, mais aussi en
France, en Allemagne, en Espagne, en Autriche, en Suède et au
Bénélux.
En France, elle a racheté
Jet Services
, numéro deux sur le
marché français du transport express de petits colis, pour
2 milliards de francs, ainsi que la société de messagerie
Broos-Fouya
. TPG a également acquis la société
portugaise de transport express
Tranjato.
Quant à
la poste britannique
, qui semblait un peu à
l'écart de ces grands mouvements, elle est entrée en scène
au début de l'année en acquérant deux
sociétés allemandes, le réseau de messagerie
German
Parcel
qui détient par ailleurs une participation de 23 % dans
General Parcel, une compagnie internationale qui dessert 30 pays
européens, et
Der Kurier
un des leaders du marché allemand
de la messagerie express.
Votre rapporteur pour avis déplore que le " retard à
l'allumage " de La Poste n'amène le champ des possibles à se
rétrécir pour la nécessaire conclusion d'une alliance
internationale stratégique par l'opérateur. Sa forme sociale -et
notamment l'absence de capital- semble un handicap de taille en la
matière.
S'y ajoute la non compensation des missions d'intérêt
général, qui l'empêche de dégager les marges de
financement nécessaires à sa croissance externe.